samedi 29 décembre 2007

La soupe de canard (Duck soup)


Au temps du muet, les rois du rire s’appelaient Max Linder, Mack Sennett, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ; au temps du parlant, ce fut l’ère des réalisateurs comme Lubitsch, Wilder, Cukor, Capra et les duos comme Abbott et Costello, Laurel et Hardy… Et, entre les deux car dignes héritiers des uns et collègues des autres, il y avait les Marx Brothers, dont La soupe de canard reste sans doute le plus illustre de leurs films.

Lorsqu’on lui demanda un petit mot sur le titre, Groucho Marx s’en tint à une seule réponse : « Take two turkeys, one goose, four cabbages, but no duck, and mix them together. After one taste, you'll duck soup the rest of your life. » Le genre de réponse à laquelle il fallait s’attendre, comme la réponse à la plainte de la ville Fredonia, à New York, qui n’aimait guère qu’on utilise son nom en rajoutant simplement un « e », ce à quoi les frères répondirent : « Changez le nom de votre ville, cela porte préjudice à notre film ! ».

Le tournage non plus ne fut pas de tout repos : les précédents versions du scénario prévoyaient des scènes dans un opéra, puis dans un zeppelin ; la scène musicale All God's Chillun Got Guns quant à elle aurait soi-disant été largement improvisée sur le plateau de tournage. Enfin, le film pu sortir… et ce fut la catastrophe : bien qu’il soit aujourd’hui considéré comme le plus réussi des films des quatre frères, il fut un échec au box-office, à tel point que la Paramount annula son contrat avec les Marx (qui s’empressèrent de signer à la MGM et de réaliser leurs classiques Une nuit à l’opéra et Un jour aux courses), que Zeppo devait faire là sa dernière apparition dans un film des Marx Brothers et que Benito Mussolini interdit de suite le film car il pensait que c’était une attaque personnelle (une nouvelle qui rendit les frères fous de joie !). Aujourd’hui, le film est reconnu comme le numéro 1 des 50 plus grands comédies de tous les temps (source : magazine Premiere en 2006) et est 60ème au classement des plus grands films de tous les temps (source : American Film Institute en 2007).

On parle fréquemment du contexte politico-historique dans lequel le film a été fait (1933 : dictature de Dolfuss en Autriche, montée au pouvoir du nazisme en Allemagne, domination du fascisme en Italie, commissions d’épurations des « ennemis du peuple » en Union Soviétique mais aussi relève difficile après le crash boursier de 1929 et tentative d’assassinat de Roosevelt aux USA) et il est certain qu’il s’agit d’un plus remarquable, mais il ne faudrait tout de même pas se limiter à cela. Sur le signifiant politique du film, Groucho dira d’ailleurs : « Quel signifiant ? Nous étions juste 4 Juifs qui essayaient de faire rire ! »

L’engagement politique n’a jamais été une marque des frères comme elle a pu l’être chez Chaplin, mais l’humour oui : La soupe de canard est donc avant tout une comédie qui oscille souvent entre le loufoque (la fameuse screwball comedy) et le sophistiqué. De la comédie loufoque, le film retient l’héritage du burlesque (avec ses gags, grimaces et autres slapsticks), la simplicité du récit, le peu de place accordé aux personnages féminins ; de la comédie sophistiquée, on retient un nombre important de personnages et surtout le comique du dialogue, réservé majoritairement à Groucho Marx qui a le sens du verbe, du mot d’esprit et de l’absurde. Dignes héritiers du genre populaire qu’était le burlesque (le gag du miroir avait déjà été utilisé dans Charlot chef de rayon de Chaplin et Sept ans de malheur de Max Linder, tandis que la bataille de la tarte à la crème est un classique du burlesque) mais avec leurs personnalités propres (provocante et ne respectant rien, comme cette scène où Groucho se moque de la guerre en changeant cinq fois d’uniforme en l’espace de quelques minutes, passant du costume de confédéré à celui de soldat royal britannique ou celui de Davy Crockett), les Marx Brothers synthétise ainsi à eux 3 (Groucho, Chico et Harpo, Zeppo étant plus discret) toute la comédie américaine, et l’améliore encore par le débit mitraillette et totalement absurde de Groucho Marx, roi du non-sens et de la réplique qui fait mouche.

Aujourd’hui, avec assez de recul sur l’histoire du cinéma et la carrière des comiques, on peut sans trop de risque affirmer que La soupe de canard constitue un sommet de la filmographie des célèbres frères Marx, mais procède en outre d’un hommage au cinéma d’antan, remis au goût du jour et agrémenté d’une dimension parlante avec un tel brio que le film est devenu un incontournable du cinéma classique américain. Rien que ça.

Note : ****

0 Comments: