jeudi 14 août 2008

Sweeney Todd


L’adage veut que l’audace est souvent payante. Il y a toujours l’exception qui confirme la règle : ici en l’occurrence, ce serait le Sweeney Todd de Tim Burton.

La légende de Sweeney Todd appartient à la culture populaire. Personnage de fiction popularisé par le récit de Thomas Peckett Prest intitulé The string of pearls : A Romance, il est un barbier londonien du début du XIXe qui tranchait la gorge de ses clients et se débarrassait de leurs cadavres avec la complicité de sa maîtresse. Stephen Sondheim en fera une comédie musicale en 1979, d'après la pièce originelle datant du milieu du 19e siècle et écrite par Harold Prince. Le spectacle a remporté un succès triomphal sur les planches américaines et britanniques, et a très vite intéressé les studios. Pensez donc : 25 ans qu’ils sont sur le coup ! Les noms ont défilés, aussi bien à la réalisation (Alan Parker, Sam Mendes) que pour le rôle principal (William Hurt, Michael Douglas, Harrison Ford, Dustin Hoffman, Robert De Niro, Al Pacino, Richard Dreyfuss, Gene Hackman, Robert Redford, Jack Nicholson, Steve Martin, Tim Curry, Kevin Kline, Warren Beatty et Russel Crowe) mais c’est finalement la coqueluche gothique des studios, Tim Burton, et son véritable jumeau de Johnny Depp (sixième collaboration en 18 ans) qui ont remporté le morceau. Côté féminin, tout n’a pas été de tout repos non plus : Meryl Streep, Imelda Staunton, Cyndi Lauper, Emma Thompson, Annette Bening et Toni Collette ont jouées des coudes pour le rôle de Mrs Lovett, mais c’est finalement Helena Bonham Carter (madame Burton à la ville pour rappel) qui a su s’imposer, non sans avoir du convaincre Stephen Sondheim au préalable.

Le film est alors lancé, et tandis que Johnny Depp apprend à chanter entre deux scènes de Pirates des Caraïbes, que Sacha Baron Cohen apprend à raser auprès de son barbier ou qu’Helena Bonham Carter suit des cours de boulangerie (!), Tim Burton prépare sa tragicomédie musicale, sous influence de la Hammer, de Boris Karloff, de Lon Chaney, de Peter Lorre ou même de Guignol ! Le succès sera au rendez-vous puisque le film recevra deux Golden Globes 2008 : Meilleure comédie musicale et Meilleur acteur dans une comédie musicale pour Johnny Depp.

Mais force est de constater que, si réaliser une tragédie musicale à la sauce gothique est plutôt un concept sympa, le film ne tient pas toutes ses promesses.

La chose qui énerve le plus est sans doute… les chansons ! Critique pour le moins paradoxal dans ce genre de film, mais force est de constater que Tim Burton ne semble pas avoir le sens du rythme comme l’avait par exemple un Vincente Minnelli ou un Stanley Donen : en moyenne, il ne se passe pas 7 minutes de film sans qu’une chanson n’intervienne. Pourquoi pas après tout, mais le problème vient du fait qu’il s’agit toujours de la même chanson (à quelques variations près) et qu’à la longue, c’est lassant. On regrette vivement que Danny Elfman ne soit pas aux commandes de la piste musicale, mais c’est comme ça.

Second problème majeur, l’absence de personnage attachant dans le récit. Il faut bien dire que tous les personnages, à l’exception du jeune couple guimauve (donc exaspérant) et amoureux, aucun personnage ne mérite de salut ; aussi lorsque l’un d’eux meurt, cela laisse indifférent. Ce manque de relation entre le spectateur et les personnages peut s’avérer déstabilisant et, dans un deuxième temps, totalement raté.
Enfin, on regrettera de voir qu’un cinéaste aussi poétique que Tim Burton sombre ici dans une violence de tous les instants : il est bien loin son monde de Barbie d’Edward aux mains d’argent, ou même le nostalgique Los Angeles d’Ed Wood, ici place au lugubre et sale Londres, infâme ville où les ordures matérielles côtoient les ordures humaines. Pour colorier cette ville noir et blanc (aspect stylistique intéressant par ailleurs, pour un film couleur) Burton déverse des litres et des litres de sang rouge épais, sans détour, giclant parfois sur la caméra. On se moquait du caractère Disney de Burton, on en vient très vite à le regretter.

C’est d’autant plus dommage que les acteurs se défendent dans l’ensemble assez bien, même si l’on regrettera de ne pas voir un Alan Rickman plus habité, ou tout simplement un Christopher Lee initialement prévu mais finalement retiré du projet. Johnny Depp effectue une jolie performance vocale, mais il lui arrive d’en faire parfois un peu trop. Celle qui tire son épingle du jeu reste indiscutablement Helena Bonham Carter, superbe en « sorcière » ambitieuse et amoureuse, drôle et émouvante tout en étant machiavélique.

L’aspect visuel du film, comme cité plus haut, est intéressant dans sa photo, film en couleur lorgnant très souvent vers le film en noir et blanc par l’utilisation de couleurs ternes et froides (qui font encore mieux ressortir le rouge du sang).

Mais des acteurs sympathiques et une photographie intéressante ne sauvent pas le film, qui plus est comporte des longueurs et des ficelles narratives usées (la clocharde folle à lier par exemple). Sweeney Todd apparaît dès lors comme un film en demi-teinte, dont on ne reconnaît que quelques bribes du Tim Burton des grands jours, comme si le réalisateur était tellement obsédé par ce projet qu’il aurait accepté de faire des compromis avec l’auteur original et les studios. Dommage.

Note : **

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