jeudi 31 août 2006

Terminator 2 : le Jugement Dernier (Terminator 2 : Judgement Day)


Sept ans après être devenu une légende avec Terminator, et confirmé son statut avec Aliens et Abyss, James Cameron allait à nouveau marquer un grand coup dans l’histoire du cinéma, en réalisant une révolution dans le monde de la science-fiction : Terminator 2 – le Jugement Dernier.

Si le film a autant marqué l’Histoire du cinéma, c’est notamment grâce à son savant mélange de genre (film de science-fiction, action, avec une pointe de tragédie shakespearienne et de cinéma engagé) mais surtout grâce à ses effets spéciaux novateurs. Il faut savoir que Cameron a fait appel à trois sociétés différentes pour Terminator 2 : Fantasy II pour les séquences de guerre, 4-Ward pour l'explosion nucléaire et le métal fondu et, enfin, ILM pour l'animation du T-1000 et les graphismes par ordinateur. Le tout a coûté 53 millions de dollars, soit plus de la moitié du budget global (100 millions, le premier film de l’histoire du cinéma à posséder un tel capital), furent consacrés aux effets spéciaux du film. Ce fut payant puisqu’en plus d’être un succès critique, le public a suivi en masse (200 millions de dollars aux USA, 310 millions à travers le monde).

Terminator 2 constitue aussi une suite logique à Terminator, sans pour autant oublier de renouveler l’univers : Cameron offre ainsi une nouvelle facette à Sarah Connor, et le Terminator lui-même devient le gentil protecteur de John Connor. Le cinéaste n’en oublie pas son style (dantesque, il convient de le dire) à travers des scènes époustouflantes, comme celles des courses-poursuites ou encore le combat entre le Terminator et le T-1000.

Cameron est également un excellent directeur d’acteur. Outre Linda Hamilton, le trio masculin est étonnant : Edward Furlong, dont c’est le premier film, ne semble pas subir la pression d’une telle production ; Schwarzi n’est jamais aussi bon que quand il joue un robot (à noter qu’il prononce en tout et pour tout 700 mots dans ce film, alors que dans Terminator il ne disait que 17 phrases…) et Robert Patrick est d’un froid absolu, ce qui rend son personnage encore plus crédible.

Outre la qualité des effets spéciaux et du casting, le scénario n’est pas en reste, à la fois logique (en tant que suite), captivant et équilibré (alternance action – repos). Il n’est pas seulement prétexte à une enfilade de scènes d’anthologie, c’est aussi une histoire de famille qui tente de se recomposer, et surtout une attaque non dissimulée envers les avancées technologiques dangereuses. Un paradoxe pour un film réalisé, lui aussi, à la pointe de la technologie…

Cameron a donc signé, une fois encore, un chef-d’œuvre qui « révolutionnait » le genre, une œuvre populaire et d’auteur. La marque des très grands.

Note : *****

dimanche 27 août 2006

Persona


Le mot « persona » peut avoir, en latin, plusieurs significations :
« persona, ae, f. : - 1 - masque (porté par les acteurs); acteur. - 2 - masque, fausse apparence. - 3 - figure (en terre ou en pierre), statue. - 4 - rôle (au théâtre ou dans la vie réelle), charge, fonction, dignité. - 5 - personnage, caractère. - 6 - personne, individu, homme; personnalité. - 7 - t. de gram. personne. »

Bergman choisit chacune de ses significations pour créer cette histoire étrange, fascinante où les repères disparaissent au fil du temps, au fil de la confrontation entre l’actrice muette et l’infirmière bavarde, dont on ne distingue plus vraiment à la fin s’il s’agit de deux personnes ou d’une seule et même entité (le fondu entre les deux visages tend à cette hypothèse).

Persona est un film très difficile de compréhension car il néglige la psychologie selon Freud pour s’attacher, librement, à celle de Carl Jung. Le titre Persona et le prénom de la garde malade, Alma, sont une allusion au conflit entre le persona (le masque social), et l'alma (le subconscient) dont vient la souffrance humaine pour le psychanalyste. On peut donc dire que les deux protagonistes féminines sont complémentaires l’une de l’autre mais sont aussi en opposition fondamentale. La dualité-complémentarité qui existent entre elles trouve même un écho lorsque le mari d’Elisabeth, aveugle, la confond avec Alma ; le transfert entre les deux femmes est donc inéluctable et proche de sa réussite.

Persona semble aussi être le reflet de la propre personnalité de Bergman. D’une part l’artiste, qui décide de souffler un peu pour observer un petit peu plus le monde qui l’entoure ; d’autre part la frustrée, celle qui expose ses états d’âme sans arrière-pensée mis qui, face au mutisme de son public, devient folle. C’est une sorte de défouloir pour Bergman, cinéaste adulé des cinéphiles mais qui n’a pas toujours connu que des succès, ses films étant assez difficiles d’accès. Il y a aussi la peur de Bergman, à l’époque, de la mort. Cette angoisse profonde se fait ressentir tout au long du film, où Bergman mélange son récit avec des images apocalyptiques au début, au milieu et à la fin du film.

Bergman soigne tout particulièrement la réalisation de son film, qui ne vit réellement le jour qu’après que Bergman y songe à l’hôpital en voyant une photo des deux actrices réunies. La photographie, réellement sublime, confère au film un aspect mystique, jeu d’ombres et de lumières, où le cadrage à une importance fondamentale (gros plan, champ-contrechamp…).

Les deux actrices sont elles aussi remarquables, l’une prouvant la puissance des mots en ne les prononçant pas, l’autre montrant leur futilité en les galvaudant. La ressemblance physique entrez elles, par ailleurs, contribue grandement au crédit de l’échange de personnalités, et plusieurs scènes deviennent ambiguës comme celle où Elisabeth et Alma se regardent dans le miroir, Elisabeth recoiffant Alma langoureusement…

Un film assez compliqué de prime abord, c’est vrai, mais qui révèle d’une analyse de l’âme humaine comme jamais. Une introspection très psychique à analyser soigneusement.

Note : ****

jeudi 24 août 2006

L'attaque de la moussaka géante (Η επίθεση του γιγαντιαίου μουσακά)


Existe-il des films qui, à trop être mauvais, finissent par devenir cultes ? Bien évidemment. Certains ne le font pas exprès (Plan 9 from outer-space) mais d’autres sont bien conscients de leur misérabilisme, mais n’en ont cure. Ils prétendent alors rendre des hommages aux autres navets du même genre qu’eux, comme cette Attaque de la moussaka géante.

Sous couvert d’être un « hommage trash aux séries Z des années 50 », cette moussaka géante est un pur moment de plaisir… pour le centième degré. Scientifiques homos en blouses roses, transsexuels en mal d’amour, aliens sous forme de bimbos écervelées (et pas seulement les blondes), moussaka géante détruisant Athènes… Rien n’est laissé au hasard pour donner au film un aspect inédit, et qui aurait peut-être du le rester.

Filmé en DV, le film pue la pauvreté c’est clair. En soi, pas trop grave, on est pas là pour voir du Spielberg ou autre. Il faut même dire que l’image, combinée aux effets spéciaux de 20ème zone, donne un effet kitsch à mort au film, ce qui pour les amateurs de délire est très bien en soi. La moussaka géante est parfaitement ridicule (un simple grossissement d’une moussaka collée sur d’autres images), les acteurs sont mauvais, le scénario inexistant, mais bizarrement on adhère, le film étant si pitoyable (et revendiqué comme tel) qu’il en devient drôle. Le spectateur moyen n’appréciera peut-être pas, mais les cinéphiles et autres amateurs de films trash ont vraiment de quoi se régaler avec cette moussaka.

Vraiment ? Pas sûr car à trop tirer sur la longueur (1h45) et, erreur fatale, à e prendre au sérieuxle temps de quelques séquences, le film devient lourd. Le discours qui en découle (« les médias, c’est rien que des gros profiteurs de nouvelles morbides ») n’arrange rien, puisque très rapidement on se lasse de voir ces piètres comédiens hurler dans le vide. Un peu ça va, trop bonjour les dégâts.

Le mérite du film est d’avoir dépassé les frontières et, en un temps record (et grâce à un titre qui laissait présager un film de légende), avoir atteint le statut de culte, autant qu’un Ed Wood aurait pu le faire. Mais si Ed Wood finissait par attirer notre sympathie puisqu’il n’en pouvait rien d’être si mauvais, Patros Koutras lui nous gave de sa moussaka. On rit bien un peu mais on se lasse très vite. L’autodérision se doit d’avoir un minimum de rigueur semble-t-il…

Note : 0

La soif du mal (Touch of Evil)


Cinéaste maudit car trop doué pour être contrôlé, Orson Welles n’a quasiment connu que des déboires dans sa vie artistique. Le temps passant, les cinéphiles pleurent à la réhabilitation et certaines de ses œuvres connaissent un nouveau souffle, une seconde vie grâce au travail de quelques passionnés. Tel est le cas de La soif du mal, qui a enfin connut récemment une sortie en dvd digne de ce nom puisqu’on a tenté de refaire le montage selon les volontés de Welles.

L’introduction du dvd explique d’ailleurs cette histoire : le film fut remonté sans l’avis de Welles et on ajouta même des séquences réalisées par un autre cinéaste. Sachant que son combat était perdu d’office, Welles signa simplement 58 pages de recommandations sur le nouveau montage du film, pour que celui-ci soit conforme à sa vision. C’est grâce à ses pages que le film a pu récemment (et tant bien que mal, la vision d’un montage ne pouvant être que difficilement retranscrite sur papier) connaître un montage « définitif ». Et quel plaisir ! Si Citizen Kane reste l’œuvre la plus connue et sa plus réussie d’un point de vue dramatique, La soif du mal en atteint presque le niveau de perfection !

Il y a tout d’abord l’aspect technique du film. Comme d’hab, Welles applique son style dantesque avec une aisance incroyable : nombreux plans-séquences, cadrages bien définis, jeux d’ombres et de lumières, contre-plongées… Tout est là, et autant dire que l’effet est incroyable. En fait, Welles se sent comme sur le tournage de La dame de Shanghai, et sait donc que vu les faiblesses scénaristiques, il doit réaliser une mise en scène qui absorbera le spectateur. Cette fois, ce n’est plus avec des miroirs que Welles s’amuse à marquer l’Histoire du cinéma mais bel et ben un plan-séquence inouï, de 4 minutes et qui est depuis rentré dans les annales du cinéma. Il faut dire qu’une telle complexité n’a jamais été atteinte auparavant et ne le sera peut-être jamais. Et lorsqu’on demanda à Welles comment il avait réalisé ce tour de force, il répondit simplement : « j’ai dit "moteur !" ». Il y a aussi, inconsciemment, des préludes à d’autres œuvres majeures : l’enfermement de Janet Leigh dans le motel vide fait irrémédiablement penser à ce que sera l’introduction de Psychose ; l’offensive des jeunes contre cette même Janet Leigh, entourant sa chambre de toute part a des airs avec La nuit des morts-vivants de Romero ; enfin, le plan-séquence d’ouverture inspirera partiellement De Palma pour son Phantom of the Paradise…

Le scénario, que Welles ne trouvait pas à son goût (mais, hormis Shakespeare et Don Quichotte, en trouvait-il un digne de son génie mégalomane ?) n’est pourtant pas des plus mauvais : film noir avec une jolie galerie de personnages, réflexion sur la justice et fin immorale (même s’il y parvient crapuleusement, et y laisse même la vie, Quinlan avait déniché le véritable coupable de l’attentat…). Il faut dire que Welles a beaucoup retravaillé le script, notamment au niveau des personnages, en privilégiant bien entendu son propre rôle.

Car c’est là la deuxième grosse claque du film : après une réalisation dantesque (et cette fois le terme n’est pas galvaudé), la performance de Welles est tout simplement bluffante ! Outre son apparence physique, monstrueuse par rapport à sa précédente apparition dans Mr Arkadin, c’est son intensité dramatique qui coupe le souffle : dans le rôle de ce flic teigneux, raciste, enclin à l’alcoolisme et à la création de fausses preuves, Welles vampirise l’écran non seulement avec ses gros plans mais aussi cette espèce d’aura qui se dégage de son personnage, lequel on ne parvient jamais à réellement cerner. Face à lui, Charlton Heston, Janet Leigh et Marlène Dietrich tentent tant bien que mal de tenir la distance, et s’ils y parviennent ils n’ont pourtant pas le même impact sur nous que le commissaire Hank Quinlan.

Une merveille donc, sans doute l’un des sommets de la carrière de Welles, laquelle est déjà un des sommets de l’histoire du cinéma mondial ; vous imaginez le niveau ?

Note : *****

lundi 21 août 2006

New York Stories


Il est des fantasmes cinématographiques qu’on ose à peine imaginer. New York Stories est de ceux-là; pensez donc! Scorsese, F.F. Coppola et Woody Allen : trois cinéastes de légende décrivant, le temps d’un moyen métrage, la vie dans la ville qu’ils chérissent tant.

1. Apprentissages : le métrage de Scorsese. Dans la plus pure tradition de son style, Scorsese adapte Le joueur de Dostoïevski mais également la vraie vie de Dostoïevski. En effet, l’écrivain souffrait du même mal que Nick Nolte dan le film : il était éperdument amoureux d’une jeune fille qui ne l’aimait pas. La relation qu’il nourrissait avec elle s’approchait d’ailleurs nettement plus du masochisme qu’autre chose.
A travers cette histoire, c’est sa propre vision artistique que Scorsese dépeint : l’art naît de la frustration. Cette définition est tout simplement la clé de son œuvre, et il le prouve à nouveau ici. Si la peinture remplace le jeu (vis-à-vis de Dostoïevski), c’est soi-disant pour rendre le tout plus visuel (dixit le cinéaste) mais aussi pour établir un parallèle supplémentaire avec Scorsese qui est un peintre confirmé.
C’est aussi le métrage où New York semble la plus réaliste, même si nous ne la voyons qu’à travers les fenêtres de l’atelier du peintre. La mise en scène très stylisée (notamment dans l’usage des iris et dans l’éclairage) de Scorsese offre une dimension presque théâtrale au métrage d’ailleurs, d’où l’intérêt de ne concentrer l’action en majorité que dans cet atelier en huis clos.
Evidemment, les acteurs sont dirigés d’une main de maître, et c’est Nick Nolte qui domine tout. Pourtant, le film ne démarre jamais vraiment, peine à se laisser pénétrer par le spectateur, si bien qu’au final cette imperméabilité nous refroidit et nous ne nous intéressons plus guère aux existences de ces deux artistes en mal d’amour aussi bien l’un que l’autre. (***)

2. La vie sans Zoé : le métrage de Coppola. Il serait plus juste de dire qu’il s’agit d’un film des Coppola, puisque si Francis réalise, il a co-écrit avec sa fille Sofia (à noter que Talia Shire et Carmine Coppola font aussi partie du casting, en tant qu’acteurs).
Le fait que la fille puisse travailler avec le père permet une approche plus personnelle du cinéaste : sa propre vie. Ce n’est plus tant la petite Zoé, dont le père est un artiste mondialement célèbre, que l’on voit s’ennuyer sans ses parents mais bien Sofia elle-même. L’appel à l’amour est grand, trop grand peut-être pour cette comédie enfantine.
Car nous sommes déjà dans la phase descendante du cinéaste, celle où ses scénarios ne valent pas plus que quelques films mièvres made in Hollywood. Si Sofia découvre son thème le plus cher (l’enfant déboussolée), Francis semble se laisser dominer. Fort dommage, puisque le film n’atteint alors pas plus qu’une production pour enfant, un univers fantasmagorique préadolescent bien loin de ceux que Coppola nous avait offert avec Rusty James ou Outsiders. Il ne s’agit même pas d’une réflexion sur son œuvre mais simplement d’un acte de fainéantise, laissant presque sa fille faire ses armes sur ce film. Esthétiquement réussi mais trop niais pour complètement séduire (**)

3. Le complot d’Œdipe : le métrage d’Allen. Probablement le métrage le plus réussi des trois car le plus fidèle à son auteur sans pour autant oublier d’être universel.
La mère possessive, tout le monde connaît ; eh bien Allen lui, ça l’a traumatisé. Si Woody tentait déjà de nous le faire comprendre depuis bien longtemps (Annie Hall et Radio Days en tête de liste), il règle définitivement ses comptes cette fois. Bien sûr, de manière ironique et métaphorique : sa mère se retrouve dans le ciel de New York, capable ainsi de surveiller chaque fait et geste de Sheldon !
Le style Allen fait toujours mouche : musique jazz, rapport à la psychanalyse, dimension tragicomique du récit… Et, une fois encore, Allen traite non seulement de ses angoisses mais aussi de ses problèmes personnels : la relation avec Mia Farrow est ainsi à nouveau montrée comme fébrile, cassante même vers la fin. C’est plus léger que dans Maris et femmes mais ce n’en est pas moins prémonitoire… A noter qu’Allen règle aussi définitivement les questions de son positionnement face au judaïsme, de manière discrète et sous-jacente. (****)

Dans l’ensemble, New York Stories est un spectacle inégal, quelque peu mensonger puisque les histoires auraient pu se passer ailleurs qu’à New York. Ou alors on veut garder le caractère artistique, rêveur et fantastique de la Grosse Pomme, l’Hollywood des artistes intègres ou underground… à moins que ce ne soit la capitale des illusions.

Note globale : ***

vendredi 18 août 2006

Le faucon maltais (The Maltese Falcon)


Chaque genre a eu son film phare, celui qui a posé les bases solides pour les futurs films de la même veine. Dans le cas du « film noir », il s’agit sans conteste du Faucon maltais

Définissons d’abord le film noir en quelques mots : genre cinématographique ayant connu sa gloire dans les années 40 et 50, typiquement américain, le film noir est pessimiste par essence. L'archétype du protagoniste du film noir est un détective privé de second ordre, cynique et blasé, embauché pour une enquête dont les véritables implications lui sont cachées par son commanditaire. Son enquête l'amène le plus souvent à rencontrer une femme fatale qui le manipule par avidité causant leur perte (il y a bien sûr des variantes mais c’est là l’essentiel). Le style donnera naissance à des chefs-d’œuvre de grands cinéastes (Faucon maltais de Huston, Assurance sur la mort de Wilder, Le grand sommeil de Hawks, Le troisième homme de Reed, de nombreux Hitchcock, La soif du mal de Welles et plus tard Chinatown de Polanski, Blood Simple des frères Coen ou encore Blue Velvet de Lynch) et inspirera d’autres styles, comme la science-fiction (Blade Runner en tête de liste). Encore maintenant, le genre connaît un succès dans le cinéma mondial, et tente une réhabilitation.

E tout a débuté avec l’histoire de Sam Spade à la recherche, pour d’obscurs malfrats, d’une statuette de faucon légendaire. Très vite, l’ambiance des années 40 (les USA à peine sortie des années noires, se remettant à peine du crash de Wall Street et s’inquiétant de la situation en Europe) déteint sur le film, qui vire alors vers le polar sombre (logique pour un film noir). La tension est palpable, et tout au long du film on a l’impression de revivre cette époque. John Huston, dont c’est là le premier film, frappait un grand coup en utilisant des codes cinématographiques, semblables à ceux de Scarface ou Little Caesar, et les remaniait à sa sauce. Car en plus de l’ambiance, la direction d’acteur est remarquable.

Il faut dire que Humphrey Bogart a déjà de l’expérience avant ça (avec, entre autres, Wyler, Curtiz et Walsh) mais c’est définitivement dans avec le personnage de Sam Spade qu’il parvient à s’épanouir : arrogant, séducteur, cynique, il n’en est pas moins humain, comme cette scène où sortant de chez les malfaiteurs, sa main tremble terriblement… Le personnage en inspirera plus d’un par la suite jusqu’au récent John McLane dans Piège de cristal… Ses compagnons n’en sont pas moins remarquables, de Mary Astor à Peter Lorre…

Le scénario n’en demeure pas moins lui aussi brillant, bien qu’aujourd’hui un peu évident, il recèle d’assez de rebondissements et d’astuces pour tenir le spectateur en haleine. Le seul problème, c’est que le tout est un peu trop bavard, trop explicatif dans les mots et beaucoup moins dans les images. Du coup, si on ne suit pas attentivement chaque ligne de dialogue, on risque d’être perdu…

Mais Le faucon maltais, malgré ce détail, reste un chef-d’œuvre, l’initiateur d’un genre qui a, pendant des années, nourri l’imaginaire d’artistes talentueux et qui, encore aujourd’hui, a laissé son empreinte dans de nombreux films.

Note : ****

lundi 14 août 2006

Plein soleil


Le cinéma pourrait se définir comme un art de l’illusion. Des gens se faisant passer pour d’autres, des faussaires dans leur genre. Aucun paradoxe donc à voir le roman de Patricia Highsmith adapté au cinéma sous le titre Plein soleil.

Voici donc les aventures de Tom Ripley, enfant pauvre devenu adulte encore plus pauvre mais d’un talent exceptionnel pour mentir. Il en aura connu des adaptations ce mythomane assassin (L’ami américain de Wenders, Le talentueux Mr Ripley de Minghella…) mais c’est décidemment la version de Clément qui l’emporte.

Il y a tout d’abord, et surtout, Alain Delon dans le rôle principal. En plus d’être une belle gueule, c’est un sacré acteur le coquin, si bien que l’air de rien, il éclipse Maurice Ronet, Marie Laforêt ou Billy Kearns pour tirer la couverture à lui tout seul. La personnalité trouble de Ripley, son côté mi-ange mi-démon, séducteur manipulateur et amateur d’art à ses heures perdues trouve en Delon un écho mémorable, celui-ci livrant ce qui est probablement l’une des plus belles prestations de sa carrière. Il parvient à la fois à créer la fascination et le dégoût, à rendre perceptible la schizophrénie maîtrisée de son personnage sans sombrer dans le stéréotype pour autant.

René Clément l’a bien compris, et lui laisse occuper la majeure partie du cadre. Quand ce n’est pas le cas, Clément préfère s’attarder sur une Italie de rêve, mieux encore que celle des cartes postales, où le soleil n’a d’égal que les beautés du pays (aussi bien culturelles que féminines…). Marin confirmé, Clément filme également quelques scènes en mer pour se faire plaisir et, par la suite, nous faire plaisir. Autrement, sa réalisation esthétique convient parfaitement à l’histoire, usant de décors somptueux pour nous en foutre plein la vue, le temps de distiller une ambiance qui devient de plus en plus fiévreuse et angoissante.

Ceux qui ne connaissent pas le fin mot de l’histoire pourront peut-être être étonné de voir le déroulement des choses, et découvrir un final inattendu bien que logique. D’ici là, pendant 1h50, il convient de nous laisser, nous aussi spectateurs, manipuler par cet artiste de la fausse identité, ce virtuose du mensonge, le Michel-Ange des faussaires en quelque sorte. Car de rebondissements en rebondissements, on ne sait pas très bien où l’on va, et pourtant on va simplement là où Ripley, ou Delon au choix, nous emmène.
Et comment oublier la partition de Nino Rota, toujours aussi sublime et qui, si elle n’a pas autant marquée que celles pour Fellini ou Coppola, mérite amplement d’être redécouverte.

Jeu du faux-semblant, où Ripley joue avec ses victimes (à la fois autres personnages et nous spectateurs) tel un chat avec des souris avant de les manger. Il ne frôle jamais l’indigestion, et nous on apprend à se méfier des amis que l’on a plus revu depuis des années…

Note : ****

jeudi 10 août 2006

Le poison (The Lost Week-end)


Si Billy Wilder est ultra connu pour ses comédies, il ne faudrait pas oublier qu’il fut aussi un dramatiste de très haute gamme. Le poison fait partie de ses meilleurs films, tragédie sombre ayant pour thème l’alcoolisme.

Adapté d’un roman de Charles Jackson, l’histoire est celle de Birnam, écrivain raté devenu alcoolique qui va lutter, le temps d’un week-end, contre sa maladie. De fil en aiguille, la mise en abyme se fait flagrante : entre Birnam et Jackson, il n’y a qu’un petit pas. D’autant plus grande donc est la véracité du sujet.

Quand on connaît Wilder, on se dit qu’on ne le voit pas réaliser un drame bien froid. C’est vrai quelque part, ses drames comportant des touches d’humour noir (Stalag 17 et surtout Sunset Boulevard) comme ici d’ailleurs, à travers le génie du dialogue qui caractérisait le maître (« c’est drôle, mais les gens se sont mis à boire lors de la Prohibition… »). Le scénario est tout simplement grandiose, inhabituel pour l’époque mais d’un réalisme certain. Si, de temps à autre cependant, on vire dans le cliché, ce n’est que pour mieux rebondir non seulement sur le thème de l’alcoolisme mais aussi sur la condition d’artiste. Il y aurait dans Le poison, en plus de l’adaptation, une part d’autobiographie que cela ne m’étonnerait guère… Et bien sûr, comme toujours, la morale du film fait mal, dénonçant implicitement l’augmentation du taux d’alcoolisme au sein des USA.

Pour interpréter le rôle de l’écrivain raté et alcoolique notoire, Wilder opte pour Ray Milland. Ce choix fut fait car le cinéaste voulait un acteur beau, pour attirer la sympathie du public, qui souhaiterait le voir guérir avant le générique de fin. Et ce fut payant, puisque la performance de Milland, en plus d’améliorer encore plus la qualité du film, fut récompensée du prix d'interprétation au premier festival de Cannes, ainsi que de l’Oscar du meilleur acteur (Le poison obtiendra en plus ceux du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario).

Il reste après tout cela que Billy Wilder était un cinéaste génial. Je sais, c’est facile de dire ça, mais sa mise en scène est d’une telle subtilité et inventivité qu’on mérite de s’y arrêter. Sans conteste, Le poison fait partie de ses chefs-d’œuvre, tant dans l direction d’acteur que dans l’ambiance distillée tout au long du film. On finit par vivre les même angoisses que Birnam, par comprendre sa douleur et, surtout, s’inquiéter pour lui (dont le sommet de folie atteint son apogée avec cette scène où Birnam voit un rat sortir de son mur et, l’instant d’après, se faire manger salement par une chauve-souris (invasion de rat qui sera reprise à peu de choses près dans Le cercle rouge de Melville)).

Un film qui n’a rien perdu de son intensité, et dont le sujet ne vieillira probablement jamais. Reste que Wilder a tenté de nous donner une leçon : si celle de vie est douloureuse, celle de cinéma est remarquable.

Note : ****