dimanche 16 décembre 2007

Il était une fois dans l'Ouest (C'era una volta in West)


Toute culture à ses mythes, et parmi la culture cinématographique occidentale, l’un des plus grands mythes reste celui du western. Sergio Leone avait déjà prouvé qu’on pouvait chambouler les codes du genre avec brio, mais il ne nous avait pas encore prouvé qu’il pouvait carrément réinventer un genre avec un film comme Il était une fois dans l’Ouest.

Pourtant, originellement, le film ne devait pas se faire : après Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone n’avait qu’un titre à la bouche : Il était une fois en Amérique. Les majors lui offraient des contrats en or, mais il fallait que ce soit pour faire des westerns. Leone fit ainsi le tour des maisons de productions, en vain, jusqu’à ce qu’il arrive chez Paramount où, une fois encore, on lui demandait un western, à la différence près qu’on lui accorderait carte blanche sur le découpage du film. Leone accepta et lança Il était une fois dans l’Ouest.

Pour le cinéaste, hors de question de refaire le même film que les précédents : il se débarrasse donc de ses scénaristes pour travailler avec D. Argento et B. Bertollucci. En une vingtaine de jours, le film est imaginé, puis écrit et découpé avec l’aide de Sergio Donati ; on dira que le scénario final fera 436 pages… L’idée de Leone était très clair : « Je voulais faire un ballet de morts en prenant comme matériau tous les mythes ordinaires du western traditionnel : le vengeur, le bandit romantique, le riche propriétaire, le criminel homme d’affaires, la putain… A partir de ces 5 symboles, je comptais montrer la naissance d’une nation ».

Comme acteurs, Leone veut des gens bien précis : on lui propose tout Hollywood, mais lui veut Charles Bronson dans le rôle d’Harmonica, ce qu’il finit par obtenir. Pour Frank, l’une des pires crapules du septième art, il veut un acteur qui incarne la bonté même, comme Henry Fonda ; ce dernier est prêt à s’investir si le style de Leone lui convient. Leone organise alors une projection de ses films, soit 7 heures à peu de choses près, et lorsque Fonda sort de la salle, ses premiers mots sont « où est le contrat ? ». Sophia Loren est écartée pour laisser place à Claudia Cardinale, que Leone voit mieux dans le rôle d’une putain de la Nouvelle Orléans (Sophia Loren dans le rôle aurait trop fait « pute napolitaine » selon le cinéaste !). Enfin, Jason Robards est engagé pour ce qu’il dégage, ce même charme qu’avait Humphrey Bogart… Avant que Leone ne découvre cette même passion des acteurs pour la boisson.

Le premier jour de tournage en effet, Robards arrive totalement ivre sur le plateau. Leone, fou de rage, annule la journée, et met en garde l’acteur qu’il ne veut plus que ça arrive. Ce sera le cas : Robards sera saoul chaque nuit et dans un état impeccable chaque matin, si professionnel que Leone accordera une journée de repos le jour de l’annonce de la mort de Robert Kennedy. De son côté, Henry Fonda arrive complètement grimé, avec de faux favoris, des lentilles et une dégaine patibulaire. Petit à petit, Leone fait comprendre à Fonda que c’est trop, et ce n’est que lors du plan de présentation de Frank que Fonda comprend ce que désirait le cinéaste : il ne voulait pas Frank, il voulait Fonda interprétant Frank !

A sa sortie, le film de Leone connut le même sort que les précédents : échec total aux USA, succès incroyable en Europe (surtout en France). Il faut dire que les Américains avaient procédés à des coupes monstres (la mort de Cheyenne, par exemple, était occultée), malgré le fait que Leone leur avait prévu une version plus courte par précaution. En France, l’effet fut inverse : présenté dans sa version de 3h30, le film atteignit la première place du box-office de l’année mais aussi de la décennie, et il fait toujours partie des plus grands succès de l’histoire du cinéma français avec La grande vadrouille, Titanic et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. La B.O. fut également très appréciée puisqu’elle resta dans les hits parades français pendant plus de trois ans. Plus globalement, le film installa Leone au panthéon des grands cinéastes reconnu de tous, et le réalisateur obtint même l’estime de gens comme Marco Ferreri, Stanley Kubrick, John Boorman ou encore Sam Peckinpah…

Il est vrai que ce western spaghetti est probablement l’icône même du genre, la référence absolue et sans conteste l’un des chefs-d’œuvre incontestable du cinéma en général.

Chef-d’œuvre de part sa capacité à assimiler les codes d’un univers qui n’a à priori rien d’italien et à les transformer, à les faire devenir les éléments constitutifs de l’univers de Leone, qui contrairement à ce que l’on a voulu faire croire ne s’en moque pas mais sert plutôt hommage : la scène d’introduction ne fait-elle pas écho à celle du Train sifflera trois fois ? Le duel final entre Harmonica et Frank n’a-t-il pas des airs de El Perdido de Robert Aldrich ? Ne peut-on pas voir disséminés ça et là des clins d’œil à Rio Bravo, 3h10 à Yuma ou les films de John Ford ? Comme il le disait lui-même, les mythes et archétypes qu’il utilisait étaient surtout là pour nourrir son imaginaire, et n’étaient pas des sujets de boutades mais bien des éléments fondateurs de ses films et en particulier de celui-ci.

Leone utilise ici le cinémascope comme peu l’on fait avant lui, profitant pleinement de ce rapport 2.35 pour créer des plans absolument fabuleux, qui accompagnés de la musique, une fois encore inoubliable et tout simplement magistrale, de Morricone donnent naissance à des images inoubliables, du fascinant regard bleu de Fonda avant qu’il ne tue l’enfant à la découverte de la ville en construction à l’arrivée de Jill. De ce point de vue technique, Il était une fois dans l’Ouest reste un modèle du genre, une véritable leçon de cinéma tant dans l’utilisation du scope en plans d’ensemble que dans son utilisation pour les très gros plans.

Le scénario est également abouti, habilement construit, avec assez d’intrigues secondaires pour captiver l’attention du spectateur, mise à rude épreuve par la lenteur de l’action du film. Le contexte du film recoupe ainsi subtilement le contexte cinématographique de l’époque : la fin d’une époque, celle du western, au profit d’une nouvelle, résolument tournée vers la modernité (la fin de la censure et la montée de la violence comme divertissement) et où certains archétypes du cinéma n’auront plus leurs places, comme dans ce film les personnages ne sont plus dans leur époque.

Enfin, est-il vraiment utile de parler des acteurs ? Tous employés à contre-emploi, où Robards joue les bandits pas très malins, où Bronson ne fait pas étalage de ses muscles, où Fonda n’est pas la justice et la loyauté incarnée : seul le personnage de Claudia Cardinale trouve grâce à nos yeux de bout en bout du film, alors qu’il ne s’agit que d’une prostituée qui va jusqu’à coucher avec Frank pour sauver sa vie ; peut-on vraiment lui en vouloir ? De tous, c’est probablement Fonda le plus impressionnant, car le plus froid et implacable meurtrier de l’histoire du western spaghetti, et Robards car le plus drôle, celui qui allège le ton du film sans pour autant se ridiculiser, mieux, parvenir à toucher notre corde sensible lors de sa mort.

Chef-d’œuvre du cinéma donc, intemporel et universel, Il était une fois dans l’Ouest n’a en rien volé l’aura de légende qui s’est formé autour de lui ; mieux, le film est la preuve même que le cinéma, avec ce qu’il faut de passion, de talent et d’audace, peut devenir incandescent, toucher au firmament, se révolutionner de l’intérieur et renaître une seconde fois pour atteindre les sommets. Qu’il n’a, dans le genre, plus jamais touché depuis.

Note : *****

1 Comment:

Tietie007 said...

Mythique, culte, un des meilleurs films du cinéma, avec une scène d'ouverture stupéfiante !