vendredi 26 janvier 2007

L'armée des ombres


Tout le monde connaît Jean-Pierre Melville le réalisateur de films noirs. Mais ce serait une grave erreur que de sous-estimer ses autres films, en particulier ceux sur la Seconde Guerre Mondiale, notamment son chef-d’œuvre L’armée des ombres.

Le film, le troisième de Melville sur l’Occupation (avec Le silence de la mer et Léon Morin, prêtre), fut critiqué dès sa sortie : certains reprochèrent à Melville sa fidélité à De Gaulle alors que nous étions en 1969, soit un an après mai 68… Pourtant, le cinéaste n’en eut cure, et l’idée de De Gaulle n’était pas son centre d’intérêt : « J'ai porté [le film] en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C'est un morceau de ma mémoire, de ma chair ». En effet, Melville n’a jamais caché que son film tenait de ses propres souvenirs de résistant et de l’action de Lucie Aubrac : « Dans ce film, j'ai montré pour la première fois des choses que j'ai vues, que j'ai vécues. Toutefois, ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D'un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance, j'ai fait une rêverie rétrospective; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération ».

Le film sera néanmoins un succès public, même s’il marquera la fin d’une amitié entre Melville et Ventura, ce dernier ne supportant plus les manies vestimentaires du premier. L’acteur racheta même un contrat qui le liait à un troisième film avec le cinéaste (le premier étant Le deuxième souffle). Néanmoins, à la mort du cinéaste, Ventura sera attristé et enverra un bouquet de fleurs en signant simplement « Lino ».

Concernant Ventura, il faut savoir qu’il accepta le rôle car son personnage représentait un héros discret comme il les affectionnait. Des rumeurs concernant un passé de résistant de la part de l’acteur (il déserta l’armé italienne et quitta le pays pour la France) furent néanmoins diffusées, et on ne su jamais réellement ce qu’il en était. Toujours est-il que Lino trouve là l’un des rôles les plus marquants de sa carrière, celui du chef de résistance Gerbier, vouant un amour indéfectible à son pays et son chef suprême, incarné magnifiquement par Paul Meurisse. Lino joue en effet sur les silences, qui faisaient sa force, et le magnétisme qu’il dégage est tout simplement ahurissant. Il en viendrait presque à dominer totalement ses autres camarades de jeu, pourtant très bons puisqu’il s’agit de Simone Signoret ou Jean-Pierre Cassel. Une interprétation magistrale qui a certainement contribué au succès du film.

Melville, quant à lui, reste fidèle à ses thèmes : le sens de l’honneur, la trahison, la hiérarchie d’un organisme clandestin, l’amour gâché sont autant de figures qui parcourent l’œuvre du cinéaste. De plus, et c’est assez étonnant pour être souligné, le film ne fait pas l’apologie de la Résistance contrairement aux autres films du genre ; s’il salue ce mouvement essentiel, Melville en souligne aussi les dangers, souvent mortels, comme les horreurs que l’on doit parfois commettre, comme d’abattre quelqu’un qui nous est cher pour trahison. Melville, au- delà de scènes surréalistes (l’évasion de Gerbier par exemple), tente de rétablir la vérité sur la Résistance, largement embellie par le cinéma auparavant.

Il faut aussi respecter la reconstitution historique de Melville, dont le simple plan d’ouverture est impressionnant : des milliers de soldats allemands, au pas, défilant sur les Champs Elysées. S’il ne fut pas satisfait des militaires qu’on lui proposa, c’est à des danseurs que Melville fit appel, pour obtenir la démarche qu’il souhaitait.

Enfin, la musique d’Eric de Marsan est à souligner, remarquable et mélancolique, qui insuffle un côté plus dramatique encore à la tragédie que Melville dessine petit à petit, avec la classe et le génie qui les caractérisait lui et ses œuvres.

Un film somptueux, digne, incisif, qui ne laissera personne indifférent. Le travail cinématographique de Melville n’a d’égal que le devoir de mémoire du film : irréprochable.

Note : *****

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