mardi 23 janvier 2007

Il était une fois en Amérique (Once upon a time in America)


Reprenons un peu l’histoire depuis le début : nous sommes en 1970, et sans qu’il le sache lui-même Sergio Leone vient d’initier sa trilogie sur l’Amérique avec Il était une fois dans l’Ouest, qui connaît un joli succès. Il découvre alors The Hoods, roman d’un ancien malfrat du nom de Harry Grey. Bien qu’il n’aima pas le livre, Leone était fasciné par l’idée d’en faire un film. Après de nombreuses discussions sur les droits du livre, Leone finit par avoir les accords nécessaires et se lance avec des amis dans l’écriture du scénario (ce qui le poussera à refuser la réalisation du Parrain). Sur un deuxième entretien, Harry Grey confie à Leone qu’il trouve les films de gangsters américains archifaux, d’où l’écriture de son livre. Et c’est le déclic pour Leone : « Là, j’ai tout compris parce que, justement, je trouvais que son roman était farci de passages copiés des films noirs. Les meilleurs comme les pires ! Il n’avait fait que plagier. Après les épisodes de l’enfance, tout dérapait dans le cliché. Brusquement, mon intuition se vérifiait. Les seules choses authentiques de son récit, c’étaient les épisodes de l’enfance. Alors, je me suis dit qu’à partir du moment où l’imaginaire prenait autant le dessus sur la réalité, au point que l’auteur croyait faire du neuf avec les stéréotypes les plus courants, c’est que nous étions vraiment au cœur du mythe. Et, à cet instant, je compris qu’il fallait faire un film sur cette idée là… J’avais trouvé la bonne direction. Il fallait faire un hommage au genre noir et un hommage au cinéma. »

Le scénario se construit tant bien que mal ; les légendes veulent qu’il y ait eu pas moins de 12 versions différentes, et que le script final faisait 400 pages. Leone pense alors au casting : il aimerait avoir trois acteurs différents pour chaque période d’âge différente. A ce moment précis, c’était Richard Dreyfuss et James Cagney qui jouaient Noodles adulte et vieux, et Gérard Depardieu et Jean Gabin pour Max (le nom de Klaus Kinski fut prononcé également). Finalement, ce sont Robert de Niro et James Woods qui furent choisis. Les relations avec De Niro n’étaient pas des meilleures au début : il n’hésitait pas à conseiller Leone sur l’emplacement de la caméra dès le premier jour de tournage. Leone répondit, paisiblement « Bon, d’accord, c’est toi qui diriges le film » et retourna à son hôtel. Mais au fil du temps, les deux hommes se sont entendus à merveille, et tandis que Leone attendait la météo idéale pour ses plans, De Niro conseillait Woods sur des détails pour construire son personnage (il lui fit blanchir ses dents à ses frais, afin de donner à Max un côté vaniteux et propre sur soi).

Le tournage dura plus d'un an avec de nombreuses prises de vue en extérieur à New York, Toronto, Rome et Venise. Pour la première et dernière fois, Leone tournait en format 2:35, autrement dit en CinémaScope, et filma près de 10 heures de rushes pour obtenir les 3h40 finales. Le budget de production explosa, dépassant les prévisions de trois millions de dollars. A sa sortie, le film, qui nécessita finalement un investissement de 30 à 40 millions de dollars, se solda par un véritable échec commercial aux Etats-Unis. Le film n'y fit que 2,5 millions de dollars de recettes. La cause en fut un remontage quasi total : en réalité, Leone devait fournir aux producteurs un film de 2h45 et non 3h40. Les Américains raccourcirent donc le film, effaçant aux passages les flash-backs pour un montage linéaire, ce qui détruisait la véritable portée du film (un rêve pur et simple de Noodles). Ce massacre cinématographique ainsi que les attaques du peuple juif (qui accusèrent le film d’être antisémite) et de mouvements féministes (s’indignant du sort des femmes dans ce film) empêcha le film de bien marcher et par la même occasion lui interdisait les nominations aux Oscars, bien que Leone et Morricone furent nominés aux Golden Globes. Il fallut attendre la sortie DVD du film en Amérique pour qu’il soit enfin acclamés tant au niveau de la critique que du public…

Jamais un film de Leone n’a embrassé autant de thèmes différents avec tant de panache et d’amertume auparavant. L’amitié, l’amour, la mort, l’Amérique, la violence, la poésie sont autant d’éléments qui constituent l’histoire, basique, de Noodles. Mais c’est ce que voulait Leone : rendre hommage au cinéma. Cette scène du gamin mangeant la charlotte à la crème dans les escaliers ne fait elle pas écho au cinéma de Chaplin ? Mais le véritable génie du scénario est le travail sur le temps : flash-backs, flash-forwards, le temps qui anime les passions, crée des distances entre les amis…

On sait que Leone a toujours été fasciné par le temps, à l’instar de ce ballet de la mort qu’est Il était une fois dans l’Ouest, et il trouve ici l’occasion d’exploiter pleinement ses idées : sa mise en scène est lente, prenant le temps de planter le décor, de présenter ses personnages de sorte à ce qu’ils ne nous quittent plus, même après le film. Et quand le rythme s’accélère un peu, Leone revient au calme avec un rendez-vous romantique en bord de mer. Plus que jamais, le cinéma de Leone s’inscrit dans notre chair, dans notre cœur pour ne jamais en sortir. Passé ce fait, Leone peaufine ses plans : des amis traversant une rue avec le pont de Brooklyn en arrière-plan, des retrouvailles sous une légère pluie, un amour d’enfance dansant entre les cartons d’une réserve… Autant d’images que Leone imprime sur pellicule comme ses propres souvenirs et ceux du cinéma, qu’il a tant aimé.

Les acteurs l’ont très bien compris, et quand on sait que Leone a refusé de se faire soigner le cœur pour réaliser ce film (ce qui lui coûta probablement la vie), on se doute que les acteurs ont du se surpasser pour faire honneur au maestro. Visiblement, ils l’ont fait, tous étant irréprochables, même si littéralement écrasés par le duo Woods-De Niro, le premier en arriviste dangereux et manipulateur ambitieux, l’autre en ami traître et trahi, tour à tour étouffant sa colère et ses frustrations sexuelles et dépassé, usé par la vie qu’il a choisi. Sans faire trop d’éloges, De Niro trouve là l’un de ses plus beaux rôles, tout en intériorisation, ne parlant pas plus qu’il ne faut, où son physique banal et inexpressif trouve le tremplin idéal à sa dimension psychologique, la vraie force de son talent. Encore un rôle où il s’est brûlé les ailes, c’est certain, mais le rendu dépasse l’entendement tant il est incroyable.

Enfin, il faut saluer comme il se doit la composition musicale d’Ennio Morricone, interdite d’Oscars pour ne pas avoir été citée au générique… Reconnue comme l’une de ses meilleures, si pas la meilleure, au repos pendant des années, elle parcours le film lui conférant une dimension quasi-tragique, d’une profonde mélancolie voire nostalgie pour un monde d’autrefois, où qui n’a peut-être même jamais existé.

Un film remarquable, foisonnant, déchirant, envoûtant, captivant, lent, inoubliable. Le chef-d’œuvre incontestable d’un artiste génial, jamais reconnu à sa juste valeur et qui trouve, le temps d’une histoire, le temps d’un personnage et de ses rêves, l’occasion de remercier le cinéma qui lui a tant donné. Le septième art à l’état pur en quelque sorte, et un cinéaste en état de grâce offrant comme testament l’un des plus grands – et plus beaux – films jamais réalisé.

Note : *****

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