dimanche 14 janvier 2007

Full Metal Jacket


La guerre, un sujet important pour Stanley Kubrick, il l’a largement démontré. Il est d’ailleurs étonnant qu’il ait attendu 1987 (et une série de films) pour réaliser son chef-d’œuvre sur le conflit au Vietnam avec Full Metal Jacket.

Il faut dire qu’avant lui, de grands noms s’étaient déjà attardé sur le sujet avec brio. En tête : Coppola et son métaphysique Apocalypse Now, et Cimino et son psychodramatique Voyage au bout de l’enfer. Et malheureusement pour Kubrick, le côté réaliste de son film sera battu par le Platoon d’Oliver Stone, sorti quelques mois auparavant (ce qui n’empêcha pas le cinéaste d’aimer le film de Stone). Toujours est-il qu’après six ans de travail, Kubrick se lance dans son dernier film de guerre, et non des moindres puisqu’elle fut l’une des plus dramatiques d’un point de vue psychologique pour lui.

Adepte des technologies nouvelles, Kubrick fait son casting par vidéo interposée : les acteurs envoient leurs cassettes, et si le réalisateur est intéressé il les rencontre. Le cas de R. Lee Ermey, qui joue l’inoubliable sergent instructeur Hartman, est un peu particulier : ce dernier envoya une cassette pour le moins original, puisqu’il y passait son temps à hurler et à injurier durant 15 minutes. Intrigué, Kubrick accepta de le rencontrer, mais l’entretien ne fut pas à son goût et refusa Ermey. Ce dernier, jouant sa dernière carte, hurla à Kubrick de se lever, ce que fit le cinéaste instinctivement. Convaincu par l’acteur, Kubrick l’engagea mais lui confia en outre la supervision de nombreuses scènes de Paris Island, ainsi qu’une liberté d’improvisation rare (un gag veut que la première fois que Ermey hurla « and not even have the goddamned common courtesy to give him a reach-around » (traduisez par « ne pas avoir la courtoisie de lui enfiler un ‘préservatif’ »), Kubrick ne comprit pas le dialogue ; après qu’Ermey lui eut expliqué ce qu’était un « reach-around », Kubrick rigola et redemanda la même prise). En échange de tous ces avantages, et pour obtenir un effet maximal, Kubrick demanda à Ermey de ne jamais rencontrer les acteurs avant le tournage, ni de parler avec eux entre les prises. Kubrick n’était pas des plus téméraires de toute façon : il refusa de rencontrer Bill McKinney pour le rôle du sergent Hartman justement, ayant trop peur de se retrouver face à lui après sa performance dans Délivrance de John Boorman !

Le tournage fut, comme souvent chez Kubrick, interminable mais chargé de choses positives : l’opérateur Douglas Milsome innova la manière de filmer un combat avec un obturateur spécial sur sa caméra (effet repris dans Il faut sauver le soldat Ryan) ; Kubrick utilisa aussi une lentille spéciale pour les séances d’entraînements, laquelle ne se focalisait pas sur un seul acteur mais sur l’ensemble (Kubrick estimait que la notion de masse était importante à ce moment-là) ; Vincent D’Onofrio gagna près de 32 kilos pour son rôle, battant les 27 kilos de Robert de Niro pour Raging Bull ; enfin, Kubrick supprima de nombreuses scènes, dont une importante qui représentait un groupe de soldats jouant au football… avec une tête humaine !

Le secret pour faire un bon film de guerre est de ne pas trop parler de la guerre justement. Les plus grands l’ont montré : Coppola, Cimino, Stone et plus tard Malick et Spielberg. De toute façon, ce n’est pas la violence en elle-même qui intéresse Kubrick, mais ce qu’il peut en tirer comme hypothèse pour l’un de ses thèmes chéris : le dysfonctionnement humain. Quel formidable chose que le cerveau humain ! Le seul à offrir une conscience, et permettre de la sorte de trouver bien ou mal de tuer, et d’y trouver parfois du plaisir. Ce que Kubrick veut afficher ici, c’est le lavage de cerveau subit par les jeunes recrues et leur dualité (selon la théorie de Jung, comme le précise Guignol qui affiche l’inscription « Born to Kill » sur son casque et le symbole de paix sur sa veste). Pour ce faire, Kubrick use de tous les moyens à sa disposition : la musique en contraste avec les images (le plan d’ouverture sur le mélancolique Hello Vietnam de Johnny Wright), les répétitions de mouvements de caméra (travellings compensés, marque de fabrique de Kubrick), les décors comme représentation matérielle de l’état d’esprit du héros (le décor final, en ruine comme l’esprit de Guignol), etc. La progression de Leonard dans la folie est d’ailleurs une preuve de ce travail sur la santé mentale des recrues, ce dernier devenant une véritable machine à tuer après avoir été brimé.

Kubrick s’amuse aussi, sans perdre de vue le côté réaliste de la situation, à glisser des détails importants. Mickey Mouse par exemple : si en argot militaire GI, il symbolise quelqu’un de faible, petit et sensible, il fait aussi référence au côté enfantin, autrement dit innocent, qui sommeille en chacun de nous. Or comment quelqu’un d’innocent peut-il délibérément tuer un de ses semblables sous prétexte d’un conflit qui ne le concerne pas ? C’est l’une des innombrables questions que soulève le cinéaste, qui d’ailleurs ne prend jamais parti, la seule victime de son héros Guignol étant une militaire vietnamienne à l’agonie : courage ou pitié ?

Une fois encore, Kubrick signe un film antimilitaire puissant. Pas tant dans la forme, qui démontre l’ignominie d’une guerre comme celle-là, que dans le conditionnement : le sergent Hartman fait l’apologie de serial killers ou d’assassins comme Lee Harvey Oswald comme étant des tireurs d’élite, ce que sont appelés à être les Marines ; la vérité est étouffée dans des journaux bidons où l’information est celle que l’on décide, pas celle qui est réellement ; enfin, le respect des morts disparaît au profit de moments d’humour.

Dans le rôle titre, Matthew Modine est remarquable, ironique et angoissé, tenant la dragée haute à tous es autres camarades sauf deux : Vincent D’Onofrio et R. Lee Ermey. Je ne m’attarderai pas trop sur leurs prestations, leurs qualités étant citées plus haut, mais ne pas reconnaître que ce sont eux deux qui laissent un souvenir inoubliable aux spectateurs serait un scandale pur et simple : sur une seule moitié de film, ils écrasent tout le monde.

Enfin, petit salut à la b.o. démente, mélangeant les musiques d’ambiance comme Kubrick les aime avec musiques pop d’époque, de These boots are made for walking à Wooly Bully, sans oublier le rythmé Surfin bird utilisé à merveille pour une scène de combat.

Un film qui n’eut qu’un succès d’estime à sa sortie, et encore, malgré une technique incroyable, un scénario en or et des interprètes remarquables, et qu’il convient de reconsidérer grandement 20 ans plus tard : Full Metal Jacket est l’un des meilleurs films de guerre jamais réalisé. Et je le pense et dis en toute objectivité.

Note : *****

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