lundi 8 janvier 2007

Le Bal


S’inspirant d’une pièce de théâtre, Scola planifie son film d’emblée comme un film muet musical. Paradoxal ? Pas vraiment, il veut simplement dire que les acteurs ne parleront pas, que ce sont les musiques qui le feront pour eux. Et dans un souci de fidélité à l’œuvre, Scola travaille avec son auteur et ses acteurs danseurs. Le pari : raconter 50 ans de la France en moins de deux heures, dans un décor unique, avec une douzaine de comédiens et aucun dialogue, les seuls mots prononcés étant les chansons contemporaines.

Farfelu comme idée, mais qui vaut son pesant d’or. On sait que Scola aime raconter les histoires de manière originale, et il y a là une matière qui ne demande qu’à être exploitée. Très rapidement, le résultat saute aux yeux : le film est virtuose, intelligent et son charme n’a d’égal que son regard cynique sur une France pas si propre par époque…

Reprenons les époques citées : le Front Populaire, l’Occupation, la Libération, les années 50, la Guerre d’Algérie, mai 68 et enfin les années 80 où tout change sauf les vieilles générations. Le génie de ce film réside sans conteste dans son regard discret mais néanmoins corrosif sur ce qu’il représente : un collabo danse le tango avec un officier SS, et à la libération est rejeté de la société. Les années 50 symbolisent un côté rebelle, où les enfants désobéissent aux parents tandis que, par plaisir, les hommes se battent. Durant la Guerre d’Algérie, un Arabe se voit refusé toutes ses danses avant de se faire battre par la version beauf d’un Français de l’époque. Mai 68, année des changements mais avec un mal-être ambiant, comme la reprise de Michelle des Beatles de façon lymphatique. Enfin, les années 80, les modes évoluent et la vieille génération se voit disparaître dans un monde qui a avancé sans elle.

Attention, le film n’est pas grave, loin de là : chaque séquence contient sa dose d’humour, et les comédiens sont d’ailleurs aussi comiques que danseurs confirmés. C’est de l’humour sauce Scola qui parcours cette œuvre, qui sait tirer parti de chaque situation pour mélanger comédie moderne et burlesque. Du grand art, à l’image de la mise en scène.

Cette dernière est d’ailleurs un exercice de style pour Scola, qui privilégie bien évidemment les plans-séquences. Il travaille également sur ses cadrages, la lumière et surtout aime jouer ici avec les reflets, des miroirs notamment, sans jamais montrer la caméra. Il maîtrise son huis clos et bien plus ses transitions encore, relativement simples mais pourtant très bien trouvées. Il s’adapte également à son histoire et à l’époque décrite pour construire ses mouvements de caméras : circulaires ou travellings, brutes ou délicats…

Evidemment, difficile de passer à côté de la b.o., qui allie tubes et reprises musicales de Vladimir Cosma avec… classe ? Brio ? Génie ? Un peu de tout cela.

Une œuvre unique, une forme d’expression assez originale pour un cinéaste anticonformiste mais qui sait tirer profit du cinéma pour exprimer ses idées. En un mot comme en cent : Ettore Scola est un artiste, et Le bal est l’une de ses plus belles œuvres.

Note : ****

0 Comments: