mardi 12 juillet 2005

Blade Runner


Au panthéon du cinéma de science-fiction, Blade Runner est très certainement l’un des plus illustres représentants du genre et, soyons franc, du cinéma en général aussi.

A la base, il y avait de quoi espérer quand même : un scénario sur base de Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques de Philip K. Dick, un réalisateur doué aux commandes, un acteur habitué au rôle du héros aventurier… Pouvait-on cependant croire que le film connaîtrais une telle difficulté à exister et deviendrait une référence incontournable dans le monde du septième art ?

Il faut pourtant le voir pour le croire : Blade Runner est un film unique. Sans doute parce qu’il possède son esthétique propre, certainement parce qu’il regorge de qualité tant technique que scénaristique, peut-être parce qu’il traverse les époques de manière incroyable.

Rien de bien étonnant à cela d’ailleurs, à partir du moment où le film mélange les genres avec délicatesse… et efficacité. La science-fiction côtoie le film noir, l’émotion se mélange à l’action, le film humaniste à la prévention… Bref, Blade Runner ne s’enferme pas dans un genre, il tire plutôt profit des codes de chacun d’eux pour satisfaire un maximum les spectateurs. Du film noir par exemple il tire son ambiance, ses décors et ses personnages (le détective alcoolique, la femme fatale…)

Il y a aussi cette volonté, propre aux grands films de science-fiction, de faire un film sur le rôle de l’Homme dans l’univers et sur sa condition, à l’instar d’un 2001 : l’odyssée de l’espace ou d’un Metropolis dont Blade Runner s’inspire largement. Ce côté métaphysique, mis en valeur par la remise en question constante de Deckard sur son job et, surtout, lui-même, est encore plus accentué par les références bibliques du film : le personnage de Batty peut être interprété à la fois comme Jésus et comme le Diable. Son créateur est Tyrell, un homme riche, intelligent et puissant que l'on voit dans un immense lit blanc, entouré de chandelles et portant d'immenses lunettes qui lui permettent de tout voir (Dieu). Sa création, Batty, est donc Jésus et c'est pourquoi il lui dit : "tu est le fils prodige". Ceci explique pourquoi Batty se transperce la main d'un clou plus tard dans le film afin de rester en vie. De l'autre côté de la médaille, Batty est un tueur et suite au meurtre de Tyrell, nous le voyons expulsé du royaume divin (la chambre de Tyrell) et redescendre (l'ascenseur) en enfer (la ville). Le meurtre du docteur Tyrell par Batty le lie aussi de toute évidence avec la créature du docteur Frankenstein dans le roman de Mary Shelley…

Pour en revenir à Metropolis, il est plus qu’évident que Blade Runner s'inspire directement du film de Fritz Lang. D'abord et avant tout, une femme artificielle est au centre du conflit des deux films. Dans l'un, Futura (la fausse Maria ou le robot) est une créature diabolique et violente, dans l'autre, Rachael est une âme seule et triste. Joh Frederson, le maître de Metropolis, est l'ancêtre du docteur Tyrell, qui gouverne son empire cybernétique du haut de sa tour. Mais Tyrell est aussi le génie responsable de la création des Replicants ce qui en fait aussi l'équivalent de Rotwang, le scientifique fou, la mage de Metropolis. La danse de Zora (suggérée dans l'espace hors-champ de Blade Runner lorsque Deckard se rend au club de Taffey Lewis) fait écho avec celle de la fausse Maria ; la division sociale selon une hiérarchie verticale est commune aux deux films (les riches vivent en hauteur et les pauvres dans les bas-fonds) et l'utilisation spectaculaire de la lumière et des décors expressionnistes rapprochent techniquement les deux œuvres.

Technologiquement, Blade Runner a été réalisé à un moment clef dans l'évolution des effets spéciaux au cinéma. 1982, l'année de son lancement, est aussi une date mémorable puisqu'il s'agit de la naissance des images numériques au sein du septième art dans les films Star Trek II : The Wrath of Kahn et ensuite TRON. Les effets de Blade Runner ont été réalisés traditionnellement et représentent l'apogée des techniques manuelles qui, dans les années suivantes, ont été graduellement remplacées par des méthodes numériques. La construction d'une ville miniature et de modèles réduits (véhicules), la création de peinture sur verre (matte paintings), la superposition d'effets atmosphériques tels la pluie, le feu et la fumée ont fait en sorte que Blade Runner obtienne un tel succès critique… et scientifique, puisque le film a été élu meilleur film de science-fiction auprès de 60 journalistes, devançant (de peu) 2001 : l’odyssée de l’espace, Star Wars, Star Wars : l’Empire contre-attaque, Alien et Solaris de Tarkovski (à noter que Philip K. Dick arrive 4ème chez les auteurs).

Le film n’a pourtant pas été un succès. Boudé par le public, mai surtout remonté contre Scott jusqu’en 1992, sortie de la director’s cut (et seule version visible actuellement). Les différences sont, pour la plupart, subtiles, à l'exception de quatre éléments :

- La voix off de Ford qui narre les pensées de son personnage a été retirée.
- La fin heureuse que Ridley Scott fut contraint d'ajouter au film (il emprunta d'ailleurs quelques images du film The Shining) est disparue au profit de la fin originale.
- Les moments les plus violents (lorsque Pris attaque Deckard, la mort de Tyrell et lorsque Batty se transperce la main à l'aide d'un clou) ont été adoucis.
- Une seule prise de trois secondes montrant un rêve que fait Deckard après avoir parlé à Rachael dans son appartement a été rajoutée. Cette prise présente une licorne au galop dans un champ et fait peut-être référence à la licorne que découvrira Deckard à la fin du film, celle-ci en papier. Cette licorne-origami laisse sous entendre la possibilité que Deckard est lui-même un Replicant et que le rêve de la licorne n'est en fait qu'un implant. Il résulte donc de ce simple plan deux films complètement différents : l'un mettant en vedette un héros humain qui cherche à retrouver son humanité et l'autre, un Replicant qui se croit humain et qui découvre son origine véritable. Aucune autre prise de trois secondes n’a fait couler autant d'encre dans l'histoire du cinéma…

Mais si l’origine de Deckard pose énigme, à Ridley Scott de nous répondre : oui, pour lui Deckard est un Replicant, sinon comment survivre à de tels combats et tenir suspendu dans le vide avec 3 doigts ?

Il y aurait de quoi parler durant des heures sur Blade Runner : sa beauté visuelle, la richesse de son scénario, l’ambiguïté de ses personnages, sa place privilégiée dans l’Histoire du cinéma… Mais Blade Runner n’est pas un film sur lequel on disserte ; c’est l’un de ses films qui ne peuvent que se vivre, encore et encore, tant son aura nous emprisonne éternellement tant le film est fascinant.

Note : *****

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