mercredi 31 janvier 2007

L'opinion publique (A Woman in Paris)


« Pour éviter tout malentendu, je tiens à annoncer que je n’apparais pas dans ce film. C’est le premier drame sérieux que j’ai écrit et réalisé. » C’est sur ce carton d’avertissement que s’ouvre l’Opinion publique, deuxième véritable long métrage de Charles Chaplin et premier de ses films où il n’apparaît (quasiment) pas.

Il faut dire qu’à l’époque, Chaplin est déjà un maître du cinéma : acclamé par la critique et le public, affranchi des studios depuis la création de la United Artists (avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et D.W Griffith), il est en droit de se permettre tout ce qu’il veut. Et pour ce faire, il va opérer un virage à 180° dans sa carrière en réalisant un drame des plus sérieux.

Il faut savoir que le film est inspiré de la rencontre de Chaplin avec une croqueuse de millionnaires, nommée Peggy Hopkins Joyce. Ses histoires amoureuses, ses divorces lui ayant assurés une retraire dorée permirent à Chaplin de construire le scénario de son film, véritable critique du milieu bourgeois mondain et des arrivistes (ironie du sort, ce ne fut pas tant Peggy qui utilisa Chaplin pour arriver à ses fins mais bien l’inverse, puisque le couple ne dura que le temps du tournage…). Sachant que son sujet provoquerait quelques colères dans la bourgeoisie aux USA (alors qu’il redoutait déjà de perturber le public par son choix, d’où le carton d’introduction), Chaplin, qui souhaitait initialement appeler son film Public Opinion, le rebaptisa A woman of Paris. Cela ne suffira pas et l’Opinion publique sera tout de même censuré dans plusieurs états. Pire encore, malgré un succès unanime de la presse, et autosatisfaction démesurée de la part de Chaplin, le film fut un échec cinglant, boudé par un public qui n’appréciait guère la disparition de Charlot.

Pourtant, à y regarder de plus près, l’Opinion publique constitue non seulement une étape fondamentale dans la carrière de Chaplin, mais aussi une petite révolution en soi pour le cinéma. En effet, Chaplin faisait alors passer au premier plan la critique sociale qui était (et sera encore) en arrière-plan dans ses autres films. Il délaisse aussi pleinement la comédie (bien que quelques scènes prêtent à sourire) pour le mélodrame d’apparence classique. Il délaissait enfin le personnage de Charlot en disparaissant de l’écran, laissant place aux autres acteurs et se concentrant pleinement sur son rôle de réalisateur.

D’un point de vue cinématographique, l’Opinion publique est une réussite dans le sens où l’œuvre possédait des années d’avance sur les autres films de l’époque : fini les expressions théâtrales des acteurs, le manque de travail psychologique, la distribution manichéenne des rôles (le gentil vraiment gentil, le méchant vraiment méchant) ou encore le « happy end » ; Chaplin prend tout à contre-pied. Les acteurs s’économisent, jouent en retenue, bref s’approchent d’un jeu moderne, inédit pour l’époque du muet, cherchant le réalisme de l’interprétation (Chaplin cherchait surtout, selon ses propres mots, à "explorer les limites de l’expressivité"), les personnages étant soigneusement travaillés d’un point de vue psychologique (les choix de Marie, le cynisme de Pierre, l’idéalisme de Jean…). De plus, les rôles sont opposés aux conventions : la femme (Edna Purviance, habituée de Chaplin puisqu’elle tourna dans la moitié de ses film !) n’est plus faible mais grassement entretenue, un peu arriviste puisque hésitant entre l’amour et le luxe, le gentil est un être faible et dominé par sa mère (laquelle pense d’ailleurs autant au bonheur de son fils qu’au sien) tandis que le méchant est le personnage le plus charismatique du film, dandy cynique et distrayant, auquel le sublime Adolphe Menjou donne une dimension unique.

La peinture d’une certaine classe est réalisée avec une certaine force, où êtres décadents côtoient profiteurs et autres traîtres. Rarement Chaplin aura été aussi virulent avec une société qu’il juge superficielle, et qui bien que situe en France fait irrémédiablement penser à la WASP (White Anglo-Saxon Protestant) américaine, ce qui fut la cause comme dis plus haut de son interdiction dans certains Etats…

Le film fut donc un échec public mais une réussite artistique indéniable, possédant des années d’avance dans sa manière d’aborder le mélodrame (même si l’on regrettera quelques facilités qui nous semblent aujourd’hui dépassées et prévisibles) et même le cinéma muet dans son ensemble. Chaplin sera si fier de ce film qu’il en recomposera la musique en 1976, soit son dernier travail dans un studio de cinéma. L’Opinion publique ou le début d’une série de longs métrages qui ont marqués l’Histoire du cinéma…

Note : ****

lundi 29 janvier 2007

Streamers


Robert Altman a toujours été contre l’absurdité de la guerre au Vietnam, c’est un fait. Inutile de rappeler son célèbre film qui tournait le conflit en dérision… Film qui inspira une série du même nom, et qui dégoûta tellement Altman qui voulu y répondre par un nouveau film, inspiré d’une pièce de théâtre de David Rabe, s’intitulant Streamers.

Ici, aucun humour, même noir, aucune compassion et même pas une once de bonne humeur : le film est sombre, froid, inspirant la tristesse. Et puisqu’il est issu d’une pièce de théâtre, pas besoin de faire dans le grandiose : un seul décor, six personnages principaux, une courte durée d’action et une profusion de dialogues. C’est un peu le contraste du Robert Altman que l’on connaît, que l’on aime, dirigeant des dizaines d’acteurs dans des dizaines d’endroits différents mais qu’importe : Streamers est une réaction, et pour ce faire elle doit être rapide. D’où le minimum syndical au niveau de la forme pour un film tourné en… 18 jours !

C’est un peu dommage d’ailleurs qu’Altman ne vogue pas plus à l’extérieur du bloc des soldats, mais paradoxalement cela sert le film : le sentiment de claustrophobie qui s’en dégage petit à petit nous mets mal à l’aise, et l’impossibilité de bouger des chambrées, même pour se rendre dans les pièces jointes comme les douches, confirme un sentiment d’insécurité, de méfiance et surtout d’attention à ce qui se passe dans l’endroit où nous sommes. De ce point de vue dramatique, Altman réussit admirablement à imposer son récit, ses personnages, son décor au spectateur, et fait oublier qu’il était l’auteur d’un M.A.S.H. souvent en plein air.

Les acteurs de ce fait se sentent privilégiés, et le rendent bien au cinéaste : six personnages mais six interprétations dignes de ce nom, moins peut-être pour Michael Wright qui en fait trop, contrairement à Mitchell Lichtenstein et George Dzundza d’une justesse d’un bout à l’autre du film. Des acteurs récompensés, en collectif, du Prix d’interprétation à Venise, fait inédit à l’époque et qu’Altman réitéra quelques années plus tard.

Le scénario soulève aussi des questions difficiles : l’homosexualité, le racisme, l’alcoolisme et le conflit en lui-même. Des sujets tabous, menés de main de maître jusqu’à un certain point ; car c’est là la faiblesse du film, ne pas pouvoir tenir la distance. Déjà raccourci d’une bonne demi-heure, le film aurait été plus fin, plus équilibré, plus efficace, car le gros problème vient de la dernière demi-heure justement, partant un peu dans tous les sens, comme incontrôlable, et Altman semble impuissant à diriger ses comédiens et son récit dans un moment qui, au lieu d’être dramatique, ressemble à du vaudeville ringard et même pas drôle. L’absurdité des dernières scènes et des dialogues creux font que l’on s’ennuie ferme et qu’on décroche. Et gâche le plaisir du film, correct jusque là.

Un sentiment de travail bâclé vient donc empiéter sur le film, nous laissant un drôle de goût en bouche. L’ironie d’Altman disparue, et pire sa direction d’acteur abandonnée l’espace d’un quart du film font plonger Streamers vers la médiocrité. Une réalisation stable et des thèmes osés sauvent heureusement le film du naufrage, mais de peu. Dommage.

Note : **

vendredi 26 janvier 2007

L'armée des ombres


Tout le monde connaît Jean-Pierre Melville le réalisateur de films noirs. Mais ce serait une grave erreur que de sous-estimer ses autres films, en particulier ceux sur la Seconde Guerre Mondiale, notamment son chef-d’œuvre L’armée des ombres.

Le film, le troisième de Melville sur l’Occupation (avec Le silence de la mer et Léon Morin, prêtre), fut critiqué dès sa sortie : certains reprochèrent à Melville sa fidélité à De Gaulle alors que nous étions en 1969, soit un an après mai 68… Pourtant, le cinéaste n’en eut cure, et l’idée de De Gaulle n’était pas son centre d’intérêt : « J'ai porté [le film] en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C'est un morceau de ma mémoire, de ma chair ». En effet, Melville n’a jamais caché que son film tenait de ses propres souvenirs de résistant et de l’action de Lucie Aubrac : « Dans ce film, j'ai montré pour la première fois des choses que j'ai vues, que j'ai vécues. Toutefois, ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D'un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance, j'ai fait une rêverie rétrospective; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération ».

Le film sera néanmoins un succès public, même s’il marquera la fin d’une amitié entre Melville et Ventura, ce dernier ne supportant plus les manies vestimentaires du premier. L’acteur racheta même un contrat qui le liait à un troisième film avec le cinéaste (le premier étant Le deuxième souffle). Néanmoins, à la mort du cinéaste, Ventura sera attristé et enverra un bouquet de fleurs en signant simplement « Lino ».

Concernant Ventura, il faut savoir qu’il accepta le rôle car son personnage représentait un héros discret comme il les affectionnait. Des rumeurs concernant un passé de résistant de la part de l’acteur (il déserta l’armé italienne et quitta le pays pour la France) furent néanmoins diffusées, et on ne su jamais réellement ce qu’il en était. Toujours est-il que Lino trouve là l’un des rôles les plus marquants de sa carrière, celui du chef de résistance Gerbier, vouant un amour indéfectible à son pays et son chef suprême, incarné magnifiquement par Paul Meurisse. Lino joue en effet sur les silences, qui faisaient sa force, et le magnétisme qu’il dégage est tout simplement ahurissant. Il en viendrait presque à dominer totalement ses autres camarades de jeu, pourtant très bons puisqu’il s’agit de Simone Signoret ou Jean-Pierre Cassel. Une interprétation magistrale qui a certainement contribué au succès du film.

Melville, quant à lui, reste fidèle à ses thèmes : le sens de l’honneur, la trahison, la hiérarchie d’un organisme clandestin, l’amour gâché sont autant de figures qui parcourent l’œuvre du cinéaste. De plus, et c’est assez étonnant pour être souligné, le film ne fait pas l’apologie de la Résistance contrairement aux autres films du genre ; s’il salue ce mouvement essentiel, Melville en souligne aussi les dangers, souvent mortels, comme les horreurs que l’on doit parfois commettre, comme d’abattre quelqu’un qui nous est cher pour trahison. Melville, au- delà de scènes surréalistes (l’évasion de Gerbier par exemple), tente de rétablir la vérité sur la Résistance, largement embellie par le cinéma auparavant.

Il faut aussi respecter la reconstitution historique de Melville, dont le simple plan d’ouverture est impressionnant : des milliers de soldats allemands, au pas, défilant sur les Champs Elysées. S’il ne fut pas satisfait des militaires qu’on lui proposa, c’est à des danseurs que Melville fit appel, pour obtenir la démarche qu’il souhaitait.

Enfin, la musique d’Eric de Marsan est à souligner, remarquable et mélancolique, qui insuffle un côté plus dramatique encore à la tragédie que Melville dessine petit à petit, avec la classe et le génie qui les caractérisait lui et ses œuvres.

Un film somptueux, digne, incisif, qui ne laissera personne indifférent. Le travail cinématographique de Melville n’a d’égal que le devoir de mémoire du film : irréprochable.

Note : *****

mardi 23 janvier 2007

Il était une fois en Amérique (Once upon a time in America)


Reprenons un peu l’histoire depuis le début : nous sommes en 1970, et sans qu’il le sache lui-même Sergio Leone vient d’initier sa trilogie sur l’Amérique avec Il était une fois dans l’Ouest, qui connaît un joli succès. Il découvre alors The Hoods, roman d’un ancien malfrat du nom de Harry Grey. Bien qu’il n’aima pas le livre, Leone était fasciné par l’idée d’en faire un film. Après de nombreuses discussions sur les droits du livre, Leone finit par avoir les accords nécessaires et se lance avec des amis dans l’écriture du scénario (ce qui le poussera à refuser la réalisation du Parrain). Sur un deuxième entretien, Harry Grey confie à Leone qu’il trouve les films de gangsters américains archifaux, d’où l’écriture de son livre. Et c’est le déclic pour Leone : « Là, j’ai tout compris parce que, justement, je trouvais que son roman était farci de passages copiés des films noirs. Les meilleurs comme les pires ! Il n’avait fait que plagier. Après les épisodes de l’enfance, tout dérapait dans le cliché. Brusquement, mon intuition se vérifiait. Les seules choses authentiques de son récit, c’étaient les épisodes de l’enfance. Alors, je me suis dit qu’à partir du moment où l’imaginaire prenait autant le dessus sur la réalité, au point que l’auteur croyait faire du neuf avec les stéréotypes les plus courants, c’est que nous étions vraiment au cœur du mythe. Et, à cet instant, je compris qu’il fallait faire un film sur cette idée là… J’avais trouvé la bonne direction. Il fallait faire un hommage au genre noir et un hommage au cinéma. »

Le scénario se construit tant bien que mal ; les légendes veulent qu’il y ait eu pas moins de 12 versions différentes, et que le script final faisait 400 pages. Leone pense alors au casting : il aimerait avoir trois acteurs différents pour chaque période d’âge différente. A ce moment précis, c’était Richard Dreyfuss et James Cagney qui jouaient Noodles adulte et vieux, et Gérard Depardieu et Jean Gabin pour Max (le nom de Klaus Kinski fut prononcé également). Finalement, ce sont Robert de Niro et James Woods qui furent choisis. Les relations avec De Niro n’étaient pas des meilleures au début : il n’hésitait pas à conseiller Leone sur l’emplacement de la caméra dès le premier jour de tournage. Leone répondit, paisiblement « Bon, d’accord, c’est toi qui diriges le film » et retourna à son hôtel. Mais au fil du temps, les deux hommes se sont entendus à merveille, et tandis que Leone attendait la météo idéale pour ses plans, De Niro conseillait Woods sur des détails pour construire son personnage (il lui fit blanchir ses dents à ses frais, afin de donner à Max un côté vaniteux et propre sur soi).

Le tournage dura plus d'un an avec de nombreuses prises de vue en extérieur à New York, Toronto, Rome et Venise. Pour la première et dernière fois, Leone tournait en format 2:35, autrement dit en CinémaScope, et filma près de 10 heures de rushes pour obtenir les 3h40 finales. Le budget de production explosa, dépassant les prévisions de trois millions de dollars. A sa sortie, le film, qui nécessita finalement un investissement de 30 à 40 millions de dollars, se solda par un véritable échec commercial aux Etats-Unis. Le film n'y fit que 2,5 millions de dollars de recettes. La cause en fut un remontage quasi total : en réalité, Leone devait fournir aux producteurs un film de 2h45 et non 3h40. Les Américains raccourcirent donc le film, effaçant aux passages les flash-backs pour un montage linéaire, ce qui détruisait la véritable portée du film (un rêve pur et simple de Noodles). Ce massacre cinématographique ainsi que les attaques du peuple juif (qui accusèrent le film d’être antisémite) et de mouvements féministes (s’indignant du sort des femmes dans ce film) empêcha le film de bien marcher et par la même occasion lui interdisait les nominations aux Oscars, bien que Leone et Morricone furent nominés aux Golden Globes. Il fallut attendre la sortie DVD du film en Amérique pour qu’il soit enfin acclamés tant au niveau de la critique que du public…

Jamais un film de Leone n’a embrassé autant de thèmes différents avec tant de panache et d’amertume auparavant. L’amitié, l’amour, la mort, l’Amérique, la violence, la poésie sont autant d’éléments qui constituent l’histoire, basique, de Noodles. Mais c’est ce que voulait Leone : rendre hommage au cinéma. Cette scène du gamin mangeant la charlotte à la crème dans les escaliers ne fait elle pas écho au cinéma de Chaplin ? Mais le véritable génie du scénario est le travail sur le temps : flash-backs, flash-forwards, le temps qui anime les passions, crée des distances entre les amis…

On sait que Leone a toujours été fasciné par le temps, à l’instar de ce ballet de la mort qu’est Il était une fois dans l’Ouest, et il trouve ici l’occasion d’exploiter pleinement ses idées : sa mise en scène est lente, prenant le temps de planter le décor, de présenter ses personnages de sorte à ce qu’ils ne nous quittent plus, même après le film. Et quand le rythme s’accélère un peu, Leone revient au calme avec un rendez-vous romantique en bord de mer. Plus que jamais, le cinéma de Leone s’inscrit dans notre chair, dans notre cœur pour ne jamais en sortir. Passé ce fait, Leone peaufine ses plans : des amis traversant une rue avec le pont de Brooklyn en arrière-plan, des retrouvailles sous une légère pluie, un amour d’enfance dansant entre les cartons d’une réserve… Autant d’images que Leone imprime sur pellicule comme ses propres souvenirs et ceux du cinéma, qu’il a tant aimé.

Les acteurs l’ont très bien compris, et quand on sait que Leone a refusé de se faire soigner le cœur pour réaliser ce film (ce qui lui coûta probablement la vie), on se doute que les acteurs ont du se surpasser pour faire honneur au maestro. Visiblement, ils l’ont fait, tous étant irréprochables, même si littéralement écrasés par le duo Woods-De Niro, le premier en arriviste dangereux et manipulateur ambitieux, l’autre en ami traître et trahi, tour à tour étouffant sa colère et ses frustrations sexuelles et dépassé, usé par la vie qu’il a choisi. Sans faire trop d’éloges, De Niro trouve là l’un de ses plus beaux rôles, tout en intériorisation, ne parlant pas plus qu’il ne faut, où son physique banal et inexpressif trouve le tremplin idéal à sa dimension psychologique, la vraie force de son talent. Encore un rôle où il s’est brûlé les ailes, c’est certain, mais le rendu dépasse l’entendement tant il est incroyable.

Enfin, il faut saluer comme il se doit la composition musicale d’Ennio Morricone, interdite d’Oscars pour ne pas avoir été citée au générique… Reconnue comme l’une de ses meilleures, si pas la meilleure, au repos pendant des années, elle parcours le film lui conférant une dimension quasi-tragique, d’une profonde mélancolie voire nostalgie pour un monde d’autrefois, où qui n’a peut-être même jamais existé.

Un film remarquable, foisonnant, déchirant, envoûtant, captivant, lent, inoubliable. Le chef-d’œuvre incontestable d’un artiste génial, jamais reconnu à sa juste valeur et qui trouve, le temps d’une histoire, le temps d’un personnage et de ses rêves, l’occasion de remercier le cinéma qui lui a tant donné. Le septième art à l’état pur en quelque sorte, et un cinéaste en état de grâce offrant comme testament l’un des plus grands – et plus beaux – films jamais réalisé.

Note : *****

samedi 20 janvier 2007

A mort l'arbitre !


On sait que Jean-Pierre Mocky ne fait rien comme les autres. Alors quand on sait qu’il s’attaque au monde du football avec A mort l’arbitre !, on est en droit de s’inquiéter.

Du football ? Pas exactement, puisque ce sont les supporters les cibles du film. Entendez bien les supporters beaufs, un peu arriéré, amoureux de la baston, de l’insulte et autres activités anti-sportive. Soyons honnêtes, nous ne sommes pas à l’abri du stéréotype, mais rapidement on découvre que c’est voulu, que tout dans ce film est exagéré.

Le scénario est exagéré : ces supporters qui veulent tabasser l’arbitre pour leur avoir fait perdre la coupe, jusqu’à ce qu’il y ait un mort par erreur et que l’on accuse l’arbitre d’en être l’auteur, d’où chasse à l’homme… Une histoire improbable pour un film décalé, déconnecté de la réalité. Les personnages sont d’ailleurs plus invraisemblables les uns que les autres, entre les stéréotypes et les caricatures abusées.

Il est intéressant d’analyser la mise en scène de Mocky. Clairement décalée elle aussi, elle ressemble assez à ce que sera plus tard After Hours de Scorsese, cette cavalcade pour la survie d’un pauvre quidam accusé de meurtre. Se passant exclusivement de nuit, la réalisation lorgne aussi du côté d’Orange Mécanique, dans l’utilisation des focales qui offrent des cadrages étonnants. Il y a aussi cette manière spécifique de filmer les immenses bâtiments froids, comme la cité urbaine du film de Stanley Kubrick. Enfin, l’utilisation de la musique classique pour contraster avec les images est flagrante.

Au niveau des interprétations, ces acteurs qui possèdent une « gueule » comme on dit font que le charme opère. Hélas, ils ne sont pas toujours convaincants, comme il arrive qu’Eddy Mitchell ou Carole Laure aient des moments de faiblesses, bien que rares. Non, ce qui surprend le plus reste l’interprétation de Serrault, très loin de ses rôles habituels de comique puisque ici, il joue carrément le rôle d’un fourbe, menteur et psychopathe de surcroît. Voici ce qu’en dit justement Mocky : « Vous savez, cela fait longtemps que je pense que les acteurs comiques sont aussi d'excellents acteurs dramatiques. Les exemples classiques sont Fernandel, Bourvil et Raimu (...). Quant au personnage de Serrault dans A mort l'arbitre !, il est un peu comparable à Robert Le Vigan dans Goupi Mains rouges, c'est-à-dire un personnage d'exception. »

Cependant, malgré toutes ses qualités, le film ne séduit pas totalement, laissant une drôle d’idée derrière lui : bombe anticonformiste ou film bâclé sous couvert d’originalité ? Il y a en effet par-ci par-là des longueurs, des répétitions, un côté un peu trop manichéen, des scènes un peu trop prévisibles… On regrette, d’autant que le politiquement incorrect de mise ici fonctionne en général, comme dans ce final immoral.

Un film ambigu, qui nécessite plusieurs visions avant de pouvoir émettre un avis définitif sur son apport au cinéma. Du premier coup en tout cas, à moitié convaincu.

Note : **

mercredi 17 janvier 2007

Killing Zoé


Tarantino a ouvert des portes dans le monde du cinéma à des cinéastes et à des films parfois spéciaux. C’est un peu le cas de Killing Zoé, premier film de Roger Avary.

Pour rappel, Avary est le grand pote de Tarantino, celui qui a participé activement à l’écriture de Reservoir Dogs et surtout Pulp Fiction. Et c’est durant des repérages pour Reservoir Dogs justement qu’Avary voit bien un film qui parlerait d’un braquage de banque. Alors quand ce dernier passe à la réalisation, sponsorisé par Tarantino et Lawrence Bender qui plus est, on est en droit d’attendre une petite merveille… Jusqu’à ce que la réalité nous explose au visage : Killing Zoé est bien plus proche du navet que du chef-d’œuvre.

Sauvons les meubles et précisons que le casting était joli à la base, et la réalisation d’Avary n’est pas mauvaise en soi. Mais hélas, c’est à peu près tout ce qu’on peut sauver de ce film tant il semble bâclé, sans rejeter la faute aux distributeurs (la director’s cut n’a rajouté que trois malheureuses minutes qui ne changent absolument rien !)

D’abord, le scénario est inexistant : là où on s’attendait à un film minutieux, drôle ou même consistant, le contre-pied est fatal : le braquage en lui-même ne dure qu’un tiers du film, et vire plus au bain de sang gratuit (et grotesque) qu’à un hold-up, les 20 premières minutes sont fades (naissance d’une histoire d’amour être un perceur de coffre et une putain… original) et les 40 minutes précédant le coup auraient mérité un meilleur traitement : des idées sont lancées sans être exploités (le sida d’Eric) et les trips héroïnomanes sont cools un temps mais finissent par lasser. A croire que le film veut plus décrire le monde de la drogue qu’un braquage de banque, mais là aussi on a vu mieux.

Les acteurs limitent la casse mais de peu : Eric Stoltz n’a rien à se reprocher, mieux même il joue bien, tandis que Julie Delpy est sous-exploitée et Jean-Hughes Anglade, marquant, sombre parfois dans l’excès et perd sa crédibilité.

Enfin, la réalisation d’Avary est certes honorable sur le plan des cadrages mais manque considérablement de rythme, de ligne directrice et surtout de ce soupçon magique qui font de Tarantino un cinéaste ultraviolent mais regardable ; ici, c’est tout le contraire.
Une grosse déception donc, de la part d’un artiste qui se prétendait meilleur que ça. Plus de rigueur et plus de travail aurait pu faire de Killing Zoé le digne héritier d’un Après-midi de chien ; il en est réduit à en être la pâtée.

Note : *

dimanche 14 janvier 2007

Full Metal Jacket


La guerre, un sujet important pour Stanley Kubrick, il l’a largement démontré. Il est d’ailleurs étonnant qu’il ait attendu 1987 (et une série de films) pour réaliser son chef-d’œuvre sur le conflit au Vietnam avec Full Metal Jacket.

Il faut dire qu’avant lui, de grands noms s’étaient déjà attardé sur le sujet avec brio. En tête : Coppola et son métaphysique Apocalypse Now, et Cimino et son psychodramatique Voyage au bout de l’enfer. Et malheureusement pour Kubrick, le côté réaliste de son film sera battu par le Platoon d’Oliver Stone, sorti quelques mois auparavant (ce qui n’empêcha pas le cinéaste d’aimer le film de Stone). Toujours est-il qu’après six ans de travail, Kubrick se lance dans son dernier film de guerre, et non des moindres puisqu’elle fut l’une des plus dramatiques d’un point de vue psychologique pour lui.

Adepte des technologies nouvelles, Kubrick fait son casting par vidéo interposée : les acteurs envoient leurs cassettes, et si le réalisateur est intéressé il les rencontre. Le cas de R. Lee Ermey, qui joue l’inoubliable sergent instructeur Hartman, est un peu particulier : ce dernier envoya une cassette pour le moins original, puisqu’il y passait son temps à hurler et à injurier durant 15 minutes. Intrigué, Kubrick accepta de le rencontrer, mais l’entretien ne fut pas à son goût et refusa Ermey. Ce dernier, jouant sa dernière carte, hurla à Kubrick de se lever, ce que fit le cinéaste instinctivement. Convaincu par l’acteur, Kubrick l’engagea mais lui confia en outre la supervision de nombreuses scènes de Paris Island, ainsi qu’une liberté d’improvisation rare (un gag veut que la première fois que Ermey hurla « and not even have the goddamned common courtesy to give him a reach-around » (traduisez par « ne pas avoir la courtoisie de lui enfiler un ‘préservatif’ »), Kubrick ne comprit pas le dialogue ; après qu’Ermey lui eut expliqué ce qu’était un « reach-around », Kubrick rigola et redemanda la même prise). En échange de tous ces avantages, et pour obtenir un effet maximal, Kubrick demanda à Ermey de ne jamais rencontrer les acteurs avant le tournage, ni de parler avec eux entre les prises. Kubrick n’était pas des plus téméraires de toute façon : il refusa de rencontrer Bill McKinney pour le rôle du sergent Hartman justement, ayant trop peur de se retrouver face à lui après sa performance dans Délivrance de John Boorman !

Le tournage fut, comme souvent chez Kubrick, interminable mais chargé de choses positives : l’opérateur Douglas Milsome innova la manière de filmer un combat avec un obturateur spécial sur sa caméra (effet repris dans Il faut sauver le soldat Ryan) ; Kubrick utilisa aussi une lentille spéciale pour les séances d’entraînements, laquelle ne se focalisait pas sur un seul acteur mais sur l’ensemble (Kubrick estimait que la notion de masse était importante à ce moment-là) ; Vincent D’Onofrio gagna près de 32 kilos pour son rôle, battant les 27 kilos de Robert de Niro pour Raging Bull ; enfin, Kubrick supprima de nombreuses scènes, dont une importante qui représentait un groupe de soldats jouant au football… avec une tête humaine !

Le secret pour faire un bon film de guerre est de ne pas trop parler de la guerre justement. Les plus grands l’ont montré : Coppola, Cimino, Stone et plus tard Malick et Spielberg. De toute façon, ce n’est pas la violence en elle-même qui intéresse Kubrick, mais ce qu’il peut en tirer comme hypothèse pour l’un de ses thèmes chéris : le dysfonctionnement humain. Quel formidable chose que le cerveau humain ! Le seul à offrir une conscience, et permettre de la sorte de trouver bien ou mal de tuer, et d’y trouver parfois du plaisir. Ce que Kubrick veut afficher ici, c’est le lavage de cerveau subit par les jeunes recrues et leur dualité (selon la théorie de Jung, comme le précise Guignol qui affiche l’inscription « Born to Kill » sur son casque et le symbole de paix sur sa veste). Pour ce faire, Kubrick use de tous les moyens à sa disposition : la musique en contraste avec les images (le plan d’ouverture sur le mélancolique Hello Vietnam de Johnny Wright), les répétitions de mouvements de caméra (travellings compensés, marque de fabrique de Kubrick), les décors comme représentation matérielle de l’état d’esprit du héros (le décor final, en ruine comme l’esprit de Guignol), etc. La progression de Leonard dans la folie est d’ailleurs une preuve de ce travail sur la santé mentale des recrues, ce dernier devenant une véritable machine à tuer après avoir été brimé.

Kubrick s’amuse aussi, sans perdre de vue le côté réaliste de la situation, à glisser des détails importants. Mickey Mouse par exemple : si en argot militaire GI, il symbolise quelqu’un de faible, petit et sensible, il fait aussi référence au côté enfantin, autrement dit innocent, qui sommeille en chacun de nous. Or comment quelqu’un d’innocent peut-il délibérément tuer un de ses semblables sous prétexte d’un conflit qui ne le concerne pas ? C’est l’une des innombrables questions que soulève le cinéaste, qui d’ailleurs ne prend jamais parti, la seule victime de son héros Guignol étant une militaire vietnamienne à l’agonie : courage ou pitié ?

Une fois encore, Kubrick signe un film antimilitaire puissant. Pas tant dans la forme, qui démontre l’ignominie d’une guerre comme celle-là, que dans le conditionnement : le sergent Hartman fait l’apologie de serial killers ou d’assassins comme Lee Harvey Oswald comme étant des tireurs d’élite, ce que sont appelés à être les Marines ; la vérité est étouffée dans des journaux bidons où l’information est celle que l’on décide, pas celle qui est réellement ; enfin, le respect des morts disparaît au profit de moments d’humour.

Dans le rôle titre, Matthew Modine est remarquable, ironique et angoissé, tenant la dragée haute à tous es autres camarades sauf deux : Vincent D’Onofrio et R. Lee Ermey. Je ne m’attarderai pas trop sur leurs prestations, leurs qualités étant citées plus haut, mais ne pas reconnaître que ce sont eux deux qui laissent un souvenir inoubliable aux spectateurs serait un scandale pur et simple : sur une seule moitié de film, ils écrasent tout le monde.

Enfin, petit salut à la b.o. démente, mélangeant les musiques d’ambiance comme Kubrick les aime avec musiques pop d’époque, de These boots are made for walking à Wooly Bully, sans oublier le rythmé Surfin bird utilisé à merveille pour une scène de combat.

Un film qui n’eut qu’un succès d’estime à sa sortie, et encore, malgré une technique incroyable, un scénario en or et des interprètes remarquables, et qu’il convient de reconsidérer grandement 20 ans plus tard : Full Metal Jacket est l’un des meilleurs films de guerre jamais réalisé. Et je le pense et dis en toute objectivité.

Note : *****

jeudi 11 janvier 2007

Marie-Antoinette


A en croire la fille d’un des plus grands cinéastes de tous les temps, la vie d’une adolescente n’est vraiment pas cool. Et pour continuer son analyse de la pauvre petite fille déconnectée du monde dans lequel elle évolue, Sofia Coppola signe Marie-Antoinette.

Sofia n’abandonne pas son sujet de prédilection en effet, sujet qu’elle exploite depuis New York Stories avec l’aide de papa. Puis Virgin Suicides a été comme une bombe, la soi-disante révélation, tandis que Lost in translation semblait marquer un élargissement du sujet à l’homme. Alors bon, on doit se dire qu’avec Marie-Antoinette, Sofia continue son voyage mais que, finalement, elle semble un peu tourner en rond.

Le film regorge pourtant d’idées intéressantes ; outre le classique « plus on st riches plus la vie semble triste », c’est surtout dans la conception de sa b.o. que Coppola surprend : une majorité de musiques seventies et eighties pour la reine du XVIIIe S. Alors ouais, ça paraît fun mais il y a plus que ça : Coppola permet ainsi une déconnexion temporelle, un mélange du passé avec le présent. Comme si l’histoire de Marie-Antoinette était encore d’actualité, mais c’est surtout pour montrer que Marie-Antoinette n’a pas sa place dans l’univers qu’elle évolue. La mélancolie de Coppola n’a jamais aussi frappante et aussi clairement définie.

La cinéaste, qui a obtenu l’autorisation exceptionnelle de tourne dans le véritable château de Versailles (et même la galerie des Glaces et le petit théâtre privé de la reine), est fière de ses décors et le prouve : la majorité des plans sont des plans d’ensemble. C’est beau en effet, mais du coup cela paraît trop distant pour nous séduire. Les décors ont la classe, les costumes en mettent plein la vue, même les pâtisseries font rêver, mais derrière tout ça un manque d’humanisation. A trop s’attarder sur l’esthétique, Sofia en oublie le principal, son sujet.

La complexité du récit également, non pas dans la narration que dans le nombre de personnages et de thèmes à aborder semblent dépasser la Coppola. Du coup, on se farcit les angoisses de l’impuissance du roi, mais on oublie de parler de la France elle-même, la prérévolutionnaire qui va changer la face du monde moderne. Ainsi le final semble incongru, d’une logique absolue certes mais bien mal exploitée. Et puis les orgies de sucreries, c’est bien un peu, mais là on frôle l’indigestion.

On ne peut cependant pas blâmer les acteurs. Kirsten Dunst, probablement l’actrice fétiche en devenir de Coppola, saisit toutes les nuances de son personnage et lui donne une image nouvelle, plus proche de l’idéologie de Coppola que de l’Histoire certainement. Elle n’hésite cependant pas à donner ce qu’elle peut, même son (splendide) corps, pour bluffer le spectateur. Le niveau de seconds rôles comme Steve Coogan ou Judy Davis l’aidant à se surpasser, on assiste à une interprétation globale de qualité.

Sofia Coppola continue donc d’explorer un univers certes peu abordé au cinéma sauf qu’à force, elle ne semble pas se renouveler, et ne semble pas non plus en mesure d’assumer de grosses productions. Pour preuve, c’est bien le côté intimiste parfois présent de Marie-Antoinette qui permet au spectateur de rester en place et de regarder jusqu’au bout cette (trop longue) évocation de la plus célèbre Reine de France.

Note : **

lundi 8 janvier 2007

Le Bal


S’inspirant d’une pièce de théâtre, Scola planifie son film d’emblée comme un film muet musical. Paradoxal ? Pas vraiment, il veut simplement dire que les acteurs ne parleront pas, que ce sont les musiques qui le feront pour eux. Et dans un souci de fidélité à l’œuvre, Scola travaille avec son auteur et ses acteurs danseurs. Le pari : raconter 50 ans de la France en moins de deux heures, dans un décor unique, avec une douzaine de comédiens et aucun dialogue, les seuls mots prononcés étant les chansons contemporaines.

Farfelu comme idée, mais qui vaut son pesant d’or. On sait que Scola aime raconter les histoires de manière originale, et il y a là une matière qui ne demande qu’à être exploitée. Très rapidement, le résultat saute aux yeux : le film est virtuose, intelligent et son charme n’a d’égal que son regard cynique sur une France pas si propre par époque…

Reprenons les époques citées : le Front Populaire, l’Occupation, la Libération, les années 50, la Guerre d’Algérie, mai 68 et enfin les années 80 où tout change sauf les vieilles générations. Le génie de ce film réside sans conteste dans son regard discret mais néanmoins corrosif sur ce qu’il représente : un collabo danse le tango avec un officier SS, et à la libération est rejeté de la société. Les années 50 symbolisent un côté rebelle, où les enfants désobéissent aux parents tandis que, par plaisir, les hommes se battent. Durant la Guerre d’Algérie, un Arabe se voit refusé toutes ses danses avant de se faire battre par la version beauf d’un Français de l’époque. Mai 68, année des changements mais avec un mal-être ambiant, comme la reprise de Michelle des Beatles de façon lymphatique. Enfin, les années 80, les modes évoluent et la vieille génération se voit disparaître dans un monde qui a avancé sans elle.

Attention, le film n’est pas grave, loin de là : chaque séquence contient sa dose d’humour, et les comédiens sont d’ailleurs aussi comiques que danseurs confirmés. C’est de l’humour sauce Scola qui parcours cette œuvre, qui sait tirer parti de chaque situation pour mélanger comédie moderne et burlesque. Du grand art, à l’image de la mise en scène.

Cette dernière est d’ailleurs un exercice de style pour Scola, qui privilégie bien évidemment les plans-séquences. Il travaille également sur ses cadrages, la lumière et surtout aime jouer ici avec les reflets, des miroirs notamment, sans jamais montrer la caméra. Il maîtrise son huis clos et bien plus ses transitions encore, relativement simples mais pourtant très bien trouvées. Il s’adapte également à son histoire et à l’époque décrite pour construire ses mouvements de caméras : circulaires ou travellings, brutes ou délicats…

Evidemment, difficile de passer à côté de la b.o., qui allie tubes et reprises musicales de Vladimir Cosma avec… classe ? Brio ? Génie ? Un peu de tout cela.

Une œuvre unique, une forme d’expression assez originale pour un cinéaste anticonformiste mais qui sait tirer profit du cinéma pour exprimer ses idées. En un mot comme en cent : Ettore Scola est un artiste, et Le bal est l’une de ses plus belles œuvres.

Note : ****

vendredi 5 janvier 2007

The Gladiators (Gladiatorerna)


Peut-on croire que, parmi les cinéastes engagés, certains ont un don de prémonition ? Apparemment oui, puisque dès 1969 le trop méconnu Peter Watkins savait vers quoi se dirigeait le monde et la télévision avec The Gladiators.

Afin de défouler l'agressivité de leurs concitoyens, les deux grands blocs qui dominent le monde (communistes et capitalistes) décident de faire s'affronter jusqu'à la mort deux équipes de gladiateurs modernes dans un show télévisé. Ce jeu mortel s’appelle « Peace Game ».

Vous ne rêvez pas : 30 ans avant tout le monde, Watkins prévoyait les reality shows mettant en avant de pauvres quidam à qui on appliquerait des tortures physiques et morales. Si nous n’en sommes pas encore au niveau de la guerre, certaines émissions n’hésitent cependant pas à exiger l’extrême de leurs candidats, et cela s’empire au fil des ans… Fidèle à ses thèmes, Watkins se sert de l’actualité comme prétexte pour attaquer les médias et les pouvoirs politiques, sous n’importe quelle forme : capitalistes, communistes mais aussi anarchistes, car comme le dit un personnage à la fin du film : « Que ce soit ce système ou un autre, ils sont tous semblables… » Watkins rejette donc les idéologies préconçues mais n’estime pas qu’un renversement du pouvoir serait la solution idéale, contrairement aux accusations qu’on lui portera deux ans plus tard avec Punishment Park…

D’un point de vue scénaristique, Watkins se sert encore et toujours de données scientifiques pour appuyer ses idées altermondialistes. Un message pas toujours subtil mais qui a le mérite d’être honnête. Sans compter qu’ils véhiculent d’autres messages : la paix, l’amour comme solution, le fait que la solution de nos problèmes se trouve dans un discours clair et chaleureux…Watkins est un intello mais aussi un sentimental, et jamais encore il n’avait été aussi philanthropique dans ses films, ce qui peut paraître un brin désuet avec du recul, surtout que son discours anti-guerre est des plus virulents et inoubliables.

Visuellement, Watkins reste cantonné à son style, c’est-à-dire très télévisuel pour coller au plus près de la réalité. Il va quand même chercher une stylisation assez nouvelle aussi, notamment au niveau du son et de la musique. Pour ce dernier élément, Watkins devance Kubrick et sa violence sur fond de Beethoven : le massacre de deux traîtres se fait ainsi sur fond de musique classique joyeuse, contraste avec les deux malheureux couverts de sang se faisant battre à mort par la police du Peace Game. La preuve finale que la mort peut être quelque chose de beau, de grand lorsqu’on sait la manipuler correctement (cette scène participera d’ailleurs à l’interdiction du film en Suède… un pays de plus pour le cinéaste).

Moins séduisant que d’autres films de son auteur, The Gladiators a cependant le mérite d’être un suspens habilement construit, un film anti-guerre redoutable, une critique virulente des mass-media et le travail d’un cinéaste sur son propre art. Car The Gladiators ne doit son inspiration qu’à lui-même, et ça pour un film, ça vaut tout l’or du monde.

Note : ***

mercredi 3 janvier 2007

Mars Attacks !


Certains cinéastes osent parfois prendre des risques en réalisant des films… atypiques. Tel est le cas de Tim Burton, qui doit cependant remercier sa bonne étoile et surtout sa cote de popularité pour pouvoir réalisé des films comme Mars Attacks !

D’emblée le ton est donné : le film s’inscrit dans le sillon de ces films SF kitsch des années 50, genre Planète interdite ou plus encore Plan 9 from outer-space. Tout le monde sait que Burton raffole de vieilles séries Z, et il n’hésite pas à leur rendre hommage ici. L’occasion aussi, au passage, de réagir à l’Independence Day de Roland Emmerich, qui malgré ses dires est clairement nationaliste et patriotique ; Mars Attacks !, lui, se veut plutôt comme une satire sociale et politique, où les Américains ne dominent décidemment jamais la situation. Le pouvoir militaire est tourné en dérision puisque l’énergie nucléaire est utilisé comme hélium par les aliens, et il n’y a que la musique de Slim Whitman qui tuera les martiens ! (référence aux microbes qui tuent les envahisseurs de la Guerre des mondes, auquel Burton emprunte d’ailleurs les effets sonores pour les pistolets lasers). Même les uniformes militaires, jeeps, tanks et artillerie américaine datent des années 50 !

Côté casting, Burton s’entoure avec du quatre étoiles, entre les habitués et les petits nouveaux, sans oublier ceux qui ont été refusé (Warren Beatty pour le rôle du Président) ou qui ont décliné l’offre (Johnny Depp pour le rôle du journaliste Jason Stone). Quelques noms en vitesse : Jack Nicholson, Glen Close, Pierce Brosnan, Annette Bening, Jim Brown, Lukas Haas, Rod Steiger, Nathalie Portman, Danny de Vito, Tom Jones, Sarah Jessica Parker, Michael J. Fox, Pam Grier, Barbet Schroeder ou encore Jack Black ! Mentions spéciales d’ailleurs à Nicholson en Président, Brosnan en scientifique optimiste et Rod Steiger en général qui fait songer à un certain George C. Scott dans Dr Folamour…

Basé sur le cinéma d’autrefois comme sur des cartes à jouer que possédait Burton collectionnait, Mars Attack ! est l’occasion pour Burton d’exploiter pleinement son humour noir, n’hésitant parfois pas à s’amuser de lui-même comme ce cadavre de clown dans le vaisseau spatial, clown tué par Pingouin dans Batman II ! Un mot d’ailleurs sur les squelettes verts ou rouges des personnes désintégrées : Burton les a colorié ainsi car le film était prévu pour sortir durant les fêtes de Noël ! On regrettera seulement que l’humour ne marche pas toujours, certains gags étant trop gros ou un peu lourd pour être réellement appréciés.

On regrettera aussi le massacre systématique des vedettes (bien que cela renforce l’idée de film catastrophe) à l’exception du boxeur interprété par Jim Brown qui parvient à se libérer d’une trentaine d’aliens sans y laisser sa peau !

Décalé, original, Mars Attacks ! ne souffre que d’un manque de rigueur quant à son scénario pour être parfait : en dépit, il reste un chouette moment de nostalgie et de comédie.

Note : ***

lundi 1 janvier 2007

Manhattan


Lorsque l’on parle de Woody Allen, on sait quel amour il porte à sa ville natale, New-York. Mais pour confirmer cette légende, il n’a pas hésité à réaliser Manhattan, ce qui peut apparaître aujourd’hui comme l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre.

Fondu en ouverture. Sur fond de Rhapsody in Blue de George Gershwin, une multitude de plans de New-York et une voix-off, celle d’Isaac Davis écrivant son livre. « Chapitre 1 : il adorait New-York. Il l’idolâtrait au-delà de toute mesure ! ». Ainsi s’ouvre le film d’Allen, qui nous permets déjà de comprendre que ce récit, à la manière d’Annie Hall auparavant, va jouer sur un récit à la première personne. Et ne pas hésiter à exploiter ses mésaventures personnelles pour en faire un film qui s’apprête à devenir culte. Il s’en amuse même quelque part, avec son prsonnage refusant de voir sa vie étalé dans un livre alors que le vrai Allen n’hésite pas à le faire ans ses films…

Il faut dire que si Annie Hall représentait une étape fondamentale dans la filmo d’Allen, Manhattan aussi : là où le premier posait les bases de son style, le second confirme ses thèmes récurrents : les difficultés avec l’autre sexe, la peur de vieillir, le besoin de trouver des gens de son niveau intellectuel, le mépris du monde moderne au profit d’un monde d’autrefois, comme ce New-York largement embelli dans ce film, conformément à l’image que s’en fait Woody. Ses angoisses permanentes sont mises en avant tout comme ses références : Groucho Marx, Ingmar Bergman ou encore Federico Fellini, trois artistes dont il estime être un fils spirituel ou tout du moins un fan absolu.

A nouveau, il utilise son ancienne compagne Diane Keaton mais aussi une autre actrice célèbre : Meryl Streep. Face à ses deux génies, Mariel Heminghway se fait discrète mais n’en est pas moins présente à l’écran pour autant, mieux son personnage parvient à nous captiver tout autant que les deux autres. Côté mec, Woody garde la tête d’affiche, mais quoi de plus normal. Tout ce petit monde, comme souvent chez Allen, brille de mille feux, offrant des prestations variées mais toujours superbes. Woody, brillant directeur d’acteur : c’est sûr !

Mais pas seulement. En effet, Manhattan est aussi un petit défi technique comme Woody les aime : alors qu’il pourrait se contenter de tout miser sur un scénario en béton et un casting impressionant, il désire aller encore plus loin. C’est ainsi que Manhattan est à ce jour le seul film de Woody Allen à avoir été tourné sous le format 2:35, appelé CinémaScope. Cela permettait à Woody Allen de donner une perspective globale de la ville de New York, qu'il considère comme un personnage essentiel du film. De plus, Allen choisi le noir et blanc pour une très bonne raison : la gamme de dégradés offre au réalisateur un moyen détourné de faire passer les sentiments de ses protagonistes. Une preuve supplémentaire que Woody n’est pas seulement un conteur : c’est un cinéaste à part entière.

Pour l’anecdote, Woody Allen était à l'époque si mécontent de son travail sur Manhattan qu'il offrit à United Artist de réaliser un autre film gratuitement s'ils acceptaient de laisser celui-ci reposer au fond d'un placard. Mais ce sentiment s'applique à chacun des films du réalisateur, toujours déçu lorsqu'il visionne pour la première fois une de ses oeuvres. Depuis, Woody Allen a changé d'opinion, avouant même que Manhattan est l'un de ses films les plus réussis avec La Rose pourpre du Caire.

Côté récompenses, Manhattan a été couronné de succès à sa sortie : César du meilleur film étranger, le prix du meilleur réalisateur de la NSFC (National Society of Film Critics Award) et de la NYFCC (New York Film Critics Circle Awards) ainsi que BAFTA (l'équivalent anglais des Oscars) du meilleur film.

Remarquable en de nombreux points, Manhattan séduira moins le grand public que d’autres œuvres mais reste, encore et toujours, l’un des films les plus aboutis de l’auteur. Et ça, croyez-moi, c’est un gage de qualité.

Note : ****