samedi 9 juillet 2005

Orange Mécanique (A clockwork orange)


D’un point de vue strictement personnel, le meilleur Stanley Kubrick et le meilleur film de tous les temps que cet Orange Mécanique !

Attention, rien qu’à l’affiche le ton est donné : « Suivez les aventures d’un jeune homme qui s’intéresse principalement au viol, à l’ultraviolence et à Beethoven ».

Adapté d’un roman déjà controversé d’Anthony Burgess, Orange Mécanique créa une polémique sans précédent dans l’histoire du cinéma, accusé (à tort la plupart du temps) des pires fléaux sociaux en Grande-Bretagne. Par exemple, plusieurs auteurs de faits divers ultraviolents déclarèrent avoir été inspirés par le film ; des bandes s’habillaient comme les droogs d’Alex, et une femme porta plainte pour viol en précisant que ses agresseurs hurlaient à la mort Singin in the rain. L’affaire pris tant d’ampleur que Kubrick fut directement menacé de mort. Inquiet, il força les distributeurs à retirer le film des affiches alors qu’il cartonnait depuis des mois. Aucun réalisateur ne pu jamais faire cela auparavant, preuve de l’importance de Kubrick sur le paysage cinématographique mondial – et auprès des financiers de l’époque. Entre 1974 et 2000, le film ne fut plus projeté en Grande-Bretagne… Pourtant, quand on analyse un petit peu le contexte historique, accuser Orange Mécanique était une facilité : pour rappel, nous sommes en 1971. La censure a fini son despotisme, et nombre de films parfois classés « X » voient le jour, tandis que d’autres prônent une libération des mœurs pour ne pas dire décrive une violence inédite à l’écran. Easy Rider, Macadam Cowboy, Les chiens de paille sont autant de films chocs à l’époque qui enragèrent les têtes soi-disant bien-pensantes.

Ca c’était pour la petite histoire. Passons maintenant au film en lui-même.

Tout commence donc par cette musique synthétique annonçant sur fonds de couleurs criardes le générique. Radicalement, le visage sournois et malveillant d’Alex apparaît, nous fixant avec ses yeux perçant, comme s’il sondait notre âme. Son discours commence alors « Il y avait moi, c’est à dire Alex… ». Et voilà, le récit est défini : un film stylisé (la tenue d’Alex), un peu moralisateur quand à l’âme humaine et un récit en « je » qui permettra de nombreuses folies.

Commençons par le style. Il se retrouve à la fois dans le visuel et la réalisation, je m’explique. Dans le visuel, l’accent est mis sur un aspect un peu futuriste (le film étant quand même, à la base, de la science-fiction) avec une déco qui apparaît un peu kitsch aujourd’hui. Le look d’Alex et des droogs est pourtant très soigné (chapeaux, chemise et pantalon blancs, bretelles grises, coquille et Docs Martens) n’est pas sans rappeler celui des skinheads, symboles de violences raciales ou dans les stades de foot (bien qu’il ne faille pas confondre les « skinhead », jeunes au crâne rasé mais sans aucun penchant xénophobe ou raciste puisqu’ils sont très proches de la musique reggae, et les « boneheads », skinheads à tendance néo-nazie). Le look d’Alex en particulier est très soigné, véritable contraste ambulant, chaussures militaires et chapeau melon bourgeois, œil maquillé (symbolisant la civilisation) et l’autre non (symbolisant la nature originelle).

Au niveau de la réalisation, Kubrick fait à nouveau très attention à sa photographie, privilégiant des couleurs chaudes ou en rapport avec la scène (Orange Mécanique, la scène de la maison de l’écrivain ayant un teint orangé…). L’influence de l’expressionnisme se fait également sentir, dans ce besoin de créer la peur naturellement, avec notamment un jeu d’ombres important, comme dans cette scène du clochard au début du film. Et il va s’en dire que Kubrick a bien retenu les leçons de maître Eisenstein quant au montage, juxtaposant parfaitement images et sons, jouant même avec les plans fixes pour créer les mouvements (la sculpture des quatre Jésus qui dansent). Mais tout cela n’est qu’hommages et emprunts, Kubrick étant arrivé à un tel niveau de création qu’il en devient sa propre influence. Ainsi, la scène devenue légendaire voit Alex se balader dans un magasin de disques et s’arrêter à côté de la b.o. du film 2001 : l’odyssée de l’espace…

Kubrick aime également jouer avec les contrastes : Alex, d’abord personnage méprisant, nous devient sympathique au fil de ses mésaventures ; barbare et immonde, c’est également un être raffiné appréciant l’art et en particulier Beethoven ; la violence est sans concession sur fond de musique classique (la première grande scène, celle du théâtre, contient quand même un rythme rapide tandis que la suivante, le long de la berge, est volontairement filmé au ralenti pour styliser, comme le fera John Woo plus tard dans ses films) ; etc.

Le scénario est sans conteste l’une des trois armes les plus fortes du film, les deux autres étant la réalisation de mister Kubrick et l’interprétation de Malcom McDowell. Tout commence par cette apologie du mal, en nous laissant spectateurs impuissants des ignominies d’Alex quant à ses agressions, ses viols… Mais justice est rendue, Alex tombe sous le glaive de la justice et se rend en prison pour homicide involontaire. Fin de l’histoire ? Certainement pas, Alex découvrant un nouveau procédé appelé Ludovico que personne ne semble vouloir tenter. Le but ? Rendre le pire des criminels docile et lui rendre sa liberté sans aucune appréhension. La faille, c’est qu’il s’agit surtout d’un lavage de cerveau. En effet, les médecins dégoûtent d’abord Alex de ses activités favorites, autrement dit le viol et l’ultraviolence. Cette séquence fait un peu écho au début du film, semblant signifier qu’Orange Mécanique n’est pas une apologie du mal mais un « remède » pour la dénoncer. Viennent ensuite les images d’endoctrinement, bien plus violentes moralement que physiquement, où l’on découvre Hitler en chef adulé. A sa manière, le nazisme était aussi un lavage de cerveau à son époque (et encore maintenant). Alex se retrouve donc libre légalement mais plus humainement. Lui le fléau de la société en est devenu la victime. Ce n’est que dans un final mythique et anarchiste à souhait que les choses redeviendront « normales ».

L’Homme a toujours été au centre de l’œuvre de Kubrick, et il trouve avec Orange Mécanique sa plus belle arme concernant le libre arbitre. Le message est le suivant : l’homme doit avoir la liberté de choisir entre le Bien et le Mal, même s’il opte pour le Mal. Kubrick s’est donc détaché du livre en supprimant le dernier chapitre, absent de la version américaine du roman d’ailleurs, dans lequel Alex devient un citoyen banal avec famille, boulot et tout le toutim. Dès lors, le film aurait perdu un final sarcastique et ironique à souhait…

Vient ensuite l’interprétation magistrale de Malcom McDowell, unanimement saluée et pourtant négligée par les Oscars. Rarement, d’un point de vue strictement personnel à nouveau, je n’aurai vu une telle interprétation d’une telle justesse, d’une telle qualité. McDowell avouera lui-même : « Il y a certains rôles, dans votre vie, que vous êtes né pour jouer : c’était l’un de ces rôles ! ». Tout est résumé.

Et pour finir, l’importance du récit en « je » : Kubrick a très bien compris les rouages de la narration, et sait qu’un prise de position subjective dans un récit peut carrément changer la donne. Ainsi nous voyons l’histoire non pas en tant que spectateur mais en tant que partenaire d’Alex, narrant ses exploits et ses peines selon ses propres souvenirs et idées. L’exemple le plus frappant reste cette scène cul-te où Alex couchent avec deux filles. Si l’aspect honteux est moins fort que dans le film (où il s’agit dès lors de deux filles de 10 ans droguées par Alex), Kubrick confère quand même un cachet original en accélérant la scène sur fond de William Tell joué également cinq fois plus vite. Une manière diaboliquement intelligente de souligner le sexe sans sentiments de la part de cet odieux personnage…

Je préfère en rester là, avant de sombrer dans une analyse approfondie du film qui, de toute manière, ne peut être jugé ou étudié : c’est l’un de ces rares films qui se vivent, tout simplement…

Note : *****

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