mardi 31 janvier 2006

I Vitellonni


Le film qui révéla Federico Fellini au monde entier que ce I Vitelloni.

Avec près de 50 d’avance, Fellini abordait déjà le phénomène « Tanguy » exploité récemment par Etienne Chatiliez, qui veut que les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents, parfois même quand ils ont plus de 30 ans. Au lendemain de la Seconde Guerre, Fellini décrit donc le quotidien d’une bande d’ami, tous chômeurs, vivant chez leurs parents, totalement inutiles à la société, surnommés péjorativement les Vitellonni.

Troisième film du maestro, I Vitelloni est ce qu’on peut appeler la synthèse de deux univers radicalement différents : d’une part le néo-réalisme, dont Fellini a assimilé les caractéristiques en travaillant avec Roberto Rossellini sur Rome, ville ouverte, et l’univers fellinien qui commençait déjà à se dessiner : une partie autobiographique, quelques personnages stéréotypés à outrance (le père sévère mais qui aime son fils, le frère protecteur…) et un humour relativement décalé (comme cette course-poursuite entre les Vitelloni et les ouvriers qu’ils ont insultés sur la route, ou le caractère homosexuel de l’acteur préféré de l’écrivain du groupe).

Travaillant déjà avec Nino Rota, Fellini parvient à insuffler au film une dimension tragi-comique, où la b.o. laisse perplexe aussi, dans une mélancolie douce-amère à la fois terriblement jeune et pourtant si désespérée. Sans conteste une des partitions les plus réussies du duo.

Fellini démontre aussi une habilité déconcertante à manier la caméra, aussi à l’aise avec elle que s’il ne l’était avec une plume (en tant qu’ancien journaliste) ou un crayon (en tant qu’ancien caricaturiste). Il parvient en effet, preuve qu’il faisait déjà partie des grands, à capter l’air du temps, et à la retranscrire à l’écran sans pour autant que son film se démode avec les années. Sans doute car, dans le fond, il y a quelque chose d’humain, à la fois de drôle et de pathétique dans cette génération sans buts, sans passé et peut-être sans avenir…

On pourra apprécier les acteurs qui, à défaut d’être parfaits, restent cohérents tout au long du film, cherchant constamment la justesse. Dommage tout de même que le film ne bénéficiait pas encore de la présence d’un Mastroianni…

Fable tragi-comique et hommage à une jeunesse désabusée, comme le fut celle du maestro, I Vitelloni fait partie de ces classiques incontournables, à l’époque où Fellini était encore un cinéaste universel et, déjà, un maître du septième art.

Note : ****

vendredi 20 janvier 2006

Le monde de Narnia : chapitre 1 - Le lion, la sorcière blanche et l'armoire magique (The Chronicles of Narnia : The Lion, the Witch and the Wardrobe)


Il est de ces films, péjorativement nommés « ersatz », qui n’aurait jamais au grand jamais vu le jour sans le succès d’un autre film. En bon cinéphile, on peut dire sans se tromper que Le monde de Narnia fait partie de cette détestable catégorie.

Comme tout le monde l’aura remarqué, Narnia est un peu le Seigneur des Anneaux pour enfants de moins de 10 ans. Il faut dire que ça se chamaillait déjà dur entre Tolkien et C.S. Lewis à la sortie de leurs livres respectifs, ressemblant étrangement l’un à l’autre. Forcément, le résultat s’en fait ressentir ici.

On propose donc dans les studios Disney, après les quelques centaines de millions gagnés par la trilogie de Peter Jackson, de réaliser leur propre série de monstres à gogos et d’actions braves et mythiques. Petit bémol : on est chez Disney ! Je vous éviterai donc les passages récurrents de manichéisme dégoûtant, de bons sentiments exacerbés et également dégoûtant sans oublier la platitude du propos (une famille, quoiqu’il arrive, ça doit rester soudée !). Ah oui, pour conclure la série des erreurs : c’est Andrew Adamson, chouette réalisateur… d’animation (série des Shrek) qui se colle à la mise en scène.

L’avantage, c’est que les effets spéciaux sont réussis. Il en aurait été sûrement autrement si ce n’était pas la majorité de l’équipe du Seigneur des Anneaux, qui réchauffe quelques maquillages pour l’occasion, en charge de cette lourde responsabilité. Car oui il faut bien le dire, les effets spéciaux et les maquillages sont les seuls intérêts du film, et la seule raison qui empêche le film de sombrer d’ores et déjà dans l’ombre.

Pourquoi ? Parce que rien ne suit. Ni la mise en scène, ni les acteurs, ni le scénario.

La mise en scène est un échec en ce sens qu’elle ne cherche pas, d’une part, à donner un quelconque relief au récit pensant qu’il se suffira à lui-même : grave erreur. D’autant que de la part du réalisateur des Shrek, on était en droit de s’attendre à de l’insolent, au minimum à de l’inventivité en tout cas ; rien, absolument rien ! A croire que Disney l’a placé là dans le but d’attirer le public… Qui ignore le plus souvent le nom des réalisateurs d’animation…

Viennent ensuite les acteurs, pauvres enfants perdus dans cette grosse production qui n’ont même pas un air de ressemblance… Grave pour quatre frères et sœurs… Et puis on ne peut pas trop les blâmer, leur première apparition devant une caméra se faisant avec des personnages stéréotypés au possible (la petite sœur incomprise, le moyen jaloux du grand frère, la grande sœur récalcitrante à l’aventure) et face à une Tilda Swinton qu’on a connu bien plus inspirée et qui, malgré elle, ne convient absolument pas au rôle. Sans chercher à être méchant, ce sont encore les effets digitaux les plus crédibles…

Vient finalement le scénario, si on peut appeler ça comme cela, inégal et inabouti. Beaucoup trop facile dans sa construction (telle réplique sera réutilisée plus tard dans un but comique, etc.) et beaucoup trop faible dans son rythme (un début très long pour un final déjà plus équilibré), le scénario est surtout prétexte à une succession de scènes fortes, du bombardement de l’Angleterre du début à l’unique moment intéressant du film : la bataille dans la plaine. Calquée Seigneur des Anneaux mais pour petits, cette scène est visiblement le seul point sur lequel misait les producteurs, espérant ainsi attirer le même nombre de spectateur que Le retour du Roi sans doute. C’est peut-être aussi le seul moment du film où il semble y avoir une envie de mettre en scène et de monter quelque chose… On regrettera aussi, et c’est là que le bât blesse vraiment, un réel manque de profondeur dans le discours, une histoire toute en surface sans aucun message même destiné aux enfants. Le Seigneur des Anneaux avait au moins la délicatesse de contenir quelque chose d’un peu psychologique, d’un peu trouble dans son univers, élément que Disney a fait disparaître au profit d’un récit nunuche où quasiment rien ne se passe.

Je crois qu’il vaut mieux en rester là, par respect pour ceux qui aimeront le film. Pour les autres, une dernière anecdote : le budget du film est estimé à 160 millions de dollars. Ce qui représente 130 Free Zone d’Amos Gitaï ou 8 Sideways d’Alexander Payne ou encore 6 Closer de Mike Nichols, sans compter la multitude de Broken Flowers, Trois enterrements et autres Match Point réalisables avec un tel capital. Dur dur d’être un auteur intègre qui ne se complaît pas dans le système mal géré de l’entertainment américain, profit de grosses productions inutiles aux œuvres plus personnelles qui, heureusement, rappellent que le cinéma est considéré comme le septième Art…

Note : * (et je suis très généreux)

Harry Potter et la coupe de feu (Harry Potter and the goblet of fire)


Quatrième volet (et accessoirement le plus abouti) de la saga Harry Potter que cet Harry Potter et la coupe de feu.

Il faut dire qu’au fil du temps, la saga va être de plus en plus sollicitée, pour voir comment on adapter des romans de 700 pages dans un film de 2h30. Et bien, pour quelqu’un qui n’a pas lu les livres, je dois admettre que cette adaptation est tout simplement brillante !

Commençons par le commencement. Il y a tout d’abord le trio d’acteurs vedettes, à savoir Daniel Radcliffe, Rupert Grint et Emma Watson. Si dans Harry Potter à l’école des sorciers leurs interprétations étaient, sans être péjoratif, niaises (ils n’avaient que 11 ans aussi, et n’est pas Haley Joel Osment qui veut), ils semblent gagner avec l’âge un certain talent en plus d’une maturité nécessaire à l’évolution des personnages. Si Emma Watson l’avait compris depuis Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, il s’agit cette fois de Daniel Radcliffe qui, de plus en plus surprenant, tire le film à lui seul, éclipsant presque le reste du casting pourtant prodigieux. Inversement, on pourra accuser la réalisation de consacrer, tel un Tom Cruise dans La guerre des mondes, 85% du film à montrer Harry dans tous ses états…

Il reste que Radcliffe est merveilleux, faisant presque un sans-faute. On attend donc la révélation du talent de Rupert Grint dans le prochain, vu que cette fois il nous laisse un peu sur notre faim…

Mais le vrai charme du casting réside, comme dans les autres épisodes, aux seconds rôles : outre les récurrents Alan Rickman (tantôt inquiétant tantôt hilarant, comme dans cette scène où il punit Harry et Ron en plein cours), Maggie Smith (toujours aussi flegmatique) ou Robbie Coltrane, sorte d’Hagrid version gros nounours et complètement in love ici, on découvre également de nouveaux visages très intéressants, comme celui de Stanislas Ianevski, fils spirituel de Lénine et de Raspoutine, et surtout Ralph Fiennes, choisi pour le rôle de Lord Voldemort pour lequel, visiblement, il a pris plaisir à jouer. Ce n’est pas une faute au vu de sa prestation, diabolique et sadique à souhait, aidé en plus par un maquillage qui le rend encore plus effrayant. Sans oublier Miranda Richardson, géniale en journaliste fouineuse, légère attaque en règle des paparazzis, et Brendan Gleeson, limite schizophrène et terriblement jubilatoire dans son rôle de prof dérangé. On regrettera juste que Michael Gambon qui ne parvient pas à faire oublier Richard Harris dans le rôle de Dumbledore, surjouant même par moments ce qui plombe considérablement la scène (l’inscription d’Harry dans le Torunoi…)

Autre atout majeur : l’importance des frères Weasley. Les jumeaux se mettent en effet en avant pour faire rire avec leurs pitreries. Effet non négligeable, Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban étant certes réussi mais loin d’être drôle.

Ici, le choix de Mike Newell aux commandes change la donne. Certes, il y a ce quota d’effets spéciaux à respecter, histoire d’en mettre plein les mirettes au public, comme dans l’arrivée des différentes écoles à Poudlard ou le combat d’Harry contre Voldemort, sans oublier les trois épreuves du tournoi, véritables moments de bravoures et de prouesses techniques.

Mais Mike Newell, c’est surtout un réalisateur confirmé, aussi à l’aise dans la comédie tout public (Quatre mariages et un enterrement) que dans le film plus subtil (Donnie Brasco). Il sait donc ce qui plaira au plus grand nombre mais également à un public plus friand de psychologie. C’est sans doute pour cela qu’il offre la dose de spectacle nécessaire (les épreuves, la fuite durant la coupe du monde de Quidditch) mais en délaisse un peu (le tournoi de Quidditch, vite bâclé) pour s’attacher à une évolution des personnages, à leur entrée dans un monde plus « adulte » avec ses doutes (l’amitié ébranlée entre Harry et Ron) et ses petits soucis (les premiers amours, les premières jalousies…). Ce qui confère au film une touche plus humaine ; pour un film fantastique, une aubaine.

Dernier avantage de Mike Newell : il est Britannique. L’intérêt ? Harry Potter est Britannique aussi, et Poudlard se situe en Angleterre… Vu comme ça, on ne regrettera pas l’Américain Chris Colombus ni le Mexicain Alfonso Cuaron, remplacé au profit d’un style so british mettant l’accent sur l’atmosphère qui règne au sein d’une école comme Poudlard, portrait craché de certaines High School anglo-saxonne.

Le seul bémol du film, s’il s’agit bien d’un bémol (c’est selon les points de vue), c’est de cibler réellement le film sur les adolescents et les adultes. Sans nager du côté des eaux troubles du cinéma d’angoisse, Harry Potter et la coupe de feu a une certaine tendance à privilégier le sombre, les ténèbres, le Mal dans toute sa splendeur. Rien de bien méchant ou de bien effrayant mais au vu de certaines scènes (la « résurrection » de Voldemort en est le plus bel exemple) on peut comprendre pourquoi le film a reçu la mention qui l’interdisait aux enfants de moins de 10 ans dans certains pays…

Un épisode résolument adulte, sombre, abouti, à la fois détaché du reste de la série et pourtant dans sa plus pure tradition ; en un mot, le meilleur film de la saga à ce jour.

Note : ****

Match Point


Le très grand retour de Woody Allen que ce Match point !

Il faut dire que depuis quelques années, Woody ne nous avait plus vraiment séduit comme autrefois : Escrocs mais pas trop, Le sortilège du scorpion de Jade, Hollywood ending… Sympathiques mais sans plus. Pas de quoi se relever la nuit, vraiment. Alors bon, voilà que pour ce film il quitte sa Big Apple pour le brouillard anglais, avouez que ça nous laissait perplexe un Allen sans New-York en toile de fond ! Alors on ose quand même demander une place pour le film… et quelle claque positive !

A croire que l’air pur (et humide) de Grande-Bretagne et un peu de sang neuf dans les acteurs a revigoré le petit Juif !

Ne vous trompez quand même pas : Match point n’est pas une comédie. Même s’il n’est pas fini, il est bien loin le temps où on apprenait que Woody était le caméléon Zelig, où il copiait Castro ou encore où on apprenait que faire l’amour avec lui était kafkaïen… En plus Woody ne joue même pas… Mais soit, le résultat est là, Allen est bel et bien de retour dans la cour des grands !

Pour son histoire d’abord : cette fois encore l’influence de Dostoïevski est flagrante, elle qui avait déjà inspiré tout le récit de Crimes et délits. Ici encore, le style de l’écrivain se fait ressentir dans le film, surtout qu’Allen annonce clairement la référence en faisant lire Crimes et châtiments à Chris dès le début du film.

Allen quitte aussi la religion, sujet futile pour lui maintenant (« la foi est le miroir de nos illusions » dixit le cinéaste) pour s’attarder un peu plus sur un phénomène étrange : la chance. A noter une scène d’intro remarquable ou une balle de tennis vient rebondir sur un filet ; de quel côté va-t-elle tomber ? Si c’est de l’autre côté, on a gagné ; si c’est du nôtre, on a perdu. Et la vie, c’est comme une balle de tennis : on va dans tous les sens, parfois vite parfois non, et on attend un coup décisif qui marquera la fin de notre vie, un point de match.

Vient ensuite la réalisation. Allen, on fera ce qu’on voudra, c’est un homme, et comme tout homme il vieilli et mûrit. En découle dès lors une réalisation beaucoup plus calme, plus sobre, proche de l’académisme ; tant mieux, le récit supposait justement ce genre de mise en scène. D’autant qu’Allen garde son style, tant par les thèmes abordés que par quelques dialogues bien sentis (rares mais bien présents).

Et pourtant la classe du film ne réside pas uniquement là : elle tient surtout des interprétations d’une brochette d’acteurs tous au plus incroyable les uns que les autres. Trio vainqueur : Jonathan Rhys-Meyers, tout en subtilité (décidemment il m’impressionne depuis Velvet Goldmine lui), Scarlett Johansson, d’une rare sensualité (et aussi belle que talentueuse, c’est dire), et Emily Mortimer, d’une justesse sans égale. Ajouter à cela un Matthew Goode remarquable en bourgeois sympa mais cynique, et un Brian Cox en père relax hélas trop rare.

Direction d’acteur remarquable, réalisation qui égratigne plus les arrivistes que le milieu bourgeois (bien qu’il ait aussi deux ou trois petites attaques en règle) et scénario à tendance pessimiste, machiavélique et à l’humour aussi noir que la mort, Match point prouve un retour en forme de Woody Allen ; en espérant que ça va durer, le film fait jeu, set et match.

Note : ****

lundi 16 janvier 2006

Closer


Un drame pseudo-érotique assez froid et un sommet d’interprétations que ce Closer.

Il faut dire que dans le genre provoc’, Mike Nichols n’est pas de ceux à qui on apprend mais de ceux qui apprennent : Le lauréat, Ce plaisir qu’on dit charnel sont là pour le confirmer. Pourtant, ces derniers temps, le cinéaste n’avait plus trop la cote, et son acteur fétiche alias Jack Nicholson commence à devenir un peu trop vieux pour jouer les jeunes séducteurs.

Nous voilà donc plonger dans un quatuor de passions et de trahisons, avec comme point commun le désir sexuel. Une histoire bien dans la tradition du cinéma de Nichols de ses débuts.

Sauf qu’ici, alors savoir, on se moque de l’histoire. Dans le fond, on peut même dire qu’elle est très banale voir presque bâclée. Les ellipses sont nombreuses si bien qu’on traverse près de quatre ans de relations en à peine 1h25. A tel point que le film défile à une vitesse vertigineuse, sans qu’on ait le temps de regarder sa montre pour savoir depuis combien de temps c’est commencé… Mais il n’y a quand même rien à faire, au final, on a l’impression d’avoir assisté à un film léger, sans fond, sans même d’apport au genre…

Où se trouve l’intérêt du film alors ? Eh bien dans sa réalisation et ses interprétations, sans aucun doute.

Tout d’abord la mise en scène : à son âge, Nichols n’a plus rien à prouver aux autres ni même à soi-même. Il en profite dès lors pour prendre son temps, délimiter son espace et son univers, le dessiner pour mieux le peaufiner, mettre en avant ses thèmes et magnifier ses acteurs. C’est ainsi qu’on assiste à une démonstration de savoir-faire, d’un sens du cadrage travaillé à la composition de plan, savant mélange de couleurs, d’émotions et de tensions.

Et pourtant on est encore loin du véritable attrait du film, du petit plus qui fait qu’on désire rester jusqu’à la fin : le casting. Quatre ténors de l’interprétation et, accessoirement, des sex-symbols en puissance : Jude Law, Nathalie Portman, Clive Owen et Julia Roberts. Rien que ça. Ce qui impressionne, c’est que, visiblement, Nichols leur a laissé une énorme liberté tout en les dirigeant d’une main de fer (qui a dit paradoxal ?), leur accordant surtout une totale dépendance à leurs dialogues. Autant être prévenu, Closer est bavard, très bavard. Pourtant, les discours virent rapidement et souvent à la joute verbale entre les protagonistes, histoire de voir qui récite mieux son texte parmi ces quatre vedettes. Un plaisir évident d’acteur de se mesurer aux autres sous l’œil séduit et amusé d’un Nichols tout en sobriété dans la mise en scène et luxe dans la composition d’image.

Note : **

vendredi 13 janvier 2006

Culloden


Le premier film et le premier coup de génie de Peter Watkins qu ce Culloden.

Resituons le contexte historique : 1746, Ecosse. L’Angleterre envoie une armée vaincre une fois pour toute les rebelles des highlands. Après une lutte sanglante, les Ecossais sont vaincus et voit le sort de leur pays scellé à tout jamais, alors que les soldats britanniques ont pour ordre de « nettoyer » l’Ecosse de ce qu’il reste de rebelles…

La bataille de Culloden est souvent citée comme « la bataille la plus mal menée de toute l’histoire de Grande-Bretagne » ; il faut dire que face aux canons et fusils de l’armée britanniques, commandée par des officiers expérimentés, se trouvent une poignée d’hommes, le plus souvent enrôlés de force, ne dépassant pas toujours 15 ans et sans le moindre équipement adéquat si ce n’est un vulgaire sabre, le tout commandé par des officiers sans expérience, alcooliques et « débiles »…

Tous les ingrédients sont donc réunis pour faire de ce film un documentaire historique certes intéressant mais relativement classique ; c’était sans compter sur Peter Watkins, cinéaste déjà atypique à ses débuts, Culloden étant son premier film. Il avait alors 29 ans.

L’art de Watkins peut en effet se résumer en un mot : connexion. Connexion entre la fiction et le documentaire, connexion entre les codes du cinéma et ceux de la télévision, connexion enfin entre l’écran et le spectateur… Watkins filme donc cette bataille et ses conséquences comme un reportage télévisé : caméra à la main, interviews des deux camps, données scientifiques, commentaire en voix-off… Intérêt d’une telle mise en scène ? Un déséquilibre total de la notion du temps, à partir du moment où nous avons l’impression de vivre cet événement comme s’il se déroulait actuellement, presque en direct. Watkins poussera constamment cette idée, son paroxysme arrivant avec La Commune (Paris, 1871) où, carrément, une équipe de télévision locale filme la révolte parisienne avant même l’invention de la télévision…

Déformation journalistique oblige, Watkins approche son récit d’un triple point de vue : celui des Ecossais, celui des Anglais et le sien. Evidemment, aucun n’est totalement objectif, mais la démarche de Watkins, anarchiste convaincu, est d’une telle puissance narrative qu’on en vient à adhérer ses opinions : ce sont les autorités les responsables de tous les malheurs. Pour preuve, ce sont les officiers et le Prétendant qui causent la perte de l’armée écossaise, tandis que les officiers britanniques tolèrent, pire, pratiquent les pires horreurs sur le peuple écossais. Dans l’ensemble, il montre aussi le caractère borné des Ecossais durant la bataille à tolérer une alliance entre clans, tandis que les soldats anglo-saxons ont soif de meurtres et d’anéantissement de toute une race, celle des Higlanders (rien à voir avec le nanar de Christophe Lambert…). En à peine 1h10 de film, Watkins vient de démontrer la stupidité de la guerre (la mort d’enfants, les retombées sur le peuple, le massacre parfois fraternel…) et de l’armée, les conséquences de l’avidité (la mort de centaines d’Ecossais pour un Prétendant que personne n’aimait) et les conséquences qu’eurent une telle bataille, c’est-à-dire conduire à l’extermination d’une race toute entière, de ses cultures et traditions à tout ce qui pouvait rappeler son existence…

A plonger le spectateur comme « témoin » de l’action, Watkins parvient à créer un film intemporel, au discours universel et humaniste, lui qui s’est toujours posé comme ardent défenseur de la paix entre les hommes. Culloden, l’exemple type qu’un premier film peut être une franche réussite et annoncer l’arrivée d’un immense cinéaste dans le paysage cinématographique…

Note : ****

PS : pour tout ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur l’oeuvre de Peter Watkins, je conseille vivement ce lien http://www.objectif-cinema.fr/article.php3?id_article=2804 qui offre de très bonnes bases sur la filmographie(de War Game à La Commune (Paris, 1871)) de Watkins et son approche du cinéma.

The French Connection


French Connection, ou la petite révolution du genre dans les années 70.

Tout commence à New-York où deux flics loin d’être tendres apprennent l’existence d’une importante livraison de drogue via une filiale française. Commence alors le petit jeu du chat et de la souris, filatures et indics en prime.

Ne tournons pas autour du pot, French Connection est le type même de film qui s’inscrivait dans l’esprit seventies : abandon des codes du genre, explosion d’un jeune talent (William Friedkin, futur monsieur Exorciste), confirmation d’un autre (Gene Hackman) et un scénario fort, très fort qui dynamite le cinéma comme jamais après la mort du Code Hays.

C’est ainsi que French Connection s’inscrit comme un film policier violent, sans concession, n’ayant pas peur de montrer du brutal quand il faut. C’est aussi une levée de tabous, comme cette (très) jeune fille que Jimmy Doyle drague puis avec qui il va faire des jeux sexuels étranges… Je passerai la descente de flics dans le bar ou encore la scène d’intro où Hackman et Scheider maltraitent un malfrat… C’est aussi une succession de moments d’anthologie, dont le plus beau et le plus captivant du film est sans conteste cette course-poursuite du métro. Avant, c’était Bullitt qui avait le plaisir d’être la plus belle scène du genre ; sauf que Bullitt, c’était planifié, calculé, maîtrisé à la seconde, tandis qu’ici c’est de l’impro totale. C’est ainsi que l’accident que subit Gene Hackman est bien réel… Ca joue presque un rôle métaphorique, dans le sens où l’assassin provoque une scène violente tandis que le « cerveau » de l’opération s’amuse avec Hackman dans le métro, en jouant au chat et à la souris.

Un Gene Hackman hallucinant par ailleurs, même si, d’un avis strictement personnel, il ne s’agit pas là de son meilleur rôle (ah Conversation secrète…). Le secret ? Un réalisateur effroyable. En effet, Fridekin voulait obtenir n maximum de vérité dans son film, d’où un tournage en extérieur. Ce qui impliqua que Gene Hackman passa des heures dans un des hivers les plus glacials qu’ait connu les USA, histoire de marquer physiquement et mentalement son acteur…

C’est peut-être d’ailleurs à ça que French Connection doit son succès, ainsi que sa légende, à cet aspect quasi-documentaire, tant dans le cadrage que dans les mouvements de caméra et surtout dans le jeu des acteurs, à vifs, tous sans exception. Avec son film, Friedkin prenait vraiment tout le monde à contre-pied, où on ne sait finalement plus qui est le bon de l’histoire, entre le dealer sophistiqué ou le flic brut qui en vient à causer la mort d’autres flics…

Résultat des courses aux Oscars : Gene Hackman dit merci pour avoir écrasé Peter Finch, Walter Matthau et Georges C. Scott, Roy Scheider apprécie sa première nomination tandis que William Friedkin et son film écrasent Norman Jewison et Le violon sur le toit, Peter Bogdanovich et La dernière séance, John Schlesinger et Sunday Bloody Sunday et surtout Stanley Kubrick et son Orange Mécanique, à qui il vole aussi le Meilleur Scénario et le Meilleur montage. Ah oui, en prime, il devient un incontournable du genre, se permettant le luxe de ranger ses prédécesseurs au placard. Il y a des films comme ça, inutile d’en parler, leur légende le fait pour eux…

Note : ****

lundi 9 janvier 2006

Les Acteurs


Si on doit parler d’hommages au cinéma, ce sont bien sûr des noms comme Truffaut ou Fellini qui viendront à l’esprit ; pour celui rendu aux acteurs d’une génération oubliée, c’est celui de Bertrand Blier et de ces Acteurs qui apparaîtra au sommet de la liste.

Tout d’abord, il y a le plaisir du casting : Jean-Pierre Marielle, André Dussolier Claude Rich, Jacques Villeret, Josianne Balsko, Sami Frey, Michel Serrault, Michel Piccoli, Dominique Blanc, Jean Yanne, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Michel Galabru, Pierre Arditi, Jean-Claude Brialy, François Berléand, Maria Schneider, Jacques François, Gérard Depardieu, Claude Brasseur, Albert Dupontel, Patachou, Ticky Holgado, Bertrand Blier… Ce même Bertrand Blier qui, deuxième bonne surprise, renoue avec son style le plus pur, le plus caustique, celui de Buffet froid, autrement dit un humour absurde et décalé, dérangeant pour certains mais qui ne lasse pas indifférent.

Tout commence donc avec Marielle, Villeret et Dussolier dans un restaurant chic parisien. Elément perturbateur : Marielle ne s’est pas vu servir son pot d’eau chaude commandé il y a dix minutes. De là va découler une réflexion sur leur génération, sur le métier d’acteur, sur les disparus et sur ceux à venir… En se gardant bien de toute logique et de tout sérieux évidemment. Ainsi va la vie, et elle est pas belle quand on est un acteur devenu vieux, que plus personne ne semble admirer. Marielle en vient à déprimer, Arditi vire homosexuel avec Brialy, Dussolier se fait remplacer par Balasko, Villeret casse du sucre sur le dos de Piccoli, Sami Frey fait le zouave au milieu de la circulation et Depardieu se prend des panneaux de pleine face !

C’est avec une nostalgie non dissimulée que Blier filme ses acteurs, pour lui plus des amis que des collègues, et qu’il se souvient à travers eux de ces grands disparus, du monologue de Delon pour se remémorer Gabin, Ventura, Montand, Signoret, De Funès et autre Bourvil tandis que Dussolier crie haut et fort que personne ne peut remplacer Mastroianni…

Il y aussi un regard malicieux, une petite attaque pas méchante avec ses acteurs : l’alcoolisme, le caractère nocturne, l’énorme dépendance des autres… De l’archi-connu des chroniques people mais des détails que Blier adore épingler soigneusement aux acteurs concernés et, au passage, titiller son acteur préféré, Piccoli.

Il y a donc ce souci de Blier, tant dans l’écriture que dans la mise en scène, de laisser sombrer les acteurs dans un gouffre sans fond, celui de l’ennui, du terrible anonymat. Pire, il va jusqu’à les faire exterminer par une police spéciale ! Commandée, bien sûr, par Albert Dupontel, un Blier à sa façon mais de la nouvelle génération…

Sans créer d’interaction avec le spectateur, Blier tisse un lien qui lie irrévocablement le destin du spectateur à celui des acteurs : on ne lui demande pas son avis, on ne l’invite même pas à regarder, on lui dit juste que c’est lui qui condamne les acteurs, pas Blier.

Mais voilà que le film dérape. On ne sait trop comment, on assiste à une thérapie de Maria Schneider, à un passage aussi furtif et inutile qu’amusant de Depardieu, saluant son ami de toujours et celui à qui il doit sa carrière, à plusieurs ellipses qui déboussolent un peu et surtout à une dernier quart d’heure bien étrange, presque angoissant où Serrault devient le collabo d’une milice chargée d’éliminer les acteurs comme Galabru ou Belmondo. On perd tout ce petit charme qui sévissait durant tout le film, cet hilarant non-sens qui faisait des Acteurs un spectacle unique. Mais comme un soufflé, le film prend un beau départ mais rate sur la fin, peut-être à trop vouloir tirer sur la corde. Blier a aussi l’immense respect de dédier ce film, d’une manière très symbolique, à son père.

Un film hélas inégal, qui partait pourtant sur de très bonnes bases mais qui s’essouffle en cours de route pour terminer sur un aveu qui, loin de tout voyeurisme, prouve que les artistes sont des gens comme les autres, et que des acteurs comme la génération précédente on en aura malheureusement plus jamais…

Note : ***

Le cave se rebiffe


Une de ses pépites du cinéma français aux dialogues signés Audiard que ce Cave se rebiffe.

Annonçons quand même le casting, histoire de mettre l’eau à la bouche : derrière la caméra, Gilles Grangier, cinéaste oublié depuis mais qui pouvait se vanter d’avoir à son tableau des noms comme Jean Gabin, Lino Ventura, Bourvil, Louis de Funès, Bernard Blier, Jeanne Moreau, Fernandel, Paul Meurisse, Serge Reggiani, Danièle Darrieux… rien que ça. Face caméra, Bernard Blier et surtout l’immense Jean Gabin, habitué du cinéaste qu’il connaît comme sa poche. Et, last but not least, à la plume un certain Michel Audiard, qui déclarera lui-même plus tard que Le cave se rebiffe était l’un de ses films préférés.

Malgré tout le respect dû à Grangier, on regrettera quand même une mise en scène trop classique, pas assez enlevée pour illustrer cette histoire de voleurs volés ; il aurait fallu le panache d’un Verneuil pour monter ce film au panthéon des incontournables.

Mais la mise en scène est probablement la seule faiblesse du film. En effet, il est difficile de ne pas sentir la joie qu’on eu les acteurs à dire les dialogues savoureusement écrits par le génie du genre. Morceaux choisis :

« Et encore, là je parle juste question présentation, parce que si je voulais me lancer dans la psychanalyse, j’ajouterais que c’est le roi des cons ! Et encore, les rois sont à l’heure eux. »
« Un grand l’air con.
- C’est que ça court les rues les grands cons.
- Oui mais celui-là tu peux pas le louper. Si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon. »
« Entre nous Dabe, une supposition, j’dis bien une supposition, que j’ai un graveur, du papier et que j’imprime pour un milliard de biftons. En admettant, c’est toujours une supposition, en admettant qu’on soit cinq sur l’affaire, ça rapporterait net combien chacun ?
- Vingt ans de placard : les bénéfices ça se divise, la réclusion ça s’additionne. »
« Pour une fois que je tiens un artiste de la Renaissance, j’ai pas envie de le paumer à cause d’une bévue ancillaire.
- Une quoi ?
- Une connerie de ta bonniche ! »

Et ainsi de suite. Difficile donc de prendre le film au sérieux, cette histoire pourtant millimétrée de faux et d’usage de faux. Dans leurs rôles, Blier et Gabin écrasent tout et tout le monde, imposant leurs charismes et leurs présences durant tout le film.

Le cave se rebiffe, ou le genre de cinéma qu’on ne verra malheureusement plus jamais : y a vraiment pas de justice…

Note : ****

vendredi 6 janvier 2006

L'homme qui rétrécit (The incredible shrinking man)


Quand cinémas d’aventures, fantastique et philosophique se réunissent, ça donne L’homme qui rétrécit.

Le thème, c’est le danger du nucléaire, du radioactif et de ses conséquences. C’est ainsi que notre pauvre héros va, malgré lui, subir la contamination d’un nuage radioactif et voir sa taille diminuer au fil du temps, au point d’approcher le microscopique et de changer d’univers. Tout ce qu’il entourait et qui semblait sans danger pour ne pas dire futile devient une véritable menace de mort : un chat, une araignée, une fuie d’eau qui devient une inondation, un écart entre deux planches… autant d’éléments qui viennent poser problème à la survie de ce héros même plus haut comme trois pommes.

Il est impossible de ne pas faire le parallèle avec La métamorphose de Kafka dans cette histoire d’un homme simple, banal (un publicitaire au chômage), qui voit son univers totalement modifié sans qu’il puisse réagir, une métamorphose de son corps qui le plonge non seulement dans la dépression mais aussi dans une certaine dépendance de son entourage s’il veut survivre. En suivant les péripéties de ce pauvre gars, on pense immanquablement à Gregor Samsa et sa remise en question quant à sa place dans l’univers.

Comme Kafka brisait le style fantastique avec sa phrase « ce n’était pas un rêve », Jack Arnold étouffe aussi les ambitions d’aventures extraordinaires par une voix-off qui, d’une part, annonce la survie du personnage principal, d’autre part diminue l’impact des situations sans pour autant en supprimer la tension. L’ambition d’Arnold, ce n’est donc pas de faire un film spectacle dénué d’intérêt à peine quelques années plus tard ; ce serait plutôt de se questionner fondamentalement sur les dangers du nucléaire (nous sommes en pleine Guerre Froide) et la position de l’homme dans son monde, son évolution et le tracé qu’il fait lui-même de son destin…

Bien sûr, l’aspect fort du film, c’est à dire ses effets spéciaux, n’a pas été négligé loin de là : il restera toujours surprenant de voir que ce sont les vieux effets qui marchent le mieux et durent le plus longtemps. Ici tout est de la manipulation : rétro-projections, maquettes, animatroniques, que du fait main pour ainsi dire. Et le pire, c’est qu’on y croit ! Bon, évidemment, les effets commencent à dater au bout de 50 ans, mais on a vu bien pire dans le domaine, et en plus récent encore.

Seul bémol du film, les acteurs, pas toujours très convaincant, même si Grant Williams parvient plus d’une fois à partager ses doutes et ses peurs. De toute façon, l’aspect général du film, fond comme forme, efface rapidement les défauts, bien présents mais mineurs il est vrai, de quelques acteurs qui n’ont pas leur place là.

Un de ces bijoux méconnus du cinéma, pourtant magnifique fusion du cinéma d’action et de réflexion, où le final nous emmène plus loin que notre condition de spectateur : il ouvre une réflexion sur notre condition d’être humain. Ni plus, ni moins…

Note : *****

Meurtre mystérieux à Manhattan (Manhattan Murder Mystery)


Et un Woody Allen de plus qui rend hommage, un !

Sauf qu’avec Meurtre mystérieux à Manhattan, ce n’est pas à n’importe qui que l’élève rend hommage : c’est à deux noms prestigieux comme Alfred Hitchcock et Orson Welles que le plus névrosé des juifs new-yorkais se désigne fervent admirateur, sans oublier une petite séquence hommage à Billy Wilder et son Assurance sur la mort.

Reprenons un peu l’histoire depuis le début : l'éditeur Larry Lipton et son épouse Carol logent dans un luxueux appartement de Manhattan où ils se lient rapidement d'amitié avec leur voisins de palier, Paul et Lillian House. Un jour, cette dernière décède d'une crise cardiaque. Une mort étrange, la vieille dame n'ayant jamais eu de problèmes de santé majeurs. Petit à petit, l'idée d'un meurtre se précise et Carol Lipton est bien décidée à élucider ce mystère. Au programme : tentative d’intrusion dans l’appartement voisin, voyeurisme, excitation croissante… Ca vous rappelle quelque chose ? Fenêtre sur cour, exactement. Et ce n’est pas tant dans le schéma de base qu’Allen pique les idées du maître, c’est également dans son développement, jeu de faux-semblants amusant où Allen le peureux est sensé illustrer le héros type Stewart ou Grant ; il en a l’humour mais pas le physique. Qu’importe, ça lui convient parfaitement, préférant de toute évidence le dialogue pointu et jubilatoire qu’on lui connaît (« Rappelle-moi demain d’acheter tous les disques de Wagner… Et de louer une tronçonneuse ! »).

Et puis, Meurtre mystérieux à Manhattan, c’est un peu une mise au point personnelle : à l’époque, ça bat plutôt de l’aile entre Allen et sa muse Mia Farrow. D’où le retour de Diane Keaton. Et une fois n’est pas coutume, on tombe encore dans une histoire de couple usé, presque fini ; comment éviter l’écho au passé et au présent de Woody ? A souligner cette petite phrase, lourde de sens, que Woody dit à Diane : « tu sais que je t’aimerai toujours… »

Mais si Woody met la plupart du temps sa vie en avant, c’est toujours dans un esprit d’autodérision nécessaire à sa cinémato-thérapie. Et sachant qu’il ne pourra jamais égaler Hitchcock, il prend ses distances avec le sérieux et joue sur les mots et sur sa mise en scène.

Second hommage : Orson Welles et sa Dame de Shanghai, dans la partie manipulation des personnages et surtout dans un fantastique final qui fait écho à la célèbre scène des miroirs.

C’est aussi l’occasion pour Allen de se reposer les méninges, délaissant la psychanalyse pour la comédie pure et sans arrière-pensées. On est plus au temps des débuts, des Prends l’oseille et tire-toi ! et autres Bananas, mais à un âge plus avancé, où Allen n’a plus rien à prouver, pas même à soi-même, où il peut se permettre le luxe de faire un film non par besoin mais par plaisir. En découle donc la bonne ambiance et la jovialité des acteurs.

Un film allenien sans être vraiment du Allen (vis-à-vis des thématiques) mais qui, sur le fond, est un des plus bels hommages aux fondateurs du cinéma moderne : Alfred Hitchcock et Orson Welles… Un divertissement autant public que personnel pour monsieur Allen.

Note : ***

lundi 2 janvier 2006

Bunker Paradise


Premier long-métrage de Stefan Liberski que ce Bunker Paradise.

L’histoire, c’est celle de Mimo, acteur tentant de percer mais joignant les deux bouts en faisant le taxi. Un jour qu’il est convoqué dans la luxueuse villa de John Deveau pour récupérer une fille, celle-ci se suicide en sautant du taxi. De retour à la villa pour prévenir la police, Mimo découvre un monde qu’il ne connaissait pas, celui des gosses de riches sans buts dans la vie…

Pour son premier film, Liberski surprend tout le monde en réalisant un drame humain. Il faut dire qu’il nous a plutôt habitué à la comédie typiquement belge à travers les Snuls, JAADTOLY, Froud et Stouf ou encore Twin Fliks. Ici, le seul humour est celui, grinçant et cruel, de John, que personne ne peut supporter très longtemps, même son meilleur ami David. Liberski oppose également deux mondes : celui, sombre et acide, de Mimo et John, et celui d’un enfant de 8 ans, émigré au Japon dans le but de découvrir la paix intérieure. Tel le Yin et le Yang, tout oppose ces deux univers : la musique tout d’abord, techno à tendance robotique pour l’un, magnifique piano classique pour l’autre ; les paysages ensuite, gris et morts face au soleil et aux forêts japonaises… Cet aparté constant tout au long du film est une des forces du film car permettant un nombre incroyable d’interprétations : l’enfant est-il un rêve ? Serait-il l’âme de Mimo ? Est-ce une parabole sur le retour à la nature ? Ou tout simplement un récit annexe sur cet enfant que Mimo a conduit à l’aéroport ?

Liberski s’emploie aussi à dépeindre un univers glauque, presque morbide, où les fêtes, les femmes, l’alcool et les drogues ne parviennent plus à combler la béance des existences comme celle de John, plus craint que vénéré de tous, rejeté par le seul être qui compte vraiment pour lui : son père. Sans forcer le stéréotype, Liberski nous emmène dans un monde prôné inaccessible mais qui, finalement, nous dégoûte plus qu’il nous attire.

Bunker Paradise est également la preuve même que Liberski est un fantastique directeur d’acteur : il serait éventé, inutile pour ne pas dire futile de saluer la prestation de Jean-Paul Rouve dans ce rôle d’écorché vif. En façade, il paraît festif, odieux, survolté, monstrueux ; en grattant un peu, on découvre un John Deveau meurtri, lui qui se proclame intouchable et insensible ne supporte plus le déni de son père, fantastique Jean-Pierre Cassel. Rouve aurait très bien pu jouer le gosse de riche snob ou tyrannique ; on découvre un enfant blessé, tout en intériorisation qui hait le monde autant que le monde vient à le haïr ou du moins à le mépriser. Ce n’est peut-être pas tant dans sa démonstration de machiavélisme qu’il nous impressionne, c’est notamment dans ses silences, pesants, lourds de sens… On oserait presque se risquer à dire qu’il s’agit là du meilleur rôle de sa carrière jusqu’à présent…

A tel point qu’il en vient à éclipser le personnage principal de Mimo, interprété par l’intéressant François Vincentelli, bien que pas toujours juste, et l’actrice principale, mitigée Audrey Marnay qui tantôt convainc tantôt déçoit. Seul Bouli Lanners ose tenir tête à Rouve, incontournable second couteau du cinéma contemporain (au hasard : Un long dimanche de fiançailles, Les convoyeurs attendent, Aaltra, Quand la mer monte et bientôt Enfermé dehors, le dernier Albert Dupontel) et probablement l’un des meilleurs acteurs belges actuels. Ambigu, trouble, tantôt dégoutant tantôt attendrissant, il s’agit du seul personnage avec celui de John Deveau que l’on ne parvient ni à totalemnt détester ni à totalement aimer…

Saluons peut-être au passage la b.o. du film, comme je l’ai dit plu haut mélange de techno et de classique, spécialement composée au piano par un certain Casimir… Liberski…

Une première œuvre agréablement surprenante donc, de la part d’un Liberski qui délaisse le second degré pour la tragédie humaine, auteur intéressant et réalisateur à idées (telle cette splendide scène où Mimo pleure, près du château Deveau d’où il vient de sortir en sang, sous un panneau routier avec l’indication « ils jouent »…) et où les acteurs, Rouve et Lanners en tête, Cassel et Vincentelli suivant de près, trouvent une occasion de sonder les aspects sombres et horribles qui peuvent sommeiller en chacun de nous… Bunker Paradise, ou quand le cinéma redevient de l’art…

Note : ****

Trois enterrements (Three Burials of Melquiades Estrada)


La confirmation du génie d’un scénariste et la révélation des dons de metteur en scène de Tommy Lee Jones que ces Trois enterrements.

A la plume, un certain Guillermo Arriaga, scénariste devenant de plus en plus culte à travers le monde. Les raisons d’un tel succès ? Une collaboration fructueuse avec le prodige Alejandro Gonzalez Innaritù sur Amours chiennes et 21 grammes et maintenant le Prix du meilleur scénario à Cannes 2005 pour ce film.

Devant et derrière la caméra, un artiste qu’on ne présente plus : Tommy Lee Jones. Acteur plébiscité, aussi à l’aise dans le cinéma pop-corn (Men In Black, Le fugitif pour lequel il a reçu l’Oscar du meilleur second rôle) que dans celui dit « d’auteur » (JFK en tête), il faisait partie de ceux qui n’avait pas encore franchi le pas de la réalisation. Il faut dire qu’à ce niveau, c’est quitte (Denzel Washington…) ou double (Georges Clooney…).

Heureusement, Tommy Lee Jones sait choisir ses collaborateurs. Et, à la vue du film, sait même en tirer le meilleur (Barry Pepper, pas toujours top, trouve pourtant ici le meilleur rôle qu’il ait jamais eu).

Bien sûr, le synopsis de base peut faire songer à un road-movie dramatique ou presque : un cow-boy solitaire veut ramener le corps de son ami défunt, malencontreusement abattu par un garde frontalier près du Mexique. Sauf que c’est mal connaître Arriaga de se baser sur un récit simple pour faire une histoire. A départ simple (pour ne pas dire simpliste), construction et développement complexe, qu’on se le dise !

Voilà donc le jeune garde, à la vie amoureuse chancelante, qui se retrouve traîné jusqu’au Mexique avec un cadavre sur la décision de Tommy Lee Jones, qui tire malgré lui toute la couverture du film. Impeccable Jones, qui visiblement est un artiste autodidacte, offrant le meilleur de lui-même… à lui-même. Il est normal de voir en lui un bon acteur ; il est fréquent de le voir qualifié de « surdoué ». Avec ce film, c’est l’apogée de son jeu d’acteur qu’il atteint, offrant un portrait tout en nuance et désillusions d’un antihéros fatigué, désabusé par le monde moderne, trahi par ses sentiments et ses rêves. A lui seul, le personnage de Pete Perkins vaut le détour, concentré d’être humain vraiment humain, aux principes et aux valeurs qui tendent à disparaître comme l’amitié, la fraternité, la loyauté, l’amour…

A la caméra, Tommy Lee Jones parvient tout d’abord à magnifier une région aride, sans vie, presque désolante pour en faire, tel une toile de maître, un décor essentiel, un personnage à part entière. On en est pas encore au stade de David Lean qui rendait un grain de sable merveilleux dans Lawrence d’Arabie mais on s’en approche doucement. A un rythme qui aurait pu être effréné, Jones oppose pour un tempo lent, calme, serein, telle une rivière coulant dans la vallée. Il opte également pour la décomposition narrative d’Arriaga, expert dans le domaine, qui confère au film un aspect de nostalgie, comme si l’hommage au western crépusculaire n’était déjà pas flagrante.

Arriaga c’est aussi le contestataire, l’anarchiste qui n’a pas peur de dénoncer les injustices. Outre le problème de l’immigration et de la condition mexicaine, Arriaga dépeint une société de plus en plus opaque,

refusant l’intégration. Mais Arriaga est également un philanthrope, et Trois enterrements ressemble beaucoup plus à un voyage initiatique, à un parcours humain vers la compréhension de soi et de l’autre qu’à un discours agressif.

Des propos que Jones a compris et qu’il met en avant avec une direction d’acteur irréprochable, et une mise en scène toute en sobriété et humanité, jouant ça et là avec nos émotions pour nous faire rire, pleurer et réfléchir. Le propre des grands artistes…

Note : ****