jeudi 21 juin 2007

Jackie Brown


Tarantino : en 1998, tout le monde avait ce nom en bouche. Pensez donc : la bombe Pulp Fiction, le déjanté Une nuit en enfer, même un épisode d’Urgences pour rester chaud entre deux films. De film, il était d’ailleurs vachement question à l’époque puisque Tarantino allait offrir au monde son dernier bébé, une adaptation d’un roman d’Elmore Leonard. De quoi susciter la curiosité… à une exception près : personne ne voulait de Jackie Brown, mais bel et bien d’un Pulp Fiction bis, ou quelque chose d’aussi délirant du moins.

Et voilà que Mister Q propose un film plus lent, plus bavard, plus black que sa Palme d’Or. Les puristes crient au scandale, ne prenant même pas la peine de voir que Tarantino prouve qu’il a du talent jusqu’au bout des ongles de doigts de pied. Il s’offre encore un casting de rêve (Jackson, De Niro, Fonda, Keaton) et, une fois n’est pas coutume, dégote deux has-been pour ses « héros », à savoir Pam Grier et Robert Forster. Le choix de Pam Grier n’est pas innocent : Jackie Brown est un immense hommage à la blaxploitation, genre des années 70 où les afro-américains faisaient du cinéma d’action pour les afro-américains. La belle époque où les morts étaient violentes, le sexe omniprésent et où quelques têtes étaient sur toutes les affiches (Pam Grier mais aussi Sid Haig, méchant récurrent et qui tient ici le rôle du… juge qui condamne Jackie). Et dommage une fois encore pour les acteurs restés sur le carreau, soit écartés soit n’ayant plu de place pour eux : Sylvester Stallone, John Travolta, Paul Newman, Gene Hackman et John Saxon. Seulement voilà, à sa sortie, le film est boudé, sans doute parce qu’on s’attendait à autre chose. Du coup Tarantino va mal le prendre et nous laisser 5 ans sans nous pondre un de ses films cultes avant d’être sortis.

Pourtant, comme je l’ai déjà dit, Jackie Brown arrivait à point nommé : les remarques désobligeantes sur le cinéaste et un « certain savoir-faire » l’empêchaient d’être pris au sérieux. Tout au plus savait-il exploiter ses connaissances pour faire un truc fun. Que nenni : Quentin Tarantino est un génie, qu’on se le dise, et il l’a largement prouvé !

Quitte à être réducteur, prenons un exemple : la scène de l’échange. Points de vue multiples, caméra fluide, pas même une faute de raccord ou une saute d’axe : la scène est tout simplement une leçon de cinéma. Evidemment, il y a tout ce qui l’entoure : un univers cohérent, un souci de présenter calmement chaque personnage sans dévoiler son véritable fond, toujours des références (clins d’œil égocentrique : le resto Teriyaki Donut, le tailleur que Jackie achète et l’Honda de cette même Jackie proviennent tous de Pulp Fiction) et surtout un soin énorme concernant l’image : lumière, cadrage et composition sont savamment préparés pour le moindre plan. Comme si Tarantino ne voulait rien laisser au hasard. Si on sentait déjà une telle volonté dans Pulp Fiction (notamment au niveau des raccords), Jackie Brown est le symbole de maturité du cinéaste, qui n’est plus speed mais prend tout son temps pour raconter son film, ne se souciant plus d’être « dans le coup » ou non mais faisant des films comme lui aime en voir, des films comme ceux qui ont bercés son enfance.

Côté scénario, du millimétré, ni plus, ni moins. On découvre petit à petit les plans des uns et des autres, on en sait toujours plus que l’un mais moins que l’autre, bref on joue avec nos nerfs et c’est jouissif. Et, évidemment, Tarantino nous gratine de ses dialogues dont il a le secret, profitant même de l’occasion pour régler quelques comptes : il ironise sur la violence dans les films (avec ce discours sur The Killer) et, le temps d’une phrase, bouscule le grand Bob de Niro, lui demandant « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? T’étais pourtant au top avant… ».

Doit-on vraiment parler des comédiens d’ailleurs ? Entre une Pam Grier toujours aussi belle et un Robert Forster nominé aux Oscars, un Sam Jackson qui prend son pied et un De Niro aux antipodes de tous les gangsters qu’il a pu jouer, on ne parvient pas à choisir qui on préfère.

Il convient donc de revoir ses positions quant à ce film pour ceux qui ne l’aiment pas : non, ce n’est certainement pas un Pulp Fiction 2, c’est encore mieux : c’est la preuve que Tarantino peut vraiment toucher à tout, c’est la preuve que Tarantino est un être sensible (l’un des sujets du film n’est-il pas le sentiment de vieillir ?), c’est la preuve que Tarantino est probablement, de sa génération, le plus grand de tous.

Note : ****

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