vendredi 31 août 2007

Trainspotting


Ah la drogue, sujet délicat a aborder au cinéma car très mal pris par la majorité des spectateurs. Comment ne pas être pris pour un donneur de leçon quand on fait un film sur ce sujet, alors qu’il est courant que la poudre blanche fasse son chemin dans le monde du septième art ? Pourtant, un réalisateur a eu l’audace d’aborder ce thème de manière très personnelle : un certain Danny Boyle et son chef-d’œuvre Trainspotting.

Alors qu’il court pour échapper à des gardes (à moins que ce ne soit vers sa perte ou, pire, après la vie ?), Renton nous explique sa vision de la vie : « Choisir la vie, choisir un boulot, choisir une carrière, choisir une famille, choisir une putain de télé à la con, choisir des machines à laver, des bagnoles, des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques, choisir la santé, un faible taux de cholestérol et une bonne mutuelle, choisir les prêts à taux fixe, choisir son petit pavillon, choisir ses amis, choisir son survet' et le sac qui va avec, choisir son canapé avec les deux fauteuils, le tout à crédit avec un choix de tissu de merde, choisir de bricoler le dimanche matin en s'interrogeant sur le sens de sa vie, choisir de s'affaler sur ce putain de canapé, et se lobotomiser aux jeux, télé en se bourrant de MacDo, choisir de pourrir à l'hospice et de finir en se pissant dessus dans la misère en réalisant qu'on fait honte aux enfants niqués de la tête qu'on a pondu pour qu'ils prennent le relais, choisir son avenir, choisir la vie. Pourquoi je ferai une chose pareil ? J'ai choisi de ne pas choisir la vie. J'ai choisi autre chose. Les raisons ? Y a pas de raison. On a pas besoin de raison quand on a l'héroïne ». Le ton est donné. Pourquoi s’emmerder avec les femmes, l’argent, le boulot, la famille alors que quand on s’injecte un fix, tout est merveilleux ? Pourtant Renton tente de décrocher, de devenir quelqu’un de bien, sauf que c’est toujours dans la normalité que les pires crasses nous arrivent…

A la base de tout ça, Irvin Welsh qui est l’auteur du roman original. Plusieurs fois on lui propose d’adapter son récit pour l’écran, il refuse, mais finit par céder avec Andrew MacDonald et John Hodge, qui ont pour seule consigne de ne pas adapter le roman dans l’esprit « social » cher à Ken Loach. Pas de soucis, ce n’était pas spécialement le but de la manœuvre. Côté réalisme, on peut compter sur Hodge, ancien médecin et donc habitué des toxicomanes (pour preuve, il a vécu lui-même l’épisode de la télévision volée dans un home pour personnes âgées). Reste à trouver quelqu’un de porter le délire visuel à l’écran, et ça tombe bien parce que Danny Boyle se montre intéressé, lui qui connaissait déjà MacDonald et Hodge depuis l’époque de Petits meurtres entre amis. Tant qu’on y est, on refait appel à Ewan McGregor et quelques seconds rôles (Ewen Bremner qui avait déjà joué dans une adaptation de Trainspotting au théâtre, Johnny Lee Miller en fan de James Bond alors que son grand-père Bernard Miller interprétait M dans la série jusqu’en 1979) et pour mieux les préparer, on leur dit de revoir L’arnaqueur, L’exorciste et Orange Mécanique tandis que McGregor fond pour ressembler un maximum à un toxicomane. Après 7 semaines de tournage seulement, le film qui devenait devenir le 10ème meilleur film britannique de tous les temps selon le British Film Institute est fini et prêt à devenir LE film culte des années 90 en Angleterre.

Bien qu’il ait pour héros des junkies et un psychopathe (jubilatoire Robert Carlyle), le film n’est pas vraiment un drame. Il s’agit plutôt d’une comédie noire, bien noire, so british dans un humour un peu trash (la plongée de Renton dans les w.c.) mais terriblement attirant. On frôle le scato (le réveil de Spud dans la chambre de la fille) mais on y sombre jamais, loin de là. C’est l’humour parfois diabolique, totalement absurde (comme la théorie sur la Vie et son rapport avec Sean Connery selon Sick Boy) mais vraiment décalé. Sans méchanceté même. Avec juste ce qui faut de mauvais goût : par exemple, l’équipe de football qui joue contre nos drogués au début n’est autre que les membres d’une association pour toxicomane. Ou encore ce bouquin que lit Renton, sur la vie de Montgomery Clift, célèbre pour ses déboires avec ses addictions à l’alcool et aux drogues. A moins que ce ne soit un hommage, comme le film en fourmille : Orange Mécanique et Taxi Driver dans la boîte de nuit, L’exorciste avec la tête du bébé qui fait un tour de 360°, Il était une fois en Amérique ou encore Tirez sur le pianiste à travers deux plans identiques aux films précités et enfin, incontournables, des clins d’œil aux Beatles comme s’il en pleuvait : les films Hard Day’s Night et Help ! ou les jaquettes des albums Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et Abbey Road.

La mise en scène de Boyle trouve enfin son apogée avec ce film, après quelques essais dans Petits meurtres entre amis. Avec un sens incroyable du timing, le cinéaste nous raconte plus une suite d’épisodes, un tout unique : la vie de Renton est cohérente, comme les conséquences de ses actions : il arrête la dope, les ennuis arrivent. Il la reprend, ils empirent. Ainsi va la vie qu’il ne voulait pas choisir au début de son récit. Pourtant, il n’y a aucun message moralisateur, aucune prise de position irrévocable : être junkie a ses avantages et ses inconvénients. Libre à chacun de le devenir ou pas, tout en étant conscient des dangers que cela comporte (le sida est frontalement abordé même si brièvement). Boyle ne se pose jamais comme moralisateur, puisque ces personnages n’ont rien de héros.

Du point de vue du récit également, le travail sur la narration est soignée puisque étant à la première personne du singulier, beaucoup de délires sont permis : du délirant passage aux « pires toilettes d’Ecosse » à l’insoutenable crise de Renton lors de sa cure, chaque moment du film est pleinement décrit selon la vision de notre personnage principal, à la manière justement d’un Orange Mécanique dont Trainspotting se pose comme un fervent admirateur.

Dans le rôle principal, un Ewan McGregor comme on en verra jamais plus, aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau, répondant pleinement aux exigences de son personnage sans broncher. Le rôle de sa vie en somme, et il semble le savoir puisqu’il se donne à fond et que cela s’avère très payant. Parallèlement, ses camarades de jeu n’ont pas grand-chose à lui envier, du flegmatique Johnny Lee Miller au remarquable Ewen Bremner en Spud un peu limité, les seconds rôles étant pourtant dominés par un Robert Carlyle inoubliable que l’on croirait presque être le fils spirituel de James Cagney tant il est imprévisible.

A souligner finalement une b.o. extraordinaire, mélange improbable (donc réussi) de Bowie, Iggy Pop ou Lou Reed avec Pulp, Underworld ou encore Blur et (après tout pourquoi pas) même Bizet. A l’image du film, cette bande originale est jeune et dynamique, tantôt nostalgique tantôt décalée et (surtout) sans temps mort. L’exemple parfait d’un bon accompagnement musical dans un film.

Œuvre culte mais, surtout, réussie, Trainspotting n’est peut-être pas aussi anarchiste qu’on a voulu le prétendre à sa sortie ; outre une réflexion sur la drogue qui se permets de montrer des choses sans les juger (ce qui en fait l’un des films les plus puissants sur ce thème), il s’agit aussi d’un hommage au cinéma de la part de Boyle. Rarement adaptation aura été à la fois si sincère et si personnelle.

Note : *****

mercredi 29 août 2007

L'enfer du dimanche (Any given sunday)


Le sport et le cinéma, ça fait souvent deux. D’abord parce qu’il faut un bon scénario sur le côté, ensuite parce que la tendance est d’illustrer des sports typiquement américains que nous autres, pays occidentaux, ne connaissons pas vraiment. L’enfer du dimanche possède ces deux tares : le manque de script décent et un sport trop méconnu pour nous séduire.

Oliver Stone est un passionné de foot américain, c’est un fait. La preuve : « Fils unique, vivant à New York, je me suis mis à collectionner des photos de joueurs dès l'âge de neuf ans, à remplir des carnets de notes avec des résultats de matches et les statistiques des équipes. Je me suis aussi inventé ma propre ligue, et me suis adonné avec passion à ces jeux en chambre qui m'occupaient parfois pendant des heures ». Il ajoute : « J'ai toujours eu envie de tourner un film à grande échelle sur le foot, mêlant les destins d'une quinzaine de personnages, comme dans les classiques des années quarante-cinquante. Je voulais que ce soit un film moderne, mais je souhaitais également y rendre hommage à une certaine tradition du cinéma hollywoodien, avec une action dense et serrée, du mouvement et de l'ampleur, une figuration abondante et démonstrative. » Bon, l’action est louable, comme dans beaucoup de films qui se voulaient originaux mais ne sont en réalité que des navets.

Stone aurait du s’en douter : les choses ont mal commencées dès la préproduction. Par exemple, Stone ne trouve aucun accord avec la National Football Ligue et doit donc en inventer une nouvelle pour le film. Plusieurs acteurs refusent de jouer dedans : Robert de Niro, Ving Rhames, David Duchovny ou encore Chris Tucker. Inversement, le chanteur P. Diddy et Cuba Gooding Jr sont vite écartés du film, l’un pour ses déboires avec la justice, l’autre pour avoir déjà jouer un footballeur dans Jerry Maguire. Enfin, signalons quand même que Clint Eastwood fut un moment pressenti pour le rôle finalement dévolu à Al Pacino, mais Eastwood fut aussi en pourparlers pour réaliser le film. Pendant le tournage, LL Cool J prend son rôle au sérieux et frappe violemment Jamie Foxx à la tête, tandis que Jim Caviezel et Tom Sizemore ne se doutent pas qu’ils seront coupés au montage. Enfin, signe d’une mauvaise préparation, Stone doit recommencer une scène entière car il y utilisait une musique sans l’accord du groupe, qui refuse d’être exploité dans ce film.

Au fil des années, Oliver Stone semble avoir fait le chemin inverse de la plupart des cinéastes : ses scénarios sont de plus en plus mauvais alors que techniquement il est de plus en plus fort. S’il l’on doit sauver un point de ce film, c’est bien sa mise en scène et encore, par moments, tels ces matchs dantesques : Stone voulait « proposer une approche frontale du jeu, diamétralement opposée à l'esthétique froide et distanciée de la télé, et concevoir une mise en scène très physique, basée sur un contact direct avec le joueur », il y réussit admirablement notamment avec un travail immense sur le son (bruits d’animaux et combats de gladiateurs mélangés aux sons réels du match). Sa caméra est constamment en mouvement, au plus proche des joueurs sur le terrain et le découpage est réussi.

Côté casting, Stone a également eu la présence d’esprit de s’entourer d’une pléiade de stars : Al Pacino, Dennis Quaid, Jamie Foxx, Cameron Diaz, Matthew Modine, James Woods, Charlton Heston, il n’y a pas de quoi se plaindre je pense ! Pourtant, si chacun joue assez bien son rôle, personne ne transcende vraiment son personnage : Pacino fait son Pacino et Woods son Woods, Dennis Quaid est un peu en retrait tout comme Modine, Heston apparaît 5 minutes et Jamie Foxx frôle le ridicule plus d’une fois. Celle qui s’en sort le mieux dans cette histoire reste assurément Cameron Diaz, surprenante en femme d’affaire vénale.

Bref, de bonnes petites bases pour un film honnête. Hélas, allez comprendre pourquoi, mais Stone semble se moquer de plus en plus de ce côté shakespearien qui faisait la force de ses premiers films (Platoon, Né un 4 juillet) ou de cette volonté de titiller là où ça fait mal (JFK, Nixon) au profit d’un scénario digne du plus petit scénariste hollywoodien en fonction. A la base, le script de L’enfer du dimanche est la fusion de trois scénarios : un écrit par un ancien joueur de football professionnel que Stone a remanié (lorsqu’on voit comment Stone remania Tueurs-nés de Tarantino, on peut craindre le pire), un deuxième scénario de John Logan et enfin un troisième de Richard Donner et Lauren Schuller Donner. Finalement, Stone s’adjoint l’aide de Logan pour mélanger tout ça, en prenant par-ci par-là des idées dans un livre controversé de Rob Huizenga. Résultat : Stone égratigne la télé, le sport, le dopage, le statut de dieu vivant des joueurs, l’appât du gain et des tas de trucs super chouettes à critiquer… quand on ne plombe pas son propos avec l’histoire d’un entraîneur en bout de course mais qui y croit encore au bon vieux temps, d’un prodige qui devient un sale con avant de redevenir super sympa avec ses potes, même celui qui lui fend le crâne, de cette vamp de patronne qui découvre la beauté du football à la place de celle de l’argent et une multitude de gags scatos pour faire rire les gens, du mastodonte qui a la chiasse au joueur qui vomi sur le terrain chaque fois qu’il joue. Tout ça sur 2h30, franchement, on en peut plus, et on décroche alors d’un film qui lorgne parfois du côté du clip rap ou r’n’b fonctionnant sur le même principe. Stone cherchait-il à copier le schéma scorsesien de gloire/chute aux enfers/rédemption ? On n’ose y croire tant le résultat final est manichéen et, n’ayons pas peur d’être méchant, minable en comparaison de ce qu’il annonçait comme traitement.

L’enfer du dimanche frôle l’échec cinématographique, où quelques bons moments visuels, une bonne gueulante comme Pacino en a le secret et une Cameron Diaz au sommet sauve le film du naufrage, la cause étant une galerie de stéréotypes sur un scénario bien en deçà de ce qu’il aurait pu (du) être. Zéro touch down dans la partie, Stone aux vestiaires !

Note : **

lundi 27 août 2007

Ne le dis à personne


Après un sympathique premier film (Mon idole), on était curieux de savoir comment Guillaume Canet allait nous revenir derrière la caméra. Et une fois n’est pas coutume, un cinéaste français a décidé d’adapter un roman américain, Ne le dis à personne.

D’abord, place aux bons mots du réalisateur : « Il y avait une multitude de personnages forts, ce qui m'allait bien puisque j'ai un défaut : à chaque fois que je croise un acteur ou une actrice qui me séduit, j'ai envie de travailler avec lui ou elle. Cette fois, je pouvais offrir plein de rôles! » De ce point de vue, il est vrai que le casting est des plus alléchant : François Cluzet, André Dussollier, Marie-José Croze, Kristin Scott Thomas, François Berléand, Marina Hands, Jean Rochefort, Nathalie Baye, Gilles Lellouche, Jalil Lespert, Olivier Marchal et Guillaume Canet lui-même, on a connu moins prestigieux. Et c’est là l’un des points forts du film, ces acteurs et actrices, chacun étant très bon dans son rôle, avec mention spéciale à François Cluzet (récompensé d’ailleurs par un César), Jean Rochefort, François Berléand et Kristin Scott Thomas. Cluzet d’ailleurs avoue avoir pris son pied avec ce film, puisqu’il s’agissait d’un rôle très physique : « C'est la raison pour laquelle ce rôle est l'un de mes préférés : je suis venu au cinéma pour faire des films d'action, et pas du tout des films d'auteur ». Il n’en demeure pas moins convaincant dans ses moments de troubles fréquents dans le film, où le personnage d’Alex ne sait plus qui ou ce qu’il doit croire ou non.

Côté réalisation, Guillaume Canet (César du meilleur réalisateur) revendique clairement ses influences populaires, ces films de genre américains du même acabit que Ne le dis à personne : faux semblants, vengeances et courses poursuites (dont une admirable sur le périphérique parisien, exceptionnellement fermé pour l’occasion) parsèment ainsi le film comme un standard américain, alors que nous sommes bien dans un film français. L’audace est donc là, mais on regrette néanmoins un manque de rythme constant, même si le mélange de calme et d’urgence est judicieux, il reste certains moments de flottements, parfois trop lents comme cette introduction et l’arrivée à l’élément déclencheur, qui ne se montre qu’après 20 minutes (César du meilleur montage au demeurant).

En revanche, en ce qui concerne le scénario, il faut bien admettre que le roman original était beaucoup plus captivant que son adaptation. Ce n’est pas que c’est mal écrit, loin de là, mais l’agencement des situations est tel que l’on devine assez facilement ce qui va arriver par la suite, et on se surprend à connaître la fin avant l’heure. Un comble pour un polar.

Cependant, il reste un autre élément-clé du film, qui aide le film à se hisser un cran au-dessus des productions de ce genre dans l’Hexagone : la musique. Le compositeur est d’ailleurs bien connu dans le milieu puisqu’il s’agit de Mathieu Chedid, alias ‘M’ sur scène, qui sur proposition de Canet lui-même s’est vu offert une proposition des plus sympathiques : improviser une musique sur le film une fois que Chedid l’aurait vu. Coup de bol, Chedid adore le film et trouve bien vite l’inspiration : « J'avais choisi une guitare un peu spéciale-une guitare baryton, plus grave qu'une guitare classique. La musique vient quasiment de toutes les premières prises enregistrées en direct, j'ai rarement recommencé, cela s'est fait de façon quasi animale. Hormis la chanson de fin, plus arrangée, et l'enregistrement du violoncelle, tout s'est fait de manière fulgurante, porté par l'énergie créatrice de Guillaume, qui bondissait en se frottant les mains à la fin de chaque séquence et m'encourageait, par sa bonne énergie, à poursuivre ». Le résultat est là : à la fois mélancolique et progressive dans le ton, la musique de Chedid colle à merveille au film, lui conférant cet aspect mélodramatique parallèle à l’enquête centrale du film et la course effrénée d’Alex. Du grand art récompensé par un César, lui aussi.

Un film sympathique, certainement pas un chef-d’œuvre mais cherchait-il ce statut ? Canet prouve en tout cas qu’il possède un savoir-faire certain, à peaufiner à l’avenir, et que le cinéma français peut aussi tenter certaines choses de temps à autres et redonner ainsi un souffle nouveau à un cinéma qui commence à trop tourner en rond.

Note : **

samedi 25 août 2007

Rashomon


Si Akira Kurosawa est aujourd’hui une légende du cinéma, et fut l’un des plus grands modèles de cinéastes comme Georges Lucas ou Francis Coppola, il n’en fut pas toujours le cas. Il faut même dire qu’avant Rashomon, Kurosawa n’était pas connu de l’Occident – et très peu au Japon (nul n’est prophète en son pays…)

Heureusement, le Festival de Venise va changer tout ça en offrant à ce film un Lion d’Or. Du coup, Akira Kurosawa (qui ignorait même que son film était en compétition) et le cinéma asiatique par la même occasion explosent à la face du monde.

Le nom de « Rashômon » se réfère à la porte de Rajomon dont le nom avait subit cette modification dans une pièce de Nô écrite par Kanze Nobumitsu. “Rajo” désigne les pourtours extérieurs du château ; donc “Rajomon” fait allusion à la porte principale qui ouvre sur les terres extérieures du château, autrement dit le « monde sauvage », celui des hommes n’ayant guère de civilités comme les voleurs, les menteurs, etc. Kurosawa a donc pour but, t il l’avoue clairement assez rapidement, de juger l’Homme et sa cupidité. Il ne prend pourtant aucun parti : à travers les plaidoiries, aucune histoire ne se ressemble, et à la fin nous ignorons toujours qui dit la vérité. Mieux encore, c’est à nous, spectateurs, que Kurosawa confie la lourde tâche de juger ce crime odieux, en nous plaçant directement par un subtil jeu de cadrage à la place du jury du procès. De cette manière, Kurosawa nous invite à réfléchir sur l’état de notre société, qu’il n’hésite pas à égratigner. Le pamphlet serait parfait si, un cours instant, le film ne sombrait dans la facilité, à travers ce passage où, voyant le bûcheron adopté un enfant abandonné, un bonze retrouve la foi en l’être humain.

D’un point de vue stylistique, Kurosawa affirme son passé de peintre et dessine des plans comme tel : de la beauté d’une rivière à l’usage de la lumière, tantôt apaisante tantôt menaçante (comme les reflets d’une lame d’épée), le cinéaste compose chaque plan de manière très élaborée, où chaque chose – et acteur – à sa place. Les valeurs sont respectées mais de nouveaux codes sont introduits, comme cette confrontation en triangle filmée de manière remarquable. Kurosawa était un metteur en scène hors pair, et il le prouve.

De même que son acteur fétiche, Toshiro Mifune, dont c’est ici la cinquième collaboration (sur 16 films en 17 ans), démontre toute l’étendue de son talent : tour à tour cinglé, voyou gentilhomme, prétentieux, arrogant, lâche, son personnage en vient littéralement à occupé nos esprits, contrairement au samouraï assassiné ou la fameuse femme fatale et manipulatrice que Kurosawa chérissait tant. Tous trois sont excellents, comme l’est le vagabond qui discute avec le bonze et le bûcheron, un peu trop stéréotypés hélas.

Un film remarquable, presque parfait, dont la complexité narrative a depuis fait de nombreux émules, sans que ceux-ci ne parviennent à retrouver le génie de Kurosawa. Incontournable.

Note : ****

jeudi 23 août 2007

Hantise (Gaslight)


Qui a dit que les vieux films étaient nazes, poussiéreux, sans imagination ? Parce qu’après avoir vu Hantise, vous ne verrez plus les choses sous le même angle !

Remake d’un film anglais homonyme sorti en 1940 (et dont les producteurs ont tenté, en vain, de détruire toutes les copies), Gaslight est l’histoire d’une femme qui, installée depuis peu dans la maison de sa défunte tante, croit devenir folle tandis que son mari s’éloigne d’elle. Un policier, qui voit le reflet de la tante dont il était amoureux dans la jeune épouse, se souvient également du crime odieux perpétré dans cette maison des années auparavant…

Il faut savoir que le film fut nominé pour sept Oscars : Meilleur acteur (Charles Boyer), Meilleure actrice (Ingrid Bergman, remporté), Meilleur second rôle féminin (Angela Lansbury), Meilleure direction artistique (remporté), Meilleure photographie, Meilleur film et Meilleur scénario. Une honte quelque part puisque Georges Cukor ne s’est pas vu nominé pour ce film, alors que c’est bel et bien sa réalisation qui offre au film son côté étrange.

Sa mise en scène se base en fait sur les détails. Une broche qui disparaît, la lumière qui faiblit, le brouillard de Londres, un gant… Cukor joue aussi avec l’expressionnisme en adaptant le décor à son héroïne : un bric-à-brac incroyable, où le désordre règne, parallèle à la folie croissante du personnage de Bergman. Il s’amuse même à faire de l’ironie, en faisant chanter l’opéra Lucia Di Lammermoor à Ingrid Bergman (cet opéra est célèbre pour une scène où la dite Lucia devient folle à lier…).

Une Ingrid Bergman des plus surprenantes d’ailleurs : que ceux qui s’attendent à une héroïne romantique à la Casablanca oublie vite cette idée : Bergman frôle la démence à la perfection. Rien d’étonnant après avoir étudié les malades mentaux dans une institution pendant des jours, mais ce que Cukor a réussi, c’est-à-dire tirer le meilleur d’une actrice que l’on avait déjà enfermé dans un type de rôle, est tout bonnement hallucinant. Un Oscar amplement mérité, comme l’aurait été celui de Charles Boyer, le séducteur français par excellence pour les Américains, qui compose là un mari inquiétant, qu’on ne peut cerner correctement… Face à ses deux monstres sacrés, Joseph Cotten (vous vous souvenez, l’ami de Welles dans Citizen Kane) se défend tant bien que mal. Et comment oublier les débuts d’Angela Landsbury, l’inoubliable Jessica Fletcher de la série Arabesque.

Malgré le temps qui passe, Gaslight reste un petit bijou du genre dit « thriller », surfant sur la mode des femmes victimes comme Soupçons d’Hitchcock, Angoisse de Jacques Tourneur ou Caught de Max Ophüls, le tout avec un air de film victorien. Et que le film a un peu vieilli et ne fait plus peur est sans importance : ce n’est qu’un détail.

Note : ***

mardi 21 août 2007

The Last Show (A Prairie Home Companion)


Ironie du sort, The last show est le dernier film du cinéaste Robert Altman, décédé en novembre dernier. Et le pire est que le métrage s’attarde notamment sur la mort, sans pour autant sombrer dans le drame en tournant tout à la dérision, qui caractérisait tant les films du cinéaste. Un final à l’image de son auteur : immense.

Mais reprenons depuis le début : le film s'inspire d'une authentique émission de radio, très populaire aux Etats-Unis, et également intitulée A prairie home companion. Créé en 1974, ce programme, qui se déroule chaque semaine en direct, réunit pas moins de 4 millions d'auditeurs américains sur 558 stations de radio, et suivi dans 35 millions de foyers à travers le monde. Animateur et âme de cette émission où se mêlent chansonniers, comédiens et chanteurs de country, Garrison Keillor a écrit pour Robert Altman le scénario du film. Altman est un habitué des adaptations, puisqu’il en a déjà fait de nombreuses auparavant (Fool for love, Beyond Therapy, Streamers…) donc aucun souci.

La préparation du film se fait en douceur : Meryl Streep apprend l’accent du Wisconsin avec sa belle-mère, George Clooney et Michelle Pfeiffer sont remplacés par Kevin Kline et Virginia Madsen tandis que Tom Waits et Lyle Lovett cèdent leurs places à Woody Harrelson et John C. Reilly, Lindsay Lohan obtient un rôle par lobbying (elle avait dit dans la presse qu’elle jouerait un rôle dans le film alos qu’il n’y avait rien de prévu pour elle !) et pour une question d’assurance Robert Altman nomme un réalisateur « de réserve » pour le pire des cas répondant au nom de… Paul Thomas Anderson.

Le tournage est tout aussi folklorique : côté anecdote, l’actrice Maya Rudolph est réellement enceinte comme son personnage devait l’être, et lors d’une scène (présente dans le film) où Kevin Kline débouche une bouteille de champagne nous entendons un « Ow ! », suivi d’un « sorry » de la part de Kevin Kline : il s’agissait de Robert Altman ayant reçu le bouchon directement sur le front ! Mais le cinéaste est également un artiste allant au bout des choses : il opte donc pour un tournage novateur. Par exemple, le film est enregistré durant cinq semaines, au Fitzgerald Theatre de Saint-Paul dans le Minnesota, là où Keillor enregistre son émission depuis 1978. Garrison Keillor joue lui-même le rôle l'animateur de l'émission, appelé simplement G.K. Certains des personnages du film existaient déjà dans le show radiophonique et, l'équipe technique habituelle de l'émission à collaboré avec celle du film lors des numéros de variété, tournés sur scène devant un public et dans les conditions du direct. Des conditions qui rendent le film plus authentique. Altman ajoute même : « On pourrait dire que nous avons tourné ce film comme un documentaire. Nous n'avons pas essayé de camoufler nos caméras. On a procédé un peu comme pour une captation : la caméra est présente pendant l'action, mais rien n'est organisé pour elle ».

Une fois de plus, Altman s’entoure d’un casting cinq étoiles où chacun prend son pied. Le coup de cœur va sans doute à Kevin Kline qui la joue comique comme on l’aime, et à Meryl Streep qui pousse la chansonnette de manière incroyable. Cependant, les autres acteurs n’ont rien à envier, et tandis que Lindsay Lohan efface son image d’actrice pour films enfantins en interprétant cette adolescente suicidaire, le duo Woody Harrelson – John C. Reilly est impayable, notamment lors des blagues à deux balles. On regrette juste de ne pas profiter un peu plus de Tommy Lee Jones mais c’est la règle des films « choraux ».

D’un point de vue mise en scène, le cinéaste n’a plus rien à apprendre : son humour acerbe et à froid et ses analyses au scalpel de l’Amérique profonde et du monde du spectacle ont contribué à bon nombre de chef-d’œuvre. Sans se départir de ces caractéristiques qui ont fait sa réputation, Altman prend son temps, filme avec une certaine nostalgie et humilité cette dernière représentation de l’émission de radio, radio qu’il affectionnait tant étant enfant et qui a fortement influencé sa mise en scène notamment au niveau du travail du son. Le réalisateur semble savourer l’instant présent, présentant inconsciemment ou non que ce sont les derniers qu’il vivra. Le paradoxe veut que le thème de la mort, qu’Altman abordait fréquemment, soit le plus présent dans ce film, qu’elle soit artistique ou humaine… Altman signe aussi son hommage à la musique country une dernière fois, musique qu’il avait déjà glorifié dans l’incontournable chef-d’œuvre de sa carrière, Nashville.

Rythmé et mélancolique, amer et drôle, A prairie home companion est le film testament d’un cinéaste en état de grâce, qui salue une dernière fois son public avec sincérité et simplicité, comme les acteurs de l’émission de radio. Quand la fiction rattrape la réalité, le constat est dur : Robert Altman n’est plus, et le pire est qu’il était irremplaçable.

Note : ****

dimanche 19 août 2007

Ratatouille

La réussite la plus flagrante du nouveau film de Brad Bird est sans doute une précision dans le dessin et un degré de qualité jamais atteint auparavant, proche du réalisme tout e accentuant quand même le côté dessin. Admirez un peu le souci du détail, et le travail qui l’enture : le pelage d'un rat par exemple compte habituellement près de 500 000 poils, mais malgré la puissance des machines actuelles, il est encore impossible de les animer un par un, donc les équipes de Pixar ont donc choisi d'animer "seulement" 30 000 poils clés dont dépend tout le reste du pelage. Et ce n’était qu’un début. Paris, où se situe l'action du film, est un personnage à part entière qu'il a fallu traiter comme tel : pendant la préparation du film, l'équipe de Pixar a ainsi pris près de 4 500 clichés de la capitale pour servir de référence. Ils se sont également rendus dans les égouts, sur les bords du canal Saint-Martin, en haut de la Samaritaine, au sommet de la Tour Eiffel et ont également parcouru les rues de la ville en moto, et bien évidemment ont fait le tour des plus grands restaurants de la capitale. Afin de rendre les aliments aussi réalistes et alléchants que possible, l'équipe de Pixar a préparé près de 270 plats dans une vraie cuisine qu'ils ont ensuite pris en photo avant de les recréer sur ordinateur. Pour se préparer à la réalisation du film, 43 membres de l'équipe technique (peintres, décorateurs, directeurs techniques et animateurs) ont suivi des cours de cuisine ! Pour savoir à quoi devait ressembler le chef lorsqu’il tombe à l’eau, un membre de l’équipe se déguisa et plongea dans une piscine, pour voir quels vêtements lui collaient à la peau ou non.

Encore un peu ? L'articulation faciale est un point clé pour donner vie aux personnages du film. Brad Bird et son équipe ont ainsi créé près de 160 contrôles d'animation différents pour Remy : "Cela ouvrait des possibilités formidables, explique Brad Bird mais l'une des principales difficultés restait que le visage d'un rat ne se filme pas forcément bien sous tous les angles. Leur long museau peut cacher la bouche s'ils baissent la tête, par exemple. Nous avons beaucoup travaillé cela, nous avons fait quantité d'essais afin d'être sûrs que le public allait connaître de mieux en mieux Rémy à travers ses attitudes et ses expressions." Dans la version originale, la plupart des personnages ont un accent français, ce qui implique des mouvements de lèvre bien différents de ceux de la langue de Shakespeare. Pour les retranscrire efficacement, les artistes de Pixar se sont ainsi inspirés de célébrités françaises comme Bardot, Gainsbourg ou de Gaulle. La directrice de la photographie Sharon Calahan a voulu donner au film une atmosphère d'octobre idéal en France : "Quand nous sommes allés à Paris, il y avait du soleil, mais la lumière était argentée et diffuse, tout paraissait doux, chaleureux et accueillant. Je voulais retrouver cela dans notre film. Le film n'est pas éclairé avec une lumière fortement colorée et des ombres franches comme c'est le cas d'ordinaire, parce que je voulais vraiment célébrer cette couleur particulière que l'on ne trouve qu'à Paris." La chef décoratrice a aussi dû apporter à la cuisine une attention toute particulière : "La conception visuelle de la cuisine a évolué sur environ deux ans, explique-t-elle. Nous avons visité un grand nombre de cuisines en France et en avons retiré des éléments très précis. Notre cuisine est un peu plus ouverte - la plupart des vraies cuisines sont une série de petites pièces reliées entre elles, et cela n'aurait pas fonctionné au plan cinématographique. Mais nous avons conservé la séparation des zones : boulangerie, préparation des poissons, des viandes, préparations froides..." La garde robe des personnages de Ratatouille est la plus complexe jamais réalisée pour un film en images de synthèse. Au total près de 190 costumes différents ont été créés. Enfin, la boutique du dératiseur que l'on voit dans le film s'inspire d'une vraie boutique de dératisation située à Paris, dans le quartier des Halles.

Quel sérieux dans la préparation ! Mais cela n’a pas empêché l’équipe de s’amuser un peu et de glisser quelques références : ainsi, Le personnage de Skinner a été nommé en référence au psychologue comportementaliste Burrhus Frederic Skinner, célèbre pour ses expériences sur les rats, mais est aussi selon Brad Bird un mélange du Salieri d’Amadeus et de Clouseau dans La panthère rose ; Pour certaines scènes où l'on observe l'action depuis les toits ou à travers des fenêtres, Brad Bird avoue s'être inspiré de la mise en scène de Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock ; enfin Les noms de nombreux produits et éléments du décor viennent de l'équipe même de Pixar. On trouve ainsi L'Huile d'olive Lewis en référence au producteur Brad Lewis ou Le Sel de mer DeVan, baptisé d'après le chef animateur David DeVan (à noter que le vin Lasseter Cabernet Sauvignon que l'on aperçoit dans le film est un véritable vin que John Lasseter, produit lui-même dans la Sonoma Valley aux Etats-Unis).

Maintenant que vous avez la recette pour faire un bon film, décrivons un peu ce qui en fait un mets plus appréciables encore que les autres : sans revenir sur la qualité incroyable de l’animation, parlons un peu du scénario. Comme souvent chez Pixar, le récit est ciblé enfant mais ne délaisse jamais les parents ou même les ados, très bon public pour ce genre de film. L’idée principale : quelle que soit son origine, tout le monde peut faire ce qu’il aime. Un thème bon enfant qui marche pourtant à merveille. Il faut dire que la conception des personnages est telle que l’on ne peut que s’éprendre du rat et du grand maladroit, alors que si on les croisait dans la vie réelle on ne leur parlerait sans doute même pas. L’enchaînement des gags est également très soigné, et les gags en eux-mêmes relèvent très souvent du bon goût, usant parfois de vieilles ficelles mais c’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleurs soupes n’est-ce pas ; on en a confirmation.

Seconde force de ce scénario, le piège absolu enfin évité : les stéréotypes concernant Paris et les Français. On en a connu des caricatures de la capitale de l’Hexagone, et des dessins du même acabit pour représenter ses habitants, mais cette fois Brad Bird refuse de céder à la facilité et nous offre à voir une ville lumière plus vraie que nature, retranscivant à merveille tout ce qu’elle peut contenir de magique, quant au design des personnages, comme dit précédemment, il se repose sur l’étude de faciès français célèbres, et visiblement ça aide, puisque sans dénigrer l’aspect humain déjà exploité dans Les Indestructibles, on s’approche un peu plus encore de la réalité, tout en conservant la juste dose d’animation. Enfin, la musique de Michael Giacchino accompagne harmonieusement la représentation de Paris, avec son lot d’accordéons bien entendu mais aussi de thèmes plus mélancoliques judicieux.

Pour conclure, un petit mot sur la réalisation outre sa qualité visuelle : rarement un film aura été aussi vivant grâce à des mouvements de caméra et des plans-séquences admirables, d’une fluidité qui confère à la leçon de mise en scène. L’audace de représenter un lieu complexe (une cuisine d’un grand restaurant) du point de vue, minuscule, d’un rat, était un défi de taille, même pour un surdoué comme Bird ; un délice de voir comment le chef a réussit à s’en sortir.

Avec donc un soupçon de scénario solide et un doigt de passion, le tout mélangé avec (du) talent, vous obtiendrez donc une Ratatouille qui éveillera vos papilles comme jamais. Ou plutôt si : comme la première fois que vous avez découvert un film d’animation lorsque vous étiez enfant, ce souvenir d’une œuvre jamais vue jusqu’alors et qui vous rendait euphorique. La recette de la tradition alliée à la modernité, c’est sans conteste Pixar.

Note : ****

vendredi 17 août 2007

Les aventures de Rabbi Jacob


Peut-on vraiment tout critiquer ? Par définition, oui, mais dans le monde du septième art, il existe quelques films qui, malgré un nombre incroyable de défauts, restent des moments d’extase, des petites pépies brutes que l’on ne peut s’empêcher d’aimer. Les aventures de Rabbi Jacob, par exemple, fait partie de cette catégorie de films.

Soyons francs, le film n’a vraiment rien d’extraordinaire. Réalisation banale, comédiens drôles mais pas inouïs, scénario creux, pseudo message de paix… En gros, même pas de quoi allumer sa télé un dimanche soir. Néanmoins, il suffit parfois d’un petit quelque chose pour faire d’un film très moyen un métrage regardable, que dis-je, appréciable.

En l’occurrence, ce quelque chose répond au nom de monsieur Louis de Funès, qui n’ayons pas peur de l’affirmer haut et fort reste le plus grand acteur comique français de tous les temps aux côtés de Fernandel et Bourvil. Ce n’est pas tant sa performance qui impressionne, car il exploite simplement ses acquis (mimiques, personnage de Français un peu moyen et caractériel), mais c’est surtout cette capacité incroyable de tirer à lui seul un film entier. D’autant plus grand encore st son mérite qu’à l’époque, il a déjà des problèmes cardiaques, ce qui ne l’empêche pas d’exécuter lui-même la célèbre danse juive, et ce en plusieurs prises ! Une telle passion, une telle vie ne peut laisser indifférent, c’est certain.

Pour le reste, on décline. Le scénario contient sa dose d’humour, tant dans les scènes (l’usine à chewing-gum) que dans les répliques mais hélas se donne de faux airs de film politique, ou philanthropique au choix, à l’instar de cette image d’un Juif et d’un Arabe se serrant une poignée de main désignée comme fraternelle…

Gérard Oury était certainement un pro dans la manière de faire des films qui plairont au public, mais il ne faisait certainement pas dans le sophistiqué. Ici encore, sa mise en scène est très classique, pour ne pas dire académique, même s’il tente plus d’une fois de nous en mettre plein la vue. Heureusement, ses caricatures de la police ou du peuple juif n’ont rien de méchant, et le film reste de bout en bout dans l’esprit bon enfant.

Un film que tout le monde doit avoir vu, puisqu’on n’hésite pas à nous le servir en moyenne deux fois par an. Et le pire, c’est qu’on le regarde à chaque fois. Ce ne sera jamais un chef-d’œuvre, mais c’est un incontournable. Pas plus mal.

Note : ***

mercredi 15 août 2007

Le fils


Les frères Dardenne, c’est bien connu, c’est pas le cinéma le plus drôle qui soit. Et pourtant ils peuvent encore faire mieux apparemment, comme le prouve Le Fils.

On le connaît le dada des frangins : le social. Mais attention, le vrai, le pur, celui qui fait mal dans son amour-propre de gens aisé ! La promesse, Rosetta, L’enfant, autant de films qui mettent en avant des gens un peu différents car moins bien lotis que nous. Avec Le Fils pourtant, les frères délaissent un peu la misère urbaine pour s’attarder sur l’humain. Et, une fois n’est pas coutume, s’ils ont l’habitude de prendre énormément de distance avec leurs récits, c’est en ajoutant celle avec ses personnages qu’ils ont réalisé ce film.

Le fils en question, c’est celui qu’à perdu Olivier, et qu’il tente malgré lui de retrouver à travers celui qui a justement tué son enfant, un autre ado dont il a la charge à l’atelier menuiserie. Geste inconsidéré, fou, incompréhensible pour nous comme pour les autres protagonistes, Olivier le premier. C’est sans doute là l’élément le plus fascinant du film, cette relation impossible entre un tueur et le père de sa victime, tourmenté et avec une sérieuse tendance à s’autoflageller sans comprendre pourquoi.

Pour filmer ça, les Dardenne ont une manière bien à eux : « Un malaise tel entoure cette histoire qu'on ne pouvait pas la regarder de face mais avec une caméra placée derrière les corps ou de biais. On cache le visage d'Olivier au début du film, et le jeune homme n'est montré qu'après les 20 premières minutes. Ce qui était dérobé nous apparaissait aussi important que les choses révélées. La nuque tenait lieu de regard. » Idée très intéressante bien qu’un peu mal exploitée, la frustration du spectateur de ne pouvoir s’identifier aux personnages étant accentuée par la mise à l’écart de l’action du film.

Metteurs en scène doués et exigeants (ils ont auditionné 180 garçons pour trouver le bon, tout comme ils refont fréquemment une vingtaine de prises par scène), les frères ont hélas tendance à être trop hermétiques, trop froid pour vraiment nous permettre de les apprécier à leur juste valeur ; soyons honnêtes, comment aimer un film qui nous fout le moral dans les godasses ? Difficile pour ne pas dire impossible lorsque l’on est sincère envers soi-même.

Ils restent néanmoins des directeurs d’acteurs fabuleux : en plus d’avoir révélé un talent (Morgan Marinne) ils en ont confirmé un autre en lui permettant de décrocher le Prix d’interprétation à Cannes : Olivier Gourmet, à vif, en équilibre entre les deux émotions que sont la haine et la tristesse. Assurément l’un de ses rôles les plus marquants.

En définitive, les Dardenne manipulent mal leur récit pour être des cinéastes populaires, car le talent ils l’ont ; reste à quitter un peu le désespoir et laisser paraître plus de joie, histoire de rappeler que c’est aussi du cinéma tout ça…

Note : **

mardi 14 août 2007

La Chute (Der Untergang)


Le cinéma est autant un outil d’expression artistique qu’une manière de rappeler l’Histoire comme on ne le fait pas souvent dans les manuels. A condition de manipuler ses informations avec prudence, ce qui n’est pas vraiment le cas dans La chute.

D’entrée de jeu, le film nourrit la polémique : comment peut-on représenter les dernières heures de vie de l’un des plus grands tyrans de tous les temps ? En soi, ce n’est pas ça l’important, certains y sont parvenus avec brio dans des films ou téléfilms. Non, la vraie question est : quelle position faut-il rendre lorsque l’on fait un film de ce genre ? Cette question, le réalisateur Oliver Hirschbiegel et le scénariste Bernd Eichinger ne parviennent pas à y répondre en construisant un film authentique mais dépourvu d’âme. Selon le réalisateur, le danger résidait bien plus dans le fait de conserver de lui l'image irréelle d'un monstre qu'à le restituer dans ses traits d'homme: « C'est une insulte aux victimes de prétendre qu'il n'était pas un être humain (...) Il a su exactement ce qu'il faisait à chaque moment de sa vie, et, avec lui, tous ceux qui le suivaient (...) Si vous le trouvez sympathique, c'est que vous n'écoutez pas ». Pour le scénariste, « le plus grand danger consistait à faire d'Hitler un psychopathe ou un fou. Hitler était animé d'une énergie criminelle et destructrice incommensurable -c'était un barbare au sens le plus fort du terme. Mais je suis convaincu qu'il est resté maître de lui jusqu'à la fin -et c'est pour cela que le pouvoir ne lui a jamais échappé ». Des intentions louables sans doute, des justifications honnêtes, mais hélas le film l’est beaucoup moins : en refusant de prendre parti, en montrant tour à tour un Hitler bourreau et victime, La chute met très mal à l’aise. Pour Bruno Ganz, le est pourtant sans ambiguité, comme il le précise : « [Le film] porte un regard très dur sur la chute du régime. Un regard sans pitié. Et même si certaines situations peuvent donner le sentiment d'humaniser les personnages, et si Hitler n'est pas décrit du début à la fin comme un bourreau, l'idéologie véhiculée par les protagonistes est montrée comme totalement absurde et démente (...) ». Nous sommes déjà plus proche de la vérité, mai la zone d’ombre reste quand même bien présente et gâche l’ensemble du film pourtant correct.

La réalisation d’Hirschbiegel, en dépit de ce problème de clarté, souffre aussi d’une légère transparence par moment, mais qui est vite effacé par un aspect plus documentaire que fictionnel, minimisant els effets pour privilégier le drame intimiste. Les quelques combats que nous voyions n’ont rien de glorieux et ne sont même pas dignes d’un film de guerre, mais c’est l’effet voulu : de la sorte, nous pouvons mieux nous concentrer sur les personnages et leurs situations plutôt que sur l’invasion des Russes dans Berlin. La reconstitution de la ville allemande en 1945 est remarquable, tout comme l’ambiance de l’époque est parfaitement rendue, surtou la tension de la fin du Régime nazi.

Du côté des acteurs et actrices, en revanche, aucun problème même de justesse : chacun est à sa place, fidèle à la personnalité de celui qui l’interprète, en particulier Goebbels et Eva Braun, mais c’est bien évidemment l’incroyable Bruno Ganz qui domine tout, rendant humain le monstre qu’il incarne tout en conservant la folie qui l’habitait intacte, comme lors de ces réunions ou dernières nouvelles qui le mettent dans une colère noire.

Un film qui pêche donc par sa longueur, sa mise en scène assez plate et surtout un effet de balancier qui nous fait osciller entre l’admiration d’avoir choisi un tel sujet et la honte de voir que les auteurs ne désirent pas se mouiller de trop dans un récit qui, visiblement, les a dépassé. Je ne sais pas si en d’autres mains le film aurait été mieux, mais le doute est permis.

Note : **

lundi 13 août 2007

Lord of War


Andrew Niccol, valeur sûre du cinéma moderne ? Oui, oui, définitivement oui comme le prouve son dernier film Lord of War.

Il faut dire que Niccol est un géant de l’écriture : Truman Show, Bienvenue à Gattaca, S1m0ne sont autant d’exemples qui prouvent ses talents de scénariste. Des sujets originaux mais également teinté d’acidité, évoquant une réaction vive au monde contemporain : la télé-réalité qui implique le voyeurisme, l’élitisme de la société et la différenciation des classes ou encore le star-system dans toute sa superficialité. Cette fois, on change un peu la donne, et plutôt que de parler d’un trafiquant de drogue on parle d’un trafiquant d’arme. Niccol a aussi en tête une attaque en bonne et due forme des puissances mondiales prônant la paix alors qu’elles sont les plus grandes sources de procuration d’armes aux pays en guerre…

L’ennui, c’est que son scénario ne tient pas toues ses promesses (et, soyons honnêtes, la réalisation n’est pas l’aide nécessaire). Le hic ? Une mauvaise gestion de l’esprit du film et de son rythme. D’une part, cette volonté initiale de choquer (un anti-héros absolu rendu sympathique par un cynisme permanent) qui hélas sombre vite dans le convenu, même le prévisible sur le dernier tiers du film ; ensuite, le film qui s’annonce assez vif sur le début tire quelque peu en longueur par moments, ce qui fait perdre au film la tonicité qui faisait sa force. Enfin, le message final, certes important à connaître, ressemble plutôt à un message enfantin (on accuse les petits alors que les grands ne sont pas mieux) dont la force se perd dans un consensualisme exacerbé. Vu le génie de Niccol au niveau de l’écriture, il aurait pu manier différemment son propos et l’introduire subtilement mais efficacement dans son récit.

De plus, si Niccol est un cinéaste sachant s’entourer, il n’est pas non plus des plus prodigieux une caméra à la main. Peut-on lui en vouloir, alors qu’il ne s’agit que de son troisième film ? non, car l’ensemble est de bonne facture. Certaines scènes sont même sidérantes d’impact (la scène d’intro + générique) ou vraiment impressionnantes (l’atterrissage de l’avion sur la route de campagne). Mais il conviendra de voir le travail de Niccol dans quelques années, aguerri par l’expérience des tournages.

De même, sa direction d’acteur s’en trouvera améliorée, car on a plutôt l’impression qu’il laisse un peu trop de liberté à ses comédiens. Sauf qu’il sait, une fois de plus, très bien s’entourer : Nicolas Cage est d’une sobriété remarquable, Bridget Moynahan et Ethan Hawke sont respectables mais ce sont bel et bien Jared Leto et Eamonn Walker en dictateur sadique qui tirent leurs épingles du jeu. On regrettera juste de ne pa profiter un peu plus de Ian Holm mais bon, la prestation générale étant de bonne qualité, on n’en tiendra pas rigueur.

Niccol a cependant le mérite d’aborder, de manière originale, le problème des armes à feu, sujet choc surtout dans un pays comme les USA, où Bowling for Columbine avait déjà fait l’effet d’une bombe. Niccol continue donc son travail d’analyse sur les dérèglements du monde moderne, et vu la qualité globale du film, on ne peut rester qu’admiratif de la nouvelle oeuvre d’un cinéaste qui s’annonce, de plus en plus, incontournable dans le paysage cinématographique contemporain.

Note : ***

samedi 11 août 2007

Who's that knocking at my door


Certains cinéastes ne trouvent pas leur voie tout de suite; d’autres en revanche, arrivent exactement là où ils veulent en venir dès leur premier film, un peu comme Martin Scorsese et son premier long métrage Who’s that knocking at my door (on notera au passage qu’il n’y a pas de point d’interrogation dans le titre, pour la simple et bonne raison que c’est considéré comme porte-malheur dans l’industrie du cinéma).

Nous sommes en 1965, et le jeune étudiant Martin Scorsese réalise le premier film universitaire en 35 mm sous le nom de Bring on the dancing girls. On y voit surtout le personnage de J.R. avec sa bande, partagés entre bagarres et beuveries. Un désastre. En 1967, Scorsese reçoit quelques conseils de son ancien professeur Haig Manoogian et réécrit une large partie de son film, notamment les scènes entre J.R. et la fille. Motivé, Scorsese fait appel à Zina Bethune pour remplacer l’ancienne actrice et refait appel à un jeune acteur dont c’est le premier film : Harvey Keitel. Faute de moyens, le chef opérateur (qui n’est plus le même que la première fois non plus) tourne en 16 mm au lieu de 35. Soit, le film est finalement bouclé, présenté au Festival de New York et reste dans des cartons faute de distributeurs. Scorsese s’exile alors en Europe pour rejoindre Richard Coll, le premier chef op, qui lui propose de réaliser des pubs avec lui. Pendant six mois, Scorsese voyage entre Amsterdam et Bruxelles, découvre qu’il déteste la pub et rencontre à la Cinémathèque de Bruxelles Jacques Ledoux qui lui dit qu’il perd son temps à faire des pubs flamandes ! Manoogian téléphone alors à Martin, lui annonce que Joseph Brenner, distributeur de films érotiques voulant rentrer dans un cinéma plus classique, accepte de s’occuper de son film si Scorsese insère une scène de sexe. Coincé, le cinéaste appelle Keitel pour qu’il vienne à Amsterdam et tournent ensemble une scène psychédélique avec Anne Collette nue comme un ver, sur fond de This is the end des Doors. Du coup, entre les scènes en 16 mm, celles en 35 et la scène érotique, Who’s that knocking at my door devient un patchwork étrange, une sorte d’OVNI cinématographique qui ne plaît pas à tout le monde : les amis de Scorsese par exemple, qui avaient adoré être représentés dans le court It’s not just you, Murray, crient au scandale d’être dépeints avec tant de défauts dans ce film. Scorsese avoue que sa propre représentation, J.R., est narcissique et complaisante, et s’est éloigné de son but initial : le conflit intérieur d’un italo-américain catholique par rapport à une femme qu’il considère tantôt comme une madone tantôt comme une putain. Finalement le film ne sera pas acclamé, juste remarqué, notamment par John Cassavetes qui déclare qu’il s’agit du meilleur film après Citizen Kane !

Il faut reconnaître que pour un premier film, et des conditions de tournage semblables, Who’s that knocking at my door tient la route. Bien sûr, nous sommes très loin du Scorsese au sommet de sa fome, mais déjà pourtant le cinéaste fait preuve d’une virtuosité et d’une direction d’acteur exemplaire. Elle n’est pas loin l’influence de la Nouvelle Vague : dialogues en post-productions, caméra à l’épaule, amour avoué pour l’âge d’or hollywoodien (Rio Bravo, Scaramouche) et souci de réalisme constant. On découvre aussi tous les thèmes qui deviendront récurrents dans les films de Scorsese : la religion, l’amitié, la famille, la trahison, New York, la musique, le gangstérisme et l’incapacité d’un homme à quitter son univers. Je parlais de virtuosité, je m’explique : la scène d’introduction par exemple, qui ne doit pas durer plus de trois minutes, est un exemple de savoir-faire immense de la part du cinéaste. Dans un premier temps, nous nous trouvons dans une famille italo-américaine catholique (présence de la Vierge partout) où la grand-mère prépare un plat traditionnel pour ses petits-enfants ; sans transition, nous voici dans une rue de New York, où une bande de jeunes se disputent, avec en fond sonore une radio qui lance un tube rock’n’roll. Là, une bagarre éclate au rythme de la musique, le montage collant à la percussion près de la chanson. En à peine trois minutes, Scorsese vient de poser les bases de son univers tout en créant une scène mythique.

Harvey Keitel, de son côté, fait aussi preuve d’un réel talent de comédien, ne faisant aucune fausse note tout au long du film, pourtant étalé sur trois ans. C’est une fabuleuse découverte que Scorsese venait de faire là, et il y fera très attention puisqu’il le réutilisera dans quatre films par la suite (Alice n’habite plus ici, Mean Streets, Taxi Driver et La dernière tentation du Christ). Zina Bethune, elle, aura moins de chance dans sa carrière puisqu’elle restera cantonnée à des séries télévisées ; pourtant, sans être transcendantes, elle fournit une interprétation correcte. Quant au reste des acteurs, la plupart non professionnels, ils sont surtout inoubliables pour leurs visages typiques et les stéréotypes de leurs personnages.

On regrettera juste que le scénario ne soit pas à la hauteur des ambitions de Scorsese, car comme il l’avoue lui-même il manquait de recul par rapport à sa propre histoire. Pourtant il y a de très bonnes choses sur le côté : la comparaison des deux vies de J.R. par exemple, romantique dépassé et catholique confirmé refusant le viol de sa copine, alors qu’inversement la violence urbaine q’il vit au quotidien ne le choque pas, mieux il en ri lorsqu’un ami sort une arme à feu et braque tout le monde dans la pièce.

Autobiographique mais pas aussi personnel que vont l’être les prochains films de Scorsese, Who’s that knocking at my door représente surtout les fondements d’un univers particulier, et constitue un premier film assez remarquable qui, s’inscrivant dans son contexte socio-historique, permettait de découvrir l’un des futurs grands du cinéma.

Note : ***

jeudi 9 août 2007

Accattone


Accattone révéla au monde entier une personnalité qui allait marquer de son empreinte l’art italien moderne : Pier Paolo Pasolini. Ecrivain, poète, théoricien de l’art et de la littérature, c’est pourtant en tant que cinéaste qu’il allait devenir célèbre.

De par son sujet, que Pasolini connaît bien pour avoir enseigné des années dans ces bidonvilles, Accattone s’inscrit dans la lignée du néo-réalisme italien. Mais Pasolini est tout aussi proche des Rosselini et De Sica qu’il ne l’est de la poésie d’un Fellini (à l’image du rêve final d’Accattone) (quoi de plus normal, Pasolini ayant été scénariste pour Fellini sur Les nuits de Cabiria). Ainsi, si le film possède toutes les caractéristiques du célèbre courant cinématographique, il contient aussi les germes du style pasolinien : un certain lyrisme tragique, la question du sexe dans la vie courante, un mélange de cinéma social et de métaphores et une direction d’acteur exemplaire.

Si Pasolini parle des bidonvilles, il ne sombre cependant pas dans le misérabilisme exacerbé : si certains ne mangent pas à leur faim, c’est aussi parce qu’ils refusent de travailler honnêtement. Pourquoi vendre sa force de travail à un patron qui ne fera que nous exploiter ? Le film tient alors plus des Vitelloni de Fellini que du Voleur de bicyclette de De Sica, malgré la musique mélancolique (et sublime) de Bach qui ponctue le récit et lui donne un aspect des plus tragiques. A noter que l’idéologie marxiste fait déjà aussi son bonhomme de chemin dans l’esprit de l’auteur, très engagé socialement contre la bourgeoisie.

Malgré son sujet délicat, Accattone ne sombre jamais dans le drame froid, ni dans l’attaque directe de la bourgeoisie ; il n’en demeure pas moins un appel à la conscience populaire pour qu’elle réagisse à la situation précaire de cette sous-classe prolétarienne.

Les interprètes sont plus vrais que nature, puisqu’ils proviennent réellement de ce milieu défavorisé. Franco Citti, l’interprète principal, mérite d’ailleurs amplement le bien qu’on a pu dire de sa performance : il en joue pas, il est Accattone. Une association fructueuse et qui se reproduira sur six autres films (Mamma Roma, Œdipe roi, Porcherie, Le Décaméron, Les contes de Canterburry et Les Mille et une nuits). Tant qu’on est dans le casting, il faut noter la présence de Bernardo Bertolucci en tant qu’assistant. Ce dernier passera à la réalisation l’année suivante avec La Commare Secca, auquel Pasolini participera en tant que scénariste.

Accattone se révèle donc une première œuvre étonnante, maîtrisée et quasi spirituelle (la quête du bonheur d’Accattone est en fin de compte le fil conducteur du récit), début d’une carrière étonnante et hélas trop courte.

Note : ****

mardi 7 août 2007

Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari)


Alors connu comme un bon assistant-réal et un cinéaste sympa (Le colosse de Rhodes, joli succès), Sergio Leone devait marquer considérablement le Cinéma de son empreinte avec son second film, le western Pour une poignée de dollars.

On a souvent cru que c’était Sergio Leone qui avait initié le genre, mais il existait déjà une vingtaine de westerns italiens au moment du film, à l’exception que Pour une poignée de dollars fut le premier de ces westerns à sortir d’Italie. En fait, à l’époque, le cinéma italien souffre, est en plein déclin même. Comme le western européen fait un tabac là où il sort (principalement en Allemagne), Leone trouve une bonne occasion de démystifier un genre qu’il n’aime finalement que très peu, aussi bizarre que cela puisse paraître. Il décide de faire un remake de Yojimbo d’Akira Kurosawa, lequel ne fut pas prévenu et demanda par la suite des droits d’auteur, à savoir 15% des recettes mondiales et l’exclusivité des droits de distribution au Japon. Kurosawa avouera que ce film lui rapporta bien plus que Yojimbo à son époque… Toujours est-il que Leone monte tant bien que mal son projet, avec des fonds provenant d’Italie, d’Allemagne et d’Espagne. Steve Reeves et James Coburn déclinent le rôle de l’Homme sans nom, Charles Bronson déclare que c’est le plus mauvais script qu’il ait jamais lu, Henry Fonda ne connaîtra le scénario qu’une fois le film sortit (il changea d’agent après que celui-ci ait refusé sans le consulter) et Richard Harrison dit poliment nom avant de diriger Leone vers la série Rawhide, où le jeune Clint Eastwood fait forte impression. Pour le rôle de Ramòn, Leone propose d’emblée Gian Maria Volonte, mais les producteurs sont frileux vu le caractère imprévisible de l’acteur. Mais Leone ne démord pas, Volonte a un visage qui l’intéresse. Finalement les producteurs cèdent.

Le tournage se passe relativement bien : Eastwood compose lui-même son personnage (look vestimentaire + cigare, alors qu’Eastwood déteste le tabac) et trouve la bonne interprétation de suite, tandis que Leone excède le jeu théâtral de Volonte pour accentuer la folie de son personnage. D’après certains, Leone fut si perfectionniste qu’il fit déraciner un arbre et le replanta à l’entrée du décor, simplement parce qu’il trouvait qu’il collerait bien dans le paysage. A la sortie du film, le succès est au rendez-vous, et avant même de pouvoir découvrir le western sur leurs écrans, les Américains font de l’œil à Leone. En 1967, le film sort aux USA (alors qu’il fut tourné en 1964) avec une scène que Leone renie : une introduction avec Harry Dean Stanton en homme de loi condamnant l’Homme sans nom. Pour Leone, c’est un abus, dénaturant le sens même du personnage (que Leone s’amuse à comparer à l’Ange Gabriel pour venir de nulle part, régler les problèmes et repartir vers nulle part à nouveau).

Ainsi naquit le premier volet de la plus illustre trilogie de western italien, le fameux « western-spaghetti » comme on l’appelait péjorativement à sa sortie. Il est important de noter que tous les éléments du genre, et du style Leone par ailleurs, se trouvent déjà présents dans ce film : cadrages serrés, pleine utilisation du Scope, montage rythmé par la musique d’Ennio Morricone et souci de réalisme. On a souvent penser que Leone cherchait un style à travers ces acteurs typés et son Ouest brutal et sale ; en fait il n’en est rien. Comme l’avouait lui-même le cinéaste, c’était surtout par souci de vérité historique qu’il faisait ça ; il ne faudrait pas oublier que Leone est issu du néo-réalisme. Plusieurs thèmes de Leone se retrouvent également dans ce film : la vengeance, la cupidité, l’avidité et même l’amitié.

Le duo Eastwood-Volonte est quant à lui tout simplement saisissant. Il faut dire que les personnages qu’ils composent sont réussis, entre l’ironie et le cynisme de l’Homme sans nom et la folie destructrice de Ramòn. Ce n’est pas un hasard si Leone les réutilisera dans le film suivant, ces deux acteurs qui parviennent, et ce toute la durée du film, à éclipser leurs partenaires, gueules patibulaires devenues stéréotypes du western contemporain.

Pour la petite histoire, Sergio Leone et Ennio Morricone étaient dans la même école enfants, puis se sont perdus de vue. Le hasard faisant ben les choses, Leone contacta Morricone par hasard pour la musique de son film, et fut convaincu par un thème que Morricone avait composé plus tôt. Leone déclarera que Morricone n’était pas son compositeur mais son scénariste, véritable clé de ses films rythmant les scènes ou, mieux, les dirigeant à sa place, et ce dès le film suivant où la musique sera diffusée sur le plateau pour mettre l’équipe dans l’ambiance. Avec le résultat que l’on connaît.

Et c’est ainsi que Pour une poignée de dollars devaient révéler une multitude de talents et définir les bases d’un genre vite dénaturé il est vrai, mais qui a considérablement marqué le cinéma qui a suivi (Tarantino en chef de file). Merci monsieur Leone.

Note : ***

dimanche 5 août 2007

Death Proof


Petit retour en arrière : en 1993, Robert Rodriguez rend visite à son nouveau copain Quentin Tarantino chez lui (chacun se vouant le plus grand respect depuis les visions de Reservoir Dogs et El mariachi). A terre une affiche d’un double programme Grindhouse de 1953, que Rodriguez s’étonne à bien connaître pour posséder la même.13 ans plus tard, l’idée de refaire un diptyque « Grindhouse » a germée, et nos deux cinéastes ayant assez d’argent pour s’autoriser un délire s’associent pour pondre… Grindhouse. Le principe est simple : deux films de série B voir Z dans la même séance, simplement entrecoupés par une série de bandes-annonces d’autres films de série B. Petit à petit, Grindhouse se construit : Rodriguez sort un de ses scénarios inachevés parlant de zombies tandis que Tarantino se verrait bien réaliser un slasher un peu différent des autres, et on fait appel aux copains pour les bandes-annonces fictives : Eli Roth (Hostel), Rob Zombie (Devil’s Rejects) et Edgar Wright (Shaun of the dead) plus un heureux gagnant d’un concours de bandes-annonces pourav. Sauf que Grindhouse fait un flop aux USA. Miramax crise un peu et décide de ne pas se vautrer en Europe, mieux réfléchit à la manière de faire coup double : sortir le film en deux fois, quitte à bazarder les bandes-annonces mais au moins on sait que le public suivra Tarantino et, par logique, voudra voir le Rodriguez. Alors on divise Grindhouse en Death Proof et Planet Terror, en proposant même le film de Tarantino à Cannes pour se faire mousser.

Une veine dans notre malheur : nous ne profitons pas du double programme mais nous avons droit aux versions longues de chacun des films. C’est ainsi que nous découvrons Death Proof où Tarantino, fidèle à sa réputation, nous propose un petit jeu de cinéphile : il faut reconnaître en 1h50 les films de Russ Meyer, Point limite zéro, Bullitt (l’immatriculation de la voiture de Stuntman Mike est la même que la voiture de McQueen), Le Convoi de Peckinpah (le canard sur la voiture), New York 1997 (la cicatrice de Kurt Russel est la même dans les deux films), Un espion de trop (le poème) et, mégalomanie du cinéaste oblige, les références à chaque film de Tarantino himself (en vrac : la discussion en travelling circulaire rappelle Reservoir Dogs, on fait référence au Big Kahuna Burger de Pulp Fiction, Twisted Nerve en sonnerie de gsm pour Kill Bill 1 et les Acuna Boys pour Kill Bill 2 sans oublier Michael Parks et son fils, qui jouent de nouveau des shérifs après leurs passages dans Kill Bill 1 et Une nuit en enfer).

Mais Death Proof, c’est aussi l’occasion pour Tarantino de s’essayer à de nouvelles choses. La première est de mélanger les genres : « J'ai voulu intégrer des courses-poursuites effrénées au slasher-movie. Du coup, le film change de registre en cours de route. A une vingtaine de minutes de la fin, on ne sait même plus à quel genre exactement appartient le film. On s'identifie tellement aux personnages qu'on ne s'en aperçoit pas, mais ce n'est plus le même film. » ; la deuxième serait sans doute de tourner la scène de course-poursuite la plus démente de la décennie : « On a tenté de se rapprocher des courses-poursuites des années 70. On a visionné plusieurs scènes de courses-poursuites : des poursuites de films contemporains, de films des années 90, des années 80 et des années 70. Les poursuites des années 70 sont toujours les plus impressionnantes. Pour une simple raison : à l'époque, les cascadeurs exécutaient les acrobaties eux-mêmes. En ce qui me concerne, je ne voulais ni d'effets infographiques, ni de ralentis » ; enfin notre ami Quentin s’est aussi senti l’âme d’un directeur photo par souci d’authenticité : « J'ai tiré le film en noir et blanc. Je pense souvent au négatif comme à la créature de Frankenstein car il provient de plusieurs sources. De fait, le grain de la pellicule est épais, comme passé et "sale". », de même que Tarantino a éclairé ses comédiens avec des néons, lampes fluorescentes et lumières naturelles bref aucun spot qui ferait croire à un film de studio. Parce que c’était aussi ça les films Grindhouse : des films fauchés tournés à la va-vite, et dont les multiples projections détérioraient la pellicule au fil des séances ; c’est pourquoi Tarantino a bouclé fissa son tournage et non seulement à vieilli et griffer son image mais a aussi créer une série de fautes de montage (faux raccords, jump cuts, morceaux de pellicule manquants) pour coller au plus près des films d’origine. Pour pousser le vice encore plus loin, il n’a pas hésité à utiliser de vieilles voitures des années 70 (une Chevy Nova SS et une Dodge Charger pour Stuntman Mike et une Dodge Challenger pour les filles) alors qu’autour nous avons visiblement des voitures contemporaines…

Le seul problème de Tarantino, c’est qu’à trop connaître son talent, il en profite pour frimer un maximum possible : ainsi, sachant que la course-poursuite finale sera la meilleure depuis des années, il oublie l’image sale, il oublie le montage bancal, il oublie le son approximatif pour tourner une séquence propre, sans bavure, montée au millième de seconde près. Un manque d’humilité sur c coup qui lui fait perdre la crédibilité qu’il avait eu jusqu’à alors avec son film vraiment grindhouse. Une petite faute dans une mise en scène plutôt cool.

Hélas, on ne peut pas en dire autant du scénario. Si évidemment nous ne nous attendions pas à du Shakespeare, on pouvait tout au moins espérer avoir droit à quelques bonnes répliques tarantinesques, des discours absurdes sur la vie ou autre connerie : et bien non, nous avons droit à des discussions entre filles, qui si elles sont sincères et réalistes (dixit les actrices) ne nous intéressent pas, pire nous gavent au bout d’un moment. 20 minutes de palabres, c’est trop ! Le film ne décolle pas avant une bonne heure et là, si la première séquence de crash/carnage est jubilatoire (à tel point qu’on y a droit en 4 ralentis), on a pas vraiment le temps de savourer avant de retomber dans de nouveaux discours féminins pompeux, à l’exception des discussions autour des films, et encore.

Heureusement que le casting aide un peu tout ça : Kurt Russell en tête, véritable psychopathe déjanté qui, comme Keitel, Travolta, Grier ou Carradine avant lui, retrouve un nouveau souffle grâce au cinéaste prodige. Pour info, c’est Mickey Rourke qui devait avoir ce rôle, mais officiellement Russell collait mieux (et officieusement Tarantino n’avait pas besoin de Rourke puisque celui-ci grâce à Sin City n’était plus un has-been), tout comme Sylvester Stallone et Ving Rhames furent pressentis. Chez les filles, le physique prime, mais la crédibilité est là : chacune joue de manière correcte et certaines tirent leur épingle du jeu, comme Mary Elizabeth Winstead jouant les nunuches de service ou Zoé Bell, cascadeuse professionnelle et doublure officielle d’Uma Thurman sur Kill Bill, à qui Tarantino a voulu rendre hommage en la prenant comme actrice à part entière.

Un mot sur la b.o. ? Moins exceptionnelle que Reservoir Dogs, Pulp Fiction ou Kill Bill 1, elle n’en est pas moins déplaisante, mélangeant Ennio Morricone avec le groupe de rock T-Rex avant de clôturer par la version américaine de Laisse tomber les filles de Gainsbourg.

Death Proof n’est donc pas le meilleur film de son auteur, loin de là ; ce n’est même pas son plus bel ouvrage technique, mais il reste un moment de jouissance cinéphilique immense, où les fans e QT comme les nostalgiques et amateurs de cinéma vraiment à part pourront trouver leur compte dans un film qui, si on sent qu’il a été trop rallongé pour les Européens, n’en demeure pas moins un grand moment de fun. C’est tout ce qu’on demandait.

Note : ***

vendredi 3 août 2007

Le crime farpait (El crimen ferpecto)


Le film avoue être un hommage à Hitchcock autant qu’aux comédies noires qu’Iglesia adore : « J'ai toujours aimé les comédies noires, ces films dans lesquels le personnage principal commet un meurtre et se voit obligé de trimballer partout le cadavre sur le dos. Ça m'amuse de voir comment ces personnages essaient désespérément de cacher le corps. Comment ils perdent la tête. Comment ils se bernent les uns les autres. Ce sont des situations qui provoquent un humour noir très spécial. C'est un de mes genres préférés ».

Très sombre, l’humour d’Iglesia fait mouche car il pointe du doigt nos propres travers : une société superficielle, où les critères de beauté nous sont dictés dès notre naissance, où la réussite sociale est une priorité, peu importe la manière dont on y parvient, où personne n’est à l’abri d’une famille déséquilibrée ou d’une femme qui transperce des préservatifs… Sous couvert de l’ironie, c’est bel et bien le monde moderne, emprunt de capitalisme et à l’esprit réduit (et réducteur) que ce Crime farpait s’en prend, plus encore qu’au monde des magasins, d’apparence en ordre mais qui peuvent cacher pas mal de vilaines choses. Habilement construite, l’intrigue du film est digne des grands films policiers, et si les rebondissements ne manquent pas, c’est le final qui laisse bouche bée, puisque personne ne peu se douter d’une conclusion aussi… décalée. Sarcastique, la réalisation d’Iglesia emprunte donc aux maîtres du suspens et de l’humour noir autant qu’au fantastique, avec ces quelques interventions spectrales de l’adversaire malencontreusement tué par Rafael. Prenant ainsi ses distances avec la réalité, Iglesia se lâche et envoie valser les idées réalistes qui auraient freiné son film.

Alex de la Iglesia définit aussi Rafael comme un Macbeth du 21e siècle. Il explique : « Rafael est un individu ambitieux et combatif, amoureux de la belle vie et des belles femmes. Je le définirais comme un Macbeth du XXI siècle, toutes proportions gardées, à cause de la malédiction qui pèse sur lui. Son désir le plus cher est de vivre dans un monde élégant et sophistiqué, tout le contraire du monde réel qui est plutôt décevant. Il a un plan pour que son rêve devienne réalité : vivre dans un monde parfait. Mais la réalité est toute différente. Rien n'est parfait. C'est pourquoi il devient fou ». Cet état d’esprit, Guillermo Toledo l’a très bien compris, et magnifie un personnage antipathique pour qu’on finit par avoir de la pitié. Monica Cervera, en manipulatrice, est tout simplement grandiose, et le reste du casting n’a absolument rien à envier à ses deux comédiens vu son niveau général.

Il est dommage que le film n’ait pas été pleinement reconnu à sa valeur : nommé à six reprises aux Goya awards (l'équivalent espagnol des Césars) dans les catégories Meilleur acteur, Meilleur second rôle masculin, Meilleure révélation féminine, Meilleure direction de production, Meilleur son et Meilleurs effets spéciaux, le Crime farpait ne remporta aucun prix, ne pouvant résister à la déferlante du Mar adentro d'Alejandro Amenabar.

Mais ce n’est pas grave, car à la vision du film le fait est là : un grand cinéaste vient de nous envoyer une bombe en pleine face. Et bon sang, son explosion nous a fait du bien !

Note : ****

mercredi 1 août 2007

L'ultime razzia (The Killing)


La majorité des gens sont capables de citer les films de Kubrick à partir des années 60, de sa révélation au monde avec un certain péplum et la confirmation de son génie outrancier et provocateur avec ses films suivants. Pourtant, il a bien été obligé de débuter comme tout le monde, et parmi ses débuts L’ultime razzia, son troisième film, annonçait déjà de nombreux éléments qui seraient récurrents chez Kubrick.

Fort de ses deux échecs précédents (il considérait Fear and Desire si mauvais qu’il en arrêta la distribution, et Killer’s kiss faillit connaître le même sort) dont il avait soigneusement analysé chaque erreur pour ne plus la commettre, Kubrick voulait révéler tout son talent au monde avec son nouveau film. Tout d’abord il n’écrit plus de scénario original mais modifie un support déjà existant (avec de la chance : Frank Sinatra avait en effet des vues sur le roman de Lionel White avant que Kubrick n’en acquiert les droits). Ensuite, il traite un sujet (en l’occurrence, plus un genre de cinéma) à la mode pour attirer le public. Il s’entoure enfin d’un casting de choix, pour la plupart des acteurs méconnus plus faciles à gérer mis quand même une tête d’affiche pour s’assurer un minimum de rentabilité.

Le tournage n’est pas de tout repos : entre Kubrick et son directeur photo règne une ambiance tendue car ils ne sont pas d’accord sur les lumières et le cadrage. Une anecdote veut que le directeur photo essaya de mentir à Kubrick concernant le choix d’un objectif, mais celui-ci ne fut pas dupe et menaça de renvoyer son opérateur s’il recommençait. Le budget du film atteignit 320 000 dollars ce qui était peu pour un film même à l’époque, d’autant que 40 000 allèrent dans la poche de Sterling Hayden, Kubrick n’étant pas payé en tant que réalisateur. Enfin, après 24 jours de tournage, le montage subi de maintes manipulation avant d’arriver à sa forme finale. Le seul élément que Kubrick reprocha devait devenir quelques années plus tard sa marque de fabrique : une narration en voix-off qui lui avait été imposé par les studios et qui faussait tout le film selon lui – l’argument étant qu’elle étouffait l’émotion…

A sa sortie, le film, comparé à Little Caesar tant il est réussi, est un échec. Kubrick posait pourtant déjà les bases de ce qui allait être son style : une caméra fréquemment en mouvement, un sens de la métaphore visuelle, un montage se moquant du temps et surtout une photographie soignée pour des personnages condamnés dès le départ à perdre. Le style atteindra son apogée au film suivant, Les sentiers de la gloire, mais déjà ici Kubrick fait preuve d’un savoir-faire énorme pour un jeune homme de 28 ans.
On a souvent comparer le casse à un tournage de Kubrick : réglé à la seconde près mais pas à l’abri d’un ennui, même le plus insignifiant qui pourrait avoir des conséquences dramatiques. Au fil du temps il est vrai, le récit vient nous fasciner car il semble parfait. Dans le scénario, seul quelques stéréotypes à la vie dure apparaissent, mais Kubrick sait déjà en tirer profit : la femme fatale, le mari cocu mais amoureux, le criminel sur le retour, son meilleur ami prêt à tout pour lui… En parlant de ce meilleur ami, Kubrick s’intéresse déjà à l’homosexualité latente, qui sera de retour dans Spartacus ou Barry Lyndon.

Les acteurs sont tous très biens, bien mieux que dans Killer’s Kiss mais nous ne sommes pas encore tout à fait au top. Manque de crédibilité du jeune cinéaste sans doute, qui se laisse dominer par des acteurs plus âgés. Sterling Hayden reste en tout cas efficace même si moins marquant que dans Dr Folamour quelques années plus tard.

On regrette néanmoins que le cinéaste ne possède pas les moyens financiers pour supporter certaines de ses idées, et son manque d’expérience pour un récit de ce genre qui aurait pu être largement développé par le même Kubrick avec quelques années en plus. En dépit, The Killing est un excellent moment de film noir, peut-être souffrant d’un manque de lyrisme pour atteindre les sommets. Tant pis, c’est déjà bien comme ça.

Note : ****