mercredi 25 juin 2008

Diary of the dead


Si je vous dis Romero, vous me dites ? Les films de zombies, exactement ! Et, une fois n’est pas coutume, le cinéaste rebelle retrouve ces chéris en décomposition pour son nouveau film à consonance sociale (une fois de plus) Diary of the dead.

Faut dire que le Romero, il n’est pas novice en la matière : La nuit des morts-vivants, Zombie, Le jour des morts-vivants, Land of the dead… Les revenants, ça comence à le connaître le George. Mais quelle est la différence fondamentale entre ce nouvel opus et les autres ? Eh bien tout se joue au niveau de la mise en scène.

Le film se décline en effet comme une « captation du fait » via une caméra DV, procédé déjà utilisé dans Projet Blair Witch, et qui a connu cette année 2008 une multitude d’émules (Redacted de Brian de Palma, Cloverfield de Matt Reeves ou [REC.] de Balaguero et Plaza). Mais à la différence de ses collègues, Romero exploite à fond le principe de « caméra omniprésente » : comprenez par là que le point de vue ne se limite plus à une seule vue, une seule caméra, mais à la multitude de vidéos disponibles autour de nous (internet, les GSM, les caméras de surveillance) ainsi qu’une seconde caméra qui s’associe à la première. Se crée dès lors une mise en abyme flagrante, mais surtout la possibilité justifiée dans le récit de voir une même action sous plusieurs angles (ce qui compense le principal défaut de la caméra unique). Bien qu’il arrive un peu en retard sur les autres productions se basant sur la même manière de filmer, Diary of the dead a donc au moins le mérite d’innover et d’exploiter pleinement cette nouvelle mode. Mais ce n’est pas tout : ce principe de captation amateur renvoie aussi au vrai message du film : le rapport de notre monde (et de nous avec) à l’univers des médias.

Parole au cinéaste : « J'aime bien me pencher sur le sujet. D'autant qu'aujourd'hui, chaque fois que l'on a une "information", il me semble qu'il s'agit surtout d'une vision de cette information et non de la véritable information. Je pense que les médias, au lieu de nous donner de l'information brute, ne cessent de l'interpréter et de la déformer. Et donc on nous donne un jugement de l'information. Ce qui est intéressant avec l'internet, c'est qu'on peut au moins recouper sous plusieurs angles la même information et donc parvenir à une certaine "vérité" sur cette information. Avec la télé, vous devez subir le message que telle ou telle chaîne veut faire passer. Mais bien sûr, il faut faire attention à ce qui se trouve sur l'internet car il y a tout de même une sacré cohorte de dingues avec des blogs de toute sorte qui racontent n'importe quoi. » Et d'ajouter : « C'est effrayant comment on peut faire croire n'importe quoi à n'importe qui avec un beau site et de belles promesses. Et puis je trouve que l'internet, la télé et les médias en général tribalisent de plus en plus les gens en société. On assiste à une segmentation de la population en centaines de petites tribus qui refusent de faire "un", de mettre en commun. De plus en plus, c'est chacun pour soi et chez soi. Cela devient vraiment dangereux et on va très vite perdre le sens de notre humanité... Donc c'est tout ce que je dénonce dans mes films. Avec évidemment un maximum de scènes gores pour vous distraire entre deux discours politiques. » Voilà qui est bien gentil, mais le problème est que ce message ne fait pas si finement mouche que ne le faisaient ceux de La Nuit des morts-vivants ou Zombie par exemple. Ici, les traits sont un peu trop grossis, un peu trop appuyés même quant à l’idée que « l’Homme est méchant et c’est de sa faute si tout fout le camp ! ». Ce message, bien que décliné sous plusieurs formes, devient donc lassant au fil du temps, et de moins en moins fort en comparaison des films des années 70 du cinéaste.

Cela étant, le film reste un excellent moment de détente. C’est paradoxal, mais jamais le récit n’aura été aussi drôle chez Romero : de l’autodérision, de grands moments d’absurde (la séquence chez le fermier mormon sourd-muet, inoubliable !) tendent à rendre le film plus accessible (ce qui amènera les mauvaises langues à dire « plus commercial »). Reste que l’essentiel du message est intact, et les moments gore ont également droit à leur moments de gloire (comme ce zombie qui reçoit de l’acide sur le visage). A noter aussi les interprétations très justes des jeunes comédiens amateurs qui peuplent le film.
En attendant un hypothétique sixième opus, qui serait selon le cinéaste, axé « sur la religion et les relations tribales », Diary of the dead reste une série B de haut niveau, certainement pas le chef-d’œuvre de Romero mais une œuvre intéressante sur la forme, et dont le message plaira quand même aux fans de la première heure ainsi qu’aux ados qui veulent révolutionner le monde. Après tout, pourquoi pas…

Note : ***

dimanche 22 juin 2008

Cassandra's dream


Woody Allen aimerait-il le yo-yo ? A en croire sa filmographie depuis une dizaine d’années, on serait tenté de répondre oui : non seulement il passe d’un genre à un autre sans crier gare, mais la qualité des dits films suit également cette mouvance de haut et bas, bons et moins bons. Hélas, son dernier film londonien Cassandra’s dream descend, mais ne remonte pas.

Après avoir brillé avec Match Point mais divisé avec Scoop et vu son projet parisien tomber à l’eau faute de moyens, Woody Allen a donc continué sa tentative d’explorer les tréfonds de l’âme humaine, dénoncer une société de classe, maudire les mensonges, craindre la mort… L’homme qui tourne plus vite que son ombre (Colin Farrell dira dans une interview que « ce film a nécessité moins de prises qu’une seule scène de Miami Vice ») réitère donc une tentative de réaliser une tragédie (son grand rêve), comme il avait déjà pourtant réussi admirablement à le faire avec Crimes et délits et Match Point. On retrouve d’ailleurs cette inspiration commune pour l’œuvre de Dostoïevski (Les frères Karamazov et Crimes et châtiments entre autres) dans Cassandra’s dream, à la différence près que cette fois, ça ne marche plus. Est-ce parce que le cinéaste quitte le milieu bourgeois intello, qui sied tant à l’esprit critique de l’écrivain russe, pour deux loosers de la middle-class londonienne (difficile de dissocier le film d’Allen des films de Ken Loach ou Stephen Frears ici), toujours est-il que le film n’atteint pas son objectif de nous faire réfléchir.

C’est fort dommage, car l’ironie ambiante (so british d’ailleurs) donne au film un ton plus humain que Match Point par exemple, et aurait donc du rendre le film plus accessible. Mais en délaissant totalement l’univers fantasmé d’une classe faussement supérieure, à laquelle Woody a fini par nous habituer, au profit d’une classe bien plus proche de nous (modestes ou nantis), Allen nous a perdu. Pire, il nous mets mal à l’aise, ne crée plus de distance avec son sujet et mets ses personnages à notre hauteur, ce qui fait de nous des loosers assassins en puissance. Un pessimisme qui atteint ses limites, et déroute autant qu’il indiffère (par hypocrisie) le spectateur.

Même les acteurs laissent de marbre, à l’exception notable de Colin Farrell, attendrissant en nounours dépressif et à la mauvaise conscience, alcoolique et joueur invétéré. Il est bien le seul de la bande, pourtant joliment constituée (Ewan McGregor, Tom Wilkinson…) à tirer l’épingle de son jeu, et à donner assez de consistance à son personnage.

Une petite mention est aussi à faire pour la musique, étrange, de Philippe Glass. Si Allen nous avait habitué au jazz lors de sa période américaine, il semblerait que sa période européenne le conduise à de nouveaux horizons (opéra, classique) jusqu’à ce compositeur contemporain, qui signe ici une partition intéressante mais pas pour autant transcendante comme il a déjà su le faire auparavant.

Film standard, trop pour vraiment convaincre, Cassandra’s dream est le signe d’un essoufflement créatif. Pour sa défense, le cinéaste dépasse désormais les 72 ans, mais si on repense à ces grands maîtres Akira Kurosawa (qui a fait Ran à 74 ans), Sidney Lumet (qui tourne encore à 84 ans) ou même le modèle absolu de Allen, Ingmar Bergman (qui avait réalisé Sarabande à 86 ans !), on est en droit de se sentir déçu. Ou, plus exactement, frustré. Fallait pas nous habituer à de grands films, Woody.

Note : **