lundi 2 janvier 2006

Bunker Paradise


Premier long-métrage de Stefan Liberski que ce Bunker Paradise.

L’histoire, c’est celle de Mimo, acteur tentant de percer mais joignant les deux bouts en faisant le taxi. Un jour qu’il est convoqué dans la luxueuse villa de John Deveau pour récupérer une fille, celle-ci se suicide en sautant du taxi. De retour à la villa pour prévenir la police, Mimo découvre un monde qu’il ne connaissait pas, celui des gosses de riches sans buts dans la vie…

Pour son premier film, Liberski surprend tout le monde en réalisant un drame humain. Il faut dire qu’il nous a plutôt habitué à la comédie typiquement belge à travers les Snuls, JAADTOLY, Froud et Stouf ou encore Twin Fliks. Ici, le seul humour est celui, grinçant et cruel, de John, que personne ne peut supporter très longtemps, même son meilleur ami David. Liberski oppose également deux mondes : celui, sombre et acide, de Mimo et John, et celui d’un enfant de 8 ans, émigré au Japon dans le but de découvrir la paix intérieure. Tel le Yin et le Yang, tout oppose ces deux univers : la musique tout d’abord, techno à tendance robotique pour l’un, magnifique piano classique pour l’autre ; les paysages ensuite, gris et morts face au soleil et aux forêts japonaises… Cet aparté constant tout au long du film est une des forces du film car permettant un nombre incroyable d’interprétations : l’enfant est-il un rêve ? Serait-il l’âme de Mimo ? Est-ce une parabole sur le retour à la nature ? Ou tout simplement un récit annexe sur cet enfant que Mimo a conduit à l’aéroport ?

Liberski s’emploie aussi à dépeindre un univers glauque, presque morbide, où les fêtes, les femmes, l’alcool et les drogues ne parviennent plus à combler la béance des existences comme celle de John, plus craint que vénéré de tous, rejeté par le seul être qui compte vraiment pour lui : son père. Sans forcer le stéréotype, Liberski nous emmène dans un monde prôné inaccessible mais qui, finalement, nous dégoûte plus qu’il nous attire.

Bunker Paradise est également la preuve même que Liberski est un fantastique directeur d’acteur : il serait éventé, inutile pour ne pas dire futile de saluer la prestation de Jean-Paul Rouve dans ce rôle d’écorché vif. En façade, il paraît festif, odieux, survolté, monstrueux ; en grattant un peu, on découvre un John Deveau meurtri, lui qui se proclame intouchable et insensible ne supporte plus le déni de son père, fantastique Jean-Pierre Cassel. Rouve aurait très bien pu jouer le gosse de riche snob ou tyrannique ; on découvre un enfant blessé, tout en intériorisation qui hait le monde autant que le monde vient à le haïr ou du moins à le mépriser. Ce n’est peut-être pas tant dans sa démonstration de machiavélisme qu’il nous impressionne, c’est notamment dans ses silences, pesants, lourds de sens… On oserait presque se risquer à dire qu’il s’agit là du meilleur rôle de sa carrière jusqu’à présent…

A tel point qu’il en vient à éclipser le personnage principal de Mimo, interprété par l’intéressant François Vincentelli, bien que pas toujours juste, et l’actrice principale, mitigée Audrey Marnay qui tantôt convainc tantôt déçoit. Seul Bouli Lanners ose tenir tête à Rouve, incontournable second couteau du cinéma contemporain (au hasard : Un long dimanche de fiançailles, Les convoyeurs attendent, Aaltra, Quand la mer monte et bientôt Enfermé dehors, le dernier Albert Dupontel) et probablement l’un des meilleurs acteurs belges actuels. Ambigu, trouble, tantôt dégoutant tantôt attendrissant, il s’agit du seul personnage avec celui de John Deveau que l’on ne parvient ni à totalemnt détester ni à totalement aimer…

Saluons peut-être au passage la b.o. du film, comme je l’ai dit plu haut mélange de techno et de classique, spécialement composée au piano par un certain Casimir… Liberski…

Une première œuvre agréablement surprenante donc, de la part d’un Liberski qui délaisse le second degré pour la tragédie humaine, auteur intéressant et réalisateur à idées (telle cette splendide scène où Mimo pleure, près du château Deveau d’où il vient de sortir en sang, sous un panneau routier avec l’indication « ils jouent »…) et où les acteurs, Rouve et Lanners en tête, Cassel et Vincentelli suivant de près, trouvent une occasion de sonder les aspects sombres et horribles qui peuvent sommeiller en chacun de nous… Bunker Paradise, ou quand le cinéma redevient de l’art…

Note : ****

0 Comments: