lundi 31 mars 2008

Mission : Impossible


Nous vivons dans une époque pour le moins peu inspirée à Hollywood, où les séries servent de base à des adaptations plus désastreuses les unes que les autres en général. Si on peut blâmer les mauvais scénarios, il faut aussi reconnaître que la réalisation joue un rôle majeure dans la réussite de ces adaptations. J’en veux pour preuve ce qui reste un modèle du genre : Mission : Impossible signé de l’immense Brian de Palma.

Il faut dire que, d’entrée de jeu, le scénario a été écrit par une équipe rêvée : commencé par Willard Huyck et Gloria Katz (American Graffiti, Indiana Jones et le Temple maudit), le script arriva vite dans les mains de David Koepp (Jurassic Park et Carlito’s way alors, Jurassic Park II : le monde perdu, Snake Eyes, Panic Room et Spiderman par la suite) et Steven Zaillian (La liste de Schindler et plus tard Hannibal, Gangs of New York et American Gangster), avant d’être finalement corrigé par Koepp et le grand Robert Towne (Bonnie and Clyde, Chinatown, Frantic). Avouez qu’il y a pire comme base ! Cela n’empêcha pas le film de connaître, à sa sortie, quelques critiques des fans de la première heure, qui estimait honteux le traitement réservé à Jim Phelps dans le film (Peter Graves, qui avait ce rôle dans la série, refusa d’ailleurs de jouer dans le film pour cette unique raison), sans compter la focalisation sur un seul personnage, en l’occurrence Ethan Hunt.

Mais le film est avant tout l’occasion pour Brian de Palma de nous montrer, une fois de plus, toute l’étendue de son talent de mise en scène. Entre sa virtuosité de la caméra, son habilité à créer un suspens digne de ce nom et, ici en l’occurrence, une maîtrise des effets spéciaux (voir la scène, délicieusement irréaliste, de l’hélicoptère dans le tunnel de la Manche), Brian de Palma s’amuse à repousser les limites du film d’action, tout en prenant bien soin de réaliser un film formellement abouti. Pour bien comprendre, il suffit de décortiquer deux scènes : celle de l’explosion de l’aquarium et la vue de Prague dans la nuit.

La première a ainsi été filmé en deux temps : une première partie (l’explosion de l’aquarium et le saut d’Ethan Hunt) a été tournée dans les studios de la Paramount, tandis que le plan extérieur où Hunt s’enfuit dans la rue avec l’eau derrière lui a été tourné à Prague. Tout ça pour un plan d’à peine quelques secondes à l’écran, ce qui traduit bien le souci de perfection du cinéaste. La scène de Prague à cet égard fut encore plus compliquée : De Palma voulait en effet retrouver l’atmosphère de la « Vieille Europe » avec un éclairage spécifique. Stephen H. Burum, le directeur photo, a donc du préparer deux semaines durant les différents éclairages avant le tournage (soit 11 générateurs tournant à plein régime pour faire fonctionner des centaines d’ampoules). Le résultat fut si convaincant que des centaines de personnes sortirent tous les jours leurs appareils photos pour capter Prague éclairée comme jadis…

De Palma signe donc là un film d’action époustouflant, où l’on peut encore retrouver des hommages direct ou non au cinéma (le cambriolage de la CIA est inspiré du cambriolage du musée dans Topkapi de Jules Dassin) et où De Palma parvient à créer une ambiance digne des grands films d’espionnage à la James Bond, l’action à proprement parler étant finalement assez rare (si on excepte le dernier quart d’heure) puisque Hunt n’utilise jamais d’arme à feu.

Côté casting, du lourd aussi : Tom Cruise est tout simplement très à l’aise dans un rôle qu’il reprendra par la suite (avec, il faut bien le dire, moins de conviction et de réalisme), les frenchies Emmanuelle Béart (qui a failli voir le rôle confié à Juliette Binoche) et Jean Reno sont plus qu’agréables et Jon Voight est toujours aussi bon. On notera quand même les courts instants de Kristin Scott Thomas et, surtout, Emilio Estevez qui a été spécialement choisi pour le rôle de Jack Harmon. En effet, Brian de Palma avait décidé d’entrer de jeu de faire mourir un acteur connu très tôt dans le film (impact de Psychose ?) pour choquer les spectateurs et ainsi les plonger plus encore dans la tension du film.

Véritable référence dans le domaine de l’action et de l’adaptation de série TV (les deux suites n’atteindront jamais le même niveau), Mission : impossible n’est certes pas le meilleur film du cinéaste, mais il reste une œuvre de divertissement très séduisante. C’est cela le plus important après tout.

Note : ***

vendredi 28 mars 2008

Pitch Black


Parfois ce sont les films les plus discrets qui font vite parler d’eux : preuve en est avec le succès surprise d’un film inattendu, Pitch Black.

Petit retour en arrière : en 2000, David Twohy, illustre inconnu, décroche un budget de 23 millions de dollars pour porter à l’écran les aventures d’un mec du nom de Riddick, qui tombe malgré lui sur une planète peuplée de créatures affamées qui ne sortent que la nuit et, pas de bol, ça va justement être la nuit pendant un très long moment quand Riddick arrive là-bas. « Pitch Black repose sur une idée que je trouvais fascinante parce qu'elle nous plonge au coeur de l'enfance et de nos phobies nocturnes", explique le producteur Tom Engelman. "Je me souviens très bien de ma première frayeur, lorsque j'avais cinq ans. Je me suis réveillé dans le noir, dans une pièce étrange que je ne connaissais pas... j'étais terrifié. Je suis tombé du lit et j'ai couru à travers la maison en hurlant, poursuivi par toutes sortes de monstres et de démons. Lorsque j'ai lu le scénario la première fois, j'ai retrouvé cette peur lointaine que nous avons presque tous connue ». A sa sortie, le succès est de taille : 53 millions de dollars dans le monde, un succès plus énorme encore en vidéo et le lancement d’une suite intitulée Les Chroniques de Riddick nettement plus fournie côté budget.

Pourtant, rien n’explique véritablement un tel engouement : Pitch Black est un film de science-fiction comme on en a déjà vu des dizaines, s’inspirant de-ci de-là de succès comme Alien ou Starship Troopers. Le casting n’a rien de phénoménal non plus (à l’époque, Vin Diesel n’est pas encore connu) et la réalisation est de facture assez classique. Alors d’où vient le succès ?

Mystère complet. Peut-être du fait que le récit, bien qu’archi-connu, est construit de la bonne manière, comme Jaws, avec l’élimination progressive des humains, en distillant une ambiance assez sympa bien qu’en rien transcendantale.

Il y aussi la réussite absolue des effets spéciaux, qui constituent quand même l’essentiel du film, et notamment des créatures : croisements improbables entre un requin-marteau et un ptérodactyle, sont l'œuvre du Français Patrick Tatopoulos, designer sur Independence Day, Godzilla, ou I, robot. Du propre aveu de John Cox, chargé de la création des monstres : « Je n'ai jamais rien vu de plus terrifiant que ces créatures ! Elles mesurent 2,40 mètres de haut, avec des bras longs de 1,20 mètre et des ailes de 2,40 mètres d'envergure. Mais la tête est probablement la plus effrayante avec son énorme gueule, prête à tout dévorer ».

Enfin, une fois n’est pas coutume, rendons justice à Vin Diesel qui porte le film entier sur ses épaules : charismatique, physique et assez ambigu pour intriguer le spectateur, son personnage de Riddick reste sans doute l’une de ses plus belles composition avec celle d’Il faut sauver le soldat Ryan. Il faut dire qu’il a souffert le bougre : le premier jour par exemple, ses lentilles spéciales restèrent collées, et il fallu l’emmener chez l’ophtalmo le plus proche (en Australie, cela signifie trois heures !) pour l’aider ; une autre anecdote veut qu’il a réellement jouée la scène de la dislocation d’épaule ; enfin, il a également été victime d’une crise de claustrophobie alors qu’il jouait dans une chambre d’effets spéciaux. Quelques épreuves qui lui ont néanmoins permis de se révéler au monde entier et de devenir une star.

Film sympa mais sans grande envergure (mais était-ce son intention ?), Pitch Black reste dans le genre divertissement un agréable moment de détente, avec parfois quelques moments très réussis qui, hélas, se fondent trop vite dans la masse pour élever le film au panthéon des grands films de science-fiction.

Note : ***

mardi 25 mars 2008

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... Sans jamais oser le demander (Everything you always wanted to know about sex... But were afraid to ask)


Woody Allen n’a jamais fait mystère de sa fascination burlesque pour le sexe. Alors comment s’étonner de voir apparaître dans sa filmographie le film à sketchs Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe… sans jamais oser le demander ?

Inspiré du livre d’éducation sexuelle de David Reuben, le film se divise en 7 chapitres : (1) Do Aphrodisiacs Work?, (2) What is Sodomy?, (3) Do Some Women Have Trouble Reaching Orgasm?, (4) Are Transvestites Homosexuals?, (5) What Are Sex Perverts?, (6) Are the Findings of Doctors and Clinics Who Do Sexual Research Accurate? et (7) What Happens During Ejaculation? A l’origine, on trouvait aussi un huitième segment, What Makes a Man a Homosexual?, où Woody Allen interprétait une araignée normale, et Louise Lasser une veuve noire ; après qu’ils aient dansé sur une toile, l’araignée faisait l’amour et la veuve noire mangeait l’araignée. Cette séquence fut coupée au montage car Allen ne trouvait tout simplement pas de fin qui le satisfaisait. Dommage…

Observons le film par segment :

(1) On commence par un Woody Allen en grande forme, où ce dernier (qui interprète un bouffon à la cour) est épris (sexuellement, cela s’entend) de la Reine. Par chance, son aïeul va intervenir et lui conseiller d’utiliser des produits aphrodisiaques pour séduire la belle. Dès ce segment, nous savons que le film va être placé sous l’accent de la parodie de genre. Ici, c’est clairement la tragédie shakespearienne et Hamlet qui sont visés. Misant tout sur le comique de situation, Allen fait pourtant preuve de classe dans le monologue, et s’offre même le luxe, fait assez rare pour être souligner, de conclure son film par une fin loin du happy-end.

(2) Le deuxième segment se moque plus ouvertement du mélodrame contemporain. Le docteur Ross, interprété par Gene Wilder (le rôle fut un temps proposé à Laurence Olivier), tombe ainsi follement amoureux de sa patiente… qui n’est autre qu’une brebis ! La zoophilie est donc au rendez-vous, si ce n’est que personne ne semble en avoir cure et considère la brebis comme une maîtresse normale. On retrouve les éléments-clés du mélodrame (la famille bourgeoise éclatée par un scandale, le mari qui sombre dans la misère et l’alcool) mais l’humour ne fait pas toujours rire, et on finit par se lasser. Sans doute le segment le plus sombre.

(3) Pour la troisième partie, Woody se réserve encore le beau rôle : celui d’un séducteur italien, macho et incapable de faire jouir sa femme. Il y a du cinéma italien en crise là-dessous, celui d’Antonioni par exemple, tourné à la rigolade, ou celui de De Sica, rendu plus sérieux. Le sketch tourne un peu en rond, mais voir Allen en stéréotype même de l’Italien séducteur est tout simplement plaisant.

(4) Le quatrième morceau, sans doute le plus bâclé, met en avant un père de famille qui, chez les futurs beaux-parents de sa progéniture, voit son goût du travesti dévoilé. Un peu drôle, mais le sketch ne décolle jamais réellement.

(5) En cinquième position, on retrouve une parodie des émissions télés plus débiles les unes que les autres, typiques des années 70 où des candidats derrière leur buzzer doivent trouver les déviances sexuelles des invités. Pas franchement drôle au premier degré, la critique de la télévision et le côté kitsch aujourd’hui (et même encore d’actualité dans la recherche du détail intime d’inconnus) restent pourtant très sympas.

(6) Le meilleur arrive à la fin. D’abord, ce sixième segment, qui se moque des films fantastiques sauce Frankenstein et autres invasion de monstres géants. Totalement décalé (le monstre s’avérant être un sein géant), il s’agit certainement du deuxième meilleur moment du film…

(7) … car le meilleur, le voici : le sketch final, où le fonctionnement interne d’une éjaculation ! On pourrait craindre le pire, mais Allen a beaucoup de pudeur et, surtout, beaucoup d’imagination : c’est ainsi qu’une relation sexuelle est décrite comme le fonctionnement d’une immense machine. Ceux qui comme moi ont grandi avec la série Il était une fois… l’Homme comprendront ce que je veux dire, et seront d’autant plus séduit par ce dernier chapitre (le plus long du film) où maître Allen nous fait l’honneur de jouer le rôle d’un spermatozoïde ! Enchaînant gag sur gag, allusion sur allusion et offrant, en clin d’œil gratuit, Burt Reynolds, ce dernier moment de bravoure clôture le film en beauté.

Film inégal donc, globalement bien fait mais dont les sketchs sont loin de tous se valoir (ce qui diminue considérablement son plaisir), Tout ce que vous avez toujours… est un divertissement sans grande prétention, comme l’étaient Prends l’oseille et tire-toi ! et Bananas auparavant. Woody Allen se faisait la main à ce moment-là ; quand on voit la suite, aucun regret.


Note : **

samedi 15 mars 2008

Chicken Run

La 3D domine de plus en plus le monde de l’animation, c’est un fait. Mais il y a toujours des exceptions, et quand il ne s’agit pas de 2D, c’est la technique de la pâte de à modeler qui nous fait rêver, avec des petits bijoux comme ce Chicken Run.

Plutôt original, le film voit les tentatives d’évasion de poules peu après la Seconde Guerre Mondiale en Angleterre. Une fois n’est pas coutume, nous prenons vite le parti de cette volaille au profit des êtres humains, bêtes et méchants. Très vite, le ton est donné : le film s’inspire des grands films d’évasion, de Stalag 17 à La grande évasion, mais aussi d’autres films d’aventures : la séquence de la machine à tourtes ne rappelle-t-elle pas quelques morceaux d’anthologie d’Indiana Jones ? Sans oublier des hommages divers, comme les rats dansant le jazz avec des lunettes noires façon Blues Brothers.

Mais tout ça, c’est pour la frime, parce que le scénario se suffit à lui-même : ciblé enfants mais avec sa part d’humour destinée aux parents, les situations s’enchaînent sans se ressembler, et les règles de dramaturgie sont bien respectées (le faux héros qui s’en va puis revient, le vieux coq que l’on écoute jamais alors qu’il a la solution…). Rien de bien innovant sous les nuages du Yorkshire, mais on s’en moque un peu, le plaisir étant là.
Puis, ce qui est amusant, c’est de reconnaître les voix des stars dans le film : Mel Gibson dans la version originale (où sa première apparition se fait en entendant « liberté », dernière parole d’un certain Braveheart), Gérard Depardieu, Valérie Lemercier, Josianne Balasko et Henry Guibet dans la version française. Ca ne doit pas être si évident que ça de doubler un dessin animé, alors quelle joie de voir (enfin, d’entendre) qu’ils ont pris leur pied à le faire.

Là où ça laisse pantois, c’est bien évidemment dans la réalisation : tout le monde sait à quel point la technique du stop-motion est laborieuse et contraignante. Pourtant, Nick Park et Peter Lord s’en tirent à merveille. Explications techniques : les personnages furent créés d’une part en silicone recouvert de latex (les corps) et d’autre part de plasticine (têtes et mains), les écharpes et colliers ne servant qu’à masquer les jointures. Chaque poulet fut créé en deux tailles : un grand modèle (pouvant atteindre jusqu'à 30 cm) pour les scènes où on les voit agir et dialoguer entre eux et une version miniature pour les séquences de groupes ou encore les scènes en relation avec les personnages humains. Les poulets miniatures (faisant moins de 10 cm) servirent également à renforcer l'impression de perspective en créant une forte distance. Le film nécessita la fabrication de près de 300 figurines " grand modèle " et 130 miniatures. Enfin, le décor principal, l’enclos des poules, mesurait près de 18 mètres, soit toute la longueur du studio, les arrière-plans n’étant en fait que des peintures sur toile. Avec tout ça, rien d’étonnant que les réalisateurs aient filmés en 20 im./s. au lieu de 25 im./s. pour économiser autant qu’il pouvait (et qu’on leur demandait) leur budget.

A sa sortie, le film fait un tabac, si bien que les membres des Oscars décident, un peu tard, de créer une catégorie Meilleur film d’animation pour l’année suivante. C’est la petite bombe 3D Shrek qui l’emportera ; ironie du sort de voir la 3D gagner grâce à la pâte à modeler…

Une petite perle d’animation, fidèle à ses modèles du genre sans en oublier pour autant la fantaisie propre au dessin animé. Rarement on aura atteint autant d’élégance et de qualité.

Note : ****