samedi 29 décembre 2007

La soupe de canard (Duck soup)


Au temps du muet, les rois du rire s’appelaient Max Linder, Mack Sennett, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ; au temps du parlant, ce fut l’ère des réalisateurs comme Lubitsch, Wilder, Cukor, Capra et les duos comme Abbott et Costello, Laurel et Hardy… Et, entre les deux car dignes héritiers des uns et collègues des autres, il y avait les Marx Brothers, dont La soupe de canard reste sans doute le plus illustre de leurs films.

Lorsqu’on lui demanda un petit mot sur le titre, Groucho Marx s’en tint à une seule réponse : « Take two turkeys, one goose, four cabbages, but no duck, and mix them together. After one taste, you'll duck soup the rest of your life. » Le genre de réponse à laquelle il fallait s’attendre, comme la réponse à la plainte de la ville Fredonia, à New York, qui n’aimait guère qu’on utilise son nom en rajoutant simplement un « e », ce à quoi les frères répondirent : « Changez le nom de votre ville, cela porte préjudice à notre film ! ».

Le tournage non plus ne fut pas de tout repos : les précédents versions du scénario prévoyaient des scènes dans un opéra, puis dans un zeppelin ; la scène musicale All God's Chillun Got Guns quant à elle aurait soi-disant été largement improvisée sur le plateau de tournage. Enfin, le film pu sortir… et ce fut la catastrophe : bien qu’il soit aujourd’hui considéré comme le plus réussi des films des quatre frères, il fut un échec au box-office, à tel point que la Paramount annula son contrat avec les Marx (qui s’empressèrent de signer à la MGM et de réaliser leurs classiques Une nuit à l’opéra et Un jour aux courses), que Zeppo devait faire là sa dernière apparition dans un film des Marx Brothers et que Benito Mussolini interdit de suite le film car il pensait que c’était une attaque personnelle (une nouvelle qui rendit les frères fous de joie !). Aujourd’hui, le film est reconnu comme le numéro 1 des 50 plus grands comédies de tous les temps (source : magazine Premiere en 2006) et est 60ème au classement des plus grands films de tous les temps (source : American Film Institute en 2007).

On parle fréquemment du contexte politico-historique dans lequel le film a été fait (1933 : dictature de Dolfuss en Autriche, montée au pouvoir du nazisme en Allemagne, domination du fascisme en Italie, commissions d’épurations des « ennemis du peuple » en Union Soviétique mais aussi relève difficile après le crash boursier de 1929 et tentative d’assassinat de Roosevelt aux USA) et il est certain qu’il s’agit d’un plus remarquable, mais il ne faudrait tout de même pas se limiter à cela. Sur le signifiant politique du film, Groucho dira d’ailleurs : « Quel signifiant ? Nous étions juste 4 Juifs qui essayaient de faire rire ! »

L’engagement politique n’a jamais été une marque des frères comme elle a pu l’être chez Chaplin, mais l’humour oui : La soupe de canard est donc avant tout une comédie qui oscille souvent entre le loufoque (la fameuse screwball comedy) et le sophistiqué. De la comédie loufoque, le film retient l’héritage du burlesque (avec ses gags, grimaces et autres slapsticks), la simplicité du récit, le peu de place accordé aux personnages féminins ; de la comédie sophistiquée, on retient un nombre important de personnages et surtout le comique du dialogue, réservé majoritairement à Groucho Marx qui a le sens du verbe, du mot d’esprit et de l’absurde. Dignes héritiers du genre populaire qu’était le burlesque (le gag du miroir avait déjà été utilisé dans Charlot chef de rayon de Chaplin et Sept ans de malheur de Max Linder, tandis que la bataille de la tarte à la crème est un classique du burlesque) mais avec leurs personnalités propres (provocante et ne respectant rien, comme cette scène où Groucho se moque de la guerre en changeant cinq fois d’uniforme en l’espace de quelques minutes, passant du costume de confédéré à celui de soldat royal britannique ou celui de Davy Crockett), les Marx Brothers synthétise ainsi à eux 3 (Groucho, Chico et Harpo, Zeppo étant plus discret) toute la comédie américaine, et l’améliore encore par le débit mitraillette et totalement absurde de Groucho Marx, roi du non-sens et de la réplique qui fait mouche.

Aujourd’hui, avec assez de recul sur l’histoire du cinéma et la carrière des comiques, on peut sans trop de risque affirmer que La soupe de canard constitue un sommet de la filmographie des célèbres frères Marx, mais procède en outre d’un hommage au cinéma d’antan, remis au goût du jour et agrémenté d’une dimension parlante avec un tel brio que le film est devenu un incontournable du cinéma classique américain. Rien que ça.

Note : ****

mardi 25 décembre 2007

Sicko


Un documentaire de Michael Moore, ce n’est pas rien : il est devenu quasiment impossible de passer au travers, de ne pas lire un article sur lui, de ne pas voir des affiches partout, et même de ne pas savoir résister à l’envie de voir sa dernière attaque envers les USA. Et force est de constater que Sicko constitue le film de trop pour le cinéaste.

C’est en 1999 que Michael Moore a pour la première fois l’idée de développer un film sur le système de santé américain, lors de son émission The Awful Truth qui permit à un homme de recevoir assez d’aides pour être soigné à temps. Mais alors qu’il v se lancer dans le projet, le drame de Columbine survient : Moore change alors de sujet et s’attaque aux armes à feu avec Bowling for Columbine. A peine fini, voilà que Bush lance la guerre en Irak, ce à quoi Moore s’empresse de répondre avec un Fahrenheit 9/11. Enfin, Moore parvient à se consacrer à Sicko en 2006 : il appelle ainsi, via son site, les internautes qui avaient gravement souffert des failles du système de santé, à témoigner : « Si vous voulez me raconter ce que votre assurance vous a fait subir, ou ce que vous avez enduré parce que vous n'avez aucune couverture médicale, ou si vous voulez me parler du fait que des hôpitaux et des médecins ont refusé de vous soigner (ou, le cas échéant, du fait qu'ils vous ont ruiné en vous faisant payer des honoraires prohibitifs)... si vous avez souffert d'une manière ou d'une autre à cause de ce système honteux, pervers et uniquement voué au profit, ou si vos proches en ont été victimes, écrivez-moi. » En l'espace d'une semaine, Moore reçoit plus de 25 000 e-mails et voit son film prendre de l’ampleur : lorsque les entreprises américaines, qui retirent d'énormes profits du système de santé américain, prirent connaissance du film de Moore, elles prirent peur. Vice-président senior de Pharmaceutical Researchers & Manufacturers of America, Ken Johnson avoua même à un journaliste que les patrons du secteur « avaient les jetons et s'arrachaient les cheveux. » Quant aux salariés des grands laboratoires pharmaceutiques, ils reçurent par la suite une curieuse lettre : « Notre journal interne a publié un article expliquant que Moore préparait un documentaire, et que si un type débraillé et portant une casquette de base-ball se présentait, on saurait à qui on avait affaire » expliquait un porte-parole du laboratoire pharmaceutique Pfizer au Los Angeles Times. Le secteur fut pris d'un tel vent de panique qu'un journaliste de CNBC qui couvrait la conférence annuelle d'un grand laboratoire expliqua que le « niveau de paranoïa était à son paroxysme ». Bref de quoi exciter un peu le cinéaste, d’autant que de son enquête, Moore réunit 200 témoignages en 130 jours de tournage, soit près de 500 heures de rushes.

Présenté à Cannes, le film fait grand bruit : il faut dire que Moore a révolutionné le cinéma documentaire, en le rendant très ludique et très agréable, mais aussi en en faisant un genre à l’égal des autres (Palme d’Or pour Fahrenheit 9/11) : le film est ainsi applaudi pendant 15 minutes lors de sa projection… et fait l’affaire des critiques : ceux-là même qui avait tant acclamé le cinéaste se rendent enfin compte que ses documentaires ne méritent pas de porter ce nom, et que Michael Moore n’est en définitive qu’un clown engagé socio-politiquement.

Il faut dire que, dès le générique, les choses sont flagrantes : comment un documentaire sur le système de santé a-t-il pu être financé non seulement par Miramax (qui reste avant tout un studio de divertissement) mais également par deux puissants lobbies du milieu hospitalier, la California Nurses Association et le National Nurses Organizing Committee qui se sont associés au lancement du film aux Etats-Unis sur une combinaison de 3000 salles ? Et ça ce n’était que le début ! Très vite, à force de poncifs et d’effets de style usés, le film fait rire ; est-ce une comédie ou un documentaire sur un sujet grave ?
Et tout le film va ainsi jouer sur la corde sensible du spectateur, sur un pathos énervant qui consiste à montrer des gens malheureux, de ceux qui ont un cancer, de ceux qui ont perdu un proche, de ceux qui sont condamnés ; à en croire Michael Moore, l’Amérique est peuplée d’invalides et de malades que les grosses sociétés volent sans scrupules. Les effets ludiques que Moore employait auparavant pour nous faire réfléchir n’ont plus ici qu’un côté drôle quand on les prend au second degré : le malheur des gens est utilisé comme preuve de la problématique énoncée par Moore, point final. Confirmation par le cinéaste lui-même : « Quand les gens vont au cinéma, ils ont envie d'être émus, de passer un bon moment, ou d'apprendre quelque chose. Ils veulent être surpris, et quant à moi, je n'ai pas envie de me répéter. Je crois donc que certains spectateurs seront étonnés par l'atmosphère de ce film. »

Comme d’habitude, Moore ne retient que ce qu’il veut bien retenir, posent des questions aux réponses univoques, a une tendance assez fâcheuse à confondre faits, fiction et supposition et, élément le plus drôle du film, n’hésite pas à voyager pour comprendre comment améliorer le système américain. On découvre ainsi que les Canadiens ont peur de venir aux USA sans assurances, qu’en Angleterre les hôpitaux publics sont gratuits (ce qui est relativement logique…), qu’en France les gens ont les moyens de payer leurs frais médicaux (ce qui n’est pas vraiment un problème quand le couple en question gagne 3000 euros par mois) et qu’à Cuba, les soins sont gratuits et de grande qualité (ah l’éternelle comparaison avec l’ennemi du capitalisme…). Nous avons même droit à une fantastique séquence proche du burlesque qui consiste à l’invasion de la base de Guantanamo pour soigner les bénévoles oubliés du 11 septembre (argument percutant pour le public américain moyen). Eh oui, les terroristes ont plus de privilèges que les citoyens américains selon Moore, qui semble oublier les photos et vidéos de torture qui ont pourtant fait le tour du monde…

Politiquement, Moore ne cache même plus ses tendances en idolâtrant Hilary Clinton (qu’il se voit pourtant bien obligé d’égratigner un peu… à contre-cœur) et en dénonçant les manœuvres honteuses du gouvernement en place dans les années 90 (qui était quand même celui de Clinton mais bon…) et, surtout, l’opération ignoble de l’incarnation américaine même du Mal (Richard Nixon évidemment) qui a tout foutu par terre. Ce petit jeu démocrate qui nous agaçait déjà dans Fahrenheit 9/11 devient ici insupportable, comme toutes les autres manœuvres de Moore.

N’y a-t-il donc rien à sauver dans ce film ? Une chose quand même : le documentaire fera sans doute réagir une poignée de gens (mais très peu, quand on voit l’effet de Roger et moi sur les licenciements de General Motors, de Bowling for Columbine sur la vente des armes à feu ou Fahrenheit 9/11 sur les élections) aux USA, qui crieront au scandale dans les hôpitaux. Et puis le film attirera encore quelques nouveaux spectateurs dans le monde du cinéma documentaire, qui auront par la suite l’envie de découvrir d’autres noms qui s’avéreront bien plus intéressants (Errol Morris en tête, à titre personnel). Sicko fait déborder le vase, rend un cinéaste peu crédible mais sympathique totalement ridicule et irritant, à force de prendre les gens pour des idiots. Moore semble oublier que son public ne se compose pas uniquement d’une classe ouvrière sans éducation, mais aussi de gens réfléchis qui dénonceront encore et toujours ses méthodes. En dépit, Sicko reste la meilleure comédie de Michael Moore depuis sa seule fiction, Canadian Bacon ; il devrait peut-être y voir un message…

Note : *

dimanche 16 décembre 2007

Il était une fois dans l'Ouest (C'era una volta in West)


Toute culture à ses mythes, et parmi la culture cinématographique occidentale, l’un des plus grands mythes reste celui du western. Sergio Leone avait déjà prouvé qu’on pouvait chambouler les codes du genre avec brio, mais il ne nous avait pas encore prouvé qu’il pouvait carrément réinventer un genre avec un film comme Il était une fois dans l’Ouest.

Pourtant, originellement, le film ne devait pas se faire : après Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone n’avait qu’un titre à la bouche : Il était une fois en Amérique. Les majors lui offraient des contrats en or, mais il fallait que ce soit pour faire des westerns. Leone fit ainsi le tour des maisons de productions, en vain, jusqu’à ce qu’il arrive chez Paramount où, une fois encore, on lui demandait un western, à la différence près qu’on lui accorderait carte blanche sur le découpage du film. Leone accepta et lança Il était une fois dans l’Ouest.

Pour le cinéaste, hors de question de refaire le même film que les précédents : il se débarrasse donc de ses scénaristes pour travailler avec D. Argento et B. Bertollucci. En une vingtaine de jours, le film est imaginé, puis écrit et découpé avec l’aide de Sergio Donati ; on dira que le scénario final fera 436 pages… L’idée de Leone était très clair : « Je voulais faire un ballet de morts en prenant comme matériau tous les mythes ordinaires du western traditionnel : le vengeur, le bandit romantique, le riche propriétaire, le criminel homme d’affaires, la putain… A partir de ces 5 symboles, je comptais montrer la naissance d’une nation ».

Comme acteurs, Leone veut des gens bien précis : on lui propose tout Hollywood, mais lui veut Charles Bronson dans le rôle d’Harmonica, ce qu’il finit par obtenir. Pour Frank, l’une des pires crapules du septième art, il veut un acteur qui incarne la bonté même, comme Henry Fonda ; ce dernier est prêt à s’investir si le style de Leone lui convient. Leone organise alors une projection de ses films, soit 7 heures à peu de choses près, et lorsque Fonda sort de la salle, ses premiers mots sont « où est le contrat ? ». Sophia Loren est écartée pour laisser place à Claudia Cardinale, que Leone voit mieux dans le rôle d’une putain de la Nouvelle Orléans (Sophia Loren dans le rôle aurait trop fait « pute napolitaine » selon le cinéaste !). Enfin, Jason Robards est engagé pour ce qu’il dégage, ce même charme qu’avait Humphrey Bogart… Avant que Leone ne découvre cette même passion des acteurs pour la boisson.

Le premier jour de tournage en effet, Robards arrive totalement ivre sur le plateau. Leone, fou de rage, annule la journée, et met en garde l’acteur qu’il ne veut plus que ça arrive. Ce sera le cas : Robards sera saoul chaque nuit et dans un état impeccable chaque matin, si professionnel que Leone accordera une journée de repos le jour de l’annonce de la mort de Robert Kennedy. De son côté, Henry Fonda arrive complètement grimé, avec de faux favoris, des lentilles et une dégaine patibulaire. Petit à petit, Leone fait comprendre à Fonda que c’est trop, et ce n’est que lors du plan de présentation de Frank que Fonda comprend ce que désirait le cinéaste : il ne voulait pas Frank, il voulait Fonda interprétant Frank !

A sa sortie, le film de Leone connut le même sort que les précédents : échec total aux USA, succès incroyable en Europe (surtout en France). Il faut dire que les Américains avaient procédés à des coupes monstres (la mort de Cheyenne, par exemple, était occultée), malgré le fait que Leone leur avait prévu une version plus courte par précaution. En France, l’effet fut inverse : présenté dans sa version de 3h30, le film atteignit la première place du box-office de l’année mais aussi de la décennie, et il fait toujours partie des plus grands succès de l’histoire du cinéma français avec La grande vadrouille, Titanic et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. La B.O. fut également très appréciée puisqu’elle resta dans les hits parades français pendant plus de trois ans. Plus globalement, le film installa Leone au panthéon des grands cinéastes reconnu de tous, et le réalisateur obtint même l’estime de gens comme Marco Ferreri, Stanley Kubrick, John Boorman ou encore Sam Peckinpah…

Il est vrai que ce western spaghetti est probablement l’icône même du genre, la référence absolue et sans conteste l’un des chefs-d’œuvre incontestable du cinéma en général.

Chef-d’œuvre de part sa capacité à assimiler les codes d’un univers qui n’a à priori rien d’italien et à les transformer, à les faire devenir les éléments constitutifs de l’univers de Leone, qui contrairement à ce que l’on a voulu faire croire ne s’en moque pas mais sert plutôt hommage : la scène d’introduction ne fait-elle pas écho à celle du Train sifflera trois fois ? Le duel final entre Harmonica et Frank n’a-t-il pas des airs de El Perdido de Robert Aldrich ? Ne peut-on pas voir disséminés ça et là des clins d’œil à Rio Bravo, 3h10 à Yuma ou les films de John Ford ? Comme il le disait lui-même, les mythes et archétypes qu’il utilisait étaient surtout là pour nourrir son imaginaire, et n’étaient pas des sujets de boutades mais bien des éléments fondateurs de ses films et en particulier de celui-ci.

Leone utilise ici le cinémascope comme peu l’on fait avant lui, profitant pleinement de ce rapport 2.35 pour créer des plans absolument fabuleux, qui accompagnés de la musique, une fois encore inoubliable et tout simplement magistrale, de Morricone donnent naissance à des images inoubliables, du fascinant regard bleu de Fonda avant qu’il ne tue l’enfant à la découverte de la ville en construction à l’arrivée de Jill. De ce point de vue technique, Il était une fois dans l’Ouest reste un modèle du genre, une véritable leçon de cinéma tant dans l’utilisation du scope en plans d’ensemble que dans son utilisation pour les très gros plans.

Le scénario est également abouti, habilement construit, avec assez d’intrigues secondaires pour captiver l’attention du spectateur, mise à rude épreuve par la lenteur de l’action du film. Le contexte du film recoupe ainsi subtilement le contexte cinématographique de l’époque : la fin d’une époque, celle du western, au profit d’une nouvelle, résolument tournée vers la modernité (la fin de la censure et la montée de la violence comme divertissement) et où certains archétypes du cinéma n’auront plus leurs places, comme dans ce film les personnages ne sont plus dans leur époque.

Enfin, est-il vraiment utile de parler des acteurs ? Tous employés à contre-emploi, où Robards joue les bandits pas très malins, où Bronson ne fait pas étalage de ses muscles, où Fonda n’est pas la justice et la loyauté incarnée : seul le personnage de Claudia Cardinale trouve grâce à nos yeux de bout en bout du film, alors qu’il ne s’agit que d’une prostituée qui va jusqu’à coucher avec Frank pour sauver sa vie ; peut-on vraiment lui en vouloir ? De tous, c’est probablement Fonda le plus impressionnant, car le plus froid et implacable meurtrier de l’histoire du western spaghetti, et Robards car le plus drôle, celui qui allège le ton du film sans pour autant se ridiculiser, mieux, parvenir à toucher notre corde sensible lors de sa mort.

Chef-d’œuvre du cinéma donc, intemporel et universel, Il était une fois dans l’Ouest n’a en rien volé l’aura de légende qui s’est formé autour de lui ; mieux, le film est la preuve même que le cinéma, avec ce qu’il faut de passion, de talent et d’audace, peut devenir incandescent, toucher au firmament, se révolutionner de l’intérieur et renaître une seconde fois pour atteindre les sommets. Qu’il n’a, dans le genre, plus jamais touché depuis.

Note : *****

mercredi 12 décembre 2007

Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (Big trouble in Little China)



Quelle drôle d’époque nous vivons : les has-been d’aujourd’hui font rire alors qu’il ne faudrait pas oublier leurs exploits passés. Prenons par exemple Jean-Claude Van Damme, qui s’il fait rire aujourd’hui par ses maximes célèbres a quand même permis à John Woo, Tsui Hark et Ringo Lam de tourner leurs premiers films américains. Dans le domaine du fantastique, John Carpenter a connu à peu près les mêmes problèmes, notamment avec ses Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin.

Habitué du paranormal (Fog, The Thing, Christine) et des ambiances particulières (Assaut, Halloween, New York 1997), John Carpenter ne pouvait être que séduit par le script de David Z. Weinstein et W.D. Richter mettant en avant un cow-boy devant aider son ami Chinois a vaincre un démon qui, comble de malchance, lui aurait voler son cheval ! Rapidement transformé en conte moderne, le cheval devenant un camion et l’action se déroulant dans Little China, Les aventures de Jack Burton devait initialement comporter comme vedette Jack Nicholson ou Clint Eastwood mais, faute de disponibilités, c’est l’ami du cinéaste Kurt Russel qui obtint le rôle principal. Alors cinéaste respecté, voir adulé, et dont les films ne coûtaient pas trop cher et rapportaient beaucoup, Carpenter bénéficia d’un budget énorme pour parler de mythologie chinoise, de combats aériens et d’effets spéciaux incroyables bien avant l’avènement des Tigre et Dragon et autres consorts. Hélas, le film fut un tel échec qu’il condamna le reste de la carrière de Carpenter, obligé de retourner au cinéma underground.

Cruelle injustice du box-office ou incompréhension du public, toujours est-il qu’il convient de revoir le film de Carpenter non seulement comme une œuvre en avance sur son temps mais aussi comme un divertissement intelligent et une pierre angulaire de la filmographie du cinéaste. Outre la présence de Kurt Russel, indissociable de l’œuvre de Carpenter, les thèmes et la passion des effets spéciaux dans ce film font effectivement échos aux autres films du réalisateur. Ici aussi, il est question d’esprits, de magie noire, de sorcellerie et d’un héros pathétique, rendu pour l’occasion drôle au possible. Expert dans les maquettes et autres animations, John Carpenter soigne tout particulièrement les effets spéciaux de son film, réussis pour l’époque dont certains sont encore assez étonnants maintenant, plus de 20 ans après la sortie du film, et dont le kitsch des effets restants (l’incrustation sur fond vert est clairement visible) n’entache en rien la magie des animatroniques les plus complexes (notamment le gardien possédant des yeux sur tout le corps).

Il y a aussi un soin évident apporté aux décors, essentiels à l’ambiance fantastique voulue, et surtout aux costumes qui comptent parmi les plus beaux du cinéma hollywoodien des années 80. Ce fut d’ailleurs ces deux aspects qui retinrent l’attention des critiques, qui passèrent du coup un peu à côté de l’essentiel d film, à savoir son récit second degré.

En effet, si Carpenter avait déjà donné un aperçu de son humour caustique dans des films comme New York 1997 ou même Christine, il affiche ici un tel second degré que le film passe sans difficulté du fantastique à la comédie pure sans perdre de vue l’histoire. Cette petite prouesse est surtout due à Kurt Russell, inoubliable en héros beauf qui ne sauve absolument personne dans son film et, excepté le bad guy principal, ne tue personne, trop occupé à se sortir des ennuis dans lesquels il passe son temps à se fourrer. Il y a même cette parodie du film d’action type de l’époque, en citant par exemple des films comme L’inspecteur Harry dont le personnage est l’antithèse même, le Yin du Yang de Jack Burton.

Certes le film a un peu vieilli, son histoire n’est pas des plus passionnantes (et est même un brin prévisible) et il pourrait même sembler désuet à l’heure actuelle, mais il regorge d’une telle passion, d’un tel amour pour le cinéma fantastique et d’un kitsch qui s’assume, porté par un acteur dont la complicité avec le réalisateur est évidente, que Les aventures de Jack Burton mérite amplement sa place dans les films cultes des années 80, et compte parmi les meilleurs films de l’auteur. Une œuvre de divertissement à reconsidérer amplement.

Note : ***

vendredi 7 décembre 2007

Les Choristes


Ah le cinéma français d’émotion, il aura déjà fait vibrer plus d’un spectateur le bougre. Spectateurs occasionnels, entendons-nous bien, car pour celui qui en verra 3 ou 4, il aura tôt fait de remarquer qu’au final, ils sont tous du pareil au même. Prenons le cas des Choristes.

Tout d’abord, il faut une histoire émouvante. Si elle n’est pas originale tant pis, on trouvera toujours bien un prétexte comme le prouve Christophe Barratier : « Ces deux thèmes, l'enfance et la musique, (...) m'ont logiquement amené à me souvenir de La Cage aux rossignols. J'avais vu ce film à sept ou huit ans en 1970-71, sur une des deux chaînes de télévision de l'époque. Il m'avait profondément touché. (...) J'en ai surtout retenu deux choses : l'émotion que font naître les voix d'enfants et ce personnage du musicien raté qui s'efforce malgré tout de changer l'univers de ceux qui l'entourent. » Exercice de rattrapage réussi, même si je me souviens qu’à la sortie du film, il y eut justement scandale parce que le film était fort proche du film d’origine et n’employait pas l’appelation d’usage, celle de « remake ».

Quand vous avez votre histoire, il faut bien évidemment la situer dans un contexte sociohistorique fort. L’après-guerre fait souvent effet, et ici nous sommes en 1949 mais attention, « Situer le film cette année-là n'est pas anodin. Après-guerre se sont constitués les fameux centres de réinsertion communément appelés maisons de correction. A la même époque s'est créée la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui a conféré aux enfants un statut juridique de celui des adultes. » dixit Barratier toujours. Mouais.

En plus de cette période sombre, il faut bien entendu un décor triste, histoire de souligner un peu plus le malheur des enfants (ah oui, les enfants, élément important, nous y reviendrons). En l’occurrence ici une école digne d’une prison, comme si toutes les écoles de la fin des années 40 se ressemblaient, diriger par un recteur désagréable et haïssant son métier et où un brave professeur va arriver, innocemment, et changer la vie de ces charmantes têtes blondes qui composent sa classe. De préférence, prenez un acteur rondouillard, apprécié du public pour sa simplicité (un Gérard Jugnot conventionnel fera très bien l’affaire) et n’hésitez surtout pas à l’employer à forte dose. Si vous en avez les moyens, quelques accompagnements bien dosés, style un François Berléand convaincant et un Kad Merad qui vole la vedette, feront passer le goût du film très facilement. Attention cependant à ne pas délaisser l’enfant, sorte de cerise sur le gâteau, qui devra séduire aussi bien les mères (« mais qu’il est mignon ! ») que les pères de famille (« chapeau le gamin de chanter comme ça ! »)

Evidemment, le plus compliqué est toujours de bien savoir doser le film sur l’ensemble. Ce genre de métrage, il faut le concevoir comme un soufflé : si à un moment vous faites une fausse manipulation, c’est foutu. Souvenons-nous ainsi de l’incohérence du personnage du recteur ici (qui passe de méchant à super sympa à encore plus méchant qu’avant) ou de choses relativement inutiles (le rejeton incurable qui ne sert de prétexte qu’au renvoi de Matthieu).

Une fois le film prêt à être dévoré, tâchez de le vendre efficacement : inutile de le mettre en rayon sans un minimum de présentation. Jacques Perrin est réputé dans le milieu pour très bien réussir cette partie. Reste à espérer dès lors que, suite à un bouche-à-oreille national, votre film attira tous les boulimiques de belles histoires, de belles voies, de ces films où il n’y a ni explosion, ni sexe, ni Ben Stiller. Vous parviendrez peut-être même à créer une mode chez les enfants, et les professeurs de chorale viendront vous remercier d’avoir regonflé leurs comptes en banque. Et tant pis pour les quelques mauvaises langues qui vous diront que votre film est déjà vu ou que ce n’est pas avec lui que la mode du cinéma français pépère (téléfilmesque ?) changera : un véritable artisan moderne ne se soucie jamais de la qualité de son produit mais de son succès. A bon entendeur.

Note : **