samedi 30 juin 2007

Taps


Toute star qui se respecte doit bien commencer par un premier film un jour. Alors autant s’arranger pour que le film soit quelque chose de bon. Et sur ce coup, Sean Penn a eu du flair avec cette critique des écoles militaires connue sous le nom de Taps.

Pourtant, s’il tire son épingle du jeu, ce n’est pourtant pas lui qui l’emporte, ni Timothy Hutton dans le rôle principal. Non, les deux grandes stars de ce film restent Georges C. Scott, dans un rôle faisant écho à Patton en plus minable et usé, et surtout Tom Cruise, hallucinant en troufion assoiffé de bataille, calibré pour la guerre dans toute son horreur. Le temps de leurs apparitions, ces deux acteurs éclipsent le reste de la troupe, l’un pour le charisme qu’il dégageait, l’autre pour la véritable passion qui l’habite, parfait exemple du lavage de cerveau que subisse les jeunes dans ce genre d’institution.

C’est bien là le thème central du film : dénoncer non pas ces écoles mais ce qu’elles enseignent. Comment, à force d’admiration et d’un peu de lavage de cerveau, une troupe de gamins décident de se battre pour empêcher la fermeture de leur école. Leur absurdité n’a d’égal que l’entêtement du plus haut gradé de la bande, fils de militaire et fervent admirateur du colonel déchu après un accident ayant coûté la vie à un civil. Ce n’est pas tant une charge contre les militaires que contre leur éducation. Becker refuse toutefois de se fâcher avec eux en séparant les jeunes idéalistes des vieux de veille ayant connu les champs de bataille. Et c’est là que le film pêche, par cette agressivité à moitié assumée qui fait qu’on ne sait plus très bien à quoi s’en tenir : satire ou drame ? D’autant que le film sombre assez facilement par moment dans le pathos récurrent à ce genre de film. Dommage.

La mise en scène de Becker n’arrange rien, n’offrant aucun élément qui nous permettrait d’y voir plus clair. De bonne facture, elle n’a rien d’exceptionnel (peut on demander plus au réalisateur de Code Mercury ?), même si les conditions de tournage ne furent pas des plus faciles. Il reste néanmoins un bon directeur d’acteur, offrant à Tom Cruise (comme dit précédemment) un rôle en or, et à Sean Penn un premier rôle idéal.

Il y a donc bien matière dans ce film, mais hélas elle n’est que partiellement exploitée. Si le film fut un succès surprise, c’est sans doute pour avoir permit à une bande de jeunots de briller, accompagné du vétéran Scott. On ose à peine imaginer ce qu’aurait donner le film en des mains plus expertes et, surtout, plus radicales.

Note : ***

mercredi 27 juin 2007

L'aveu


Costa-Gavras n’est pas un cinéaste comme les autres : la plupart de ses films provoque la polémique. Et parmi ceux-ci, L’aveu reste un modèle du genre.

Tout d’abord, un peu d’Histoire : à la fin des années 50, le communisme perdait un peu de son emprise sur les pays annexes à l’ex-URSS. Jusque là, le PC chassait ses ennemis en dehors du territoire mais à partir de cette période, il va commencer à « nettoyer » son propre service interne, particulièrement au niveau du pouvoir politique. De la sorte, de nombreux ministres et autres noms importants de la scène politique se sont vu arrêtés arbitrairement, dont Arthur London, pour être les victimes d’un procès déjà monté, le célèbre « Procès de Prague ».

On ignore encore les véritables motivations d’un tel procès, mais toujours est-il que le procès débuta le 20 novembre 1952. L’issue était planifiée depuis longtemps : depuis des semaines, les accusés apprenaient un texte par cœur, enregistré qui plus est, tandis qu’on leur donnait des médicaments (drogues ?), des UV et autres soins pour masquer les douleurs qu’ils avaient subis jusque là. Le procès se déroulait de la manière suivante : chaque accusé récitait ses aveux au jury, mais le cas échéant pouvait être remplacé par un enregistrement diffusé à la radio. Les avocats n’hésitaient pas à soutenir à leurs clients de plaider coupables et de refuser le recours. C’est ainsi que sur 14 accusés, trois furent condamnés à perpétuité (dont Arthur London) et les 11 autres condamnés à mort. La sentence eut lieu très rapidement, et on brûla leur corps tout aussi vite. Ce ne fut pas le seul procès de ce genre, mais assurément l’un des plus importants. Avec lui, l’étape ultime était franchie : les communistes ne se battait plus uniquement contre l’adversaire mais entre eux également.

C’est lors du montage de Z que Costa Gavras entend parler pour la première fois du récit d’Arthur London. Le cinéaste fut rapidement séduit par l’idée d’en faire un film, de dénoncer les illusions du communisme sur la société intellectuelle de l’époque et surtout de continuer sur sa lancée de thrillers politiques. C’est ainsi que L’aveu devin le deuxième épisode de sa trilogie politique, composée de Z et de Etat de siège peu après. Il est amusant de voir que Semprun et Montand s’investirent autant dans le projet, eux-mêmes étant d’anciens communistes confirmés….

Costa Gavras, déjà critiqué à la sortie de Z (et accessoirement menacé de mort et interdit de séjour en Grèce) fut grandement attaqué quant à l’idéologie de son film. Il lui fut en effet reproché, après avoir attaqué la droite dans Z, d’attaquer la gauche, même si l’artiste se défendit en prétendant vouloir uniquement dénoncé les systèmes totalitaristes. Certaines personnes n lui pardonnèrent pas d’avoir abordé ainsi le stalinisme et il reçut à nouveau des menaces de mort. Néanmoins, le film connut à nouveau un succès retentissant, le mythe entourant le film et la performance d’Yves Montand y étant pour beaucoup. Costa Gavras avait réussi à capter l’air de son temps, offrant au public, las des magouilles politiques et des illusions idéologiques, un spectacle froid mais implacable sur l’état du monde actuel, levant le voile sur les dessous des grands crimes politiques non reconnus comme tel.

Il y a bien entendu de la part de Costa Gavras une farouche volonté de dépeindre le stalinisme dans sa plus mauvaise représentation : torture, menaces, procès bidon, lavages de cerveaux et hommes de main sans cœur sont au programme du film. Mais, soucieux de rendre son récit et celui de London crédibles, il évite toute surenchère, tout effet dramatique comme dans Z et opte pour une mise en scène froide, distante, au scalpel, proche du documentaire. Le résultat est saisissant : on ressent intensément le film, on sort de la projection éprouvée – et angoissé. Car oui, Costa Gavras cible là le régime communiste stalinien mais parvient à saisir les bases d’un système totalitaire. Tant qu’il peut, le cinéaste dénonce la manière dont un mouvement – ou idéologie – politique parvient à obtenir les faveurs du peuple et à les garder. Comme dit Montand : « Il est préférable de se tromper avec le parti plutôt qu’avoir raison contre lui ».

Le cinéaste réfute aussi dénoncer la gauche dans son film, et on le croit volontiers sur la dernière image de son film : des adolescents peignant sur un mur la phrase « Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous ». Cette phrase est non seulement un appel au souvenir, au communisme comme le souhaitait Lénine et qui n’a plus rien eu à voir avec le communisme d’alors, mais aussi une marque de fidélité envers la gauche de Costa Gavras. Evidemment, la liberté d’interprétation reste énorme sur ce plan…

Costa Gavras souligne aussi l’absurdité et la malveillance du procès tout au long du film. Outre le fait que les premiers commanditaires de ce film se voit eux-mêmes accusés, le procès est tourné en dérision à trois reprises : un des accusés n’arrive plus à se souvenir de sa phrase, et se voit remplacé par un enregistrement préalable pour ne pas que les autorités perdent la face à la radio ; un autre accusé est si angoissé qu’il en vient à perdre son pantalon. Fou rire général, sauf des autorités qui perdent le contrôle du procès et font donc évacuer la salle ; enfin, l’élément le plus marquant reste cet accusé qui, lors de la reprise du procès, frappe trois coups contre une plainte en bois, les fameux trois coups du théâtre, démontrant par là même le caractère écrit et décidé de ce « spectacle à la gloire du Parti ».

Le réalisateur s’évertue également à dresser aussi fidèlement que possible les tortures infligées aux accusés, tant physiques que morales. A force, on ressent le même isolement, la même douleur que le personnage de Montand, trahi par ceux en qui il avait foi, abandonné des siens. La distance entre le film et le spectateur est alors rompue, Costa Gavras nous implique directement dans le récit : on ne comprend pas pourquoi un homme tient tant à ses convictions, et on ne peut s’empêcher de l’admirer. Lui qui a aussi commis des crimes par le passé nous apparaît pourtant comme un martyr.

Le livre d’Arthur London fut cependant fort décrié à sa sortie, et ce pour plusieurs raisons, le fait le plus troublant concernant la véracité de ce récit reste de effet l’existence de trois documents différents, tous écrit par Arthur London… Dès lors, comment juger objectivement ce que Costa-Gavras et London dénoncent ?

Costa-Gavras reste cependant un formidable professeur d’histoire, démontrant comment un pouvoir politique utilise la propagande (retransmission radiophonique et vidéo du procès, manipulation de la presse, diffusion de la lettre de la femme de Gérard le dénonçant et soulignant sa fidélité au Parti…) et le système social (la perte de l’emploi de la femme de Gérard) pour démontrer son pouvoir et asseoir son autorité.

L’aveu n’est pas un film comme les autres, et surtout à ne pas considérer comme tel. En plus de s’inscrire dans un genre polémique par essence, il s’est inscrit dans un contexte politico-historique important, étant très récent quant aux événements qu’il décrivait. Il convient donc, pour apprécier le film, de connaître l’Histoire qui l’entoure, et de ne pas sombrer dans la critique facile du parti communiste. Outre ses qualités techniques, L’aveu est en effet un film qui ne laisse pas indifférent sur notre manière de voir le monde et son Histoire. Ce n’est qu’en l’analysant objectivement que l’on peut pleinement l’apprécier et voir qu’il s’agit, plus qu’une charge politique, d’un immense plaidoyer pour la la liberté politique, bref la liberté de vivre.

Note : ****

dimanche 24 juin 2007

The Host (Gwoemul)

Ah le ciné asiatique, celui sur lequel on fonde de nombreux espoirs quant à l’avenir. Faut dire qu’ils ont du potentiel, et même du gros au vu de la nouvelle génération d’acteur qui explose aux yeux de tous, à l’instar de Joon-ho Bong et son The Host.

Joon-ho Bong, c’est déjà le papa génial de Memories of murder, le polar qui a tout pulvérisé sur son passage il n’y a pas si longtemps. On était évidemment curieux de savoir comment il allait passer d’un genre (policier) à un autre (fantastique pur et dur) : la réponse est simple, tout en finesse et réussite ! Du fantastique, Bong ne retient en fait que certains aspects, préférant surfer au gré de es humeurs entre la comédie, le drame et le cinéma engagé.

« Comme c'était le cas dans Barking dogs never bite et Memories of Murder, c'est le conflit entre la quotidienneté et l'imaginaire, entre la réalité coréenne et les caractéristiques du cinéma de genre, que j'ai voulu mettre en scène ». Vu comme ça, on comprend mieux le mélange de genres dans la désinvolture la plus totale. Un exemple : la bête est accusée de propager un virus, on condamne les lieux et soumet les gens à une batterie de tests… Ca ne vous rappelle pas quelque chose ? Vache folle, grippe aviaire et autres problèmes du même style trouvent ici un écho très réel. Même la face sombre de l’Amérique est dénoncée ici. Bon, dit comme ça, on pourrait croire au film un rien politique prise de tête, mais il n’en est rien ; si les moyens déployés pour le film n’étaient pas aussi énormes, on pourrait d’ailleurs croire à une série B qui s’autoparodierait. D’ailleurs, dans sa première moitié, The Host ne se prend jamais vraiment au sérieux ; en revanche, dans la seconde partie, le film devient plus sombre, le suspens allant crescendo jusqu’à l’affrontement final entre la Bête et l’Homme. Il y a aussi cette analyse de la cellule familiale typique, pour laquelle la Bête ne représente qu’une épreuve de plus. Sur une idée très simple donc, Bong a réussi à créer une histoire à plusieurs niveaux de lecture, ne se limitant jamais à un seul aspect du film.

Côté technique, histoire de faire baver un peu plus les fins connaisseurs, les effets spéciaux ont été confiés à la société The Orphanage (des anciens d’ILM), responsables notamment des succès Sin City, Hellboy ou Harry Potter et la Coupe de Feu, tandis que la Bête doit sa conception à Weta Workshop, la boîte d’un certain Peter Jackson qui s’est illustrée sur la trilogie Seigneur des Anneaux et King Kong… Cependant, nouvel éclair de génie du cinéaste coréen, les effets spéciaux (assez nombreux mais intelligemment distillés) ne sont pas là pour remplir le film mais plutôt pour frimer, la réalisation de Bong se suffisant à elle-même vu sa qualité : comment oublier ce premier quart d’heure de carnage ? Jouissif.

Côté acteurs, on ne peut évidemment pas s’attendre à des interprétations occidentales auxquelles nous sommes habitués, ce qui déstabilise donc un peu de prime abord, mais rapidement les comédiens nous font oublier qui ils sont pour devenir leurs personnages à part entière. Justes mais pas inoubliables, ils sont loin d’être déplaisants et cadrent parfaitement avec l’ensemble du film, surtout la jeune Ah-sung Ko qui joue Hyun-seo.

Un petit bijou, qui fait pas forcément flipper mais dont le décalage constant et le discours en profondeur en font un divertissement de haut de gamme et un film d’auteur à part entière. Il ne subsiste qu’un seul défaut majeur à mon sens : maintenant, je ne regarde plus les tritons de la même façon…

Note : ****

jeudi 21 juin 2007

Jackie Brown


Tarantino : en 1998, tout le monde avait ce nom en bouche. Pensez donc : la bombe Pulp Fiction, le déjanté Une nuit en enfer, même un épisode d’Urgences pour rester chaud entre deux films. De film, il était d’ailleurs vachement question à l’époque puisque Tarantino allait offrir au monde son dernier bébé, une adaptation d’un roman d’Elmore Leonard. De quoi susciter la curiosité… à une exception près : personne ne voulait de Jackie Brown, mais bel et bien d’un Pulp Fiction bis, ou quelque chose d’aussi délirant du moins.

Et voilà que Mister Q propose un film plus lent, plus bavard, plus black que sa Palme d’Or. Les puristes crient au scandale, ne prenant même pas la peine de voir que Tarantino prouve qu’il a du talent jusqu’au bout des ongles de doigts de pied. Il s’offre encore un casting de rêve (Jackson, De Niro, Fonda, Keaton) et, une fois n’est pas coutume, dégote deux has-been pour ses « héros », à savoir Pam Grier et Robert Forster. Le choix de Pam Grier n’est pas innocent : Jackie Brown est un immense hommage à la blaxploitation, genre des années 70 où les afro-américains faisaient du cinéma d’action pour les afro-américains. La belle époque où les morts étaient violentes, le sexe omniprésent et où quelques têtes étaient sur toutes les affiches (Pam Grier mais aussi Sid Haig, méchant récurrent et qui tient ici le rôle du… juge qui condamne Jackie). Et dommage une fois encore pour les acteurs restés sur le carreau, soit écartés soit n’ayant plu de place pour eux : Sylvester Stallone, John Travolta, Paul Newman, Gene Hackman et John Saxon. Seulement voilà, à sa sortie, le film est boudé, sans doute parce qu’on s’attendait à autre chose. Du coup Tarantino va mal le prendre et nous laisser 5 ans sans nous pondre un de ses films cultes avant d’être sortis.

Pourtant, comme je l’ai déjà dit, Jackie Brown arrivait à point nommé : les remarques désobligeantes sur le cinéaste et un « certain savoir-faire » l’empêchaient d’être pris au sérieux. Tout au plus savait-il exploiter ses connaissances pour faire un truc fun. Que nenni : Quentin Tarantino est un génie, qu’on se le dise, et il l’a largement prouvé !

Quitte à être réducteur, prenons un exemple : la scène de l’échange. Points de vue multiples, caméra fluide, pas même une faute de raccord ou une saute d’axe : la scène est tout simplement une leçon de cinéma. Evidemment, il y a tout ce qui l’entoure : un univers cohérent, un souci de présenter calmement chaque personnage sans dévoiler son véritable fond, toujours des références (clins d’œil égocentrique : le resto Teriyaki Donut, le tailleur que Jackie achète et l’Honda de cette même Jackie proviennent tous de Pulp Fiction) et surtout un soin énorme concernant l’image : lumière, cadrage et composition sont savamment préparés pour le moindre plan. Comme si Tarantino ne voulait rien laisser au hasard. Si on sentait déjà une telle volonté dans Pulp Fiction (notamment au niveau des raccords), Jackie Brown est le symbole de maturité du cinéaste, qui n’est plus speed mais prend tout son temps pour raconter son film, ne se souciant plus d’être « dans le coup » ou non mais faisant des films comme lui aime en voir, des films comme ceux qui ont bercés son enfance.

Côté scénario, du millimétré, ni plus, ni moins. On découvre petit à petit les plans des uns et des autres, on en sait toujours plus que l’un mais moins que l’autre, bref on joue avec nos nerfs et c’est jouissif. Et, évidemment, Tarantino nous gratine de ses dialogues dont il a le secret, profitant même de l’occasion pour régler quelques comptes : il ironise sur la violence dans les films (avec ce discours sur The Killer) et, le temps d’une phrase, bouscule le grand Bob de Niro, lui demandant « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? T’étais pourtant au top avant… ».

Doit-on vraiment parler des comédiens d’ailleurs ? Entre une Pam Grier toujours aussi belle et un Robert Forster nominé aux Oscars, un Sam Jackson qui prend son pied et un De Niro aux antipodes de tous les gangsters qu’il a pu jouer, on ne parvient pas à choisir qui on préfère.

Il convient donc de revoir ses positions quant à ce film pour ceux qui ne l’aiment pas : non, ce n’est certainement pas un Pulp Fiction 2, c’est encore mieux : c’est la preuve que Tarantino peut vraiment toucher à tout, c’est la preuve que Tarantino est un être sensible (l’un des sujets du film n’est-il pas le sentiment de vieillir ?), c’est la preuve que Tarantino est probablement, de sa génération, le plus grand de tous.

Note : ****

lundi 18 juin 2007

Zodiac


Peut-on encore améliorer le film policier, en transgresser les règles, pourquoi pas en faire un totalement différent des autres productions du genre ? David Fincher l’avait fait il y a 11 ans avec Seven. Ce serait même un euphémisme de dire qu’il a redonner un souffle au genre. Alors forcément, quand il s’adonne à retracer l’histoire du Zodiac, on est impatient de connaître le résultat… Et il est à la hauteur de nos espérances.

Un peu d’Histoire : entre 1966 et 1978, en Californie (dans un rayon de 200 km autour de San Francisco précisément), un tueur sévit et affiche entre 37 et 200 meurtres à son compteur ; il pousse le vice jusqu’à envoyer des messages codés à la presse et à la police en signant du nom Zodiac. Bien que des portraits robots aient circulés, personne n’a jamais pu être clairement identifié comme étant ce serial-killer. Beaucoup de personnes ont travaillés sur ce dossier, dont trois particulièrement dont le film retracent les destins entrecroisés : Robert Graysmith, dessinateur de métier et qui a écrit les deux livres dont s’inspire le film, Paul Avery qui était journaliste d’investigation au Chronicle (le journal auquel le Zodiac envoyait ses messages codés), et l’inspecteur David Toschi qui sacrifia des années à l’enquête. Toschi et le Zodiac devaient d’ailleurs inspirer bon nombres de films policiers de l’époque, dont Bullitt ou encore l’Inspecteur Harry auquel David Fincher fait un clin d’œil.

Dès l’écriture du film, Fincher se lance dans sa propre enquête pour être sûr d’être le plus proche possible de la vérité : livres, interviews, dizaines de milliers de pages de rapport, tout est passé au crible par le cinéaste. Il faut dire que Fincher se sent concerné car il se souvient très bien de son enfance à San Francisco à l’époque : « Dans mon quartier, les gosses de mon âge en avaient une peur bleue. Allait-il se pointer au bout de la rue, se glisser dans la cour de notre école, monter dans notre bus ? Chacun redoutait le Zodiac. »

David Fincher réunit pour l’occasion un casting prodigieux (Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr, Mark Ruffalo, Anthony Edwards, Brian Cox, Philip Baker Hall, John Carroll Lynch, Chloë Sevigny) et se lance lui-même plusieurs défis : le premier est de proposer non pas un mais bien trois personnages principaux à égale représentation. Ensuie vient la technique : Zodiac est le premier long-métrage à gros budget à utiliser la caméra vidéo HD Thompson Viper Filmstream, qui avait déjà servi sur des publicités (réalisées notamment par David Fincher lui-même) et quelques films étrangers à petit budget. Le cinéaste, qui n'a jamais caché son goût pour les défis visuels, a choisi cet outil technologique parce qu'il capte mieux que d'autres la lumière ambiante : « Je l'avais employée sur des spots et j'ai trouvé qu'il était temps de l'essayer sur un long-métrage. J'aime travailler en numérique et ne pas attendre le lendemain pour juger le matériau. » Enfin, pour avoir moins de contrainte et vu le matériel utilisé, Fincher décide de monter son film sur Final Cut Pro.

Se refusant de dénoncer tel ou tel suspect, mais ne cachant pas un certain parti pris pour des éléments de l’enquête, le scénario est très certainement la plus grande force du film. Durant 2h30, le scénariste James Vanderbilt nous emmène où il veut pour mieux nous perdre, avant de nous retrouver, nous remettre sur le bon chemin pour que puissions nous reperdre à nouveau. Tortueux, le script s’ingénie à nous glisser de fausses pistes et vraies preuves, dont on ne parvient pas toujours (et c’est bien là le but) à être certain de la véracité. Une écriture solide qui rappelle ces polars des années 70, et dont on ne peut reprocher que quelques longueurs qui, sans plomber le film (loin de là), le ralentit un peu. Rien de bien méchant, mais un petit quart d’heure voir une vingtaine de minutes en moins auraient pu permettre à Zodiac d’atteindre les sommets sans le moindre effort, le propos se suffisant à lui-même en abordant une série de thèmes (l’obstination, la quête de vérité) dont deux chers au cinéaste : l’incapacité à communiquer et la perte de soi dans une aventure qui nous dépasse.

Côté réalisation, Fincher surprend, le cinéaste ne se reposant pas sur ses lauriers : exit le côté sombre de Seven, la virtuosité de Fight Club ou même l’ambiance de The Game, Fincher opte pour une mise en scène sobre, de facture classique mais dont l’efficacité se cache dans deux éléments : l’utilisation des effets spéciaux et le souci du détail. Ancien d’ILM, le réalisateur a toujours prouvé son savoir-faire en la matière (Alien³, Fight Club) mais ici, il délaisse (à l’exception de deux ou trois effets sympas comme le point de vue subjectif de Graysmith avec les codes en surimpression) les effets spéciaux compliqués pour mieux les insérer dans son récit, et ça marche puisque l’ambiance qui s’en dégage est tout simplement d’un réalisme agréable à voir. Enfin le souci du détail s’exprime dans la reconstitution historique, du mobilier des appartements, bureaux et maisons (majoritairement des « meubles intemporels » comme il dit) ou encore les émissions de télévisions et de radio, comme cette annonce d’un célèbre concert des Rolling Stones que l’on entends à peine. Un travail d’orfèvre qui, associée à une musique adéquate (mais en rien transcendante) crée une ambiance des plus prenantes, lorgnant même le temps d’une séquence vers le film d’horreur (lorsque Graysmith se retrouve dans la cave d’un suspect) et dont l’angoisse en dent de scie reste une constante.

Les acteurs sont aussi impressionnants les uns que les autres, avec une mention toute particulière à Robert Downey Junior, en journaliste sarcastique et Mark Ruffalo en inspecteur obnubilé par son enquête qu’il ne résoudra jamais complètement, qui supplantent assez facilement le pourtant crédible Jake Gyllenhaal. Les seconds rôles, prestigieux, ne sont pas trop rares comme on aurait pu le craindre : Fincher sait définitivement diriger ses comédiens et, le temps d’une séquence ou du film entier (à l’instar de Ruffalo), les sublimer.

Zodiac ne révolutionnera pas le film policier mais il marque une nouvelle étape comme son prédécesseur Seven : en fournissant une approche ultra documentée, en n’écartant aucune piste jusqu’à trouver la plus plausible et en proposant une traque de serial-killer sans que l’on capture celui-ci, Fincher vient de prouver qu’il avait assez de personnalité pour ne pas s’enfermer dans un genre et en suivre les règles à la lettre ; moins marquant que Seven, moins osé que Fight Club mais d’une qualité tout au moins égale.

Note : ****

vendredi 15 juin 2007

Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit (Pirates of Caribbean : Dead Man's Chest)


Parfois, les suites sont meilleures que les originaux, du moins plus sombres et adultes et parfois c’est la déception. Pirates des Caraïbes 2 appartient à cette dernière catégorie.

Ce n’est pas à cause de la technique, qui est proprement réussie vu son budget (200 millions de dollars). Cette fois encore, on en a plein la vue avec les décors, les costumes et, surtout, les effets spéciaux signés à nouveau ILM. C’est probablement ceux-ci qui donnent de l’intérêt au film d’ailleurs, tant chaque apparition de Davy Jones et son équipage ou attaque du Kraken est moment mémorable. C’est précisément le personnage de Davy Jones qui fascine le plus, étant le plus élaboré : le voir jouer de l’orgue avec ses tentacules, cracher sa fumée par une ventouse ou voir les tentacules bouger quand il ronfle, on est bien dans la magie du cinéma !

Pour le reste, ça foire. Pas méchamment, mais quand même. D’une part les acteurs, où Bloom et Knightley sont corrects mais n’impressionnent guère, où Jonathan Pryce est encore plus rare que dans le premier épisode, où Bill Nighy parvient lui à créer un personnage consistant mais surtout où Johnny Depp, héros du premier volet et, disons-le franchement, source de notre intérêt pour cette suite, exploite le filon du pirate comique mis semble plus cabotiner qu’auparavant. Si dans le premier Pirates des Caraïbes il dosait avec justesse, il semble se laisser aller totalement ici. Il reste bon (quel acteur quand même…) mais abandonne son côté rebelle qu’il avait comme pour répondre aux exigences Disney, où l’humour facile semble se faire plus facilement sentir que dans le premier film. Remarquez qu’à voir la scène finale de Sparrow, le ridicule ne tue pas…

La réalisation de Verbinski semble aussi plus molle qu’avant, comme si cette fois la pression était encore plus grande qu’avant, alors que cela devrait être l’inverse. Il n’est certes pas aidé par des scénaristes qui n’ont rien compris, mais son film manque de souffle, prend trop de temps à se mettre en place et n’évite pas les séquences spéciale déconne, comme celle des cannibales, finalement sans intérêt pour le reste du film.

Les scénaristes n’ont en effet rien compris au succès du premier film, et pensent paraître intelligents en insérant quelques références maritimes, comme le Kraken ou le Hollandais volant. Si le Hollandais volant est bien issu des Caraïbes, ce n’est pas vraiment le cas du Kraken qui, pour rappel, vivait dans les eaux glacées de Scandinavie ! Quant au final, certes surprenant, je suis curieux de voir comment ils vont l’expliquer…

Une suite moins séduisante que l’original donc, où le rythme effréné s’est calmé, où les comédiens cabotinent plus et où les effets spéciaux, les décors et les costumes sont devenus les vrais intérêts ; trop léger pour convaincre réellement.

Note : **

Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl (Pirates of Caribean : the curse of the Black Pearl)


Le film de pirates est un genre très difficile : rares sont les vrais succès, et encore plus les vraies réussites. Et si Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl n’est pas un chef-d’œuvre, il n’en démérite pas moins son succès colossal !

Gore Verbinski, cinéaste touche-à-tout (La souris, Le Mexicain et Le cercle) n’a pas hésité à relever le défi de Bruckheimer, producteur de plus d’un nanar mais roi de l’esbroufe visuelle. Pour ce faire, il réunit des acteurs au top de leur popularités (Johnny Depp, Geoffrey Rush et les nouvelles stars Orlando Bloom et Keira Knightley) et une équipe technique rodée (Hans Zimmer à la musique, ILM aux effets spéciaux…).

Tout d’abord, et avant tout, les acteurs. Si on regrettera la trop courte apparition de Jonathan Pryce, si on émettra quelques réserves sur le jeu de Bloom et Knightley (encore qu’ils soient moins mauvais qu’on ne le prétend), c’est bel et bien Geoffrey Rush et Johnny Depp qui mrquent les esprits. Si l’un joue les capitaines morts-vivants avec un cynisme (voir un sadisme) à toute épreuve, Depp parvient quant à lui à hisser le film au sommet avec son interprétation. Comme tout le monde le sait, sa composition mélange excentrisme (Keith Richards) à cartoon (Pépé le putois… eh oui) mais il parvient à doser le tout de manière presque improbable. Du coup, chaque scène où il intervient est un véritable régal, créant un personnage haut en couleur, autant pirate, charmeur que menteur et plaisantin.

Le film est un blockbuster, et on le sent à plein nez. Les décors sont gigantesques et sublimes, les costumes incroyables, les reconstituions impressionnent… On en vient à regretter le manque de fond de l’histoire. Néanmoins, le film frappe encore plus fort avec ses effet spéciaux : signés ILM, la référence incontournable en la matière, la transformation des pirates en zombies avec les clairs de lune est tout simplement bluffante. Si on sent qu’elle ne vieillira pas au mieux, la prouesse technique reste impressionnante et mérite le déplacement.

Hélas, le film n’est pas exempt de tous reproches : le scénario, par exemple, este son plus gros point faible. Récit qui aurait gagné à ne faire qu’1h40 au lieu de 2h15, il y a de nombreux instants inutiles mais surtout barbants. Et puis au final, on a l’impression de tourner en rond, de revoir les même scènes encore et encore, à quelques différences près. De même pour le final qui, l’air de rien, tire en longueur. Dommage, car tout le film pâtit de cette faille, alors que l’ensemble possédait un rythme agréable dans la première demi-heure.

Le film n’a pourtant pas mérité toutes les attaques et reproches qu’on lui a fait. Certes il n’est pas parfait, mais il possède assez de qualité pour en séduire plus d’un, et qui plus est à le mérite d’avoir remis le cinéma d’aventure, comme à son époque l’avait fait Indiana Jones, au goût du jour. Rien que pour ça, je dis respect.

Note : ***

Pirates des Caraïbes – Jusqu’au bout du monde (Pirates of Caribbean : At World's End)


Quand faut y aller, faut y aller : on nous avait promis une trilogie sur Jack Sparrow euh… les pirates, on conclue donc avec Pirates des Caraïbes – Jusqu’au bout du monde.

Il faut dire que même si le deuxième opus était moins réussi que le premier, il a rapporté beaucoup plus de pognon dans les poches de Disney et consorts (un peu plus d’un milliard de dollars, soit le troisième film à dépasser cette barre magique après Titanic et Le seigneur des Anneaux –le retour du Roi). En partant de ce principe, on se dit qu’il faut vite sortir le troisième film, histoire de cartonner un peu plus encore, et ça marche : le film effectue ainsi le deuxième meilleur démarrage de tous les temps après Spiderman 3, rien que ça !

Bref résumé de la situation : Jack Sparrow est mort, Barbossa lui est revenu à la vie, Davy Jones bosse pour la Compagnie des Indes, Will Turner veut sauver son père prisonnier de Davy Jones et le perroquet du muet est toujours aussi bavard. Rien de neuf sous les tropiques… je veux dire les Caraïbes. Et déjà là, on souffre du plus gros problème du film : son scénario. Oui, les scénaristes insèrent ici et là des vérités historiques (les fanions des pirates, la Compagnie des Indes, etc.), oui on fait toujours la part belle au personnage de Sparrow mais non, on a toujours pas cherché à faire intelligent. Pire : pour éviter tout ennui, on fait des ellipses en veux-tu en voilà, et histoire de justifier un entracte on étire en longueurs pour obtenir un film de 2h40 (les billets coûtent plus chers aussi comme ça, dans certain cinémas). Reprenons : Barbossa revient des morts, mais on ne sait pas trop comment et pas exactement pourquoi avant très longtemps ; Sparrow n’est pas réellement mort, mais là aussi on évite d’en parler ; Davy Jones est un esclave, sans qu’on sache pourquoi il n’a pas cherché à récupérer son cœur (vu son vaisseau, un jeu d’enfants pourtant), pire on a même pas droit à la mort du Kraken, tout au plus son cadavre séchant sur une plage. Pourtant, dieu sait si ça cause pendant le film, et encore, et encore, et encore, et on doit attendre la dernière demi-heure du film avant de vraiment se régaler d’une bonne scène d’action. Jusque là, ça complote, ça ne se dit pas « je t’aime » (pourtant Keira… raaaah !!!… Je veux dire qu’elle est jolie la demoiselle) et ça tente des vannes qui tombent à l’eau. Pouvait-on en attendre plus d’un scénario non terminé au début du tournage ?

Côté acteurs, on ne remercie jamais assez Johnny Depp d’être là, ayant fini de cabotiner comme dans le deuxième opus pour nous revenir en pleine forme. A ses côtés, Geoffrey Rush s’éclate, Chow Yun-Fat est fidèle à lui-même tandis que Stelan Skarsgard et Jonathan Pryce sont rencardés au rang de faire-valoir, Keira Knightley limitée à 80% du film au fantasme vivant de tout l’océan et Orlando Bloom digne d’une pub Crefibel (les amateurs savoureront) tant il est mauvais. Même Bill Nighy est délaissé, alors qu’il représentait un personnage fascinant. On essaie vaguement de tirer profit des personnages secondaires (la sorcière, Pintel et Ragetti) avec plus ou moins de réussite et on passe à côté d’un moment s’annonçant d’anthologie : la rencontre Johnny Depp-Keith Richards, sublime en 3 minutes, mais dont la scène est d’une brièveté proprement scandaleuse.

De son côté, Gore Verbinski ne semble plus avoir le contrôle du navire : trop de personnages à gérer, des scènes complexes bâclées, une première heure lente et qui ne démarre jamais vraiment malgré une intro des plus sombres, une scène de Sparrow devenant fou qui tire en longueur, et même ce ridicule instant où le cinéaste veut jouer les Sergio Leone, musique de Morricone et gros plans à l’appui. Sans doute était-il trop préoccupé par l’aspect visuel de son film au point de délaisser le scénario qui méritait une sérieuse révision. Mais sinon oui, le film st beau, bluffant même, entre décors paradisiaques, dantesques (l’île des pirates) ou à l’ambiance sombre (Singapour), entre les 8000 costumes différents qui traversent le film et entre des effets spéciaux de plus en plus réussis, dont cette fameuse scène de combat finale qui, il est vrai, mérite le coup d’œil, mélange de combat naval en pleine tempête et séances d’abordage et de combat à l’épée sur des mâts de 30 mètres de haut.

Pourtant quel est le sentiment en sortant de là ? On ne sait trop. La franchise ne s’est jamais targuée d’être une suite de chef-d’œuvre, ni même des films éducatifs : nous sommes en plein divertissement. Johnny Depp et ILM l’ont bien compris, Verbinski à moitié, les scénaristes pas du tout. Vu comme ça, il ne faut pas s’étonner que le bateau prend l’eau plus d’une fois mais, à l’image du Hollandais Volant, reste insubmersible quoiqu’il arrive. Un joli coup d’estoc de la part de Depp (pour le côté fun) et de Bruckheimer (pour le côté marketing).

Note : **

mardi 12 juin 2007

Le cuirassé Potemkine (Kniaz Potiomkin)


Il est rare de voir une œuvre, plus de 80 ans plus tard, créer autant d’émoi que ne le fait encore Le cuirassé Potemkine. Mais comment expliqué un tel engouement ?

Peut-être par le caractère même du film. D’une œuvre de commande, Eisenstein, âgé d’à peine 26 ans à l’époque, parvient à tirer ce qui sera la base de son cinéma à venir : importance du montage, privilégiant les masses au héros unique, plans regorgeant de métaphores…

Ce qui impressionne sans doute le plus, c’est la subtilité avec laquelle le cinéaste utilise la propagande : profondément communiste, le film reconsidère la mort des marins et civils d’Odessa comme ce qui permit la Révolution de 1917. Le procédé, bien que vicieux, est si brillamment réussi que la vision subjective d’Eisenstein deviendra la référence historique pour tout un peuple et même celle des pays occidentaux non communistes. On s’éloigne alors du style de Vertov (l’adversaire par excellence d’Eisenstein) et, tout en revisitant l’histoire, on la recrée au profit de l’idéologie communiste. De toutes les œuvres russes de propagande de l’époque, Le cuirassé Potemkine reste assurément la plus efficace et la plus brillante.

Le film permit aussi à Eisenstein de mettre en application sa théorie du "montage des attractions" : selon lui le montage doit produire des chocs en mettant en rapport des éléments a priori indépendants les uns des autres (la célèbre scène de la destruction du théâtre d’Odessa, ave les anges et les lions) et doit aboutir à "un cinéma coup de poing". Le dynamisme du film ne provient pas de mouvements de caméra, Eisenstein utilisant majoritairement des plans fixes. Parmi les procédés mis en oeuvre par le réalisateur, citons les montages parallèles (dont La grève reste l’exemple le plus frappant), les changements de rythme qui procèdent d'un découpage complexe avec une alternance de plans rapides et longs associée à une variation de la valeur des plans, et enfin l'opposition entre des séquences totalement muettes et d'autres accompagnées de musique. Le savant dosage de liaisons et de ruptures fait de ce film un véritable poème symphonique. Toute l'originalité d'Eisenstein est d'avoir poussé aussi loin et aussi tôt la sophistication du montage.

En ce qui concerne le montage, auquel Eisenstein donna véritablement ses lettres de noblesse et en fit un art à part entière (et dont les théories sont toujours en application), Eisenstein avait lui-même subi deux influences : D.W. Griffith et Koulechov, qui lui aussi a révolutionné le montage en 1922 et a donné naissance à "l'effet Koulechov" :
1. Image d'Ivan Mosjoukine, au regard totalement inexpressif.
2. Image d'une assiette de soupe.
3. Image d'Ivan Mosjoukine.
4. Image d'une femme morte.
5. Image d'Ivan M.
6. Image d'une fillette avec une peluche.

Le public, après visionnage de ce montage ont dit que l'acteur exprimait diverses expressions : Faim, tristesse et tendresse or il n'en était rien, mais la cause de cet effet était le montage ! Cette expérience prouve bien donc que le montage est nécessaire, qu'on peut le considérer comme une seconde réécriture du film, qu'il est là pour procurer diverses émotions, et qu'un mauvais montage peut gâcher un film.

La séquence des escaliers, l’une des plus célèbres de l’Histoire du cinéma, reste un monument de réalisation. Eisenstein eu recourt à une technique bien particulière pour cela : pour manipuler au mieux ses figurants : il apprit en effet le nom de certains, les noms de membres de leur famille et leurs situations (des malades, des futurs parents…) ce qui lui permettait deux choses : l’une étant d’établir un bon contact entre les prises en faisant semblant de bien connaître chacun et donc de réaliser un bon travail d’équipe, l’autre étant d’engueuler, au hasard, un pauvre quidam du genre « tu ne cours pas assez vite » ou « X bouscule Y pour avancer, attention à toi Y » ainsi chacun pensait que le cinéaste surveillait chaque figurant et, ne voulant pas se faire engueuler, donnait le meilleur qu’il pouvait. A noter que si la scène est visiblement très élaborée, Eisenstein prétendit qu’elle ne le fut jamais…

Tous ces éléments, et d’autres encore, ne sont que la surface du film, dont l’analyse approfondie reste une base solide pour tous les étudiants en cinéma – et cinéphiles avertis.

Le cuirassé Potemkine est donc, outre le fait qu’elle révéla l’un des plus brillants talents du cinéma mondial, une œuvre essentielle dans l’Histoire du cinéma (Brian de Palma, via Les Incorruptibles, et Terry Gilliam via Brazil rendront d’ailleurs hommage au film et sa célèbre scène du landau). Pour preuve, ce film sera considéré comme le meilleur de tous les temps jusqu’en 1941, à la sortie du premier film d’un jeune cinéaste, dont le nom était Orson Welles et le film un certain Citizen Kane…

Note : *****

samedi 9 juin 2007

Garde à vue


Simplicité est parfois synonyme d’efficacité en matière de cinéma : c’est en tout cas ce que nous donne à penser des films comme Garde à vue.

Quatre acteurs, un décor, une durée très courte et aucune action : voilà la recette du film de Claude Miller. Il suffit de savoir tirer profit de ces éléments pour faire un bon film. L’outil pour ce faire, c’est un roman, A table !, de John Wainwright, que Michel Audiard file aux productions Ariane Films. C’est le coup de foudre, on lègue le film à Claude Miller, qui connaît une mauvaise passe alors, et Audiard se charge des dialogues. Pas de bons mots cette fois, non, des mots qui touchent, qui font mal, qui nous dévoilent petit à petit qui sont les personnages qui les utilisent. A l’époque, Audiard en a marre des comédies vaudevillesques, et s’occupe de films policiers en tout genre ; pourtant, c’est avec Garde à vue qu’il va démontrer tout son génie, son sens du verbe bien utilisé au bon moment.

Pour réciter ces phrases assassines, un quatuor de choc : une confrontation au sommet entre Lino Ventura et Michel Serrault, avec pour les observer Guy Marchand et Romy Schneider. Hormis Ventura, chacun est utilisé à contre-emploi : Guy Marchand interprète un flic violent et à l’humour très limite, Romy est une femme fatale froide (paradoxe ?) et Serrault, immense, est un personnage que l’on déteste, et qui pourtant nous mène en bateau : est-il coupable ou non ? Même Ventura, impeccable, en doute, et les revirements de situations n’aident en rien à y voir plus clair dans cet interrogatoire peu orthodoxe.

L’intelligence de Miller, c’est de laisser le film aux acteurs, de se laisser porter par les présences et les charmes de ces quatre comédiens principaux, sans chercher à faire de l’esbroufe où à trop en montrer. On ne connaît rien en dehors du commissariat, on ne connaît rien des personnages, on ne connaît même rien de l’enquête si ce n’est quelques inserts montrant ici les cadavres et là le fameux phare. De l’épure dans les décors, de l’épure dans l’action, même de l’épure dans les mouvements de caméra, comme si Miller observait avec une certaine retenue cette garde à vue d’un notaire accusé d’un double meurtre de fillettes.

Une fois n’est pas coutume, saluons le splendide thème de George Delerue, qui glace le sang dans son côté enfantin puisque, dans ce film, les enfants n’ont visiblement pas leurs places.

A sa sortie, le film est un succès : Grand prix du Cinéma Louis Lumière, le Prix Méliès, le Prix du meilleur scénario au Festival de Montréal en 1981, 8 nominations aux Césars 82 dont 4 de gagnés (Meilleur Montage, Meilleure adaptation, Meilleur second rôle masculin, Meilleur acteur pour Michel Serrault) et un remake soutenu par Gene Hackman, immense fan de ce film. Pourtant, 25 ans plus tard, il reste toujours ces images du film dans les mémoires : un Serrault s’écroulant petit à petit, un Ventura plein de sang-froid jusqu’au retournement final, une Romy Schneider glaciale, une musique entêtante, un soir de Saint Sylvestre dramatique, une tragédie shakespearienne, un film qui ne vieillira probablement jamais.

Note : ****

mercredi 6 juin 2007

Les sept samouraïs (Shichinin no samurai)


Doit-on encore présenter Les sept samouraïs ? Dire qu’il s’agit là du film le plus célèbre d’Akira Kurosawa ? Qu’il embrasse en 3h15 une multitude de sujets ? Qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre intemporel ? Allez bon, expliquons un peu tout cela alors.

Nous sommes en 1955. Akira Kurosawa, alors âgé de 45 ans, est célèbre dans le monde entier pour avoir révélé le talent du cinéma asiatique avec Rashomon cinq ans plus tôt. Il signe ici son dixième long métrage, mais j’imagine probablement pas l’effet que celui-ci va produire sur le monde du cinéma, à l’instar de Rashomon…

Doté d'un budget très conséquent pour l'époque de 500 000 dollars et ainsi considéré pendant longtemps comme le film le plus cher de l'histoire du cinéma japonais, le film a connu un tournage épique qui s'est étalé sur plusieurs mois dans un village isolé en haute montagne et balayé par les intempéries. En conflit régulier avec les responsables de la société de production Toho qui finançait le projet, Akira Kurosawa dû s'expliquer en personne devant ses producteurs qui souhaitaient arrêter le tournage.

D'une durée initiale de 3h20, Les Sept samouraïs a été largement coupé lors de sa sortie originelle en Europe et aux Etats-Unis pour atteindre les 2h10. Long mais sans longueurs, le film n’est pas qu’un vulgaire film d’action, c’est aussi un tableau où les sentiments humains se dessinent : respect, amitié, amour, paternité, vengeance, égoïsme, paranoïa… Autant de facettes de l’être humain que Kurosawa croque dans toute sa splendeur et sa décadence.

Mais outre son aspect humain, Les sept samouraïs représente aussi une sommité formelle remarquable : Kurosawa dessine, mine de rien, une mise en scène remarquable, constituée d’une photo soignée (passé de peintre sans doute) et d’un souci de profiter de chaque innovation technique du cinéma, et du sens qu’elle peut apporter, comme la profondeur de champ. Néanmoins, Kurosawa a l’intelligence de ne pas faire passer sa réalisation avant l’histoire ou ses comédiens.

Comédiens convaincants d’ailleurs, dont on retiendra pourtant les performances de Takashi Shimura, en chef des samouraïs, et (une fois encore) celle de Toshiro Mifune : Les Sept samouraïs marque en effet la septième collaboration d'Akira Kurosawa avec son acteur fétiche. Au total, les deux hommes travailleront ensemble à seize reprises. Ici, ce n’est pas tant un combattant un peu dingue qu’il interprète, mais un grand gosse ne cherchant que la reconnaissance de ses pairs et à s’amuser, au combat de préférence. A la fois décalée et drôle, fantasque et pourtant maîtrisée, sa performance est inoubliable.

Lion d'argent au Festival de Venise 1954, doublement nominé aux Oscars 1957, pour ses décors et ses costumes, Les Sept samouraïs a été le film qui a définitivement placé Kurosawa au panthéon des légendes du cinéma, après sa découverte mondiale avec Rashomon. Il n’en est pas moins un film qui a dépassé le stade du cinéma de genre pour atteindre le statut d’œuvre de référence, et si 50 ans plus tard on en parle toujours, c’est qu’il y a une bonne raison. Que toute personne ayant vu ce film comprendra.

Note : *****

dimanche 3 juin 2007

Le Prestige (The Prestige)


Christopher Nolan fait partie de cette nouvelle génération qui permet de croire encore à un cinéma de qualité. Même dans le système hollywoodien, il parvient à s’imposer sans perdre ses qualités d’auteur, comme le prouve ce Prestige.

Chaque tour de magie se compose en trois actes. Le premier acte "la promesse" présente au public une situation banale ; le deuxième acte "le revirement" la situation de départ devient extraordinaire ; enfin le dernier acte "le prestige" présente l'aspect le plus spectaculaire du tour. C’est au cours de cet acte qu’on lieu rebondissements et coups de théâtre, où des vies sont en jeu et où se produit un événement spectaculaire qui vous clouera sur place.

Grâce à Nolan, nous pénétrons dans un univers où le mystère est la règle d’or. Le temps du film, le cinéaste lève le voile sur un monde qui est, qui doit rester secret, sans pour autant en faire disparaître la… magie. Subtilement, il nous présente ses tours, puis les explique sans jamais interférer au bon déroulement de l’intrigue. La mise en scène de Nolan s’adapte à l’histoire qu’elle raconte en privilégiant le mystère au réalisme, bien que la reconstitution historique soit hallucinante. Mais le point fort reste le duel des deux hommes. Cette confrontation psychologique et magique entre les deux héros, aux confins de la folie, permet au film de tenir la distance sur un peu plus de deux heures. Deux personnages aussi différents que complémentaires (l’un est doué pour le spectacle, l’autre pour la magie).

Nolan s’offre également un casting prestigieux (ha ha ha) dominé par Hugh Jackman et Christian Bale. Si le premier en dandy de la magie ne manque pas de classe et d’humour, le côté sombre et trouble de Bale, utilisé à la perfection par Nolan, permet d’équilibrer les interprétations. Les seconds rôles ne sont pas en reste, du vétéran Michael Caine toujours aussi brillant avec son flegme so british, et un David Bowie en savant mystérieux qui dévoile une autre facette de son talent d’acteur. Les personnages féminins apparaissent dès lors un peu en retrait, même la sublime Scarlett Johansson bien qu’elles soient toutes au diapason, promptes à tenir la dragée haute aux hommes – en vain.

Comme pour Memento, Nolan retrouve son frère Jonathan pour écrire le scénario et, à nouveau, opte pour une narration éclatée. Un petit changement cependant : il n’y a plus un mais deux narrateurs, chacun lisant les carnets de l’autre. Une structure qui peut déstabiliser mais qui, comme en magie, attire notre attention sur autre chose que le fait principal : un scénario moyen. Il y a en effet quelques longueurs qu’il faut masquer et surtout un final beaucoup trop prévisible, à tel point qu’il est décevant. C’est là le bémol principal du film, une maîtrise de son histoire jusqu’au dernier quart d’heure qui non seulement déçoit mais s’avère être interminable, coupant l’élan du récit qui nous avait captivé jusque là. Comme lors d’un tour, on regrette l’explication qui fait perdre le côté fantastique de la chose.

Une petite faute certes, mais qui empêche Le Prestige d’atteindre les sommets. En soi, ce n’est pas bien grave : la magie du cinéma est restée intacte, et d’un point de vue formel le film est probablement le plus abouti de son auteur. Attendons un scénario béton pour crier au génie, ce qu’est assurément le cinéaste britannique.

Note : ***