lundi 30 mai 2011

Mammuth

Kervern-Delépine ont un univers qui leur est propre, c'est sûr, mélange improbable de Jarmusch et de Dupontel matiné du trash de Groland à l'occasion (l'entretien d'embauche).

Ils ont des chouettes copains, qui font plein de caméos (Nahon, Poelvoorde, Lanners, Adjani). Et ici ils ont Gérard, Gégé le pachyderme qui ferait passer Orson Welles dans La soif du mal pour un anorexique. Et Gégé, ben il bouffe tout, surtout l'écran, sans se forcer, en étant juste présent. C'est dans son regard que tout se joue, dans l'inscription approximative de son corps dans l'espace : sans rien faire, il fait tout le film.

Hélas, le scénario enchaîne un peu trop difficilement les séquences pour soutenir la performance de l'acteur, et se perd entre la quête du sens de la vie d'une part et (élément narratif maladroit) la rédemption d'autre part. Puis tout ça manque d'humour mordant, à la Aaltra ou mieux encore à la Louise-Michel, là où le duo de réalisateur excelle. Y a pourtant de chouettes occaz bien exploitées, comme la confrontation entre Gégé et son boucher, qui n’a pas fait de master en jambon, ou l’entretien d’embauche avec un Bouli Lanners un rien pervers. Mais ça suffit pas.

Du coup, Mammuth est un colosse, certes, mais aux pieds d'argile.

Note : **

vendredi 27 mai 2011

Les yeux de sa mère

Un jour, je serai cinéaste. Bon, le cinéma en Belgique, pas facile facile ; je m’expatrierai donc en France. Je ferai ce qu’appellent les artistes « de l’art » et le public « les films chiants » : du cinéma d’auteur.

Tout d’abord, je me ferai pas chier à utiliser un pied à ma caméra : rien de tel que la caméra à l’épaule, comme le cinéma-vérité de Morin et Rouch, une liberté totale de mouvement, comme la Nouvelle Vague. Et rien à foutre si du coup mon image en perpétuel mouvement file plus la nausée que n’impose une marque esthétique forte.

Puis je parlerai d’une famille explosée par la rancœur et le mal-être des membres. C’est bien ça, la famille en froid, ça c’est jamais vu. Enfin, si, y a de temps en temps des amateurs comme Wes Anderson qui en font de grands films, mais en France, pas besoin d’humour quand on peut être mélodramatique. Puis ce serait quand même cool d’avoir un personnage borderline, moralement et sexuellement, tant qu’à faire.

Alors pour m’assurer les bonnes grâces du public, je prendrais une grande actrice, style Catherine Deneuve, qui est toujours au top de son talent. Je prendrais aussi un acteur bien « d’auteur », comme Nicolas Duvauchelle. Et peut-être que je prendrai Géraldine Pailhas, à mi-chemin entre les deux publics. Et tous seront de bon niveau.

Et même que je ferai croire au spectateur, dans une première moitié du film, à un thriller se mettant doucement en place, à un film français qui trouve enfin son style sans copier les Américains ni sans virer dans le pathos et la caricature des films français habituels. Et puis alors, dans la seconde moitié, je céderai, et je ferai comme les autres. Et ce sera bien dommage.

Note : **

mercredi 18 mai 2011

Vivement ce soir

Patrick Van Antwerpen naît le 17 mai 1944 à Ixelles (Bruxelles). Après avoir étudié à l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et techniques de diffusion), il travaille avec Boris Lehman avant de se lancer dans la réalisation de quelques courts métrages.

L’univers de Van Antwerpen a un air de déjà vu : il y a chez le réalisateur un amour évident de l’univers de Tati et du burlesque moderne, s’amusant à souligner les travers des petits gens dans une société de consommation de plus en plus impersonnelle, appelant au rendement coûte que coûte. Il faut juste ajouter à cela un peu d’absurde bien belge. Vivement ce soir (1985) est son seul long métrage. Le film relate le déroulement d'une journée dans un supermarché de la région bruxelloise. L'histoire de cette journée, avec ses petits événements drôles ou pathétiques, constitue la trame générale du film. Les situations traitées par petites touches successives mettent en évidence certains de nos comportements face à la nourriture, le côté répétitif de nos gestes et de nos déplacements dans cet univers clos... (Patrick Van Antwerpen)

Il y a de ci de là de belles idées de mise en scène, et un certain talent pour amener des situations et les étirer dans le temps sans qu'elles ne deviennent ennuyantes. L’art de Van Antwerpen, comme Tati ou Etaix par ailleurs, n’est pas de faire rire aux éclats mais de créer un sourire tout au long du film. Certains gags sont ainsi irrésistibles ; d’autres, en revanche, sont un peu trop prévisibles, un peu trop mal dosés.

Surtout, le film souffre d'une part d'un sévère manque de scénario (ce ne sont ici que majoritairement des saynètes, relativement indépendantes les unes des autres) et surtout de comédiens tous plus mauvais les uns que les autres, leur mauvais jeu étant accentué par une post-synchro à la Fellini complètement ratée. Volonté esthétique, absence de budget ? Le résultat est le même : c’est agaçant.

Ces deux éléments sont suffisamment pénibles que pour gâcher le film, souffrant comme si besoin en était d’une variation de rythme parfois déstabilisante pour une comédie. Pourtant, le potentiel était là. Patrick Van Antwerpen ne pourra jamais le confirmer : il décédera le 3 décembre 1990. Hélas.

Note : **

dimanche 8 mai 2011

Au-delà de la gloire (The Big Red One)

Cinéaste oublié, Samuel Fuller mériterait pourtant d’être considéré l’égal des plus grands. Du moins, c’est ce que ce Big Red One laisse à supposer.

On ne compte plus les films sur la guerre 40-45, c’est certain. Il y a même eu plusieurs chefs-d’œuvre parmi eux (Patton, Il faut sauver le soldat Ryan…) et d’autres films de légende (Le jour le plus long, Un pont trop loin…) mais rarement un film aura été aussi grandiose que le film de Fuller. Les raisons ? Peut-être car c’est la guerre dans son ensemble que nous découvrons, et non pas un de ses épisodes, peut-être par son réalisme, peut-être pour cette simple histoire d’amis plongés dans l’enfer de la guerre…

Fuller connaît très bien son sujet : il a lui-même été soldat durant la seconde Guerre Mondiale (où il finira caporal et décoré d’ailleurs). Rien d’étonnant alors de voir un côté réaliste, inhabituel pour l’époque, dans ce film : il s’agit tout simplement d’un récit autobiographique, où l’horreur de la guerre se mélange avec son absurdité, sous les yeux d’un jeune Fuller, interprété par Robert Carradine, fumant le cigare et rêvant d’être le nouvel Hemingway.

Il ne s’agit pas ici de faire dans le réalisme absolu, dans le métaphysique (même si des éléments bibliques peuvent être repérés, comme la punition de Lee Marvin ou l’évocation des 4 cavaliers de l’Apocalypse, entouré constamment par des morts) ou même dans la critique de la guerre (sans pour autant exalter le sentiment patriotique) ; il s’agit simplement de raconter une histoire, un peu folle c’est vrai mais pourtant bien réelle. Et les anecdotes qui jonchent l’histoire (l’accouchement de la française dans un tank) sont aussi surprenantes qu’elles peuvent être métaphoriques (l’attaque de l’asile psychiatrique, miroir de la société).

Le récit, long (2h35) mais riche (on passe des batailles d’Afrique du Nord à celles d’Allemagne et Tchécoslovaquie en passant par la Sicile, l’Italie, la France et la Belgique) est certes violent par moment (les scènes de combat sont d’ailleurs étonnantes, en particulier celle du Débarquement lorsqu’on sait que Fuller avait un petit budget pour ce film) mais n’en est pas moins dénué d’humour, ce qui aide grandement. Et puis Big Red One, qui tire on nom de la compagnie dans laquelle se trouve nos soldats, est tout autant un film de guerre qu’une histoire d’amitié et une réflexion sur le sens même du conflit (Marvin faisant allègrement une distinction entre tuer et assassiner durant la guerre…).

Il y a, dans la mise en scène de Fuller, une volonté d’aller très loin, que l’on sent pourtant freinée et qui ramène la narration à un style presque classique. Pression des studios, qui remonteront le film, ou budget limité, impossible de savoir précisément. Mais au fil du temps, on aperçoit quel chef-d’œuvre aurait pu être le film si Fuller avait pu aller au bout de ses idées et de ses volontés. En dépit, Big Red One surprend par une forme de retenue, où c’est en montrant le moins que l’on ressent le plus, comme lors de cette altercation dans la forêt, envahie par le brouillard. Là où d’autres s’approchent du sommet avec de l’esbroufe (Spielberg), Fuller l’atteint en ne montrant presque rien.

Les comédiens sont par ailleurs excellents, du vétéran Lee Marvin, père spirituel des quatre « gosses » de l’équipe, à Mark Hamill, qui trouve probablement là son meilleur rôle, et un Robert Carradine en Samuel Fuller jeunot. Saluons aussi les moins connus, comme Bobby Di Cicco, Kelly Ward et Siegfried Rauch, qui sont très bons eux aussi.

Beaucoup trouveront ce film un peu dépassé (ce qui est faux), comme l’est Le jour le plus long, mais The Big Red One possède néanmoins un atout que beaucoup d’autres films du genre n’ont pas : une multiplicité des niveaux de lectures. Les interprétations s’avèrent nombreuses et l’on découvre, à chaque nouvelle vision, de nouveaux éléments qui nous avait échappés. Et c’est bien là que réside le génie du film, qui grâce à sa reconstruction (soit le montage initial que voulait Fuller) prouve qu’il est sans conteste l’un des meilleurs films de guerre jamais réalisé.

Note : *****

dimanche 1 mai 2011

Faites le mur (Exit Through the Gift Shop )

Artiste contemporain subversif et paradoxalement acclamé, Banksy signe avec « Faites le mur ! » un premier film à l’image de ses œuvres picturales : trouble, drôle et délicieusement grinçant.

Je connaissais un peu Banksy avant de voir le film, mais pas outre-mesure. Disons que ses œuvres me plaisaient beaucoup en plus de tout le mouvement qu’il représente peut-être parfois malgré lui. Bref, voilà qu’un beau jour, un vidéaste du nom de Thierry Guetta décide de faire un documentaire sur Banksy… Sauf que les rôles vont bien vite changer, et Banksy va alors réaliser un documentaire sur Thierry Guetta, devenu le street artist le plus bankable de l’année ! Une sorte d’arroseur arrosé… Mais si en l’occurrence l’arrosé, c’était le public ?

Il n’y aurait rien d’étonnant à découvrir que Faites le mur est un canular, une histoire montée de toutes pièces par Banksy pour critiquer le monde de l’art et la célébrité à outrance de nos jours. Après tout nous parlons de Banksy, dont le talent réside à détourner les objets pour en créer d’autres à la critique à peine plus qu’explicite. Il n’est donc pas impossible que son documentaire soit en réalité un documenteur, où Banksy, tel un Duchamp des temps modernes, met en exergue l’incompétence des critiques d’art et les dérives du système capitaliste voulant faire du moindre petit artiste une source financière exploitable.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : Faites le mur n’est pas un portrait de Banksy ou de Mr Brainwash mais bien un rapide mais complet panorama, via des rushes tournées par Thierry Guetta des années durant, du « street art », art de l’ombre trop vite mis en avant et ayant perdu sa vocation première : transformer le paysage urbain sans se soucier de l’argent que cela peut rapporter. Incisif, Banksy l’est en permanence, encore plus quand il explique la naissance de Mr Brainwash : c’est parce qu’il était nul derrière la caméra que Banksy a proposé à Thierry Guetta de se lancer dans le street art. Et de faire devenir un artiste sensé rester dans l’ombre une vedette internationale.

Documentaire ou canular, qu’importe : Banksy est parvenu à entrer dans le monde du cinéma par la grande porte.

Note : ****