mercredi 27 juin 2007

L'aveu


Costa-Gavras n’est pas un cinéaste comme les autres : la plupart de ses films provoque la polémique. Et parmi ceux-ci, L’aveu reste un modèle du genre.

Tout d’abord, un peu d’Histoire : à la fin des années 50, le communisme perdait un peu de son emprise sur les pays annexes à l’ex-URSS. Jusque là, le PC chassait ses ennemis en dehors du territoire mais à partir de cette période, il va commencer à « nettoyer » son propre service interne, particulièrement au niveau du pouvoir politique. De la sorte, de nombreux ministres et autres noms importants de la scène politique se sont vu arrêtés arbitrairement, dont Arthur London, pour être les victimes d’un procès déjà monté, le célèbre « Procès de Prague ».

On ignore encore les véritables motivations d’un tel procès, mais toujours est-il que le procès débuta le 20 novembre 1952. L’issue était planifiée depuis longtemps : depuis des semaines, les accusés apprenaient un texte par cœur, enregistré qui plus est, tandis qu’on leur donnait des médicaments (drogues ?), des UV et autres soins pour masquer les douleurs qu’ils avaient subis jusque là. Le procès se déroulait de la manière suivante : chaque accusé récitait ses aveux au jury, mais le cas échéant pouvait être remplacé par un enregistrement diffusé à la radio. Les avocats n’hésitaient pas à soutenir à leurs clients de plaider coupables et de refuser le recours. C’est ainsi que sur 14 accusés, trois furent condamnés à perpétuité (dont Arthur London) et les 11 autres condamnés à mort. La sentence eut lieu très rapidement, et on brûla leur corps tout aussi vite. Ce ne fut pas le seul procès de ce genre, mais assurément l’un des plus importants. Avec lui, l’étape ultime était franchie : les communistes ne se battait plus uniquement contre l’adversaire mais entre eux également.

C’est lors du montage de Z que Costa Gavras entend parler pour la première fois du récit d’Arthur London. Le cinéaste fut rapidement séduit par l’idée d’en faire un film, de dénoncer les illusions du communisme sur la société intellectuelle de l’époque et surtout de continuer sur sa lancée de thrillers politiques. C’est ainsi que L’aveu devin le deuxième épisode de sa trilogie politique, composée de Z et de Etat de siège peu après. Il est amusant de voir que Semprun et Montand s’investirent autant dans le projet, eux-mêmes étant d’anciens communistes confirmés….

Costa Gavras, déjà critiqué à la sortie de Z (et accessoirement menacé de mort et interdit de séjour en Grèce) fut grandement attaqué quant à l’idéologie de son film. Il lui fut en effet reproché, après avoir attaqué la droite dans Z, d’attaquer la gauche, même si l’artiste se défendit en prétendant vouloir uniquement dénoncé les systèmes totalitaristes. Certaines personnes n lui pardonnèrent pas d’avoir abordé ainsi le stalinisme et il reçut à nouveau des menaces de mort. Néanmoins, le film connut à nouveau un succès retentissant, le mythe entourant le film et la performance d’Yves Montand y étant pour beaucoup. Costa Gavras avait réussi à capter l’air de son temps, offrant au public, las des magouilles politiques et des illusions idéologiques, un spectacle froid mais implacable sur l’état du monde actuel, levant le voile sur les dessous des grands crimes politiques non reconnus comme tel.

Il y a bien entendu de la part de Costa Gavras une farouche volonté de dépeindre le stalinisme dans sa plus mauvaise représentation : torture, menaces, procès bidon, lavages de cerveaux et hommes de main sans cœur sont au programme du film. Mais, soucieux de rendre son récit et celui de London crédibles, il évite toute surenchère, tout effet dramatique comme dans Z et opte pour une mise en scène froide, distante, au scalpel, proche du documentaire. Le résultat est saisissant : on ressent intensément le film, on sort de la projection éprouvée – et angoissé. Car oui, Costa Gavras cible là le régime communiste stalinien mais parvient à saisir les bases d’un système totalitaire. Tant qu’il peut, le cinéaste dénonce la manière dont un mouvement – ou idéologie – politique parvient à obtenir les faveurs du peuple et à les garder. Comme dit Montand : « Il est préférable de se tromper avec le parti plutôt qu’avoir raison contre lui ».

Le cinéaste réfute aussi dénoncer la gauche dans son film, et on le croit volontiers sur la dernière image de son film : des adolescents peignant sur un mur la phrase « Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous ». Cette phrase est non seulement un appel au souvenir, au communisme comme le souhaitait Lénine et qui n’a plus rien eu à voir avec le communisme d’alors, mais aussi une marque de fidélité envers la gauche de Costa Gavras. Evidemment, la liberté d’interprétation reste énorme sur ce plan…

Costa Gavras souligne aussi l’absurdité et la malveillance du procès tout au long du film. Outre le fait que les premiers commanditaires de ce film se voit eux-mêmes accusés, le procès est tourné en dérision à trois reprises : un des accusés n’arrive plus à se souvenir de sa phrase, et se voit remplacé par un enregistrement préalable pour ne pas que les autorités perdent la face à la radio ; un autre accusé est si angoissé qu’il en vient à perdre son pantalon. Fou rire général, sauf des autorités qui perdent le contrôle du procès et font donc évacuer la salle ; enfin, l’élément le plus marquant reste cet accusé qui, lors de la reprise du procès, frappe trois coups contre une plainte en bois, les fameux trois coups du théâtre, démontrant par là même le caractère écrit et décidé de ce « spectacle à la gloire du Parti ».

Le réalisateur s’évertue également à dresser aussi fidèlement que possible les tortures infligées aux accusés, tant physiques que morales. A force, on ressent le même isolement, la même douleur que le personnage de Montand, trahi par ceux en qui il avait foi, abandonné des siens. La distance entre le film et le spectateur est alors rompue, Costa Gavras nous implique directement dans le récit : on ne comprend pas pourquoi un homme tient tant à ses convictions, et on ne peut s’empêcher de l’admirer. Lui qui a aussi commis des crimes par le passé nous apparaît pourtant comme un martyr.

Le livre d’Arthur London fut cependant fort décrié à sa sortie, et ce pour plusieurs raisons, le fait le plus troublant concernant la véracité de ce récit reste de effet l’existence de trois documents différents, tous écrit par Arthur London… Dès lors, comment juger objectivement ce que Costa-Gavras et London dénoncent ?

Costa-Gavras reste cependant un formidable professeur d’histoire, démontrant comment un pouvoir politique utilise la propagande (retransmission radiophonique et vidéo du procès, manipulation de la presse, diffusion de la lettre de la femme de Gérard le dénonçant et soulignant sa fidélité au Parti…) et le système social (la perte de l’emploi de la femme de Gérard) pour démontrer son pouvoir et asseoir son autorité.

L’aveu n’est pas un film comme les autres, et surtout à ne pas considérer comme tel. En plus de s’inscrire dans un genre polémique par essence, il s’est inscrit dans un contexte politico-historique important, étant très récent quant aux événements qu’il décrivait. Il convient donc, pour apprécier le film, de connaître l’Histoire qui l’entoure, et de ne pas sombrer dans la critique facile du parti communiste. Outre ses qualités techniques, L’aveu est en effet un film qui ne laisse pas indifférent sur notre manière de voir le monde et son Histoire. Ce n’est qu’en l’analysant objectivement que l’on peut pleinement l’apprécier et voir qu’il s’agit, plus qu’une charge politique, d’un immense plaidoyer pour la la liberté politique, bref la liberté de vivre.

Note : ****

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