mercredi 31 janvier 2007

L'opinion publique (A Woman in Paris)


« Pour éviter tout malentendu, je tiens à annoncer que je n’apparais pas dans ce film. C’est le premier drame sérieux que j’ai écrit et réalisé. » C’est sur ce carton d’avertissement que s’ouvre l’Opinion publique, deuxième véritable long métrage de Charles Chaplin et premier de ses films où il n’apparaît (quasiment) pas.

Il faut dire qu’à l’époque, Chaplin est déjà un maître du cinéma : acclamé par la critique et le public, affranchi des studios depuis la création de la United Artists (avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et D.W Griffith), il est en droit de se permettre tout ce qu’il veut. Et pour ce faire, il va opérer un virage à 180° dans sa carrière en réalisant un drame des plus sérieux.

Il faut savoir que le film est inspiré de la rencontre de Chaplin avec une croqueuse de millionnaires, nommée Peggy Hopkins Joyce. Ses histoires amoureuses, ses divorces lui ayant assurés une retraire dorée permirent à Chaplin de construire le scénario de son film, véritable critique du milieu bourgeois mondain et des arrivistes (ironie du sort, ce ne fut pas tant Peggy qui utilisa Chaplin pour arriver à ses fins mais bien l’inverse, puisque le couple ne dura que le temps du tournage…). Sachant que son sujet provoquerait quelques colères dans la bourgeoisie aux USA (alors qu’il redoutait déjà de perturber le public par son choix, d’où le carton d’introduction), Chaplin, qui souhaitait initialement appeler son film Public Opinion, le rebaptisa A woman of Paris. Cela ne suffira pas et l’Opinion publique sera tout de même censuré dans plusieurs états. Pire encore, malgré un succès unanime de la presse, et autosatisfaction démesurée de la part de Chaplin, le film fut un échec cinglant, boudé par un public qui n’appréciait guère la disparition de Charlot.

Pourtant, à y regarder de plus près, l’Opinion publique constitue non seulement une étape fondamentale dans la carrière de Chaplin, mais aussi une petite révolution en soi pour le cinéma. En effet, Chaplin faisait alors passer au premier plan la critique sociale qui était (et sera encore) en arrière-plan dans ses autres films. Il délaisse aussi pleinement la comédie (bien que quelques scènes prêtent à sourire) pour le mélodrame d’apparence classique. Il délaissait enfin le personnage de Charlot en disparaissant de l’écran, laissant place aux autres acteurs et se concentrant pleinement sur son rôle de réalisateur.

D’un point de vue cinématographique, l’Opinion publique est une réussite dans le sens où l’œuvre possédait des années d’avance sur les autres films de l’époque : fini les expressions théâtrales des acteurs, le manque de travail psychologique, la distribution manichéenne des rôles (le gentil vraiment gentil, le méchant vraiment méchant) ou encore le « happy end » ; Chaplin prend tout à contre-pied. Les acteurs s’économisent, jouent en retenue, bref s’approchent d’un jeu moderne, inédit pour l’époque du muet, cherchant le réalisme de l’interprétation (Chaplin cherchait surtout, selon ses propres mots, à "explorer les limites de l’expressivité"), les personnages étant soigneusement travaillés d’un point de vue psychologique (les choix de Marie, le cynisme de Pierre, l’idéalisme de Jean…). De plus, les rôles sont opposés aux conventions : la femme (Edna Purviance, habituée de Chaplin puisqu’elle tourna dans la moitié de ses film !) n’est plus faible mais grassement entretenue, un peu arriviste puisque hésitant entre l’amour et le luxe, le gentil est un être faible et dominé par sa mère (laquelle pense d’ailleurs autant au bonheur de son fils qu’au sien) tandis que le méchant est le personnage le plus charismatique du film, dandy cynique et distrayant, auquel le sublime Adolphe Menjou donne une dimension unique.

La peinture d’une certaine classe est réalisée avec une certaine force, où êtres décadents côtoient profiteurs et autres traîtres. Rarement Chaplin aura été aussi virulent avec une société qu’il juge superficielle, et qui bien que situe en France fait irrémédiablement penser à la WASP (White Anglo-Saxon Protestant) américaine, ce qui fut la cause comme dis plus haut de son interdiction dans certains Etats…

Le film fut donc un échec public mais une réussite artistique indéniable, possédant des années d’avance dans sa manière d’aborder le mélodrame (même si l’on regrettera quelques facilités qui nous semblent aujourd’hui dépassées et prévisibles) et même le cinéma muet dans son ensemble. Chaplin sera si fier de ce film qu’il en recomposera la musique en 1976, soit son dernier travail dans un studio de cinéma. L’Opinion publique ou le début d’une série de longs métrages qui ont marqués l’Histoire du cinéma…

Note : ****

1 Comment:

ideyvonne said...

Super article pour un film de Chaplin que je connais de renom mais que je n'ai jamais vu! Cet homme a vraiment été un précurseur pour le cinéma et beaucoup de cinéates peuvent lui dire "merci"... 60 ans de carrière et pas un seul raté, c'est magnifique!!!