lundi 18 août 2008

Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull)


Dans la catégorie « film qu’on attend depuis des années ! », Indiana Jones 4 faisait office d’incontournable, promis à un succès d’entrée de jeu et tellement attendu qu’on ne pourrait être qu’émerveillé à sa vision. Technique marketing très rentable, mais d’un point de vue artistique on ne peut que constater l’étendue des dégâts de George Lucas sur l’une des sagas les plus réussies de l’histoire du cinéma.

Selon la version officielle, c’est Harrison Ford qui aurait demandé à Spielberg de rempiler pour l’aventurier au fouet et au chapeau, convaincant dans un premier temps George Lucas qui lui-même a convaincu Steven Spielberg. L’annonce d’un film fut accueillie avec un enthousiasme sans précédent… tandis qu’en coulisse, le despotique George Lucas sabotait son propre enfant dans l’œuf. Tout commence avec le script de Frank Darabont, écrit avec le soutien de Spielberg qui déclara que c’était le meilleur scénario qu’il ait lu depuis Les aventuriers de l’Arche perdue. Ce gage de qualité pour la série ne plu cependant pas à Lucas, qui refusa le scénario pour une raison inconnue. Se succédèrent alors à l’écriture Jeb Stuart, Jeffrey Boam, M. Night Shyamalan, Stephen Gaghan, Tom Stoppard, Jeff Nathanson et finalement David Koepp, avant qu’un scénario qui plaise à seigneur Lucas ne vu le jour (scénario qui s’approchait, finalement, d’un épisode qu’il avait écrit pour la troisième saison de la série TV d’Indiana Jones, qui n’a finalement jamais vu le jour).

Le casting en lui-même fut mouvementé : les noms de Sandra Bullock, Michelle Yeoh, Calista Flockhart ou Virginia Madsen en "Jones Girl", Natalie Portman en fille d'Indy ou encore Kevin Costner en frère d’Indy voir encore le retour de Kape Capshaw furent ainsi évoqués. La rumeur veut même que Sean Connery fut approché avec un chèque mirobolant (environ 8 chiffres…) mais l’acteur refusa de sortir de sa retraite. Toujours est-il que le film fut lancé, et présenté à Cannes où il obtint un succès de complaisance.
Car il faut bien le reconnaître : Indy n’est plus que l’ombre de lui-même. A qui la faute ? On pourrait blâmer Steven Spielberg, qui ayant prétendu revenir à un travail à l’ancienne, sans effets spéciaux numériques, nous a bien trompé. Mais il faut chercher la source d’ennui plus loin que ça en la personne de George Lucas. Je vais certainement m’attirer les foudres des fans de la saga et du papa des Star Wars, mais force est de constater que cet épisode d’Indiana Jones ne ressemble pas moins à un film Lucas qu’à un film Spielberg.

On le sait, George Lucas n’a jamais eu peur de déformer ses enfants par souci économique : les nouvelles versions de THX 1138 et des premiers Star Wars sont les preuves que Lucas a délaissé son âme d’artiste au profit de son compte en banque. On peut encore plus en douter ici lorsqu’on sait qu’une attraction baptisée "Indiana Jones Adventure: Temple of the Crystal Skull" avait été inaugurée en 2001 au parc Tokyo DisneySea (le syndrome Pirates des Caraïbes en somme), et qu’en outre Lucas a annoncé ce quatrième épisode comme le début d’une nouvelle trilogie. Le producteur tout puissant ne cache pas sa mainmise sur la saga d’ailleurs : « Réellement, pour le dernier, Steven n'était pas si enthousiaste que cela. J'ai dû le persuader. Mais maintenant, il est plus ouvert à en tourner un autre. Cependant, nous devons encore nous mettre d'accord sur la direction à suivre. Je suis dans le futur, Steven dans le passé. Il tente de poursuivre ce qui s'est fait alors que j'essaie de pousser vers d'autres territoires. Ainsi, nous avons toujours une sorte de tension. Le dernier film en a résulté. C'est le résultat hybride de nos deux conceptions. Donc, on verra où nous serons capables d'aller pour le suivant ».

Spielberg justifie plusieurs fois d’ailleurs, de manière implicite, qu’il n’a rien eu à dire sur le tournage : exit le logo Paramount en ouverture, c’est le logo LucasFilms qui prend la place. La scène d’ouverture illustre une bande de jeunes roulant à tombeau ouvert et écoutant du rock, à la manière d’un American Graffiti signé justement par Lucas. Des détails de ce genre, qui démontrent l’impuissance de Spielberg en tant que réalisateur.
Bien sûr, on ne peut pas tout rejeter sur Lucas : le film se veut ouverts aux jeunes avec un humour aux ras des pâquerettes, ce qui décribilise encore plus le film et son lot d’invraisemblances (non pas la quête d’Indy, qui est comme les trois autres irréaliste, mais par exemple le fait qu’Indiana Jones enfermé dans un frigo survit à une explosion atomique sans que le frigo ne soit abîmé et Indiana Jones blessé). L’utilisation de Shia LaBeouf, acteur qui grimpe grâce au succès de Transformers, n’est pas anodine.

On regrettera aussi le côté politique en filigrane (la Guerre Froide quand même) par rapport au côté science-fiction, alors que c’est justement l’équilibre entre politique et fantastique qui faisait le charme des précédents épisodes (comment oublier cet autodafé de la Dernière croisade, où Hitler signe un autographe à Indy). Visuellement, le film n’évite pas certains moments de ridicules (les marmottes numériques dignes de Milka) ni les scènes d’action « too much », dans l’esprit des films d’action de ses dernières années (James Bond en a déjà fait les frais). On regrettera même l’absence d’éléments de repère, hormis ce clin d’œil à l’Arche perdue, comme par exemple la réduction pure et simple de la peur d’Indy des reptiles à un gag de 2 minutes max, et encore avec un seul python !

Pour éviter tout spoiler, je ne m’attarderai pas sur la fin, abominablement surchargée et ridicule, qui n’est pas néanmoins sans rappeler ces ersatz justement d’Indiana Jones que sont par exemple La Momie de Stephen Sommers. Le modèle est devenu pâle copie…
On sera néanmoins content de retrouver un Harrison Ford qui, malgré un âge qui ne fait jamais illusion, parvient encore et toujours à assurer dans le rôle de l’aventurier courageux, intelligent et aux bons mots. Face à lui, Cate Blanchett assure en agent soviétique pile poil dans l’esprit des films des années 50-60. Dommage que Karen Allen ne fasse plus le poids, et que Shia LaBeouf malgré une volonté indéniable de se démarquer laisse parfois indifférent.

Film efficace mais incroyablement faible scénaristiquement par rapport à ses prédécesseurs, Indiana Jones 4 laisse dubitatif quant à une novelle trilogie. Si au moins l’excitation d’un nouvel épisode est bien retombée après cette douche froide, on reste craintif quant à la dictature artistique de Lucas, qui semble décidément préféré les lingots aux statuettes en or.

Note : **

jeudi 14 août 2008

Sweeney Todd


L’adage veut que l’audace est souvent payante. Il y a toujours l’exception qui confirme la règle : ici en l’occurrence, ce serait le Sweeney Todd de Tim Burton.

La légende de Sweeney Todd appartient à la culture populaire. Personnage de fiction popularisé par le récit de Thomas Peckett Prest intitulé The string of pearls : A Romance, il est un barbier londonien du début du XIXe qui tranchait la gorge de ses clients et se débarrassait de leurs cadavres avec la complicité de sa maîtresse. Stephen Sondheim en fera une comédie musicale en 1979, d'après la pièce originelle datant du milieu du 19e siècle et écrite par Harold Prince. Le spectacle a remporté un succès triomphal sur les planches américaines et britanniques, et a très vite intéressé les studios. Pensez donc : 25 ans qu’ils sont sur le coup ! Les noms ont défilés, aussi bien à la réalisation (Alan Parker, Sam Mendes) que pour le rôle principal (William Hurt, Michael Douglas, Harrison Ford, Dustin Hoffman, Robert De Niro, Al Pacino, Richard Dreyfuss, Gene Hackman, Robert Redford, Jack Nicholson, Steve Martin, Tim Curry, Kevin Kline, Warren Beatty et Russel Crowe) mais c’est finalement la coqueluche gothique des studios, Tim Burton, et son véritable jumeau de Johnny Depp (sixième collaboration en 18 ans) qui ont remporté le morceau. Côté féminin, tout n’a pas été de tout repos non plus : Meryl Streep, Imelda Staunton, Cyndi Lauper, Emma Thompson, Annette Bening et Toni Collette ont jouées des coudes pour le rôle de Mrs Lovett, mais c’est finalement Helena Bonham Carter (madame Burton à la ville pour rappel) qui a su s’imposer, non sans avoir du convaincre Stephen Sondheim au préalable.

Le film est alors lancé, et tandis que Johnny Depp apprend à chanter entre deux scènes de Pirates des Caraïbes, que Sacha Baron Cohen apprend à raser auprès de son barbier ou qu’Helena Bonham Carter suit des cours de boulangerie (!), Tim Burton prépare sa tragicomédie musicale, sous influence de la Hammer, de Boris Karloff, de Lon Chaney, de Peter Lorre ou même de Guignol ! Le succès sera au rendez-vous puisque le film recevra deux Golden Globes 2008 : Meilleure comédie musicale et Meilleur acteur dans une comédie musicale pour Johnny Depp.

Mais force est de constater que, si réaliser une tragédie musicale à la sauce gothique est plutôt un concept sympa, le film ne tient pas toutes ses promesses.

La chose qui énerve le plus est sans doute… les chansons ! Critique pour le moins paradoxal dans ce genre de film, mais force est de constater que Tim Burton ne semble pas avoir le sens du rythme comme l’avait par exemple un Vincente Minnelli ou un Stanley Donen : en moyenne, il ne se passe pas 7 minutes de film sans qu’une chanson n’intervienne. Pourquoi pas après tout, mais le problème vient du fait qu’il s’agit toujours de la même chanson (à quelques variations près) et qu’à la longue, c’est lassant. On regrette vivement que Danny Elfman ne soit pas aux commandes de la piste musicale, mais c’est comme ça.

Second problème majeur, l’absence de personnage attachant dans le récit. Il faut bien dire que tous les personnages, à l’exception du jeune couple guimauve (donc exaspérant) et amoureux, aucun personnage ne mérite de salut ; aussi lorsque l’un d’eux meurt, cela laisse indifférent. Ce manque de relation entre le spectateur et les personnages peut s’avérer déstabilisant et, dans un deuxième temps, totalement raté.
Enfin, on regrettera de voir qu’un cinéaste aussi poétique que Tim Burton sombre ici dans une violence de tous les instants : il est bien loin son monde de Barbie d’Edward aux mains d’argent, ou même le nostalgique Los Angeles d’Ed Wood, ici place au lugubre et sale Londres, infâme ville où les ordures matérielles côtoient les ordures humaines. Pour colorier cette ville noir et blanc (aspect stylistique intéressant par ailleurs, pour un film couleur) Burton déverse des litres et des litres de sang rouge épais, sans détour, giclant parfois sur la caméra. On se moquait du caractère Disney de Burton, on en vient très vite à le regretter.

C’est d’autant plus dommage que les acteurs se défendent dans l’ensemble assez bien, même si l’on regrettera de ne pas voir un Alan Rickman plus habité, ou tout simplement un Christopher Lee initialement prévu mais finalement retiré du projet. Johnny Depp effectue une jolie performance vocale, mais il lui arrive d’en faire parfois un peu trop. Celle qui tire son épingle du jeu reste indiscutablement Helena Bonham Carter, superbe en « sorcière » ambitieuse et amoureuse, drôle et émouvante tout en étant machiavélique.

L’aspect visuel du film, comme cité plus haut, est intéressant dans sa photo, film en couleur lorgnant très souvent vers le film en noir et blanc par l’utilisation de couleurs ternes et froides (qui font encore mieux ressortir le rouge du sang).

Mais des acteurs sympathiques et une photographie intéressante ne sauvent pas le film, qui plus est comporte des longueurs et des ficelles narratives usées (la clocharde folle à lier par exemple). Sweeney Todd apparaît dès lors comme un film en demi-teinte, dont on ne reconnaît que quelques bribes du Tim Burton des grands jours, comme si le réalisateur était tellement obsédé par ce projet qu’il aurait accepté de faire des compromis avec l’auteur original et les studios. Dommage.

Note : **

vendredi 8 août 2008

Romanzo Criminale


En s’inspirant de faits réels et en s’inscrivant dans le sillon creusé par les maîtres du film mafieux, Michele Placido revisite l’Italie des années 70, période sombre pour un pays mis à feu et à sang, en adaptant le roman éponyme (et véritable succès littéraire) de Giancarlo de Cataldo : Romanzo Criminale.

Fresque imposante, l’histoire se déroulant sur près de 25 ans, Romanzo Criminale mélange violence, sentiments et politique avec un certain brio. Il faut dire que Placido n’a rien laissé au hasard : en plus d’adapter un succès et une histoire forte, il s’est entouré d’un joli casting et surtout avait une idée très précise concernant le caractère du film.

Michele Placido avoue en effet avoir voulu faire de son film un film politique, dans la veine de ceux de Francesco Rosi. Il ne s’en est pas moins départi des références du genre ; c’est ainsi que le film lorgne de temps à autre, toutes comparaisons gardées, du côté du Parrain de Coppola (le devoir de chef avant tout, les vengeances familiales, le rapport entre la fiction et l’Histoire), des Affranchis de Scorsese (dépeindre une certaine réalité de la vie des malfrats, histoires d’amour compliquées) ou encore d’Il était une fois en Amérique de Leone (une bande d’amis qui va se désintégrer d’elle-même avec le temps).

Saga de 2h30, Romanzo Criminale nous entraîne aussi – et surtout – dans une réalité bien sombre, celle de l’Italie des « années de plomb », où une poignée de destins ont tenté d’être les maîtres incontestés du pays grâce à la violence, tout en se basant sur des faits historiques (l’enlèvement d’Aldo Moro, l’attentat de la gare de Bologne, les Brigades Rouges…).

L’ennui, c’est que le film était un projet trop ambitieux pour être mené à bien par quelqu’un comme Placido. Sans aucune méchanceté, le cinéaste ne possède pas (encore ?) les épaules pour une telle production : nombre important de personnages, récit en longueur, budget important… Il aurait fallu un Coppola, un Robert Altman ou, si on devait choisir un cinéaste contemporain, un Paul Thomas Anderson pour gérer tout ça convenablement. Du coup, Placido se donne à fond mais s’essouffle : la première partie du film est en effet réussie, parvenant à tout mettre en place comme il se dit, alors que la deuxième partie tire un peu trop sur la longueur, laisser aller le récit et les personnages en roue libre. Du coup, les 2h30 se font un peu ressentir, et le film perd de sa saveur.

Ce qui est fort dommage d’ailleurs, notamment pour les acteurs qui sont tous extraordinaires. Outre Kim Rossi Stuart et Anna Mouglalis dans les rôles principaux, ce sont aussi les rôles secondaires qui font la saveur du film, notamment Pierfrancesco Favino et Stefano Accorsi. A eux seuls, ils méritent presque le déplacement.

La bande originale du film aussi, très scorsesienne, est impeccable, mélangeant hit des années 70 aux musiques italiennes, des Pretenders et autres Sweet à Franco Califano et Anna Oxa.

A noter enfin que le film a été nominé 13 fois aux Donatello 2006 (l’équivalant des Césars en Italie) dont les catégories Meilleur Film et Meilleur réalisateur ; c’est finalement Le Caïman de Nanni Moretti qui emportera ces statuettes, ainsi que Silvio Orlando pour celle du Meilleur acteur, alors que Romanzo Criminale repartira avec 7 autres récompenses (Meilleur photographie, Meilleur second rôle masculin pour Pierfrancesco Favino, Meilleurs costumes, Meilleur montage, Meilleur scénario, Meilleure scénographie et le prix David Giovani).

Film sur l’amitié, l’amour et la mégalomanie, film noir et politique, à consonance historique, Romanzo Criminale est une sorte de tragédie humaine, à la fois déchirante et terrifiante, dense et superbement interprétée. Son inégalité l’empêche d’atteindre les sommets, mais le film prouve que le cinéma italien est en train de reprendre du poil de la bête ; on en redemande.

Note : ***

Cronicas


Pour son second film, Sebastian Cordero s’attaque aux médias qui ne s’intéressent qu’aux sujets brûlants, et dénonce le jeu de la manipulation pratiqué par la télévision dans une Amérique latine où « ce que l’on montre à la télévision ne peut être que la vérité ».

Démarrant comme un énième thriller avec serial killer pédophile, police incompétente et journalistes fouineurs au menu, Cronicas migre très vite vers le drame humain, vers la satire des médias manipulant une société illettrée en lui proposant des émissions chocs. Le suspens de la chasse à l’homme et les violences urbaines (une scène de lynchage plus vraie que nature) se voient alors supplantés par une confrontation psychologique entre un journaliste et son informateur. On se croirait presque dans un remake du Silence des agneaux si l’ensemble du film pouvait soutenir la comparaison.

Ce n’est pas tant la faute des comédiens, par ailleurs excellents John Leguizamo et Damian Alcazar (auquel on souhaite bonne chance pour la suite), que la réalisation peu tonique de Cordero. Le réalisateur semble en effet si sûr de son histoire qu’il semble laisser les comédiens aller à leur guise, et les suivre de sa caméra. Hélas, la psychologie demande aussi un contrôle absolu de l’univers qui l’entoure, et Cordero filme les entretiens entre le journaliste et le suspect comme de simples dialogues. Aucune tension, presque aucune émotion, mais c’est pourtant là que Cordero cible son intérêt. Du coup, la fin devient prévisible, les confrontations peu passionnantes et le reste du film, forcément délaissé, n’intéresse plus vraiment non plus. La morale de l’histoire perd alors toute sa saveur, alors qu’on déplorait déjà l’arnaque de ne pas voir plus souvent Alfred Molina à l’écran.

Il reste quand même à souligner la partition d’Antonio Pinto, déjà compositeur sur des films comme Central do Brasil, Avril brisé, La cité de Dieu et plus récemment Lord of war.

Un film qui n’a donc de thriller que le nom, où l’importance de la télévision dans le quotidien des gens est décrite à grands coups via un scénario préalablement trempé dans le vitriol. Après le Mexique et le Brésil, c’est donc au tour de l’Equateur de tenter de se faire une place au sein des productions mondiales. Dommage que l’ensemble est un peu fade pour réellement marquer les esprits.

Note : **

Viva Zapatero !


Pamphlet envers la dictature médiatique de Berlusconi, Viva Zapatero ! propose une réflexion sur la liberté d’expression au sein de son pays, l’Italie, où le même homme contrôle à la fois l’Etat et la majorité des médias.

Il faut dire que depuis Bowling for Columbine, le documentaire est un genre redevenu à la mode, ou du moins popularisé comme le moyen de communication le plus libre qu’il soit dans le monde du cinéma. Quoi de plus normal donc, dans un pays où en dire trop à la TV est devenu un danger, que la comédienne satirique Sabina Guzzanti ait choisi ce support pour exprimer son mécontentement envers la situation grave que connaît le pays, ainsi que le fait que la liberté d’expression soit si outrageusement bafouée.

N’hésitant pas à s’en prendre aux politiciens ou à franchir les Alpes pour rejoindre des « collègues de la satire » comme Karl Zéro ou encore le créateur des Guignols de l’info, histoire d’étayer sa thèse de totalitarisme médiatique en Italie (pour les Italiens donc, vu que les autres pays sont déjà au courant de l’histoire…) la réalisatrice tente par tous les moyens qui lui sont possibles d’ouvrir les yeux au peuple, de lui faire comprendre le caractère fasciste qui envahit l’Italie et ses télévisions. D’accord, à condition de laisser la parole à l’adversaire.

En effet, et c’est là le plus grand reproche que l’on peut faire à la réalisatrice : l’égocentrisme. Ce n’est pas tant pour dénoncer Berlusconi, intention plus que louable, que pour réhabiliter son émission que Guzzanti fait cette démarche. Preuve irréfutable : les divisions de son film se font par des extraits de son spectacle, sorte de best of où elle reconnaît des attaques satiriques mais, bizarrement, qu’elle justifie immédiatement. Les questions qu’elle pose sont constamment les mêmes, et c’est à peine s elle laisse ses opposants lui répondre. Il faut dire que parfois, ça foire, à l’image de ce politicien qui parvient à la coincer, alors que Guzzanti tente d’enchaîner sur autre chose pour reprendre le dessus…

On regrettera aussi, j’ignore si c’est pour remplir la durée du film ou non, de terminer le film sur le final de son spectacle, certes élément déclencheur mais dont, finalement, on se fout un peu vu le sujet global du documentaire : la dictature de Berlusconi sur les médias. On a l’impression que, vicieusement, Guzzanti tend à faire pitié ; inversement, cela confirme ce que l’on pensait avant, comme quoi Guzzanti reste plus égocentrique que journaliste dans cette histoire qui aurait mérité un meilleur traitement, même si Viva Zapatero ! est travaillé.

N’usant d’aucun effet superflu et soulignant les incohérences d’un gouvernement manipulé (ou manipulateur, au choix), Viva Zapatero ! est probablement le plus grand brûlot anti-Berlusconi qui ait été fait. A l’heure actuelle, puisque Berlusconi n’est plus au pouvoir, on a l’impression que le film a perdu de l’impact, mais il suffit de voir la Rai Uno pour se dire que les choses, décidemment, ne changent que rarement…

Note : **

La blonde et moi (The Girl can't help it)


Il y a 50 ans déjà, Hollywood connaissait un âge doré, où les Billy Wilder et autres Howard Hawks étaient les maîtres incontestés de « l’usine à rêves ». C’était l’époque où les comédies américaines osaient se moquer de la mafia, des gangsters, des choses sérieuses, comme c’est le cas de The girl can’t help it.
Nous retrouvons donc Tom Newell (Sept ans de réflexion) tombant follement amoureux d’une Jayne Mansfield sosie de Marilyn Monroe, et accessoirement petite amie d’un caïd plus délirant que vraiment méchant. Une idée de base très simple, le film misant beaucoup sur l’humour de Newell, la plastique Mansfield et la b.o. très rock’n’roll.
Les gags sont en effet nombreux, tournant souvent autour du même thème : le physique incendiaire de Jayne Mansfield. Du bloc de glace qui fond entre les mains d’un livreur à l’éruption laitière du laitier justement (allusion classique à l’éjaculation), tout y passe. Le reste du temps, on laisse Edmond O’Brien jouer les brutes plus gags qu’épaisses, tandis que Tom Newell veut jouer les sentimentaux une partie du temps, l’autre partie étant réservé au personnage de l’agent artistique acariâtre. Le film veut pourtant apporter quelque chose de neuf, comme le prouve l’introduction qui se moque du format de l’image et du noir et blanc en modifiant, d’un simple geste, le tout en cinémascope technicolor.
Rythmé par des morceaux signés The Platters, Little Richard et autres Gene Vincent, la b.o. est réellement l’atout de La blonde et moi pour attirer les jeunes de l’époque. Si bien que, de nos jours, le film possède un côté désuet, pour ne pas dire dépassé. Ce n’est pas tant sa faute, la musique évoluant de jour en jour, mais à l’heure du métal, du r’n’b ou de la techno, le film n’est plus destiné à la même catégorie de personne.
Le spectacle reste pourtant agréable, symbole d’une époque où l’entertainment américain était ce qui se faisait de mieux en matière de « cinéma populaire de qualité ». L’humour semble un peu gros, les vêtements démodés, la musique pour nostalgiques, le stéréotype de la blonde poussé à l’extrême et l’image loin d’être numérique mais le résultat est là : la magie du film opère toujours, et si le film n’est pas un chef-d’œuvre on le regarde pourtant volontiers.

Note : ***

L'arc (Hwal)

Kim Ki-Duk, cinéaste acclamé par bon nombre de cinéphiles, signe avec L’arc une œuvre singulière, emprunte de poésie et de philosophie. Une réflexion sur l’amour et la solitude, le tout dans un film à l’esthétisme plus que travaillé. Ca, c’est la version officielle. La vérité, c’est que si le film possède en effet une poésie et un esthétisme travaillés, le film semble bien creux.

Réalisateur prolifique (11 films en dix ans), Kim Ki-Duk fait partie de ces cinéastes à part, ceux pour qui le cinéma est bien plus qu’un divertissement : c’est un mode d’expression. Tel un peintre, Ki-Duk joue sur les couleurs et la lumière pour donner aux scènes une dimension toute particulière, une atmosphère indéfinissable que l’on ne peut que ressentir. Il y a quelque chose de malsain et pourtant de terriblement émouvant dans cette relation entre le vieil homme et la jeune fille. Pour ces qualités, le cinéaste est grandement applaudi, et il le mérite. Mais reste qu’au niveau du scénario, ses films ne sont pas toujours brillants.

Le cinéaste reprend quelques-uns des thèmes qui lui sont chers, tels la solitude ou l’amour conflictuel, et les teinte d’une poésie de tous les instants, même dans les brefs excès de violence ou dans les moments de tensions, comme ceux où le vieil homme prédit l’avenir des pêcheurs en tirant sur la jeune fille en balançoire. Mais à force, nous aussi on s’en balance. Comme souvent chez Ki-Duk, l’émotion prime mais ce n’est jamais hélas que la même engaine qui revient : un amour impossible, une jeune fille superbe que tout le monde convoite mais qui est inaccessible… Mêmes idées que dans L’île, toujours avec le même ennui qui pointe à l’horizon. Ce n’est pas méchant, mais soit on adhère pleinement à la lenteur du récit (où le mutisme n’arrange d’ailleurs rien) soit on décroche au bout de 10 minutes. Dans mon cas, j’ai beau me forcer, je n’y arrive pas.

L’arc regorge pourtant de qualités, il est vrai, mais l’extrême lenteur du récit et les refoulements sexuels de Ki-Duk (comme cette scène où la jeune fille se tape un orgasme imaginaire avec une flèche entre les jambes) en font une œuvre qui ne laisse pas indifférent, c’est vrai, mais uniquement par sa beauté visuelle. Pour le reste, on repassera.

Note : *

Un condamné à mort s'est échappé


Cinéaste peu prolifique (13 films en 40 ans), Robert Bresson n’en fut pas moins un cinéaste important dans le paysage cinématographique français. Un condamné à mort s’est échappé (dont le titre intial, Le vent souffle où il veut, laissait plus de place à l’imagination de l’intrigue) représente, dans sa carrière, une étape importante : c’est avec ce film qu’il définit réellement son style, un cinéma épuré, constamment à la recherche de la vérité.

Bresson prétendait que « c'est dans sa forme pure qu'un art frappe fort ». En effet, rarement on aura vu un « film d’évasion » plus réaliste que celui-ci, trop réalise sans doute. Toute comparaison gardée, Un condamné… ne possède pas la même force d’attraction qu’une Grande évasion ou un Stalag 17. A trop vouloir faire vrai, Bresson signe un film froid, aussi solide qu’une cellule de prison mais aussi peu sympathique.

Bresson va même jusqu’à nettoyé le film de tout dialogues inutiles et de musique superflue : quelques échanges avec d’autres personnages, une majorité de pensées du héros en voix-off et le même thème de Mozart constituent la bande-son. En soi, ce n’est pas grave (Sacha Guitry utilisait à merveille ce procédé avec Roman d’un tricheur) et cela contribue même à l’ambiance du film et à l’identification du spectateur : en plaçant celui-ci dans la même position que Fontaine, c’est-à-dire enfermé dans la cellule sans avoir vue sur le monde extérieur, et n’entendant que les bruits de pas des gardes ou fusillades sommaires, l’angoisse se fait vite sentir, et nous partageons l’envie avec le héros de s’évader le plus vite possible.

Bresson connaît forcément le sujet, lui qui fut aussi prisonnier durant la Guerre. Le souci du détail lui est donc primordial, ce qui confère au film presque un aspect documentaire, uniquement effacé par les réflexions de François Leterrier, lequel il est vrai est convaincant dans le rôle du prisonnier : à la fois constamment en proie au doute et finalement bien seul malgré les autres détenus. D’apparence plate, son interprétation ne fait qu’obéir aux limites imposées par Bresson, et donc son personnage devient crédible.

Le film, que François Truffaut lui-même qualifiera à sa sortie de « film français le plus décisif de ces dix dernières années », n’est certainement pas à oublier ; il représente au contraire une tentative de concilier cinéma de genre et documentaire. Hélas, cette association peut laisser de marbre, d’autant que Bresson n’allège jamais le récit pour le rendre plus regardable. L’ensemble est très abouti (la réalisation est certes dure mais d’un cadrage impeccable) mais il faut vraiment avoir envie pour aller jusqu’au bout. Mais après tout, ce n’est qu’une affaire de goût n’est-ce pas…

Note : **

Borsalino & Co


Si on pensait déjà à une suite lors de la fin du tournage, le succès de Borsalino fut tel (presque 5 millions d’entrées en France) que le projet devenait nécessaire. Ainsi naquît Borsalino and Co, une suite qui ne semble vraiment pas nécessaire.

D’une part manque Belmondo, puisque le film s’ouvre sur son enterrement et que le début de l’histoire est le récit de la vengeance de Siffredi. Hélas, on oublie très vite cette idée pour enchaîner sur un film policier basique, dont le seul charme revient à installer l’histoire dans les années 30, même si Marseille ne vaudra jamais Chicago ou New York…

Quelques bons éléments sont toujours là : Jacques Deray reste le réalisateur, la célèbre musique de Claude Bolling est toujours présente… Quelques petits détails qui font que Borsalino and Co ne sombre pas dans le nombrilisme le plus total. Car, en effet, le film souffre de l’intérieur, Delon étant à la fois acteur et producteur. Hélas, le narcissisme de la star est trop fort et on a l’impression, tout au long du film, que tout tourne autour de son personnage, plus grotesque qu’autre chose d’ailleurs (l’homme qui n’a pas peur de mourir, celui qui tue 15 malfrats à lui tout seul et avec 6 balles seulement !). Il joue bien mais donne trop d’assurance à son personnage qui aurait certainement gagné à être plus fragile mentalement après la mort de son ami, et la déroute qu’il a subi…

Le scénario semble d’ailleurs un peu banal, de nombreux éléments restant troubles ou qui auraient mérités d’être plus travaillés : comment Siffredi s’est-il refait une santé en Italie ? Hormis Volpone, que s’est-il passé pour les autres durant les années où Siffredi était parti ? De même, le final semble un rien expédié, contrairement à la mise en place de la vengeance qui, elle, prend du temps. Et le final laisse à penser qu’une suite était encore envisagée…

La réalisation de Deray sauve un peu la mise, la reconstitution semblant de prime abord fidèle. Il y a pourtant une petite influence du Parrain dans le besoin de montrer la violence des coups de feux durant une bagarre ; du coup, le film ressemble à un défouloir. Rien de bien méchant cependant en fonction du reste.

Une légère déception donc, d’autant que le modèle reste une référence pour la plupart des cinéphiles ; dommage que Borsalino and Co sente trop la suite facile.

Note : **

Superman Returns


Un grand gaillard, du genre à ne pas énervé, qui porte un pyjama bleu et un grand S sur le torse, ça vous dit quelque chose ? C’est normal, c’est un super héros qui, presque 30 ans après le film de Richard Donner, revient au cinéma sous le titre de Superman Returns !

Alors l’angoisse se fait sentir dès le film démarre : allons-nous assister à une merveille ou un crime de lèse-majesté envers l’original ? Que les fans (et les autres) se rassurent, Bryan Singer n’est pas le dernier des admirateurs du super héros, et il le prouve ! D’abord, il rend hommage via le générique au film de Donner avec des effets digne des seventies, et le thème de Williams légèrement remanié. Et ce n’est que le début.

Bryan Singer est en effet un enfant de comics mais aussi un fin psychologue. Comme il l’avait fait précédemment avec X-Men, il remet ses personnages au goût du jour mais leur confère une réelle dimension psychologique, une personnalité travaillée qui domine tout autant le film que les effets spéciaux. Si ceux-ci sont d’ailleurs irréprochables, on regrettera un peu d’en voir autant, ce qui finit par lasser voir agacer. Qu’à cela ne tienne, le tout reste maîtrisé (logique vu le budget de 260 millions de dollars aussi…) et tire pleinement profit de ses avantages techniques (Superman Returns est en effet le premier film à utiliser la caméra HD Panavision Genesis, dont les capacités techniques sont remarquables : la Genesis est équipée d’un capteur unique de 12,4 millions de pixels de la taille d’une image Super 35, au format 16/9, calibré pour 3 200 K. Elle accepte toutes les focales fixes et zooms, 35 mm Panavision, ainsi que tous les accessoires Panavision (ou autres). Bref, le rendu de l’image est tout bonnement stupéfiant !)

Dommage que tout ne soit pas à la hauteur des ambitions de Singer. D’abord le scénario, qui en plus d’être long (2h35 !) regorge d’erreurs (Superman soulevant une montagne de krypton, les aficionados crient au secours !) ou de passages et éléments inutiles (le rôle de l’enfant de Loïs, vite délaissé…). Si le tout parvient à être accessible à tous sans avoir pour autant vu les premiers films, on reste dubitatif sur de nombreux éléments.

Ensuite les acteurs. C’est pas méchant, mais ils ne conviennent pas. Non pas que Brandon Routh et Kate Bosworth soient mauvais (encore que, ça dépend des moments) mais ils ne correspondent hélas pas aux critères. Déjà l’alchimie n’est pas top entre eux deux, mais en plus ils ont l’air d’avoir 20 ans ! Alors que, par logique, ils devraient plutôt s’approcher de la quarantaine… Heureusement, Kevin Spacey sauve le coup avec son rôle de Lex Luthor qui se détache de Gene Hackman pour créer un méchant presque pathétique et surtout très drôle. Ses répliques sont chouettes, l’air qu’il se donne, à la fois cynique et ancien danger, est réussi.

Il est donc dommage que Singer, à trop soigner sa mise en scène, oublie le reste, surtout ses acteurs où seul Spacey possède assez d’expérience pour gérer la pression d’un tel film. Avec un brin de rigueur en plus, le film aurait pu être un chef-d’œuvre, dommage…

Note : **

The road to Guantanamo


The Road to Guantanamo relate l'histoire de quatre jeunes Anglais, qui, partis célébrer le mariage d'un ami au Pakistan, se retrouvent embarqués dans la paranoïa post-11 septembre. Ils ne rentreront chez eux que deux ans plus tard, après avoir connu l'enfer de la tristement célèbre prison de Guantanamo, réputée pour ses maltraitances et ses emprisonnements arbitraires.

Le film, inspiré de faits réels, est une sorte de docu-fiction : une histoire vraie reconstituée par des acteurs, les interviews des vraies personnes étant parsemées ça et là. Pour être honnête, ce procédé ne tient pas plus du cinéma que de la télévision. Ce n’est pas pour être méchant, mais on a plu l’impression d’assister à une émission controverse plutôt qu’à une œuvre cinématographique. Cela n’a pas empêché Michael Winterbottom et Mat Whitecross de repartir auréolé de l'Ours d'Argent des Meilleurs réalisateurs à la Berlinale de 2006…

Ok, le sujet méritait d’être développé pour toucher le maximum de personnes possible. Et reconnaissons-le, Winterbottom et Whitecross ont su trouver les bons acteurs pour ça, et recréer le climat de paranoïa ambiante, du risque mortel de l’Afghanistan ou de la torture de Guantanamo (plus soft ici qu’on a voulu le dire dans la presse, même si ce n’est vraiment pas de tout repos…). Mais l’attaque documentaire demande un minimum de rigueur et surtout d’objectivité. Problème ici : nous avons le récit des 3 malheureux, mais aucune opposition pour contredire leurs histoires. En ne se plaçant que d’un côté de la barrière, les cinéastes perdent pas mal de crédibilité, d’autant que la construction du film laisse à penser à un règlement de compte avec les USA qu’à un récit tragique.

Le sujet de The Road to Guantanamo peut en effet laisser penser que Michael Winterbottom avait la volonté de réaliser un film de propagande, cependant il préfère nuancer ce point de vue : "Je ne pense pas que lorsque vous faite un film vous espérez avoir un résultat spécifique. La vérité est, que les films n'ont pas d'énormes impacts en général. Donc à la fin, je pense que nous sommes plus concernés par l'impact que le film a sur les individus, et particulièrement les trois garçons dont nous racontons l'histoire. (...) Ce qui leur arrive est extraordinaire et terrible, et je pense qu'il est bon que les gens en entendent parler, et il est bon qu'ils voient que ces trois garçons ordinaires ont été pris dans ces évènements (...) Si vous regardez les détails de leurs expériences, vous réalisez que ces choses ne sont pas comme ça dans le vrai monde." Manière délicate de se laver les mains et décliner ses responsabilités.

Un film à prendre avec des pincettes donc, tant le sujet, épineux, est émouvant mais chargé malgré lui d’une arrière-pensée : dénoncer la guerre antiterrorisme menée par le gouvernement Bush et celui de Blair. C’est humain mais le procédé est vicieux.

Note : **

J'aurais voulu être un danseur


Alain Berliner (Ma vie en rose) revisite la comédie musicale avec amour et tendresse pour son film J'aurais voulu être un danseur. Semi-réussite.

La vie est pleine de mystères, et parmi ceux-ci la mémoire inconsciente en est un fameux : comment, malgré nous, nous reproduisons les actes de nos aïeuls, même s'ils sont un peu fous. C'est là le point de départ du dernier film de Berliner, amoureux transi du monde musical comme il l'avoue lui-même (il a failli faire des études dans ce domaine). Sous l'impulsion d'un genre hélas un peu négligé aujourd'hui, Berliner rend hommage à Cole Porter, George Gershwin mais aussi Fred Astaire, Gene Kelly et par suite logique Stanley Donen, Vincente Minnelli ou encore Jacques Demy.

Plus que dramatiquement drôles, les illusions des hommes de la famille Maréchal sont touchantes : devenir danseur à un âge où l'on prend généralement sa retraite dans ce milieu. On aurait envie de dire un rêve de gosse, sauf que les gosses en question ont la trentaine et une famille à charge ; tout de suite, les choses sont beaucoup moins drôles... mais qu'importe ! Bien qu'il ne justifie pas leurs actes (toute malédiction qui se respecte termine mal, c'est bien connu), le cinéaste ne peut s'empêcher de présenter ses personnages, celui de François surtout, avec une tendresse qui nous fait devenir le personnage sympathique.

Vincent Elbaz y est aussi sans doute pour quelque chose, tant son interprétation épate, pas seulement au niveau des claquettes (même si cela en laissera plus d'un bouche bée, moi en premier je l'avoue) mais surtout par son jeu tour à tour drôle, grave et enjoué, un peu à l'image du film. Le reste des comédiens suit plus ou moins, si ce n’est Jean-Pierre Cassel définitivement dans son élément. Cécile de France, malheureusement, reste un peu en retrait.

Connaissant les limites de son genre, le film ne se veut pas prétentieux et vise surtout à rendre le spectateur heureux, lui offrir des rêves plein la tête et, qui sait, peut-être créer des vocations. Où est le problème alors ? Eh bien le problème, c’est que Bruxelles ou même Paris, ce n’est ni Broadway ni Hollywood : il faut savoir s’avouer vaincu. Berliner veut pourtant y croire, et tente même d’aller plus loin, mais se perd en chemin et nous avec : science-fiction avec effets spéciaux un peu ratés soyons francs, drame, comédie, musical, c’est bien, mais on y perd vite son latin. Au final, on a comme un goût de bizarre dans la bouche, ne sachant pas trop ce que l’on vient de voir. Et on évitera de parler d’un final prévisible comme pas deux.

Une réussite en demi-teinte, plus proche de l’échec, mais dont les acteurs et surtout l’amour du genre qui s’en dégage, associé à l’audace et le courage de Berliner de tenter cette aventure, mérite qu’on ne le maltraite que gentiment.

Note : **

The Return


Plus les années passent, et plus on a l’impression qu’il existe deux types de films fantastiques : ceux réalisés par les passionnés du genre et ceux qui se servent uniquement de ce prétexte pour tenter de ramener du monde dans les salles obscures. Pas de bol, The Return fait partie de la deuxième catégorie.

Tout d’abord, le scénario : la jeune fille super paisible, la vie de rêve (boulot bien payé et physique pas mal foutu, soyons honnêtes) commence à avoir des visions bizarres, qui la ramènent inexorablement dans le coin paumé de son enfance : vu, vu et revu. Les ficelles narratives sont grosses comme des cordes d’amarrage (mélange de passé et de présent, apparitions surprises dans le miroir, le beau mec mystérieux qui est en fait l’ex de la victime qui s’amuse à faire peur à notre héroïne) et on ne marche jamais dans cette histoire cousue de fil blanc dont n’importe qui devinera aisément la conclusion au bout de 15 minutes.

Côté réalisation, pas mieux : du déjà vu aussi que ce soit dans les effets de mise en scène ou dans la volonté de faire frémir. On n’en veut pas vraiment au réalisateur, qui débute, mais sa mise en scène se veut trop sérieuse pour qu’on lui pardonne tout : clichés et absence de véritable rythme, avec en supplément un manque de clarté par moments.

Et les acteurs, ah les acteurs… Ne tournons pas autour du pot : Sarah Michelle Gellar a un bien plus joli minois qu’un réel talent de comédienne. Ici toutefois, elle s’en tire sans trop de casse, surtout si on la compare aux autres acteurs masculins, de Peter O’Brien (qui nous vient quand même de la télé) qui ne convainc qu’à moitié dans son rôle de mari meurtri au vilain méchant qui ne ferait pas flipper ma cousine de 7 ans (sauf peut-être vu l’état de ses dents).

Au final, qu’est-ce qu’on a ? Un film qui n’arrive pas à se décider entre thriller et fantastique, porté par des comédiens très moyens mais, à qui la véritable faute vu la mise en scène d’un classicisme affligeant et un scénario plus risible que flippant. On ne va pas mettre le zéro parce qu’on est de bonne humeur : ils ont de la chance !

Note : 0

Nue propriété


Le cinéaste précise ses intentions, en revenant sur la genèse du projet : « Ce film s'inspire d'un histoire familiale. A une époque, j'ai éprouvé ce sentiment d'avoir un pouvoir qui n'était pas le mien. Comme une logique de vie qui n'était pas respectée ; j'avais le pouvoir d'empêcher ma mère de vivre la vie qu'elle avait envie. C'est ce qui m'a donné l'idée d'écrire l'histoire de ces deux frères qui se comportent avec leur mère comme s'ils étaient eux-mêmes ses parents. Elle se retrouve alors dans la situation étrange de devoir demander l'autorisation de s'émanciper. ». Le titre est un terme juridique : la "nue-propriété" est un droit de propriété partiel (par opposition à la "pleine propriété". L'expression "nue-propriété" désigne le fait de posséder un bien sans être toutefois autorisé à en faire usage ni en tirer des revenus.

Resituons tout d’abord ce fameux cinéaste encore inconnu il y a trois ans : Joachim Lafosse, né à Uccle en 1975, étudie à l’IAD où il réalise un court métrage avec celui qui deviendra son acteur fétiche, Kris Cuppens. Son premier film, Folie privée, passe inaperçu du public mais pas des cinéphiles qui acclament son film suivant Ca rend heureux, comédie dramatique proche du documentaire et de l’autobiographie racontant les mésaventures d’un cinéaste au chômage et en plein processus de création. La renommée est alors là, et lui permet de dégotter pour son troisième film les frères Renier (Jérémie et Yannick) mais pour la première fois pour un réalisateur belge la grande Isabelle Huppert. Et le film est présenté à Venise et Rotterdam !

Dans la grande tradition du cinéma épuré comme on en fait souvent en Belgique (un bien pour certains, un mal pour d’autres), Lafosse pose rapidement les bases de son récit afin de nous plonger directement dan la tourmente familiale : une relation fraternelle très forte qui va devenir fratricide, une mère dépassée, lasse, qui se refuse au bonheur par crainte de ses enfants, un père absent et faible sans son portefeuille… Autant d’éléments qui confèrent à la tragédie dans son style le plus pur, le plus utilisé. Clairement porté par ses acteurs, le film est un enchaînement de plans-séquences afin de laisser libre jeu à tous les interprètes.

Lesquels sont remarquables d’ailleurs, il faut bien le dire, et encore plus Jérémie Renier qui parvient tout le film à tenir tête à l’imposante Isabelle Huppert, une fois encore au diapason et n’étant plus une actrice interprétant son personnage mais bien le personnage lui-même. Yannick n’a rien à se reprocher, trouvant subtilement sa place dans ce trio autodestructeur, dont les attitudes et gestes conduisent calmement mais certainement vers le drame absolu. Un peu en décalage mais pourtant bien présent, Kris Cuppens, toujours aussi remarquable, prouve que le cercle familial du film est impénétrable. Des interprétations toutes plus impressionnantes les unes que les autres, à vif et qui donne au film sa force.

Le scénario quoique peu prévisible n’est en effet qu’un léger prétexte à la thérapie de Lafosse sur sa propre vie, le réalisateur ayant aussi un frère jumeau et comme dit précédemment a vécu une situation semblable. Accessoirement, il offre des rôles immenses à des comédiens qui le sont tout autant. Un surdoué est définitivement parmi nous.

Note : ***

Voleurs de chevaux


Le passage du court au long métrage ne se fait pas toujours avec réussite. Malheureusement, c’est le cas de Micha Wald et de son Voleurs de chevaux.

Le film n’est pas une daube, attention ; c’est juste qu’il se veut ambitieux mais hélas ne convainc qu’à moitié. Il est toujours plaisant de voir un film belge délaissant un peu le côté documentaire pour flirter avec la fiction pure et dure, mais là hélas on reste sceptique.

Reprenons : nous avons deux fois deux frères, dont les histoires sont contées en chapitres différents. Dans la première, deux volontaires engagés dans l’armée soviétique tentent d’atteindre un niveau de vie aisé mais ce font piquer leurs chevaux par les deux autres frères du film, dont le deuxième chapitre décrit leur relation. Le vol se passe d’ailleurs mal, et le dernier chapitre expliquera comment la vengeance d’un des frères dérobés s’effectuera.

Ce qui est dangereux quand on divise son film en morceaux, c’est qu’il faut savoir gérer chaque partie pour qu’elle ne soit ni meilleure ni moins bonne que les autres, histoire d’avoir un film cohérent. C’est certainement là que Voleurs de chevaux perd de sa superbe.

Premièrement, on assiste à la formation militaire des deux premiers frères. Hommage (mal) dissimulé ou pur hasard, toujours est-il que cette partie aurait pu s’intituler « Full Metal Jacket chez les Soviets » tant les ressemblances sont frappantes et souvent maladroites : l’officier antipathique (mais adieu les insultes cultes pour un langage digne d’un dandy), le soldat brimé par ses camarades, l’entraînement à la dure, rien ne nous est épargné sauf que dans un film pour la famille, ça fait moyen, et si le film se veut adulte ça fait plutôt léger.

La deuxième partie est peut-être la plus intéressante, analysant le rapport qu’il existe entre les deux autres frères du film, rapport ambigu et dangereux. Il laissera pourtant rapidement sa place à la fameuse vengeance dans la troisième partie, basique.

A ne pas en douter, Micha Wald voulait créer un spectacle visuel et émotionnel intense : au froid des décors naturels du Nord contraste la chaleur humaine entre les personnages du film, entre frères mais aussi entre l’un d’eux et sa fiancée. Malheureusement, si la reconstitution historique (l’histoire se déroulant fin du 19e siècle) est à la hauteur de ses espérances, le reste ne suit pas nécessairement et plombe l’ensemble du film. Les images sont belles, en effet, mais ne dégage rien de particulier, ne captive pas l’attention ni ne font vibrer les sentiments du spectateur. Un spectacle vide, quoi de plus grave au cinéma !

Cependant, il ne faudrait pas oublier le point fort du film : ses interprètes. Le trio Adrien Jolivet/Grégoire Colin/Grégoire Leprince-Ringuet fonctionne il est vrai, et si parfois ça glisse dans la surenchère dan l’ensemble cela reste des performances honorables.

Une petite déception donc, pour une fois qu’un film belge voulait sortir des sentiers battus, il s’embourbe. La prochaine sera peut-être la bonne Micha…

Note : **

Michou d'Auber


Thomas Gilou n’est pas un cinéaste très fin, soyons honnêtes, alors quand il décide de parler de tolérance sur fond de guerre en Algérie au travers des yeux d’un enfant, on est en droit de s’attendre à quelque chose de grave avec Michou d’Auber.

Heureusement, on évite le trop sentimental ou le trop « humour gras » ; on peut même dire que le film est une comédie dramatique dans le bon sens du terme… si ce n’est qu’on verse parfois trop dans la surenchère. Je m’explique.

Tout commence avec l’adoption d’un maghrébin par une bonne femme répondant au doux nom de Nathalie Baye. De peur que son Gérard Depardieu de mari, caractériel et accessoirement ancien militaire résolument gaulliste, ne prenne la mouche de voir le gosse, elle décide de le teindre en blond et de le faire passer pour un pur Français du nom de Michou. Déjà là, c’est foutu : comment ne pas voir directement que ce n’est pas un franchouillard le môme ? Hors, personne ne le remarque !

On n’évite pas non plus de nombreux effets mélodramatiques :le couple en crise car stérile, ce qui les conduit un peu à l’adultère, le frère maltraité qui vient chercher son petit frère mais le laisse là s’il peut lui donner de l’argent, le dur retour du père biologique… Rien ne nous est épargné. L’idée de Thomas Gilou reste la même que dans ses autres films : traiter de la différence sur un mode comique, sauf qu’avant c’était en mode mineur (La vérité si je mens !) et ça passait ; ici, la sauce ne prend pas, et le discours contre les méfaits français en Algérie est dilué dans une scène ridicule de dispute entre George et ses « amis ».

Reste une Nathalie Baye simple, qui n’en fait pas de trop contrairement à Depardieu qui fait du Depardieu. On a connu l’acteur plus inspiré, et on espère vraiment qu’il ne tiendra pas sa promesse en stoppant sa carrière avec ce film. Mathieu Amalric est hélas trop rare, et Philippe Nahon est rencardé au rang de figurant quasiment. Reste le jeune Samy Seghir qui, pour son âge, se débrouille bien même face à des acteurs comme Baye ou Depardieu.

Un film mineur, même si on attendait pas spécialement grand-chose de ce cinéaste, et qui se veut sincère parce qu’inspiré d’une histoire vraie. Il a pourtant tendance à être un peu propagandiste en stéréotypant la France profonde des années 60. Même si on peut le comprendre, Gilou ne fait que rentrer dans le jeu de ceux qu’il attaque. Dommage.

Note : *

Water


Le cinéma indien ne se résume pas à « Bollywood », comme le prouve clairement Water, film ardemment critiqué en son pays pour sa prise de position sociale.

Depuis le début de sa « trilogie des éléments » (initiée par Fire et suivie de Earth), Deepa Mehta est considérée comme la principale ennemie des fondamentalistes hindous et de leur chef Bal Thackeray. Ainsi en 2000, un groupe d'émeutiers a attaqué et brûlé les plateaux de production de Water et a proféré des menaces de mort contre la réalisatrice. Le gouvernement indien a réprouvé publiquement cette atteinte à la liberté d'expression et a fourni 300 troupes, afin de protéger la production du film ainsi que Deepa Mehta. Cependant, les opposants de Water sont parvenus à mettre l'équipe du film sur écoute et ont continué à faire pression : des effigies de la réalisatrice ont été brûlées quotidiennement à travers le pays et la tentative de suicide d'un contestataire ont poussé le gouvernement à interrompre la production du film pour des raisons de "sécurité publique". Malgré de nombreuses marques de soutien, comme celle de George Lucas (il acheta une page entière du magazine spécialisé Variety pour exprimer son soutien et demander au gouvernement indien de reconsidérer sa décision afin de permettre à Deepa Mehta de terminer son film dans de bonnes conditions), le gouvernement n'est pas revenu sur sa décision. Il aura fallu alors cinq ans pour que la production de Water soit relancée au Sri Lanka, sous un faux titre et dans le plus grand secret.

Il faut dire que, derrière l’histoire d’amour impossible entre une veuve et un jeune idéaliste, se cache en fait une attaque envers des traditions vieilles de 2000 ans qui réduisent les femmes au rang d’objets. Alternant splendeurs du pays et misères humaines, dans un style d’une sobriété remarquable, Mehta offre une tragédie humaine faisant écho à une bien triste réalité. On regrettera seulement des archétypes incontournables qui ralentissent le film, et un côté romantique hélas trop classique pour réellement séduire.

En revanche, il convient de saluer toutes les interprètes (et bien sûr les interprètes masculins) pour leurs qualités, en particulier le trio Lisa Ray/Seema Biswas/Sarala, qui sont tout simplement grandioses. La jeune Sarala a sans aucun doute un bel avenir devant elle, tandis que le talent de Lisa Ray n’a d’égal que sa beauté pour un premier film.

Salué aux Génie Awards 2006 d’Ontario (prix de la photographie, de la musique et pour Seema Biswas) ainsi qu’au festival de Valladolid (Prix de la jeunesse) et par les critiques de Vancouver qui lui ont décerné les prix de Meilleure actrice pour Lisa Ray et Meilleure réalisatrice pour Deepa Mehta, Water est un film remarquable, tour à tour grave et poétique, qui souligne que les vieux préceptes sont décidemment bien dépassés…

Note : ***

Esquisses de Frank Gehry (Sketches of Frank Gehry)


Avec Esquisses de Frank Gehry, le cinéaste Sydney Pollack signe le portrait authentique d’un artiste unique mais à l’ego surdimensionné, adulé par certains, décriés par d’autres : l’architecte Frank Gehry, à qui l’on doit notamment le musée Guggenheim à Bilbao, la Cinémathèque française de Bercy et le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles.

Il est surprenant de voir un cinéaste comme Sydney Pollack réaliser un documentaire sur Frank Ghery (même si son éclectisme n’est plus à prouver), d’autant qu’il avoue d’emblée ne rien connaître au documentaire et encore moins à l’architecture. Mais l’amitié entre les deux hommes est telle que Pollack a surmonté ses craintes pour délivrer un hommage à l’architecte de légende, artiste génial, souvent incompris et à tendance mégalomane.

L’idée de nous montrer comment un génie fonctionne au travail est très intéressante à partir d moment où Pollack nous montre tout, de la genèse d’un projet à son élaboration avant sa construction finale. Pour illustrer le point fort de Ghery, ses esquisses, Pollack tourne une partie en 35mm et une partie en numérique. L’avantage est de pouvoir être proche de la réalité d’une part et magnifier les œuvres de l’architecte d’autre part.

Pollack ne sombre pas non plus dans une glorification absolue de l’architecte, en n’hésitant pas à comparer les points de vue de différents intervenants, pro ou anti Gehry, du critique d’art aux stars people. Un refus de parti pris qui nous aide à forger notre propre opinion sur cet artiste vraiment unique. C’est sans doute là le grand intérêt du documentaire, permettre à chacun sa propre interprétation de ce qu’il voit à l’écran : un génie un peu trop prétentieux, un artiste incompris mais uniquement parce qu’il le désire, un homme presque double en somme.

D’une durée idéale, sans trop forcer sur sa narration, le film tient en haleine le spectateur qui découvre, ébahi, le processus de création de Gehry, clairement anticonformiste. Le plaisir de voir que Pollack ne prend aucun parti et se dévoue complètement à son film, premier du genre pour lui, est communicatif, et on se dit qu’Esquisses de Frank Gehry est aussi instructif qu’amusant. Et ce ne sont pas tous les documentaires qui peuvent se targuer de ces qualités.

Note : ***

Hard Candy


La pub peut parfois s’avérer un bon entraînement pour passer au long métrage de fiction. C’est de cette manière que David Slade a réalisé son premier film Hard Candy.

Sur base d’une actualité inquiétante (la pédophilie sur le net), David Slade signe un film angoissant, incisif et froid comme un scalpel. Inspiré par l’actualité (des jeunes filles au Japon qui entamaient des relations sur Internet avec des hommes plus âgés, leur fixaient rendez-vous, et les attendaient avec plusieurs amis pour les agresser), Hard Candy s’amuse à brouiller rapidement les pistes en inversant les rôles : la proie n’est peut-être pas cette jeune fille innocente, que l’auteur s’amuse à comparer métaphoriquement au petit Chaperon Rouge. Cette manière de changer les rôles constitue le point fort du film, puisque dès cet instant on ignore comment cela va tourner. Hélas, Slade ne s’arrête pas là et pousse le sadisme très loin. Si quelques répliques prêtent à sourire chez les cinéphiles, l’ambiance glauque, parfaitement rendue au demeurant, est supplantée par un étirement e longueur d’une séquence de castration qui, si elle démarre bien et évite le voyeurisme, lasse très vite. Et c’est ainsi pour l’ensemble des scènes, étirées jusqu’à épuisement.

La mise en scène de Slade ne convainc qu’à moitié elle aussi. Si, comme précédemment cité, l’ambiance huis clos angoissant est au rendez-vous, il y a hélas le plaisir trop fort de faire son premier film qui est là, et si l’ensemble est de bonne facture, les quelques scènes de tensions, comme lorsque Hayley cherche des photos de mineures, filmées caméra tremblantes, donne le tournis mais pas la satisfaction de voir un bon film. Ces passages sont courts mais hélas bien présents, et gâche l’ensemble qui semblerait cohérent et réussi sans cela.

D’autant que niveau interprétations (même si elles sont pu nombreuses), il n’y a rien à redire. Si Patrick Wilson en fait parfois un peu trop dans l’angoisse de se retrouver eunuque, la jeune Ellen Page domine véritablement le film, le portant toute seule et le hissant vers son sommet. On aurait presque envie de dire que pour elle, le film vaut le détour.

Multi récompensé au Festival du Film de Sitges 2005, sélectionné à Deauville 2006, Hard Candy (dont le titre en argot désigne les mineures participant à des forums de discussions) n’est qu’une semi réussite, Slade ayant prouvé qu’il sait installer son récit mais ne sait pas toujours le maîtriser. On verra au prochain essai.

Note : ***

Narco


De temps à autre, le cinéma français veut abandonner son cinéma dit « d’auteur » pour surfer du côté du cinéma de genre. C’est un peu le cas de Narco comme vous allez le constater.

Tout d’abord, il y a cette volonté de mélanger les styles : comédie, thriller, science-fiction, action… En soi, une jolie idée. L’ennui, c’est que les Français sont moins aptes à faire du cinéma pop-corn que les ricains, c’est un fait (et absolument pas péjoratif). D’une part, ils n’ont pas ce sens de l’entertainment, ensuite ils n’ont pas spécialement les moyens financiers pour réaliser des effets spéciaux déments (tout le monde ne s’appelle pas Luc Besson). Si le côté comédie est en revanche lui bien mieux gérer, les ambitions des deux cinéastes a hélas été trop grande pour leur budget, et c’est bien triste. Il y a toujours ce côté US qui vient poser son ombre sur la réalisation qui, pourtant, ne s’en sortait pas trop mal, si ce n’est une mauvaise gestion de son rythme (les hommages, comme ce clin d’œil à Forrest Gump ou à La valse des pantins ne changent rien).

D’autant que la direction d’acteur était là pour suivre. Et pour cause : un casting comme celui-là, ça vous donne du tonus ! Guillaume Canet en rêveur loser, Zabou Breitman en femme fatale, Benoît Poelvoorde en karatéka dingo, François Berléand en producteur avide, Guillaume Ganielle en artiste refoulé, Jean-Pierre Cassel en papa poule et même un certain Jean-Claude Van Damme dans une séquence hilarante ! De ce côté, c’est vrai que tous sont au top, surtout Breitman et, comme à son habitude, Poelvoorde, qui sans spécialement varier de ses habitudes crée un personnage aux confins du dégoût mais qui nous est finalement sympathique car drôle malgré lui. C’est certainement le point fort de ce film, des personnages maîtrisés par leurs interprètes qui en tirent le maximum.

Pour le reste, hélas, c’est moins la joie. Le scénario par exemple, sur une idée de base géniale, s’essouffle sur la longueur, pour sombrer dans le classicisme (l’homme qui veut retrouver sa dignité) qui fait qu’au final, on s’ennui sur la dernière demi heure. Pour un film de 1h45, dur ! D’autant que beaucoup de détails sont en totale adéquation avec l’esprit un rien absurde qui règne dans ce film (les jumeaux assassins par exemple).

A n’en pas douter, Narco avait un potentiel extraordinaire, hélas exploité à moitié. En ressort donc un film qui ne convainc qu’à moitié, mais on attend le prochain film du duo Lellouche-Aurouret pour se faire une idée précise, car ces deux-là possèdent visiblement leur propre univers. Reste à ce qu’ils en tirent pleinement profit pour nous bluffer complètement.

Note : **

Le grand silence (Die grosse stille)


Jamais auparavant un cinéaste n’avait eu le privilège de pouvoir filmer la vie dans cette maison mère de l'ordre de Cartusien dans les Alpes français. Même les dernières photographies datent d’il y a 60 ans. D’autant plus grand donc est le mérite de Philip Gröning d’être parvenu à réaliser un tel exploit, pour lequel il n’a pas hésité à vivre six mois en tant que moine pour s’imprégner de l’ambiance des lieux.

Gröning illustre le quotidien de ces religieux, leur système d’autosuffisance, La Grande Chartreuse s’articulant comme un univers cohérent où chacun à sa propre fonction (jardinier, coiffeur, cordonnier, etc.). Certaines scènes sont à titre surréalistes, comme celle où une bnde de moines s’en va faire de la luge dans la montagne. Une manière symbolique et originale de montrer qu’en fin de compte, ces hommes sont comme tant d’autres…

Mais plus que cela, c’est la foi inébranlable de ces hommes que le cinéaste met en avant, comme lors de cette conversation avec un moine aveugle qui rend grâce à Dieu de cette cécité. Là, nous sommes en droit de nous demander si ce à quoi nous assistons est un simple documentaire inédit, ou une prise de position (pour ou contre, à l’appréciation du spectateur) d’un certain « fanatisme » si on peut dire de la part de ces hommes.

La réalisation de Gröning, d’une sobriété constante, a le mérite d’étendre le film sur 2h40 sans que cela se ressente. Il est étonnant de voir qu’à l’instar de ce monastère, le temps ne semble pas avoir d’emprise sur le film, ce qui permet au spectateur d’appréhender calmement et sûrement ce qu’on lui donne à voir. La capacité du cinéaste à étendre son film sur une durée aussi longue avec des scènes somme toute banales tient presque du… miracle. Il en résulte cependant que nous sommes comme hypnotisés par ce film qui s’installe au plus profond de nous. Kubrick souhaitait obtenir un tel résultat, Gröning y parvient ici. Et bien que le film se ressemble par moments, sans doute un effet de style de la part du cinéaste qui se joue de nos repères temporels, le film défile presque comme un ensemble de morceaux de vie distincts les uns des autres, et formant pourtant un tout cohérent.

Il reste juste un détail troublant : la composition des plans de Gröning. A les voir, on se dit que ce type est un cinéaste né, pro du cadrage et dont chaque élément inscrit dans le cadre semble avoir été pensé, tout comme le jeu des lumières et des couleurs. On en viendrait presque à se demander si le documentaire n’a pas été répété juste avant…

Un documentaire fascinant, surprenant et qui laisse une forte impression derrière lui, comme si l’on savait d’office que plus jamais on ne verrait tel documentaire. Ce qui ne doit pas être totalement faux quelque part…

Note : ***

Taxidermia


Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2006 dans la section Un certain regard, Taxidermia est une fable étrange, une saga familiale qui prend tout et tout le monde à contre-pied.

Adapté de deux nouvelles de l’écrivain hongrois Lajos Parti Nagy, le film est un véritable OVNI cinématographique, un patchwork d’images trash sur un scénario étrange. Le thème principal du film, la recherche désespérée d’amour, trouve écho dans trois histoires qui semblent distinctes mais qui forment un tout cohérent. En réalité, György Pálfi a souhaité mettre en image une vision déformée du modèle de la saga familiale défini par l'écrivain allemand Thomas Mann. Il explique : "Le modèle de Thomas Mann est le suivant : en trois générations, le grand-père lance le clan dans le monde, le père porte la famille au sommet de la société et le fils renonce aux valeurs fondatrices de la réussite. Dans Taxidermia, ce schéma est repris, déformé, amplifié et bouleversé. J'envisage ce film, l'histoire de ces trois générations, comme un film à sketches. Un film à sketches qui n'obéit pourtant pas aux règles traditionnelles du genre, car c'est bien ici une histoire complète qui en émerge. (...) J'ai voulu créer à travers ce destin un monde où résonnent des interrogations intemporelles."

Pourtant, je ne peux m’empêcher de rester sceptique quant à la morale de certains plans ; je ne parle pa tant de ces plans étranges (un homme pissant du feu…) que de ces moments douteux, à l’image de la baise du cadavre de cochon, la masturbation du soldat sur l’image de la Petite fille aux allumettes ou de ces enfilades de séquences scatos. Va pour jouer la carte de la provoc, mais il y a des limites à ne pas dépasser sous peine de libérer ses pulsions plutôt que de vouloir s’exprimer artistiquement.

Par delà l’aspect provocant, la mise en scène de Pálfi mélange les genres avec singularité. De ce côté-là, pas de doutes, le cinéaste sait ce qu’il fait, et parvient même à créer une série d’images décalées, parfois horribles mais qui laissent assurément une trace dans nos esprits, tout comme cette séquence où le fils décide de devenir une œuvre d’art (séquence infecte mais d’une redoutable efficacité dans le gore maîtrisé).

Une œuvre fascinante et dérangeante, assurément originale, trop peut-être, et dont le fond reste trop glauque pour être réellement apprécié.

Note : ***

Get Shorty


Parfois, on peut regretter qu’un réalisateur suive un effet de mode créé par un autre cinéaste ; et parfois, on ne regrette pas, comme ici avec Get Shorty.

Adapté d’un roman d’Elmore Leonard, le film s’inscrit directement dans le sillon creusé par Pulp Fiction. En effet, film « tarantinien » par excellence, Get Shorty s’amuse à présenter des gangsters plus cools les uns que les autres, où les morts sont accidentelles mais drôles (à la tête explosée dans la voiture de Pulp Fiction, on remplace un « parrain » s’effondrant d’une crise cardiaque le jour de son anniversaire).

Même le casting est influencé Tarantino : Travolta et son grand retour, de vraies gueules de cinéma (Dennis Farina) et quelques vedettes par-ci par-là qui veulent tourner dans le prochain hit commercial (Gene Hackman, Rene Russo et Danny DeVito, également producteur). Remarquez le casting se donne à cœur joie et se défoule royalement dans ce film, pour notre plus grand plaisir : entre la classe de Travolta, truand gentleman et cinéphile, un Gene Hackman en producteur de daubes et un DeVito parodiant une grosse partie des acteurs d’Hollywood, on savoure le tout comme du petit lait.

L’histoire alambiquée est digne, une fois encore, d’un Tarantino, preuve qu’Elmore Leonard reste l’une des influences majeures du cinéaste déjà culte. Magouille et compagnie à Hollywood, ce n’est pas vraiment récent, mais vu sous l’angle de la comédie ça passe très bien. Hollywood, tous pourris… selon ce film hollywoodien ! On regrettera d’ailleurs ce manque d’acidité qui aurait pu propulser le film vers les sommets, un genre d’acerbité digne d’un Boulevard du Crépuscule, mais s’il faut séduire le public il faut aussi séduire les producteurs, et forcément à ce moment-là…

Une histoire digne de Tarantino, des personnages tarantiniens, une réalisation tarantienne… Mais ce n’est pourtant pas du Tarantino ! Comme quoi… Non, il s’agit simplement du troisième film de Barry Sonnenfled, cinéaste alors en vogue après les deux premiers Famille Adams et futur réalisateur de Men in Black I & II et Wild Wild West (no comment). On peut alors mieux comprendre pourquoi ce film manque de personnalité, ce qui l’handicape fortement ; n’est pas Tarantino qui veut !

Pourtant, l’ensemble passe comme une lettre à la poste. L’humour omniprésent et le plaisir communicatif qu’on les acteurs de jouer, le tout servi par une réalisation certes impersonnelle mais rythmée, font de Get Shorty un divertissement qui a de la classe. Et ça, c’est déjà pas mal à l’heure actuelle…

Note : ***

L'auberge espagnole


Autant être honnête, je me suis senti un peu ridicule à la fin de L’auberge espagnole. Venais-je de louper quelque chose ? Ce film dont on dit tant de bien, n’était-il finalement qu’un faux semblant de réussite salué par une critique française égocentrique ?

Le début réconfortait pourtant : sur un ton un peu décalé, un jeune étudiant coincé doit partir en erasmus à Barcelone histoire d’avoir une bonne place une fois le diplôme en poche. Très vite plongé dans la cité hispanique, où sa seule attache est un couple de français dont la femme, aussi coincée que lui, ne laisse pas indifférent notre étudiant, on doit pourtant attendre un petit moment avant de voir pointer cette fameuse « auberge espagnole » où Allemagne cohabite avec Angleterre et autre Italie. Le constat est simple : cette maison représente, à sa manière, l’Europe actuelle, bordelique à souhait, avec une bonne entente peut-être mais ça dépend quand même des moments.

L’ennui, c’est que l’on sombre vite dans le stéréotype : l’Anglaise très stricte sur la propreté, l’Italien beau gosse, l’Allemand très précis dans ses travaux, l’Espagnole très… séduisante, etc. Là, le film perd pas mal de la crédibilité qu’il avait pu obtenir avec son aspect réaliste : cohabitation pas toujours facile, beuverie entre amis, petits tracas entre les couples… Le film surfe donc entre deux eaux alors qu’une seule nous plait vraiment.

Romain Duris semble, par ailleurs, étonnamment sage, loin de ses personnages un peu barrés dont il a l’habitude et dans lesquels, il faut le dire, il excelle. Ok que le héros se doit d’être réservé, mais arrivé un moment le changement est trop radical pour être réellement convaincant. Du coup, les autres profitent de l’occasion pour se surpasser entre eux, et c’est l’Anglaise Kelly Reilly et la Belge Cécile de France qui remportent le morceau. Un bien pour un mal finalement, même si Romain Duris n’est pas mauvais non plus.

Reste la mise en scène de Klapisch, qui tente quelque chose de nouveau par moments mais abuse aussi parfois des effets faciles et, en fin de compte, inutiles, comme cette multitude de splits-screens tout au long du récit. Klapisch mise quand même tout sur la mise en scène, puisqu’il faut avouer que son scénario est trop léger pour pleinement tenir le spectateur en haleine, et si quelques réflexions pseudos philosophiques prêtent à sourire ou même à réfléchir, ça ne fait pas tout. Un peu plus de travail (mais il faut dire que Klapisch se concentrait surtout à l’époque sur la production de Ni pour, ni contre (bien au contraire)) n’aurait pas té un luxe, et L’auberge espagnole aurait alors pu atteindre les sommets.

Dommage donc, que le film ne tienne pas toutes ses promesses. Oh ça oui, on a envie de partir en erasmus quand on voit le film ; mais était-ce le seul but ?

Note : **

Paris brûle-t-il ?


Fort du succès du Jour le plus long, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un producteur ait tenté de faire lui aussi son film de guerre au casting 5 étoiles. C’est surtout pour ce facteur économique que naquît Paris brûle-t-il ?

Il faut dire que les noms font rêver : le casting est vraiment démentiel ! Hélas, comme souvent, posséder une telle affiche implique des contraintes, comme le fait de ne pas pouvoir profiter assez de certains acteurs. Les grands rôles attribués à Belmondo, Delon ou Frobe ne parviennent ainsi pas à nous faire oublier la trop courte apparition d’Yves Montand, Simone Signoret ou Trintignant.

L’histoire, bien sûr (nous sommes sous la présidence de Charles de Gaulle à l’époque), exalte le sentiment nationaliste français, et démontre que de tous les résistants les parisiens furent les plus braves. Un peu abusé non ? Evidemment, il fallait saluer le courage de ces hommes et femmes qui se sont battus au nom de la liberté, mais attention cependant à la manœuvre…

Vient ensuite la réalisation de Clément, mélangeant prises de vue réelles et images documentaires. Clément a pu bénéficier d’un privilège pour ce film : les rues de Paris furent en effet fermées à la circulation, à condition qu’il tourne dès 5 heures du matin. Et cela fait bizarre de voir la capitale déserte, seule face aux conflits qui l’occupe. Mais bien plus encore, Clément apporte beaucoup de soin aux détails ce qui donne au film une toute autre ambiance. Le cinéaste garde une certaine efficacité même si on sent que le film a sensiblement vieilli.

Les acteurs bien sûr, inutile d’en parler sauf si on veut faire des comparatifs. Gert Frobe et Orson Welles sont géniaux, on notera une des rares scènes du cinéma qui réunit Delon et Belmondo dans le même plan… Hélas, comme dit précédemment, la multiplicité es personnages ne permet pas de les creuser en profondeur, ce qui nous empêche de vraiment s’y attacher, et leur trop grand nombre diminue aussi le temps à l’écran de chacun. On s’y fait mais on reste un petit peu déçu quand même.

Outre son succès public, Paris brûle-t-il ? fut aussi un succès critique (sauf bien sûr parmi les critiques de la Nouvelle Vague) puisqu’il fut nominé aux Oscars 1967 dans les catégories Meilleur direction artistique, Meilleur décors et Meilleure photographie. Quant à Maurice Jarre, il a été cité pour sa composition musicale lors des "Golden Globe" la même année, composition qui est aussi géniale que celle pour Le jour le plus long il est vrai.

Une superproduction mondiale qui hélas n’est pas épargnée par le temps, mais dont les seuls noms à l’affiche valent le déplacement. Histoire de voir à quoi ça ressemble, d’autant qu’au final le résultat est plus que correct.

Note : ***

Transamerica


Abordant frontalement la question de la transsexualité, Transamerica est une fable douce-amère sur les liens familiaux, la connaissance de soi-même ainsi qu’une attaque en règle de la pudibonderie américaine.

Il est des sujets délicats que l’on aborde rarement au cinéma. Tel est le cas de la transsexualité qui, bizarrement, connaît moins de succès que l’homosexualité (voir le récent succès de Brokeback Mountain). Sans doute pense-t-on que le sujet est trop sensible ou pas encore assez encré dans les mœurs pour être aborder librement. D’autant plus grand donc est le mérite de Duncan Tucker d’avoir choisi cette histoire pour son premier film. Et plus grand encore est mérite de ne pas avoir sombré dans le voyeurisme glauque ou simplement dans le tragique. Tucker signe en effet un film émouvant, dont on ne sait dire s’il s’agit d’une comédie dramatique ou d’un drame comique. Mine de rien, il dresse le portrait d’une famille en voie de recomposition tout comme il dessine, à travers le voyage initiatique des deux interprètes principaux, le portrait d’une Amérique qui refuse d’avancer, très conservatrice dans ses mentalités et très libre dans ses actes. On condamne l’homosexualité, la transsexualité mais beaucoup plus qu’on ne croit la pratique.

Transamerica se distingue également par cette capacité à filmer l’émotion de manière calme et distinguée, comme lors de la découverte de la transsexualité de Bree par son fils. Au fil des séquences, aucun ne sombre dans le stéréotype et, de manière discrète, s’inscrit dans nos mémoires de manière étrange. La délicate relation d’amour qui se crée entre Bree et Calvin, le repas de famille au restaurant sont autant de scènes quasi anodines mais abordées de manière profonde, sans esbroufe mais remarquables. Rien d’étonnant dès lors que Tucker ait reçu plusieurs prix pour son scénario, dont à Deauville et aux Independent Spirit Awards 2006.

Le film est porté par une Felicity Huffman étonnante, connue pour la série Desperate Housewives et nominée aux Oscars 2005 pour ce rôle. Elle compose un père (?!) extraordinaire, qui en viendrait lui aussi presque conservateur alors qu’il cherche à devenir une femme ! La préparation que Felicity a enduré (transformations vocales et physiques) lui a cependant permis d’être elle aussi multi récompensée, comme au Festival de new-yorkais de Tribeca et, une fois encore, aux Independent Spirit Awards 2006, sans oublier le Golden Globe et la nomination aux Oscars… Il ne faudrait cependant pas oublier le surprenant Kevin Zegers, si convaincant qu’on espère entendre rapidement parler de lui à nouveau.

Un film qui, outre deux performances extraordinaires (même si les seconds rôles sont bons aussi), offre un regard tantôt tendre tantôt acide sur l’american way of life. Vivement le prochain film de Tucker !

Note : ***