mardi 15 juillet 2008

John Rambo

He’s back ! La terreur des méchants vilains dictateurs (ou terroristes, ou autre) tout pas beaux a décidé de faire son grand retour, et ça va gicler de l’hémoglobine ! Cette arme de destruction massive, cet Arès au service de l’Oncle Sam, c’est bien sûr Rambo, qui en finit une bonne fois pour toute avec la vilaine Asie dans John Rambo !

Beaucoup d'idées et de scénarios pour un quatrième Rambo avaient été proposés depuis le dernier film. Plusieurs histoires se déroulaient au cœur des conflits en Irak, en Afghanistan, au Soudan, en Colombie, et même au Darfour ou contre des néo-nazis au sein même des Etats-Unis ! John Thompson et Millennium Films possédaient déjà une demi-douzaine de scénarios mettant en scène Rambo, mais Sylvester Stallone voulait une toile de fond moins connue et une histoire se déroulant dans un des conflits les moins médiatisés du monde. Las, Stallone décline le quatrième opus de la saga et se concentre sur Rocky Balboa, autre ancienne gloire de l’acteur. Sont alors approchés Renny Harlin, Gregory Hoblit, Ridley Scott et même Luc Besson pour diriger le film, mais ce sera quand même notre ami Sly qui sera contacté pour l’ultime fois. Dans un premier temps, l’acteur n’est plus tenté, réfléchissant à ce que Rambo pouvait encore avoir à dire… Et a finalement dit oui. Il explique : « Comme avec Rocky, je voulais revisiter Rambo et en terminer avec ce personnage. Le dernier film était plein de bonnes intentions mais son message n'a pas été entendu. Nous étions en 1988 et nous voulions montrer ce qui se passait en Afghanistan; la guerre froide venait de se terminer et les Russes retiraient leurs troupes. A cette époque, les gens et les médias ne se préoccupaient pas de ce pays, des moudjahidins et des talibans. Maintenant que nous savons ce qui s'est passé après le départ des Russes et qu'on voit ce qui se passe aujourd'hui, les gens s'y intéressent davantage. Mais à l'époque, le film n'a pas réussi à attirer l'attention sur la situation de ce pays. Je voulais donc terminer la série sur une meilleure note et revenir à une version du personnage plus proche du premier film. »

Voilà donc Stallone aux commandes de son premier Rambo. Soucieux de marquer le coup, et sachant que ce sera probablement son dernier film d’action, le réalisateur décide de mettre les petits plats dans les grands : il organise des castings pour engager des gens ayant véritablement connu la guerre civile birmane, engage même Muang Muan Khin qui est en réalité le chef de la résistance karen, fait construire un camp militaire birman (ce qui a prit 3 mois et demi quand même) de deux hectares et qui fait plus vrai qu’un vrai (avec baraques, sanitaires, dépôt d’armes et même la cantine), dirige une équipe de près de 500 personnes parlant 5 langues différentes et n’hésite pas à s’investir lui-même dans son personnage en apprenant à charmer des serpents. Bref, pas vraiment une promenade de santé !

Mais au vu du délire final, on se dit que tout ça valait la peine. Délire ? Certainement, tant l’exagération et les poncifs sont ici si nombreux que le réalisateur de Rocky Balboa ne peut avoir été sérieux dans sa démarche.

Visuellement déjà, c’est la grosse baffe : aux magnifiques plans (contemplatifs ou non) de la nature sauvage se juxtaposent des scènes d’une violence rare. A ce titre, la scène d’ouverture plonge directement le spectateur dans le bain (de sang, évidemment) comme pour le prévenir de ce qui l’attend pendant 1h30. C’est bien simple : on peut dénombrer, au total, 236 tués dans ce film, soit plus que dans aucun autre Rambo précédent, et ce qui constitue une moyenne de 2,59 mort à la minute (et vu les explosions et les démembrements, la virgule est de mise). Une débauche d’horreur comme pour justement la rendre absurde, à la manière d’un Tarantino. Il suffit de voir ce sang numérique se répandre partout (et clairement s’identifier comme du faux sang) ou encore ce moment, grandiose, où John tue un militaire à l’aide d’un pouce, introduisant ce dernier dans la gorge de l’ennemi pour lui arracher la pomme d’Adam. C’est ridicule, c’est excessif, et Stallone n’en perd pas une miette : mieux, il fait en sorte d’augmenter notre nausée à l’aide de mouvements de caméras approximatifs, de steadycam montées sur des camions et d’un montage serré au couteau.

Comme si ça ne suffisait pas, les dialogues (qui doivent grand maximum occuper une vingtaine de minutes dans le film) sont génialement stupides (« je préfère mourir pour une cause que vivre pour rien ! ») et l’inconsistance des personnages est de mise, exception faite de Rambo himself évidemment. A ce propos, il est intéressant de voir ce qu’en pense l’interprète : « Le personnage de Rambo rappelle ces héros mythiques qui doivent accomplir contre leur volonté une tâche pour laquelle ils sont nés et qu'ils ne peuvent refuser. Rambo est un homme droit, pour lui les choses sont simples et se résument à une lutte du bien contre le mal. Les mauvais doivent être punis et les faibles être protégés. Cette façon de voir rappelle les histoires avec lesquelles nous avons grandi, toute la mythologie du bien contre le mal. » Notez bien l’utilisation de la phrase « les choses sont simples ».

Où est le problème alors ? Eh bien il est dans la perception du film en lui-même. Si je m’évertue à y voir une parodie menée tambour battant et tripes au vent du film d’action bourrin qu’Hollywood aime nous servir depuis quelques années, d’autres personnes pourront voir en John Rambo un film sérieux, ce qui en fait alors un spectacle de la cruauté humaine assez pénible, certes bien réalisé mais dont le contenu visuel, à la limite de l’insoutenable, n’a rien de distrayant. On sombre alors dans le gore à la mode Saw, et franchement c’est pas top.

Un film à prendre avec des pincettes donc, autant sur le fond que sur la forme. Rien n’empêchera pourtant de prendre un certain plaisir, qu’on soit amateur de sensations fortes ou simple curieux aimant les films drôles malgré eux. Et pour les autres, faites des économies…

Note : **

vendredi 11 juillet 2008

Blanche-Neige et les sept nains (Snow White and the seven dwarfs)

Rares sont les œuvres comme Blanche-Neige et les sept nains qui ont marqué de manière indélébile et indiscutable l’Histoire du cinéma. Pourtant, force est de constater que ce bijou de 1937 n’a pas volé sa place au panthéon des œuvres-clés du septième art.

Tout commence en 1933, lorsque Walt Disney décide de réaliser un projet fou : faire un long métrage entièrement en animation. Cette « Disney’s Folly » comme on disait à l’époque n’avait rien d’insensé : Quirino Cristiani avait déjà réalisé, hors Etats-Unis, en 1917 et 1918 El Apóstol et Sin dejar rastros, deux films considérés aujourd’hui hélas comme perdus (mais il est toujours possible de voir Die Abenteuer des Prinzen Achmed (1926), donc le plus vieux film d’animation mondial. Reste que Walt Disney lui voulait faire, et a d’ailleurs fait, le premier film d’animation américain.

Toujours est-il que Disney, confiant, lance une production des plus dantesques : 750 personnes, dont 32 animateurs, 102 assistants (et 167 « entre les deux »), 65 animateurs d’effets, ou encore 158 peintres féminins ! Deux millions d’illustrations ont été faites, utilisant 1500 nuances de peinture, tandis que la fabrication même du film nécessita à elle seule 18 mois. Rien d’étonnant dès lors que le budget initial de 150 000 dollars soit devenu un budget final de 1,4 millions !

Il faut aussi tenir compte, outre ce que Blanche-Neige a nécessité, des éléments qui ont été finalement abandonnés : par exemple, 25 chansons avaient été composées pour le film, mais seulement 8 sont audibles. Les nains ont connus avant leurs noms respectifs près de 50 noms différents ; enfin il y a toutes ces scènes qui n’ont jamais été finalisées bien qu’elles aient fait partie du scénario (entre autres, une scène où la Reine gardait le Prince dans un donjon, et organisait une danse macabre avec des squelettes ; une autre où Blanche-Neige s’imaginait en train de danser dans les nuages avec le Prince ; deux séquences musicales aussi concernant les nains ; enfin, une séquence d’ouverture avec la mère de Blanche-Neige, qui fut supprimée par crainte de la censure).

Walt Disney veut aussi, par souci de succès, que le dessin soit le plus réaliste possible : pour lui, si on parvient à croire que les personnages sont réels, alors ce sera le succès assuré. Pour ce faire, il fait appel à la danseuse-chorégraphe Marge Champion (qui sera rappelée pour d’autres Disney à venir) pour servir de modèle à Blanche-Neige. Pour les détails, les coloristes pensent à pigmenter de rouge les joues de la Princesse ; de même, le Prince pose un énorme problème, les dessinateurs ne sachant pas le rendre assez viril (c’est pour cela qu’il apparaîtra le strict minimum dans le film).

Blanche-Neige fut aussi l’occasion d’innovations techniques et marketing : les équipes utilisèrent pour la réalisation une caméra multiplane, qui permet de produire un effet de relief. Economiquement, le film joua à fond la carte du « produit dérivé », dont il est le premier a avoir lancé la pratique de ses droits (ce qui consiste à percevoir un pourcentage sur l'usage de personnages dans une application quelconque). Blanche-Neige fut ainsi le premier film à avoir une bande originale en vente, tout comme il fut l’un des premiers à avoir des marchandises dérivées en vente dès le soir de la première.

Une fois la fabrication finie, rien n’était encore joué pour Walt Disney et sa boite de production, aux bords de la faillite : le comité de censure britannique pensa un temps classé le film en « A » (enfants accompagnés) avant de finalement opté pour la mention « U » (pour tous âges) : le problème résidait dans la séquence où Blanche-Neige se retrouve perdue dans la forêt. Il faut dire que cette séquence était jugée très effrayante pour de jeunes enfants à l’époque (la légende veut même qu’après une projection au New York City's Radio City Music Hall, tous les sièges durent être remplacés : les enfants présents dans la salle avaient eu tellement peur lors de cette séquence qu’ils mouillèrent tous leurs pantalons et donc les fauteuils aussi !). Finalement, le film fut plus que fort bien accueilli : dans ses trois premiers mois d'exploitation, Blanche Neige attira plus de 20 millions de spectateurs, et le film en comptabilise aujourd'hui plus de 200 millions à travers le monde. Ce sera même, durant un an, le plus gros succès cinématographique, avant de céder sa place en 1939 à Autant en emporte le vent ; en échange, Walt Disney recevra une récompense singulière aux Oscars : pour récompenser ses innovations techniques et la création d’un nouveau genre, il recevra un Oscar normal… accompagné de sept petites statuettes supplémentaires ! A noter enfin que Blanche-Neige ne fut pas qu’un succès populaire : Sergueï Eisenstein n’hésita pas ainsi à considérer ce dessin animé comme étant tout simplement « le plus grand film jamais réalisé ! ». Quelques années plus tard, le film sera le premier d’animation à être sélectionné par le National Film Registry, et sera élu meilleur film d’animation de tous les temps en 2008 par l’AFI.

Que d’histoires, que d’anecdotes, mais surtout que d’éloges envers ce film ! Mais mérite-il toujours cette place si particulière qu’il occupe dans l’Histoire du cinéma ?

La réponse tient en deux mots : bien évidemment ! Il faut se rendre compte du travail de titan que représente un film d’animation, encore plus à cette époque, pour se rendre compte de la qualité de Blanche-Neige, qui n’a en fin de compte presque pas vieilli malgré ses 70 printemps. La caméra multiplane inventée par Bill Garity y est pour beaucoup : cette technique relativement simple permettait un gain de temps et une qualité d’image exemplaire. Le principe est le suivant : Les cellulos (feuille plastique transparente d'acétate de cellulose sur laquelle on peint à la main les différents éléments d'un dessin animé) sont placés à différentes hauteurs sur un banc-titre (un banc constitué d'une ou 2 colonnes supportant une caméra fonctionnant image par image). Le cellulo correspondant au décor est placés derrière ceux correspondants aux différents personnages et éléments mobiles du plan. Ainsi, lorsqu'un élément se déplace, on n'est pas obligé de dessiner toutes les images entières, mais seulement les éléments qui changent. On gagne alors en temps dans la fabrication du film et les éléments fixes ne donnent pas l'impression de vibration qui serait apparue s’ils avaient été redessinés à chaque image. Cela permet aussi de créer, au sein même de l’image, un mouvement tel un travelling ou un panoramique.

C’est là une des grandes forces du film : ne jamais être statique. Après tout, la seule différence entre le dessin animé et la BD, c’est justement le mouvement. C’est ce qui explique pourquoi, dès les premiers films d’animation, les personnages passent leur temps à danser. Dès lors, avec l’utilisation du sonore, la danse est justifiée par des moments chantés, d’où une fréquence de moments musicaux dans les films Disney, ici notamment. Quoiqu’il arrive, l’image n’est jamais sans mouvement, que ce soit un mouvement mécanique ou un mouvement interne à l’image (mouvements de feuilles, plumes d’oreiller, poussière…).

Blanche-Neige est aussi la parfaite représentation de la construction narrative type de Disney : un mélange de moments drôles et de moments émouvants. Ce mélange repose sur un principe simple : des personnages principaux réalistes et des personnages secondaires caricaturaux. Ici, Blanche-Neige évoque l’innocence, l’amour, tandis que la Reine évoque la peur (notamment lors de sa transformation en vieille femme), alors que les nains renvoient à des personnages de cartoon, très influencés par les héros du burlesque comme Chaplin, Buster Keaton ou Harpo Marx. C’est ainsi que naissent de grandes scènes, la force des Disney réussis, qui marquent les esprits : qui n’a jamais rit devant la séance de bain des nains, ou eut un pincement au cœur lorsque Blanche-Neige est considérée comme morte ?

Tous ces détails ont fait de Blanche-Neige un succès incontestable et incontesté. Mais derrière son apparente innocence, le film de Disney n’a pas que des côtés féeriques : rapidement, Disney a été considéré comme un manipulateur de masse par les thèmes qu’il avance. Il est vrai que dans Blanche-Neige, la Femme n’a pas une place enviable : soit elle est faible et doit donc obéir et servir l’Homme (Blanche-Neige fuit parce que le soldat l’ordonne, elle ne peut rester chez les nains que si elle fait le ménage et les repas, elle doit la résurrection à un Homme) soit elle est libérée et donc très dangereuse (la Reine). De plus, la Femme ne peut que s’épanouir en faisant le ménage, à l’instar de cette scène où Blanche-Neige nettoie de fond en comble la maison « porcherie » des nains en chantant sa joie. Un autre thème abordé est celui, capitaliste en fin de compte, de l’épanouissement au travail, comme le montrent les nains qui sont heureux de travailler dans la mine, où ils accumulent les richesses. Un autre grief récurrent envers Disney est le manichéisme exacerbé : chez Disney, pas de psychologie complexe des personnages : ils sont soit tout bon, soit tout mauvais.

Des défauts majeurs il est vrai, qu’il faut cependant replacer dans leurs contextes : le rôle de la femme dans la société dans les années 30 n’est pas comparable à celui d’aujourd’hui. Les USA sortait du crash boursier de 1929 et il fallait donc redresser l’économie du pays, notamment en travaillant dur pour ceux qui le pouvaient. Quant au manichéisme, il provient simplement, ici comme dans d’autres adaptations par la suite de la part de Disney, de l’œuvre de base (Disney revendique d’ailleurs d’entrée de jeu sa fidélité au conte des frères Grimm, en commençant par l’ouverture d’un livre et la lecture d’une page d’introduction).

Œuvre fondatrice et révolutionnaire, sur laquelle le temps ne semble pas avoir emprise, Blanche-Neige reste une des plus grandes réussites des studios Disney, tant sur le plan formel que narratif. Il est dommage que l’idéologie dominante du film soit si ancrée dans une époque et un contexte socio-économique ambigus et/ou dépassés ; qu’importe, la magie opère du début à la fin. Et c’est probablement ça, après tout, la plus grande qualité de Disney.

Note : ****

lundi 7 juillet 2008

Shine a light


En plus d’être un réalisateur supradoué et un cinéphile des plus avertis, Martin Scorsese est aussi un mélomane confirmé. Il suffit d’écouter les bandes originales de ses films pour se rendre compte de sa culture musicale impressionnante, où domine cependant une légende du rock : les Rolling Stones. L’association atteint enfin son paroxysme avec la captation d’un concert des papys du rock sous le nom de Shine a light.

L’attente aura été longue (quatre films ont déjà été faits sur les Stones : Après Gimme Shelter en 1970, Ladies and Gentlemen : The Rolling Stones en 1974, Let's Spend The Night Together en 1982 et Rolling Stones at the Max en 1992, si on ne tient pas compte du documentaire de Jean-Luc Godard intitulé Sympathy for the devil) mais nous y voilà enfin : l’une des rencontres les plus alléchantes du cinéma et de la musique s’est enfin produite. « J'ai simplement voulu restituer en sons et en images la formidable force dégagée sur scène par les Stones, Mick Jagger en tête » explique le cinéaste, qui n’a jamais caché son amour du rock. « C'était notre musique. C'était notre identité. Ce qui nous définissait par rapport à nos parents", explique le cinéaste. "La musique est pour moi aussi importante que le cinéma. Elle m'inspire constamment, elle imprègne mes images, mes mouvements d'appareil, mon montage. Je sais que, sans la musique, je serais perdu. Très souvent, c'est uniquement en entendant la musique choisie pour mon film que je commence à le visualiser. »

C’es donc ainsi que « Marty » s’est attaché à la captation d’un double concert des Stones au Beacon Theatre de Manhattan. Originellement pourtant, c’est à Rio de Janeiro que Mick Jagger voulait être filmé, mais Scorsese a réussi à imposer le Beacon Theatre pour un côté plus intimiste, plus proche de sa sensibilité et surtout plus pratique pour le tournage. A noter enfin que Scorsese a su s’entourer pour ce travail virtuose : aux côtés du réalisateur oscarisé, on trouvera donc pas moins de seize cadreurs, dont, en superviseur caméra, le directeur photo oscarisé Robert Richardson (Aviator, JFK) et sous ses ordres, une équipe de caméraman all star : l'oscarisé John Toll (Braveheart), l'oscarisé Andrew Lesnie (King Kong) ainsi que les nommés aux oscars Stuart Dryburgh, Robert Elswit et Emmanuel Lubezki.

Le film s’ouvre donc sur la mise en place du concert, côté Stones et côté Scorsese : de manière assez ludique, on découvre les répétitions du groupe, tandis que de son côté le cinéaste s’angoisse de ne recevoir aucune playlist pour organiser son tournage. Il est assez amusant de voir quelques tensions entre Martin Scorsese et Mick Jagger, d’un professionnalisme constant et pointu dans leurs préparations, même si Jagger est beaucoup moins angoissé en apparence que Scorsese. On y découvre un Scorsese sur le qui vive, un Mick Jagger imposant en leader du groupe, et surtout un Keith Richards rockeur jusqu’au bout des ongles, tellement no limits, comme cette scène assez drôle où tous les membres du groupe salue poliment la belle-mère de Bill Clinton tandis que Richards la prend dans ses bras, l’embrasse et la tutoie comme si c’était une vulgaire groupie. Et ce n’est qu’après ce petit quart d’heure, en noir et blanc sobre, que le concert peut enfin démarrer.

Le contraste est flagrant : au noir et blanc de l’introduction succède une débauche de couleurs, de lumières vives et de hurlements de la foule qui ne parviennent pas à couvrir le mythique son des Rolling Stones. Plus déjantés que jamais, le groupe va enchaîner les hits en commençant par Jumpin’ Jack Flash, histoire de mettre le feu à la salle. Un peu plus tard, au milieu du film (ce qui correspond plus ou moins à la fin du premier concert), les chansons vont être plus douces, plus mélancoliques, tout en gardant une ambiance chaleureuse, ponctuée par les duos avec Jack White et Buddy Guy (certainement le meilleur des trois duos). La seconde moitié du film, c’est-à-dire le second concert, va reprendre le même rythme : une intro démente sur fond de Sympathy for the devil avant d’enchaîner des morceaux endiablés (le duo avec Christina Aguilera), des moments plus calmes et de terminer sur un Satisfaction tiré en longueur tant il est jouissif.

Scorsese aère son film en insérant, après 2 ou 3 chansons, des images d’archives, qui retracent quelques-unes des dates-clés du groupe (leur reconnaissance internationale, les arrestations de Mick Jagger et Keith Richards) ou montre la solidité du groupe, qui trouve sa force dans l’amitié entre les membres (comme le prouve la complicité entre Keith Richards et Ron Wood). Ces petits moments, fort bien agencés, permettent donc au film de ralentir un peu le rythme entre deux morceaux, et il faut bien reconnaître que c’est utile.

Le degré d’appréciation de ce film variera forcément d’un spectateur à l’autre, selon le degré de fanitude de chacun envers les Stones. Mais que l’on aime ou non, on ne pourra que reconnaître que malgré leurs âges, les papys du rock assurent toujours autant : sur scène Mick Jagger est un véritable électron libre, ne s’arrêtant jamais de gesticuler, d’assurer le show en se déchaînant comme un jeune gaillard de 20 ans, tandis que les autres membres du groupe restent des musiciens hors-pair. Côté pile, Scorsese démontre aussi toute la virtuosité dont il est capable, ne laissant jamais la caméra fixe trop longtemps, privilégiant les mouvements en fonction des chansons (brefs ou contemplatifs, c’est selon) et ne quittant jamais de l’objectif le groupe au profit de ces plans souvent rébarbatifs de la foule en délire (ici, 3 ou 4 plans maximum pour souligner l’ambiance qui règne dans la salle).

La captation de Scorsese est intéressante puisqu’elle se divise en trois étapes : la première, l’introduction, place Scorsese à l’égal des Stones, chacun étant filmé dans un temps équitable. La seconde, le concert en lui-même, efface totalement la présence du metteur en scène puisque jamais nous ne le retrouverons dans la salle des commandes. Il faudra attendre la troisième étape, la conclusion du film, pour que Scorsese réapparaisse dans un plaisir purement formel : alors que les Stones se rhabillent et quittent la scène, la caméra suit Mick Jagger de très près, de si près qu’elle finit par devenir le point de vue subjectif de Jagger. Ce faux plan-séquence montre un passage des coulisses à la sortie de la salle, où une foule de fans hurlent à la mort leur idole (à noter que sur le chemin, nous croisons par deux fois Scorsese qui donne des consignes à la caméra, et par définition au spectateur), et se termine par une montée dans le ciel de Manhattan, puis de New York en entier où, clin d’œil, la lune devient la célèbre langue de Forty Licks.

« Rockumentaire » électrisant, virtuose, parfois un peu long mais toujours séduisant, Shine a light montre une évolution fondamentale de Scorsese depuis The Last Waltz : le plaisir de filmer est ici le plus important, mettant la caméra au service d’un groupe qui, par son show toujours aussi dingue, se suffit à lui-même. Grand moment de musique, grande leçon de réalisation.

Note : ****