mercredi 27 décembre 2006

Reservoir Dogs


En 1992, un cinéphage débarque avec son projet sous le bras, clamant être un génie en puissance. Son nom : Quentin Tarantino. Son projet : Reservoir Dogs.

Torché en trois semaines et demi, le scénario est typiquement un produit indépendant : un lieu, peu de personnages, aucune action impressionnante, beaucoup de dialogues dont le mot « fuck » cité 252 fois. Le titre provient de deux films : Au revoir les enfants (que Tarantino, nul en français, appelle That Reservoir Movie) et Straw Dogs de Sam Peckinpah. Ca nous donne déjà une idée du personnage… Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Soutenu à Sundance, conseillé par Terry Gilliam, Tarantino monte petit à petit son film. Vincent Gallo, Christopher Walken, George Clooney et James Woods refusent un rôle (Woods changera d’ailleurs d’agent après cet incident), mais Tarantino refuse aussi David Duchovny, Robert Forster et Timothy Carey. C’est le jour où Harvey Keitel, par une filière magique comme on en voit qu’à Hollywood, reçoit le script entre ses mains que tout change : le film entre amis de 30 000 dollars filmé en 16 mm devient un vrai long métrage avec 1,5 million de budget à la clé. Tarantino peaufine le casting, bidouille quelques combines (Robert Kurtzman aurait accepté de travailler gratuitement à condition que Tarantino écrive un film sur une de ses histoires, Une nuit en enfer… et les costumes et voitures des acteurs leur appartenait vraiment, faute de moyens) et c’est parti !

Voilà que le film sort, et c’est pas brillant. Ca marche, c’est pas ça, mais ça reste très privé. Le film est vite critiqué pour sa violence, mais acclamé pour son audace. La scène de torture sur Stuck in the middle with you fait grincer des dents tandis que l’interprétation de Like a virgin fait même rire Madonna. Le côté marketing innove de son côté : pour la première fois, le distributeur joue la carte des « multiples posters », qui consiste à afficher un nombre d’affiches différentes un peu partout (en l’occurrence, chaque affiche représentait un personnage, la couleur de fond étant son surnom). Depuis, cette technique est largement utilisée… Mais le film décolle légèrement, et finit par connaître un petit succès. Il s’agit plus d’une œuvre culte qu’autre chose mais qu’importe, ça marche. Et puis, la machine s’emballe : True Romance et Tueurs-nés sortent, Pulp fiction est salué à Cannes, et le simple nom de Tarantino devient incontournable. Depuis, l’œuvre est citée dans les conversations de cinéphiles, a été élue « Le meilleur film indépendant jamais fait » par le magazine Empire qui l’a même désigné comme « Film le plus influençable de ses quinze dernières années ».

Quelle histoire. Mais, il faut être honnête, Reservoir Dogs l’a mérité son succès. Pour un film « fauché », il s’en est vachement bien sorti. Prenons le scénario par exemple : en soi, très simple. Un braquage qui tourne mal, une taupe, du déjà vu 100 fois, sauf que Tarantino n’est pas du genre à se laisser avoir : on glisse par-ci par-là des références pour les cinéphiles (Les pirates du métro, Quand la ville dort…), on copie les autres (le style du film est directement inspiré de John Woo, tant dans les personnages qui semblent provenir du Syndicat du crime que du petit jeu du « Je te braque, tu me braques, on se flingue mutuellement », sans oublier l’héritage que le film dit à L’ultime razzia de Stanley Kubrick) et ça passe. C’est presque du théâtre aussi, cette limitation de décors et de personnages mais le huis clos reste toujours difficile à gérer, encore plus en matière de cinéma sur une durée de 1h30.

L’astuce, c’est également de choisir des acteurs qui, en plus d’avoir un talent monstre (Keitel et Buscemi en tête) possèdent une « gueule de cinéma », qui confèrent à leurs personnages ce côté réaliste… dans un univers surréaliste. Après, les acteurs sont là pour se marrer, et ça marche doublement puisqu’ils sont de la sorte irrésistibles : servant des dialogues pointus et jouissifs (les débats sur les chansons de Madonna, le pourboire ou les surnoms…), ils se lâchent et vont, à l’instar du film, dans tous les sens tout en conservant une ligne directrice.

Tarantino, de son côté, n’est pas encore aussi magistral qu’il peut l’être aujourd’hui, mais parvient néanmoins à négocier avec brio certain plans : l’introduction en panoramique, le générique de début (la technique : filmé en 12 images par seconde puis accéléré pour obtenir 24 im./s.) ou, ce fameux plan incompris, celui de la torture : hommage à un certain Hitchcock, Tarantino ne filme jamais la douleur en elle-même, puisque la caméra s’éloigne lorsqu’il coupe l’oreille du flic, et laisse le spectateur s’imaginer la scène. Pas encore au point mais a déjà compris toute les subtilités d’une narration cinématographique.

Film culte par excellence, modèle à suivre pour un film indépendant, début d’une carrière couronnée de succès, Reservoir Dogs est, un peu comme Pulp Fiction, un film à reconsidérer avec recul. Pour se rendre compte, là aussi, qu’il s’agit d’un grand film.

Note : ****

vendredi 22 décembre 2006

Les pirates du métro (Taking of Pelham 123)


Il y a des films qui, comme ça, ne paie pas de mine, et s’avère pourtant être de réelles petites bombes cinématographiques. Tel est le cas des Pirates du métro.

Imaginons un peu comment les producteurs ont fait ce film.

Le film de braquage étant un thème épuisé (encore que… voir la réussite d’Inside Man pour ce convaincre du contraire), il faudrait bien innover vers quelque chose d’inédit. Et pourquoi pas un métro ? L’angoisse du spectateur auquel cela pourrait arriver, la curiosité de savoir comment les malfrats vont sortir de ce huis clos… Génial !

Le truc, ce serait aussi d’avoir des noms qui portent à l’affiche, histoire d’assurer un peu ses arrières. Et pourquoi pas Robert Shaw en chef de bande et Walther Matthau en flic ? Ce sont d’excellents comédiens, qui en plus livrent ici une interprétation du tonnerre, Matthau fidèle à lui-même et Shaw diaboliquement grandiose en ex-militaire sans pitié. Tant qu’à faire, quelques seconds rôles qui valent le déplacement seront les bienvenus, genre Martin Balsam ou Dick O’Neill, et le tableau sera complet. Quel plaisir de voir autant de bons acteurs prendre plaisir à faire un film !

Bon, ce serait chouette aussi d’avoir un petit truc en plus que les autres films de braquage. Oui mais quoi ? Euh… Et pourquoi pas un humour constant ? Pas le genre de truc qui tomberait à plat, non, je parle de gags qui viendraient s’insérer ça et là dans l’histoire sans pour autant l’effacer. D’autant qu’on a Matthau, faut en tirer profit ! Moralité : le film passe comme une lettre à la poste, alternant les moments de suspens allant crescendo et les traits d’humour pour alléger le tout de temps à autre. Peut-être est-ce ce petit plus qui fait des Pirates du métro un film du genre un peu à part ?

Ou alors ça vient du fait que personne n’attendait grand chose de ce film. Faut dire que le réalisateur est pas très connu, et que par après il n’a pas vraiment brillé. Faut dire aussi que le film a réellement été tourné dans le métro new-yorkais, alors que les autorités ont refusés tout un temps de peu que le film n’inspire de vrais criminels ! N’empêche que le succès a été là, inspirant même un certain Quentin Tarantino pour ses personnages dans Reservoir Dogs.

Et puis hé, le scénario est bien foutu quand même. C’est pas que tu te demandes un peu comment ça va se passer par la suite, mais tu crèves d’envie de le savoir. Tirer un sujet finalement aussi court sur la bonne longueur de 1h45, c’est la frime. De plus, bien malin celui qui arrivera à deviner la fin avant la dernière minute…

Non franchement, pas mécontent de l’avoir connu ce film. On dirait pas comme ça, mais c’est qu’il est bourré de qualité, ancré dans son époque sans pour autant être dépassé aujourd’hui, aussi précis que le braquage qu’il évoque et porté par un duo d’acteur comme on en fait plus. Allez, juste pour le plaisir, encore un petit coup avant de faire dodo.

Note : ****

lundi 18 décembre 2006

Michael Blanco


Si l’on a trop tendance à enfermer le cinéma belge dans un carcan (celui du cinéma social style frères Dardenne… les stéréotypes ont décidemment la vie dure de nos jours), il existe toujours des cinéastes pour tenter de changer la donne. Tel est le cas de Stephan Streker et son Michael Blanco.

On pourrait croire à une énième success-story, ou au mieux à une énième attaque du rêve américain. Il n’en est rien : Michael Blanco, c’est simplement l’histoire d’un rêveur qui n’a pas les moyens d’accomplir sa destinée. D’acteur, il n’a ni le talent, ni les capacités.

Le film s’apparente alors plus à une lutte sans espoir qu’autre chose. Au fil de rencontres, Michael va en apprendre beaucoup sur le plan humain c’est vrai, mais cela ne servira pas ses ambitions. Pire, au fur et à mesure du récit, il se rend compte de sa situation : seul, désabusé, perdu dans l’immense Los Angeles qui ressemble parfois à un désert. Bien loin de l’image glamour véhiculée, le métier d’acteur s’avère impénétrable visiblement, malgré tous les efforts que l’on peut fournir.

Dans le rôle du « héros », Michael Goldberg est formidable, comme s’il vivait cette même angoisse de l’acteur voulant percer. Tout en alternant intériorisation et explosion de jeu, il parvient à porter le film seul, et en soi c’est un exploit.

Streker opte également pour une narration assez étonnante, les tribulations de notre comédien étant ponctuées de quelques mots de deux noirs habillés pareils, costumes aux couleurs flashantes et chapeaux melons. Hélas, c’est bien là le seul attrait de la narration, car le reste ne parvient pas à séduire complètement. Certes le ton est original, mais au final tout devient prévisible, et on ne parvient pas au bout du compte à avoir pitié pour ce pauvre gars qui ne réussit pas. N’y a-t-il pas, comme dit dans le résumé, 900 000 cas identiques rien que pour Los Angeles ? Alors pourquoi lui plutôt qu’un autre.

Le tout semble presque creux alors, puisqu’il ne se passe quasiment rien. Certaines idées sont très bonnes, d’autres sont tirées en longueur. Un film qui aurait gagner à être dans un autre format peut-être, comme le moyen métrage, mais bon, rien que pour le fait de prendre le monde à contre-pied et tenter quelque chose de neuf dans le paysage cinématographique belge, moi je dis chapeau bas.

Note : **

mercredi 13 décembre 2006

Monty Python : Sacré Graal ! (The Monty Python and the Holy Grail)


Qu’on se le dise, les Anglais ont le sens de l’humour second degré, pour ne pas dire de l’absurde. Certains même ont cultivé cet art pour le mener à son paroxysme. La bande de cinglés qui a fait ça s’appelait Monty Python, et Sacré Graal ! est assurément leur film le plus célèbre – et le plus drôle.

Bande de trublions issus de la télévision, composée de Graham Chapman, Eric Idle, John Cleese, Michael Palin, Terry Jones et Terry Gilliam (le seul américain du groupe), les Monty Python se sont fait connaître grâce à leurs sketches à l’humour absurdes, tournant en dérision une certaine société britannique, avec un non-sens des plus délicieux. Ils se sont d’ailleurs à l’époque déjà essayé au long métrage avec La première folie des Monty Python, sorte de best of de l’émission Monty Python’s Flying Circus, ensemble de saynètes plus ou moins distinctes les unes des autres (d’où le titre original And now something completely different). Sacré Graal ! constitue donc leur deuxième film mais leur premier film élaboré et cohérent (dans la mesure du possible chez eux). Les Monty Python ont en effet adopté, pour leurs films, une méthode originale : travaillant par petits groupes les idées du scénario, se réunissant ensemble, discutant, retenant ou écartant certaines trouvailles, s'isolant à nouveau, et ainsi de suite, ils finissaient par aboutir à une suite de petites scènes formant pourtant un ensemble au ton cohérent.

Quelques anecdotes sur de tournage : la grande majorité du film fut tourné en Ecosse, mais plusieurs scènes se déroulent en fait dans un parc au plein centre de Londres (vous imaginez les citadins voyant cela ?) ; le chevalier noir, que le roi Arthur affronte dans un combat mémorable, est joué par John Cleese... sauf lorsqu'il se fait couper une jambe, scène pour laquelle un véritable unijambiste prit sa place ; enfin si la fin de Sacré Graal ! est à mourir de rire, la version originale faisait preuve d'un égal humour burlesque, puisque dans le premier jet du script, Arthur et ses chevaliers trouvaient finalement le Saint Graal... chez Harrods, magasin londonien généraliste hautement réputé !

La grande force des Monty Python réside sans doute dans cette capacité qu’ils ont à tout nous faire croire. Le budget de leur film étant plus que limité, ils n’ont pas hésité à exploiter le système D de façon absurde : ainsi les chevaux sont remplacés par deux noix de coco, une carte postale sert de décor (allumer une bougie juste devant pour aie croire à un mouvement d’air, le tour est joué), des jouets sont utilisés pour représenter de vrais animaux (cfr la vache balancée par delà la muraille), un imposant dragon est un dessin animé, etc. A force de faire dan l’excès, on adhère, et ce qui pourrait nous paraître débile devient des traits de génie : comment ne pas rire au terrible lapin tueur ?

Sans compter que les scènes cultes s’enchaînent à un rythme effrayant : du ramasseur de mort au procès de la sorcière, du lapin de bois géant au Camelot – cabaret, des chevaliers Ni au géant à trois têtes en passant enfin par le passeur aux trois questions (à noter que l’Assyrie comptait 4 capitales… vous m’aurez compris), absolument aucune seconde n’a été faite sérieusement. Et c’est tant mieux !

S’il ne constitue pas leur film le plus abouti (La vie de Brian) ou le plus virulent (Le sens de la vie), Sacré Graal ! est pourtant le film le plus célèbre des Monty Python et, disons-le, le plus drôle de tous, traversant les âges aussi aisément que la légende d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. C’est dans ce genre de situation que l’on se dit qu’un dvd, ça s’use trop vite…

Note : *****

vendredi 8 décembre 2006

Salvador


Malgré les reproches qu’on peut lui faire (et même si à titre personnel, je n’aime pas le personnage en lui-même), Oliver Stone est (était ?) un cinéaste qui n’a pas peur de prendre position dans ses films. Salvador, son troisième film, le prouve allègrement.

Partant de faits historiques, et s’inspirant vraisemblablement de l’histoire d’un ami de Stone, le film est une attaque virulente contre les USA et leur attachement au capitalisme. Pour rappel, le Salvador fut le théâtre d'une guerre civile sanglante (plus de 100 000 morts) pendant 12 ans, de 1980 à 1992, entre l'extrême droite représentée par l'ARENA (Alliance républicaine nationaliste) et la guérilla marxiste du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN). Pour soutenir la junte militaire en place, les États-Unis se sont engagés au côté de l'armée salvadorienne. En 1980, Mgr Oscar Romero, engagé au côté des paysans dans la lutte politique, fut assassiné dans la chapelle de l'hôpital la providence de San Salvador par les « escadrons de la mort » (fait illustré dans ce film). En 1992, les différents protagonistes de la guerre civile signent les accords de paix de Chapultepec qui mettent effectivement fin à la guerre. Il faudra attendre juillet 2002 pour qu’un un tribunal de Miami reconnut José Guillermo García et Carlos Eugenio Vides Casanova, deux anciens ministres de la défense responsables des tortures menées par les escadrons de la mort durant les années 1980. Les victimes avaient en effet fait usage d'une loi américaine qui permettait de telles poursuites. Les deux anciens dirigeants furent condamnés à payer 54,6 millions de dollars aux victimes… Du vent par rapport à ce que cette guerre absurde a coûté en vie humaine.

Ce que Stone dénonce ici, ce n’est pas tant l’ignominie du conflit que l’implication malveillante des USA dans cette guérilla sanglante. En effet, les USA ont radicalement soutenu la droite au pouvoir (dont faisait partie Garcia et Casanova) tant d’un point de vue financier que politique et militaire, simplement pour lutter contre l’idéologie pseudo communiste des révolutionnaires. Comme le dit le personnage de Boyle dans le film, les Américains étaient plutôt là pour se venger de leur gifle du Vietnam que pour aider le peuple, qui par ailleurs souffrait. On sait que les Américains ont soutenu nombre de despotes et autres personnages dangereux (en Iran en instaurant la dictature du Shah, au Guatemala, Nicaragua, ont assassiné Allende et installé Pinochet au pouvoir aux USA, ont soutenu l’Irak contre le Koweït et le Koweït contre l’Irak, ont formé Ben Laden…) et Stone le crie haut et fort à l’époque même des faits (le film date de 85).

Mais ce n’est pas là la seule qualité du film. Pour un film fauché, il faut admettre qu’il a de la gueule : Stone sait déjà à l’époque (grâce à ses collaborations avec des cinéastes comme Cimino, De Palma et Parker ?) comment se servir d’une caméra, et s’il n’hésite pas à user de ficelles classiques (musique dramatique à souhait) il faut reconnaître que le film est sous tension permanente, prêt à exploser à chaque seconde comme la situation à cette époque. Le tout agrémenté de scènes quasi insoutenables qui témoigne de l’horreur du conflit, comme cette multitude de cadavres abandonnés dans la « décharge » des escadrons de la mort.

Le troisième élément, et non des moindres, à porter le film vers des sommets, est sans conteste l’interprétation de James Woods, à vif et ironique, qui au fil de l’histoire abandonne ses rêves de gloire pour découvrir le Mal à l’état pur régner dans un pays où les étudiants sont publiquement abattus pour ne pas avoir de carte de vote, et où les rebelles ne valent guère mieux que ceux qu’ils combattent en abattant lâchement les prisonniers faits. A lui seul, l’acteur porte le film sur ses épaules de A à Z, même si les seconds rôles sont intéressants (dont un John Savage remarquable) mais un peu trop inexistants face à la prestation, par ailleurs nominé aux Oscars, de James Woods.

Un film remarquable, violent, sans concession, intelligent, critique, peut-être un peu trop long et visant trop le tire larme par moments mais au vu d résultat final, on n’en a cure : avant de se fourvoyer dans des films proaméricains (WTC), Stone était un cinéaste captivant.

Note : ***

lundi 4 décembre 2006

Le labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno)


Il arrive que certains pays offrent des cinéastes très brillants, qui savent allier cinéma d’auteur et cinéma populaire. C’est ainsi que Guillermo Del Toro, cinéaste mexicain, signe, avec Le labyrinthe de Pan, l’une de ses meilleures œuvres, et un film fantastique comme on n’en avait plus vu depuis bien longtemps.

Il faut dire que Del Toro n’est pas un débutant dans la matière : cet ancien étudiant en effets spéciaux est le père de Cronos, Mimic, L’échine du Diable (dont Le labyrinthe de Pan s’approche) ainsi que Blade 2 et Hellboy. Autant dire que le fantastique et le cinéma pop-corn, ça le connaît. Et c’est un peu ça ce Labyrinthe de Pan, un mélange d’obsessions personnelles de Del Toro (le franquisme, le christianisme, l’enfance) et de cinéma populaire (les batailles entre rebelles et armée) pour plaire au plus grand nombre sans se départir de son étiquette de « film d’auteur » (surtout que Del Toro clame que le faune n’est qu’une représentation d’un monstre entré un jour dans sa chambre lorsqu’il était enfant…)

Vous l’aurez donc compris, le film n’est pas qu’un simple film fantastique, mais également un conte pour enfant, un film de guerre, bref un film touche-à-tout. Embrassant une multitude de thèmes, et s’approchant d’une vérité difficile concernant cette sombre période qu’était le franquisme, le scénario est remarquable dans le sens où, d’une part les scènes semblent distinctes les unes des autres mais sont pourtant indissociables, de l’autre car nous naviguons entre deux eaux : les aventures de la petite fille sont-elles réelles ou imaginaires ? Tout au long du film, Del Toro nous promène sans jamais nous dire où nous allons, jusqu’à un final certes plus clair que le reste du film mais qui reste ambigu.

Un petit mot de Del Toro sur le fascisme et par la même occasion sur le sens de son film : « À mes yeux, le fascisme est une représentation de l'horreur ultime et c'est en ce sens un concept idéal pour raconter un conte de fées destiné aux adultes, car le fascisme est avant tout une forme de perversion de l'innocence, et donc de l'enfance. Pour moi, le fascisme représente en quelque sorte la mort de l'âme car il vous force à faire des choix douloureux et laisse une trace indélébile au plus profond de ceux qui l'ont vécu. C'est d'ailleurs pour cette raison que le véritable "monstre" du film est le Capitaine Vidal, qui est incarné à l'écran par Sergi Lopez. Un monstre bien réel comparé à ceux qui évoluent dans le labyrinthe. Le fascisme vous consume à petit feu, pas forcément physiquement, mais au moins spirituellement. »

Une autre réussite du film est sans conteste sa réalisation : sombre, trouble, magique, elle s’installe assez rapidement et donne d’emblée le ton du film : un produit étrange, fascinant, qu’on oublie pas. Rien d’étonnant lorsque l’on connaît les sources d’inspirations de Del Toro : le peintre Francisco Goya (dont le tableau représentant Saturne dévorant son fils a fortement inspiré l'inquiétante créature du "Pale Man"), le dessinateur Arthur Rackham mais aussi ces films qui ont influencé le cinéma de Del Toro comme La belle et la Bête de Cocteau, Nosferatu de Murnau ou Le masque du Démon de Mario Bava. Les effets spéciaux servent pleinement le récit (entendez par là qu’il n’occupe pas tout le film) et la photographie est renversante. Clairement, le film est stylisé, et c’est peut-être ce qui manquait aux films fantastiques récents, renouant avec un certaine tradition de l’imaginaire.

Au niveau des interprétations, les acteurs sont bons, certaines se débrouillant mieux que d’autres, mais ce sont surtout la jeune Ivana Baquero dans le rôle principal, remarquable, et surtout Sergi Lopez qui l’emportent. Ce dernier, qui trouve là l’un de ses rôles les plus marquants, devient un représentation du Mal digne des plus grands, sans manichéisme exacerbé, sans pitié envers les autres (effrayante séquence où il tue un paysan à coups de bouteille) comme envers lui-même (comme le prouve cette scène où il tranche son reflet d’un coup de rasoir), torturé par la mort de son père sans qu’il le montre, égoïste et arrogant et pourtant protecteur envers sa descendance. Une sorte de Diable humain, synthèse du franquisme aux yeux du réalisateur et qui, le temps du film, démontre toute l’horreur de l’Homme sans sombrer dans la caricature.

Saluons enfin comme il se doit la musique de Javier Navarette, sublime, qui parvient à saisir toutes les nuances du film, et à les retranscrire en quelques notes qui font honneur au genre fantastique. Sans aucun doute la cerise sur le gâteau.

Une œuvre obscure et fascinante, déchirante et magique, un conte pour aider les enfants à devenir adultes – et pour aider les adultes à redevenir des enfants. Certes avec des défauts mais ceux-ci sont rapidement occultés par le résultat final : un chef-d’œuvre du genre.

Note : ****

jeudi 30 novembre 2006

Le cabinet du Dr Caligari (Das kabinett des doktor Caligari)


Au rang des maîtres de l’expressionnisme allemand, il convient de saluer Robert Wiene qui, d’un coup de Cabinet de docteur Caligari, est parvenu à hisser le mouvement à son sommet !

Rappelons un peu ce qu’est l’expressionnisme : « Issu des recherches de l’avant-garde théâtrale (Max Reinhardt) et picturale (Kokoschka, Kubin), l’expressionnisme cinématographique commence véritablement avec Le cabinet du docteur Caligari (tiens tiens !). Privilégiant une thématique fantastique ou d’horreur, ce mouvement s’est attaché à exprimer les états d’âme des personnages par le symbolisme des formes et la stylisation des décors, de la lumière (contrastes heurtés, déformations), du jeu des acteurs : Paul Wegener (Le Golem), Fritz Lang (Le docteur Mabuse), F. W. Murnau (Nosferatu le vampire), Paul Leni (Le cabinet des figures de cire) sont particulièrement représentatifs de ce courant. » (Encyclopédie Mémo Larousse, 1989) (eh oui, rien de tel que les vieux bouquins…)

L’une des grosses réussites de ce film réside dans son scénario. A mi-chemin entre le thriller et le fantastique, les scénaristes parviennent à nous perdre dans leur récit étrange, sombre, dont le final offre une possibilité d’interprétation remarquable. Est-ce que l’histoire que nous venons de voir est-elle réelle, ou tirée de l’imagination d’un fou enfermé à l’asile ? Où se cache la vérité dans ce qu’il a dit et ce qui est ? D’autant que si le fond dérange et, brouillant les pistes, nous intrigue, ce n’est pas le réalisateur qui va nous aider.

Car il faut bien admettre que ce qui frappe en premier, c’est l’aspect visuel du film. Les décors sont très travaillés, de manière à effacer la frontière entre la réalité et l’imaginaire. Mais ils ont aussi la particularité de s’intégrer parfaitement au récit puisque étant raconté par le héros, fou, tout devient difforme, disproportionné, incongru. On imagine bien un univers kafkaïen dans ce genre d’endroit, mais ça flirte pourtant plus du côté d’un Edgar Allan Poe. Sans compter que, par leur composition, les décors possèdent quelque chose d’effrayant, puisque nos repères habituels ont disparus.

Bien sûr, difficile d’apprécier la performance des acteurs puisqu’elle est surjouée. Très théâtrales, les interprétations sont satisfaisantes, mais mention quand même pour un trio : Caligari (le docteur), Cesare (le somnambule) et le héros, qui de prime abord nous paraît normal mais s’avère être fou. Ils participent, eux aussi, à rendre le film obscur, à nous empêcher de donner une vision précise de l’histoire comme étant le récit d’un dément ou d’un être sombrant dans la démence.

Une œuvre remarquable en tout point, aussi importante cinématographiquement qu’historiquement, et qui démontre que de tous les mouvements qu’à connu le cinéma, l’expressionnisme était le plus esthétique.

Note : *****

samedi 25 novembre 2006

Les infiltrés (The Departed)


Martin Scorsese est un cinéaste exceptionnel : rares en effet sont ceux comme lui qui parviennent habilement à mélanger cinéma d’auteur et films de commande avec brio. Et si de nombreux doutes ont été émis quant à The Departed, il est temps de remettre les pendules à l’heure et se rendre compte que Scorsese est très loin d’être fini.

Reprenons un peu le point de départ : à ma droite, un flic intègre qui se retrouve infiltré dans le gang d’un dangereux parrain de la mafia ; à ma gauche, un voyou qui devient la taupe du dit mafieux, infiltré quant à lui dans les services de police. The Departed se la joue plutôt Heat en évitant un seul instant de se faire rencontrer les deux « héros » du film, et le récit s’articule surtout sur le principe de vengeance et la corruption des systèmes.

Un des thèmes mis en avant, et probablement le plus flagrant, est l’importance de la figure paternelle. Il s’agit là d’un élément récurrent dans ses films : l’artiste qui refuse d’assumer sa paternité dans New-York, New-York, Paul Newman en mentor dans La couleur de l’argent, Robert de Niro en modèle pour Ray Liotta et Joe Pesci dans Les Affranchis, Daniel Day-Lewis remplaçant le père tué de DiCaprio dans Gangs of New-York… Ici, les relations se nouent entre elles, et il existe trois relations distinctes : Damon/Nicholson, Nicholson/ DiCaprio et DiCaprio/Sheen. On peut aussi deviner, plus subtilement, une relation Whalberg/Sheen. Enfin, on ignore qui est le vrai père de l’enfant que porte Madeleine à la fin du film…Un deuxième thème est celui de la trahison. Ironie de la part d’un film de la sorte, chacun finit par trahir, d’une manière ou d’une autre, un proche : Collin Sullivan trahit Costello, car celui-ci l’a trahi en premier ; Billy Costigan fait de même ; l’infidélité de Madeleine ; la deuxième taupe du service de police. Pour rappel, chaque trahison à son importance sur la suite du récit, comme c’était déjà le cas dans, La couleur de l’argent, Les Affranchis ou encore Casino et Gangs of New-York. Autre élément récurrent : la femme fatale, celle qui provoque le déchirement entre personnages ou crée une situation de conflit. Si cette fois, elle n’est pas directement la source d’ennui, elle permet néanmoins à Costigan d’atteindre son but final, c’est-à-dire réduire la vie de Sullivan à néant.

Scorsese n’a jamais caché sa fascination pour la mafia et les bad guys. Comment oublier les petites frappes de Mean Streets, la bande des Affranchis ou le trio de Casino, sans oublier le mythique Bill le Boucher ? A nouveau, Scorsese dresse le portrait d’un méchant diabolique mais terriblement fascinant en la personne de Costello alias Jack Nicholson. Son mode de vie, son esprit cool, son argent, ses femmes et ses répliques cinglantes en font le personnage le plus attirant du film. Ce qui n’est pas le cas des deux personnages principaux, anti-héros jusqu’au bout à l’instar de ceux du Travis Bickle de Taxi Driver, du Jimmy Doyle de New-York, New-York, du Jake LaMotta de Raging Bull, du Rupert Pupkin de La valse des pantins ou du Howard Hughes de The Aviator. Pourtant, et c’est là que le bat blesse, Scorsese cède à la pression des producteurs en incluant une histoire d’amour vaseuse entre DiCaprio et sa psy, certes essentielle quant aux échanges de personnalités entre les personnages, mais rendue bien trop nunuche pour être crédible et, soyons francs, prétexte à une scène de cul un brin ridicule et totalement dénuée de sentiments.

Il convient aussi de noter les quelques petites références de Scorsese à ses propres films : à Taxi Driver notamment, lorsque Costello et Sullivan se donnent rendez-vous dans un cinéma porno (Costello ne comprend pas l’utilité d’un tel cinéma, mais c’est tout de même là qu’il se rend ; on se souvient de Travis Bickle et de ses virées nocturnes dans ces endroits…) ou encore à Casino, dont la réalisation est semblable mais aussi par une nouvelle utilisation du Gimme Shelter des Rolling Stones. Trois choses étonnantes vis-à-vis du style de Scorsese pour terminer : l’action du film ne se déroule pas à New-York mais à Boston, il ne s’agit plus de mafia italo-américaine mais irlandaise, et lors d’une scène Costello n’hésite pas à insulter et blasphémer des membres de l’Eglise…

D’un point de vue purement technique, le film est abouti : Scorsese surprend encore et toujours avec ses mouvements de caméras spectaculaires, et une fois n’est pas coutume offre une violence rarement vue à son film : à la manière d’un Tarantino, il en arrive à exagérer tellement les effusions de sang que le film ne choquent plus, que les spectateurs ne trouvent plus horrible que DiCaprio soit recouvert du sang de son supérieur mais seulement dégoûtant. Jamais il n’avait atteint un tel niveau de violence – ce qui rapproche encore plus The Departed de Casino, les ressemblances entre les deux films étant plus que frappantes. Mais Scorsese sait visiblement ce qu’il fait, et signe une série de plans magistraux, dont les compositions sont finement étudiées. Il n’hésite d’ailleurs pas à y insérer parfois une traite d’humour, comme lors du fameux plan final…

Enfin, Scorsese n’a rien perdu de son légendaire talent de directeur d’acteur : si l’on est en droit d’être déçu de la prestation de Matt Damon, trop léger pour être un méchant réellement convaincant, Leonardo DiCaprio s’en tireavec les honneurs et, quoi qu’il en dise, se rapproche de plus en plus de son ami Robret de Niro, dont certaines mimiques transparaissent malgré elles. Les seconds rôles (Mark Whalberg, Alec Baldwin, Martin Sheen et surtout Ray Winstone) sont très bons, et pourtant c’est bel et bien le vétéran Jack Nicholson qui remporte la palme, enfin de retour dans un rôle à sa mesure. Finis les grimaces et les gags à deux balles, il joue un Costello proche de l’incarnation du Mal absolu, d’une telle justesse et avec tant de magnétisme qu’il parvient à imposer sa présence tout au long du film, même lorsqu’il ne joue pas dans la scène. Une performance qui redore son blason de manière incroyable.

D’ores et déjà considéré comme le futur hit de Scorsese, son film le plus rentable (bien qu’il soit le plus important budget qu’il ait eu à ce jour), The Departed n’est pas qu’un simple film de commande respectant assez bien le film original : c’est aussi un film où le cinéaste a pu glisser son mot d’auteur. Et prouver qu’il reste encore et toujours l’un des plus brillants cinéastes de sa génération, voir même de tous les temps.

Note : ****

La Dolce Vita


En 1960, un film italien souleva un polémique incroyable lors de sa sortie. Outre son caractère libertin, le film était aussi d’un style nouveau, un peu déconnecté de la réalité, quelque chose de jamais vu auparavant, surtout de la part d’un cinéaste rôdé au cinéma social comme Federico Fellini. Et c’est ainsi que La dolce vita entra dans la légende du cinéma…

Il faut dire qu’après des films comme I Vitellonni, Il Bidone ou encore La Strada, on n’attendait pas une œuvre pareille du cinéaste, formé chez Roberto Rossellini de surcroît. La dolce vita marque pourtant la transition d’un style à un autre, d’un univers concret à un plus fantasmé. Le passage de l’un à l’autre s’opère délicatement mais inexorablement. C’est à ce moment-là que le public se divisera : il y aura les amoureux de Fellini, et ceux qui ne l’aiment pas. Aucune demi-mesure pour ce cinéaste devenu unique.

Comme dit précédemment, le film, qui se présente comme une dénonciation violente et très crue des moeurs contemporaines, souleva une vive polémique. Avant même que le film ne soit projeté durant le Festival de Cannes, de nombreux bruits courent concernant le caractère outrancier de l'oeuvre. Les milieux aristocratiques et ecclésiastiques s'indignèrent de son exubérance et de sa sensualité, le Vatican considéra même le long métrage comme pornographique et blasphématoire et faillit excommunier Federico Fellini. Il se défendit : "J'ai toujours déçu les amis et les journalistes en disant que la Rome de La dolce vita était une cité intérieure et que le titre ne comportait nulle intention moraliste ou dénigreuse : il entendait surtout dire que, malgré tout, la vie avait une douceur bien à elle, profonde et indéniable." Mais cela ne s’est pas arrêté là : en plus d’un événement cinématographique, le film est rapidement devenu un phénomène de mode : il a contribué à populariser les termes "paparazzi", (dérivé de Paparazzo, du nom de l'ami photographe de Mastroianni) et "dolce vita" (qui se souvient du titre français La douceur de vivre ?). Fellini s’amusait lui-même de voir le nombre de journalistes et autres qui le suppliait (voir lui proposait de l’argent) de les emmener découvrir les secrets de la Via Veneto ; lui qui leur disait ignorer comment y accéder n’osait pas imaginer leurs déceptions s’ils venaient à apprendre que tout cela n’était que le fruit de l’imagination de Fellini et non la réalité !

La narration du film est, pour l’époque, remarquable. Tout d’abord, rares étaient les films à atteindre une telle durée. Ensuite, La dolce vita n’est pas un film classique dans ce sens où il ne constitue pas une histoire en un seul bloc mais une suite de séquences indépendantes les unes des autres formant un tout cohérent. Fellini reprendra ce principe de « coupures » dans ses films à venir, ce qui deviendra un peu sa marque de fabrique.
Fellini crée également des images inoubliables : la scène, très érotique, dans laquelle Anita Ekberg se rafraîchit dans la fontaine de Trevi fait partie des plus grandes scènes du septième art ; l’orgie finale illustre la décadence comme Fellini l’affectionne et la remontrera dans ses films suivants ; enfin, le Jésus de pierre immense survolant Rome est mémorable.

La dolce vita marque aussi la première collaboration du réalisateur Federico Fellini et du comédien Marcello Mastroianni. Suivront cinq autres films : 8 ½, où Mastroianni n’interprète rien de moins que le double cinématographique de Fellini, Fellini Roma, La Cité des femmes, Ginger et Fred et Intervista, où il retrouve d’ailleurs Anita Ekberg à travers une séquence mémorable rendant hommage à la célèbre scène de la fontaine de La dolce vita justement… Il trouve ici un rôle sur mesure pour son talent, ce journaliste raté qui rêve d’autre chose, mais qui se complaît dans la décadence de son quotidien, passant par une multitude de sentiments, entre incompréhension et haine, envie et honte. Le film révéla aussi au grand public une actrice suédoise relativement méconnue jusqu'alors : Anita Ekberg. L'acteur américain Lex Barker, incarnation cinématographique de l'homme-singe Tarzan dans les années 50, apparaît en clin d'oeil. Federico Fellini rend également hommage au cinéma bis italien en donnant un petit rôle au comédien Jacques Sernas, qui incarne un jeune premier dans le long métrage. Enfin, Fellini fait déjà la part belle aux actrices, dont la plupart sont de fidèles collaboratrices du cinéaste : Anita Ekberg pour Boccace 70 et Intervista, Anouk Aimée pour 8 ½ et Magali Noël pour Satyricon et Amarcord.

Mais ce ne sont pas les seuls habitués : depuis son premier long métrage, Fellini confie la musique de ses films à Nino Rota, célèbre compositeur qui travailla également avec Luchino Visconti (Rocco et ses frères, Le Guépard) ou Francis Coppola (Le Parrain). Le compositeur travaille ainsi sur quinze films du réalisateur. Une collaboration qui dura près de 35 ans, et qui fut tellement fructueuse que l’on peut difficilement les dissocier l’un de l’autre.

La dolce Vita a enfin remporté à l'unanimité la Palme d'Or du Festival de Cannes 1960, devançant une concurrence pourtant très relevée qui comprenait notamment Ben-Hur, La Source et L' Avventura. Le film a en outre reçu deux ans plus tard l'Oscar des meilleurs costumes décerné à Piero Gherardi. Une œuvre qui a largement dépassé l’entendement, puisqu’elle est entré aussi vite dans le langage courant que dans la légende du cinéma. Rares sont les œuvres qui peuvent se vante d’en avoir fait autant.

Note : *****

mardi 21 novembre 2006

Short Cuts


L’un des plus ambitieux et des plus cinglants films de Robert Altman que ce Short Cuts.

En effet, le cinéaste renoue ici avec sa maestria scénaristique de sa grande époque (Nashville, entre autres) en racontant l’histoire non pas d’un personnage, non pas de deux, non pas de trois mais bien de 27 Américains issus de la middle-class.

Comme à son habitude, le réalisateur-auteur a trempé sa plume dans le vinaigre pour dénoncer ce qui ne va pas dans cette Amérique que l’on surestime trop souvent : adultères, drogue, violence, meurtres, alcoolisme, autant de travers de ces Américains moyens mis en évidence dans un récit-fleuve de trois heures.

Au niveau acteurs, Altman n’a pas fait les choses à moitié, preuve avec quelques noms choisis au hasard : Julianne Moore, Tom Waits, Madeleine Stowe, Matthew Modine, Jack Lemmon, Andie McDowell, Tim Robbins, Jennifer Jason Leigh, Chris Penn, Robert Downey Jr, Anne Archer, Fred Ward… Tous, bien qu’inégaux dans leurs interprétations, sont convaincants, si bien que l’ensemble des acteurs fut récompensé d’un prix d’interprétation à la Mostra de Venise en 1993, alors que le film recevait le Lion d’Or.

Au niveau de la réalisation, Altman reste fidèle à sa réputation de grand metteur en scène, jouant dignement et sobrement avec la caméra. L’étape la plus fabuleuse de ce film n’étant d’ailleurs pas le tournage mais plutôt le montage, c’est évident, car quoi de plus difficile que de traiter autant d’histoire différentes sans perdre le fil et confondre le spectateur ?

Le film peut ainsi se voir comme l’assemblage de petits courts-métrages, sauf que de temps en temps les personnages se croisent au gré du vent et selon la volonté de l’auteur. Auteur qui, par ailleurs, insère quelques données religieuses conférant au film une aura un peu mystique, comme si ces récits de convoitise, de jalousie et de morts n’était que des récits mystiques, devant servir de leçon au reste du monde ; ainsi, entre une ouverture sur une invasion de mouches néfastes au culture (qu’on pourrait très bien remplacé par une nuée de sauterelles) et une fin sismique métaphorique, comme si l’auteur avait voulu à travers ce séisme secouer ses personnages et par-là même nos propres esprits, les références pleuvent (comme tombèrent en trombe cette nuée de grenouilles dans Magnolia, librement inspiré de Short Cuts d’ailleurs, où les similitudes entre les deux films sont abondantes (Paul Thomas Anderson reste le plus fervent admirateur d’Altman…)).

Humour, dérision, noirceur, cruauté, authenticité : voilà autant d’éléments qui font que ces récits, qui se déroule en un peu moins d’une semaine, défilent à une vitesse vertigineuse, à tel point qu’une fois le film fini, on ne se rend pas compte qu’on vient d’assister à trois heures de bonheur cinématographique…

Note : ****

M*A*S*H


Le film qui révéla au monde entier le génie satirique de Robert Altman que ce M.A.S.H.

En fait, MA.S.H. signifie Mobile Army Surgical Hospital ; nous voici donc transporté en pleine guerre de Corée où une équipe de médecins soignent comme ils peuvent les blessés. Enfin, ça c’est dans la théorie ; en réalité, Altman attaque directement l’armée et le gouvernement à travers ce film antimilitariste qui bien que situé dans le début des années 50 rappelle fortement ce début des années 70 où les Américains souffraient au Vietnam.

Il faut dire qu’Altman a eu de la chance de tomber sur ce scénario ; selon la légende pas moins de 12 cinéastes avant lui le refusèrent !

Mais voilà, Altman s’est finalement retrouvé aux commandes et avec l’aide d’une poignée d’acteurs grandioses il a marqué de son empreinte le cinéma !

Il faut dire que pour un film de guerre, on voit tout sauf de la guerre ! Et les quelques effusions de sang que nous voyons n sont jamais que des blessés au bloc opératoires. Altman ne fait pas vraiment dans le sanglant mais plutôt dans le cinglant. La véritable force du film reste donc son humour permanent et acide, disséquant les rouages d’un système militaire où finalement peu de gens aiment être. Ou plutôt si, ils aiment, car c’est le paradis des joueurs et des adultères.

Dans leurs rôles, Elliott Gould et Donald Sutherland excellent, véritables clowns n’ayant aucun bon plan dans la caboche si ce n’est pour se divertir, se débarrasser de nuisibles ou rentrer chez eux. Il faut dire que les seconds rôles les soutiennent à merveille, et la direction d’Altman reste l’une des plus intéressante du cinéma américain.

Le scénario lui a réellement mérité son Oscar, véritable bijou de réflexion sur fond d’humour : entre le micro dans la tente de « Lèvres en feu », la levée du rideau de douche, le suicide du dentiste ou le match de football final, il est impossible de garder son sérieux ; jusque dans les mots le film est jubilatoire (« Messieurs, ne vous battez plus, n’oublions pas que nous sommes dans l’armée ! », référence indirecte au Docteur Folamour de Kubrick, autre film antimilitariste où l’on pouvait entendre Peter Sellers dire « Messieurs, on ne se bat pas dans la Salle de guerre ! ») ; le reste du temps, Altman attaque le racisme (l’interdiction de civils, même bébés, dans l’hôpital américain du Japon), le fanatisme et le rejet des responsabilités de morts (le personnage de Robert Duvall, lui aussi excellent), etc. On comprend dès lors un peu mieux pourquoi le film fut interdit de projection dans les camps militaires malgré toutes ses récompenses (Palme d’Or, 5 nominations aux Oscars dont Meilleur film…)

Au niveau de la réalisation, Altman est et reste brillant, réalisant un presque sans fautes dans sa mie e scène ; on regrettera juste un peu une meilleure photographie pour la séquence de nuit un peu trop sombre, même remasterisée pour le DVD…

Un immense chef-d’œuvre donc, le premier d’une longue série pour Altman, qui entrait voici 35 ans dans l’univers des cinéastes de légende ; aucun regret.

Note : *****

The Player


Un des films les plus prestigieux de Robert Altman que The Player.

Il faut dire que, d’un point de vue casting, Altman ne s’est rien refusé ; dans les rôles principaux : Tim Robbins, Whoopi Goldberg, Fred Ward, Vincent D’Onofrio et Sydney Pollack ; dans les rôles furtifs : Nick Nolte, James Coburn, Jack Lemmon, Andie McDowell, Malcom McDowell, Julia Roberts, Bruce Willis, Burt Reynolds, Cher, John Cusack, Brad Davis, Peter Falk, Scott Glenn, Jeff Goldblum, Patrick Swayze, Elliott Gould, Angelica Huston, Rod Steiger… Que du lourd !

Au niveau du scénario, Altman reste dans son style habituel : une comédie noire policière avec une intrigue qui n’est là que pour servir de prétexte à une étude sociologique approfondie. Ici, c’est Hollywood que le maître attaque, Hollywood la puissante, Hollywood l’avide mais certainement pas Hollywood le pays des rêves.

Tout commence donc avec ce producteur, Griffin Mill, qui reçoit de plus en plus de lettres de menaces. Décidé à stopper tout cela, il tue accidentellement un scénariste qu’il pense être l’auteur de ces menaces, sauf que ce n’est pas le cas…

Comme le dit Altman indirectement dans son film, le cinéma actuel ne doit pas ressembler à la réalité mais à un rêve : il doit y avoir du sexe, de l’action et un happy-end ; autant d’éléments qui viennent s’installer dans The Player… Car c’est là qu’on sent qu’Altman a pris son pied, à jouer les paradoxes entre fiction et réalité (ceux qui ont vu le film et sa fin comprendront ce que je veux dire…) si bien qu’on fini par ne plus savoir si ce à quoi on assiste est possible ou non…

The Player, c’est aussi l’hommage d’Altman au cinéma et aux films qui l’ont marqué : ainsi parle-t-on de La soif du mal, Sunset Boulevard, Un thé au Sahara, Casablanca, les films des années 40… tout comme ces cinéastes mythiques de John Huston à Frank Capra, d’Alfred Hitchcock à Orson Welles… A noter qu’Altman s’adapte aussi à ce qu’il énonce, exemple avec cette sublime scène d’introduction : alors que deux hommes parlent du plan d’ouverture de La soif du mal d’Orson Welles, un plan-séquence de six minutes essentiel au film, Altman fait de même en installant son décor et son récit dans une séquence d’ouverture de huit minutes, usant du même stratagème qu’Hitchcock dans La corde pour garder une cohérence de plans.

Ce qui est remarquable aussi, c’est le nombre de métaphores du film : un poisson mort se fait bouffer par des petits dans un étang du cimetière ; le bureau de Mill est décoré d’affiches de films au titre tel que Highly Dangerous ; Mill joue, peu de temps après la mort du scénariste, avec un requin en plastique appartenant à la veuve de l’écrivain, laquelle fascine Mill ; quand ils prennent un bain de boue, le genou de la veuve sort de la baignoire tel un cadavre sortant de la terre, et c’est à ce moment-là que Mill qui pensais être tranquille voit les ennuis revenir à la vie, les apparitions très courtes des vedettes pour souligner la situation éphémère de leur statut et de leur gloire… Ceci sont des exemples parmi tant d’autres, sans tenir compte d’un final satirique et ironique à souhait.

Bien sûr, il convient de souligner la qualité des acteurs et de la mise en scène de Robert Altman, lequel sera récompensé ainsi que Tim Robins au Festival de Cannes en 1992…

En ce qui concerne l’attaque d’Hollywood, il faut dire que sans être particulièrement agressive elle fait très mal : alors que Mill ne mériterait rien d’autre qu’une sentence, il sort vainqueur du film et ce sont les innocents qui en souffrent : son ex-petite amie se fait virer, son rival va certainement subir le même sort avec son dernier film, Griffin Mill s’en sort blanc comme neige et par dessus le marché se tape la veuve de sa victime… Une morale acide qui dit que dans la vraie vie comme au cinéma, ce ne sont pas toujours ceux qui le mériterait qui s’en sortent…

Une véritable bombe donc, merveille cinématographique signée par ce réalisateur de génie qu’est Altman et interprété par un des plus grands castings de tous les temps : splendide !

Note : *****

John McCabe (McCabe & Mrs. Miller)


Western d’anthologie et second chef-d’œuvre d’une longue liste pour Robert Altman que ce John McCabe.

Fort de son succès critique et public avec M.A.S.H., Robert Altman pouvait alors décider de ses nouveaux projets, du moins insufflé à ceux qu’on lui proposait sa propre vision des choses. Le coup de grâce fut accordé par Warren Beatty qui rêvait non seulement de tourner avec sa compagne d’époque (Julie Christie) mais aussi avec Robert Altman. Ainsi naquit John McCabe.

Voici donc lancé ce western mettant en scène un joueur de poker qui décide d’ouvrir son saloon, lequel servira de lieu de rassemblement pour poivrots, joueurs et accessoirement de bordel.

Le génie du film, et le génie d’Altman par la même occasion, est de refuser le conventionnalisme des genres : John McCabe, c’est un peu l’antithèse des westerns. Il faut dire qu’à l’époque, impossible de revenir à un schéma classique style John Ford ; reste donc à Altman la route violente dominée par Peckinpah ou la route italienne tracée par Leone. Altman lui refuse ces deux voies et crée la sienne, et c’est tant mieux ! Fini les duels au soleil, les serpents à sonnettes en dessous des cactus, les grandes attaques de banque, les vengeances sous un soleil de plomb accompagnée d’une musique à l’harmonica, la course après un magot ou la fin d’une époque ; dans John McCabe, on quitte les déserts pour les montagnes, le soleil pour la neige, les héros tireurs d’élite pour un petit magouilleur qui ne cherche qu’à gagner de l’argent.

Dans John McCabe, ce son tous les travers de l’Amérique naissante qui sont dépeints : la lâcheté humaine, le mépris de la vie, la misogynie, la naissance du capitalisme… Autant de thèmes qu’Altman aborde avec son génie satirique habituel.

D’un point de vue interprétations, il faut dire qu’on est gâté : le duo Beatty-Christie est tout simplement remarquable ! Charismatique l’un indépendamment de l’autre, les quelques confrontations entre eux n’en deviennent que plus mémorables, jubilatoires, mythiques. Pourtant, ce fut le plus gros souci d’Altman, tant leurs styles de jeu étaient différents : Christie était excellente dès la première prise, mais Beatty s’améliorait de prise en prise lui. Le perfectionnisme de Beatty et son souci de tout savoir sur tout plomba un peu l’ambiance du plateau, Altman finissant par se venger dans la scène finale où Beatty tournait dans la neige : une scène répétée près de 25 fois…

Concernant la réalisation, on assiste à la même démonstration de talent : Robert Altman est un génie et il le prouve ! D’abord par cet atmosphère qu’il distille, cette ambiance à la fois familiale mais malsaine où en vérité c’est chacun pour soi et tant pis pour les autres ; tout le monde n’est pas comme ça mais bon. Ensuite viennent les chansons de Leonard Cohen, à la fois mélancolique et crépusculaire, symbolisant la mort d’une époque, celle du grand Ouest ; à noter aussi la corrélation entre le temps et la météo (la neige symbolisant l’hiver, lui-même symbolisant la mort de toute chose donc de l’Ouest et de sa grande époque). Enfin, Altman réalisa surtout un travail précis au niveau du son et de l’image : il obligea en effet son chef op’ à vieillir l’image en lui donnant un aspect jaunâtre, histoire de faire plus réaliste ; même chose pour les sons extérieurs, quasi-inaudibles, qu’Altman refusa de retoucher.

Un film fantastique donc, chef-d’œuvre du genre et du cinéaste déjà iconoclaste et assez irrévérencieux pour chambouler les codes du genre ; on l’en remercie.

Note : ****

Prêt-à-porter


Une assez grosse déception de la part de Robert Altman que ce Prêt-à-porter.

Soyons sympas, commençons par les qualités du film, qui se résument en deux mots : mise en scène et casting.

Tout d’abord, honneur au casting : Marcello Mastroianni, Sophia Loren, Kim Basinger, Chiara Mastroianni, Forest Withaker, Stephen Rea, Jean-Pierre Cassel, Anouk Aimée, Rupert Everett, Rossy De Palma, Lili Taylor, Tom Novembre, Richard E. Grant, Julia Roberts, Tim Robbins, Lauren Bacall, Tracey Ullman, Linda Hunt, Danny Aiello, Jean Rochefort, Michel Blanc, François Cluzet… Entre autres. Plutôt honnête non ? Et il faut dire que, dans l’ensemble, on a rien à regretter, entre un Mastroianni espiègle, une Sophia Loren qui reste un fantasme absolu, une Basinger qui joue très bien les journalistes incompétentes, un Withaker extra en créateur un peu underground, un Stephen Rea qui joue la vedette à la Gainsbourg… Bref, que du lourd réellement capable de quelque chose.

Puis il y a quand même la mise en scène de Robert Altman, génie et maître absolu du film choral (Nashville, Un mariage, Short Cuts…) à petite tendance anarchiste à vouloir toujours peindre avec un peu d’acide le portrait d’un milieu ou d’une société. Prince de la caméra, ce n’est pas à lui qu’on apprendra à manipuler le matériel, et les plus attentifs remarqueront encore cette fois quelque mouvements de caméra digne de ce chef d’orchestre incontestable.

Où est le problème alors ? Et bien tout simplement dans le scénario. Ce n’est pas bien grave me direz-vous, dans la mesure où il y a un tel casting dirigé par Altman. Justement, c’est parce que c’est Altman qui dirige un tel casting que c’est offensant.
Altman, qui nous avait habitué à du bon et du moins bon il est vrai, mais toujours à une vision incisive, semble vouloir s’attaquer au monde de la mode avec force et violence mais, en cours de chemin, décide de stopper et de faire un petit film pour les amis acteurs avec ci et là une petite attaque mais rien de bien méchant. De grosses erreurs.

Tout d’abord le casting, certes très appétissant, est une arme à double tranchant : autant d’acteurs inutiles ! Que viennent faire les récits de Danny Aiello et de Tim Robbins et Julia Roberts ? Où est donc passée l’enquête menée par Rochefort et Blanc pour retrouver Mastroianni accusé du meurtre de Cassel ?

Le film a donc cette fâcheuse tendance de partir dans tous les sens, on ne sait trop pourquoi, et d’utiliser la plupart des acteurs à mauvais escient. On aurait préféré plus de Mastroianni, plus de Rochefort et Blanc… Plus, plus pour des acteurs qui en valent vraiment la peine. En dépit, reste quelques apparitions fulgurantes de comédiens sans doutes avides de travailler avec Altman qui n’a pu refuser.

Il y a aussi ce problème de scénario, qui n’apporte rien de neuf sur le sujet ; quand on s’appelle Altman, on a pas droit à une telle erreur. Après les démystifications dues à M.A.S.H., John McCabe ou encore The Player, on est en passe d’attendre un coup de marteau dans la façade d’un univers sombre. Au final, on en apprend plus en lisant Voici qu’en regardant ce film, qui tout au plus sous-entend que, dans la mode, tout le monde couche avec tout le monde. Où sont les dérives, la drogue, la mafia, le sexe à outrance (et pas furtif comme ici) ? Et encore, il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg, en creusant un peu on peut trouver bien plus glauque, une vraie matière à film à scandale. Je vous éviterai aussi le final, bourré de bonnes intentions mais qui semble bien fade, et surtout ce plan final inutile, presque ringard.

Un film bien mou pour un cinéaste aussi incisif habituellement, et un casting flamboyant bien mal employé ; heureusement qu’Altman s’est rattrapé par la suite, prouvant que ce souffle à sa filmographie n’était que passager…

Note : **

Beyond Therapy


Robert Altman est réellement un cinéaste atypique. Marginal, il a évolué au sein d’Hollywood en la méprisant ; égocentrique, il multiplie les personnages dans ses récits ; d’un talent immense, il a réalisé quelques navets. Hélas, Beyond Therapy en fait partie.

Il y avait pourtant matière à du bon : des acteurs doués, un scénario un rien vaudevillesque qui pouvait à tout moment basculer dans le tragique… Mais on ne sait pourquoi, Altman s’est senti l’envie de partir dans tous les sens. Mais le désordre exige un minimum de rigueur.

Au niveau mise en scène, aucun gros problème, Altman sait ce qu’il fait. Oui mais le hic, c’est qu’il est le seul ; très rapidement, tout devient brouillon, voir dérangé, comme si on tentait de mélanger l’absurde et le réel. Autant dire que l’équation n’est pas des plus stables. Les scènes se suivent et ne se ressemblent pas, mais si la continuité est là le raisonnement n’y est plus. Tout au mieux Altman se moque des psys, bien plus timbrés que leurs patients. Après, bonne chance à celui qui voudra comprendre le scénario.

A supposer même qu’il n’y en ait pas, qu’importe. Mais on prétend que si, il y en a un. Alors soit, mais on se demande si Altman et Durang n’avaient pas consommés quelque chose de pas très frais avant d’écrire. Ont-ils eux-mêmes compris ce qu’ils voulaient dire ? Toujours est-il que le rythme est plat, les répliques soit sans vie soit pas drôles du tout, et il devient au fil du temps impossible de réellement se repérer.

Dommage pour les acteurs qui, déboussolés, sont à côté de leur pompes. Peut-être peut-on épargner Jeff Goldblum, Geneviève Page et un peu de Christopher Guest, mais pour l’ensemble ça foire, très méchamment. Même eux ne donnent plus envie de suivre l’action.

Il y a bien peu à dire sur Beyond Therapy, sans doute parce qu’il y a bien peu à comprendre et à apprécier. Comme si, le temps d’un film, la magie Altman avait disparu, son style s’était figé et aurait décontenancé tout le monde. Si tel est là le but du film, je retire tout ce que j’ai dit ; mais je pense plutôt qu’Altman a tenté une approche à la Woody Allen de la psychanalyse et des relations amoureuses tordues ; raté Bob.

Note : *

samedi 18 novembre 2006

L'exorciste (The Exorcist)


Dès leur sortie, certains films d’horreur sont dépassés, prévisibles, ridicules. Et puis il y a ceux qui traversent les âges avec plus ou moins de panache, qui ont marqué le genre et sont devenus des références incontournables. L’exorciste fait partie de cette dernière catégorie.

Il faut dire que le film n’a rien d’ordinaire. Tout d’abord, il a eu un mal fou à démarrer, ne trouvant personne pour le réaliser : Stanley Kubrick, premier choix des studios, refusa, Arthur Penn fit de même car il enseignait à Yale, Mike Nichols lui ne voulait pas risquer sa carrière sur la performance d’une fillette de 12 ans, Bogdanovich n’y trouva pas son compte et John Boorman ajouta qu’il ne s’agissait là que de « torture d’enfant » (à noter que Boorman dirigera la suite, L’exorciste : l’hérétique). Finalement, ce fut William Friedkin qui fut choisi, d’une part pour son franc parlé (il avait qualifié un scénario de Blatty de « plus grosse merde que j’ai jamais vue de ma vie ») d’autre part pour le succès de French Connection. Puis vint la difficulté des acteurs : Friedkin pensa un temps à Gene Hackman pour le rôle du Père Karras, puis à Marlon Brando mais l’idée fut vite abandonnée, estimant qu’il s’agirait alors non plus e son film mais du film de l’acteur (une touche d’humour pousse néanmoins le policier à comparer le Père Karras à Brando dans Sur les quais !) ; c’est finalement Jason Miller, illustre inconnu, qui remporta le rôle. Du côté des actrices, Jane Fonda, Shirley MacLaine, Audrey Hepburn, Anne Bancroft et Geraldine Page furent envisagées ou sollicitées, avant que le rôle n’échoue à Ellen Burstyn, quasiment débutante elle aussi. Le casting de Linda Blair fut en revanche plus… spécial (voir Le Nouvel Hollywood, Peter Biskind, ed. Le cherche-midi)

Le tournage ne fut pas non plus de tout repos. Non seulement il dépassa le temps prévu et atteint plus de 200 jours de tournage, mais Friedkin fut un véritable tyran et les conditions de tournage furent éprouvantes. Pour obtenir ce qu’il voulait de ses comédiens, Friedkin n’hésita pas à les menacer d’une arme ou à les gifler ; il fit réfrigérer la chambre de Linda pour obtenir l’effet qu’il désirait, et ne manquant pas d’humour voulu faire venir un prêtre pour exorciser le plateau avant le tournage (ce qui fut refusé, même si l’un d’eux donna la bénédiction à l’équipe) ! Soucieux d’être authentique, il n’hésita pas à filmer Ellen Burstyn s’étant briser le dos lors d’une scène difficile et de capter au mieux sa souffrance ! Au rayon bizarrerie, on notera quand même l’incendie mystérieux du plateau un week-end, et la mort de Jack MacGowran et Vasiliki Maliaros avant la première du film…

Une autre anecdote veut que l’affiche originale du film fut celle où l’on voyait la main de Linda tenir le crucifix ensanglanté avec le headline : « God help this girl ». Friedkin, dans un moment de lucidité, refusa cette affiche, vis-à-vis du mot « God »… Toujours est-il qu’avant même sa sortie, le film provoquait le scandale. Par après, il devait devenir l’un des films les plus polémiques de tous les temps : l’Eglise se dressa contre cette injure (un prêtre affirma même que le démon avait pris possession de la pellicule du film), les plaintes furent déposées par centaine, des crises d’angoisses étaient quotidiennes et de nombreuses personnes contactèrent l’Eglise disant être elles aussi « possédées » depuis le film… Il ne faudrait pas douter de l’ampleur qu’aurait eu une scène coupée où l’on apprenait que le deuxième prénom de la jeune fille possédée était… Teresa.

Mais tandis que Linda Blair devait être protégée par des gardes du corps constamment pendant six mois, le film explosa le box-office, à la manière du Parrain sorti auparavant, et remporta en 1973 l'Oscar du Meilleur Scénario et celui du Meilleur Son (il fut aussi nominé pour les catégories Meilleur Film, Meilleure Réalisation, Meilleure Actrice, Meilleure Actrice dans un second rôle, Meilleur Acteur dans un second rôle, Meilleure Direction artistique, Meilleure Photographie et Meilleur Montage). Ce film, considéré comme le film pour adulte le plus cher de tous les temps, et interdit pendant 14 ans en Grande-Bretagne, devait devenir selon le Entertainment Weekly le « film le plus effrayant de tous les temps ».

Quand est-il à l’heure actuelle ? Eh bien le film a vieilli, ne faisant plus aussi peur qu’autrefois, certaines séquences prêtant même à sourire. Comment avoir peur, au troisième millénaire, d’une fillette déblatérant des insultes et vomissant de l’épaisse soupe de pois verts ? Bien que basé sur un « fait réel » (le cas de possession d’un enfant de 13 ans aux USA), 30 années ont suffit à nous blaser d’un tel phénomène, même si l’on surfe toujours sur la mode avec des films comme L’exorcisme d’Emily Rose ou An American Haunting.

Néanmoins, le film possède des qualités bien supérieures, tant techniques que morales. Si le récit est surtout un défouloir pour Blatty – et Friedkin – vis-à-vis de leurs mères défuntes, le film fut âprement critiqué par les femmes et les intellectuels. Pourquoi ? Car la sexualité féminine était associée au démon (la masturbation avec le crucifix), qu’une bande de prêtres s’acharnent à détruire par la violence. Et ce ne sont pas les psychiatres et les médecins, incompétents, qui parviennent à l’aider. Néanmoins, on peut douter d’une certaine tendance de droite qui vampirise le film : en cas de coup dur, c’est vers l’Eglise qu’il faut se tourner, et c’est dans une famille brisée que prend place le Démon, seul être masculin de la famille si l’on peut dire ; les familles unies et qui ont la foi seront donc épargnées. Amen.

Le film représentait également un défi technique que Friedkin a relevé avec brio. D’une part il fallait donner au film un cachet inédit, ce que fit le cinéaste en optant pour une mise en scène proche du documentaire et en optant pour un éclairage et cadrage spécifiques, d’autre part il fallait réaliser des effets spéciaux saisissants mais réalistes pour l’époque, comme les objets volants dans la pièce. C’est en évitant la surenchère, en minimisant les effets pour privilégier l’ambiance que Friedkin a fait de L’exorciste un modèle du genre. Outre le travail énorme sur le son (tant au niveau bruitages que musique, effets sonores ou simplement silences), qui contribua grandement à flanquer la trouille au public, Friedkin composa des plans qui restent encore dans nos mémoires : le lent travelling en contre-plongée vers la porte de la chambre, la statue du démon Pazuzu avec le soleil derrière ou encore l’arrivée du Père Merrin, éclairé par un réverbère dans le brouillard et qui servit de modèle à l’affiche finale.

C’est aussi le film de Linda Blair, étonnante pour son âge, qui joua tellement bien son rôle qu’elle fit perdre la mémoire à Max Von Sydow le premier jour de tournage. Jason Miller en prêtre torturé reste convaincant, et Ellen Burstyn en fait parfois un tout petit peu de trop pour vraiment nous séduire. Mais, finalement, qu’importe, puisque nous sommes là pour le démon.

L’exorciste a vieilli, certes, mais reste indémodable : les thèmes qu’il aborde et les innovations techniques qu’il a apporté au cinéma ont contribué à faire entrer ce film non seulement dans la légende des films d’horreur, mais aussi dans la légende du cinéma…

Note : ****

dimanche 12 novembre 2006

La nuit américaine


François Truffaut était plus qu’un cinéphile : c’était un amoureux du cinéma. Entendez par là que pour lui, rien n’était plus important dans la vie que le septième art (la vie elle-même était difficilement supérieure). Dès lors, rien d’étonnant qu’il ait voulu lui déclarer publiquement sa flamme avec La nuit américaine.

La mise en abyme est flagrante : un cinéaste tourne une histoire d’amour tragique avec son acteur fétiche, aidé par sa fidèle script-girl. Plus que Ferrand tournant Je vous présente Paméla avec Alphonse et Joëlle, c’est bien de Truffaut tournant avec Jean-Pierre Léaud et soutenu par Suzanne Schiffman. A ce propos, nombre de techniciens ont remerciés Truffaut d’avoir rendu hommage à leur travail, mais c’est surtout avec ce film que le public a pris conscience du rôle de la script-girl. D’autres, en revanche, accusèrent Truffaut d’avoir brisé la magie du mystère du cinéma…

Que cela ne tienne, le résultat est là : Truffaut déclare sa flamme au septième art, et il le fait admirablement. Une sorte de 8 ½ dans lequel Truffaut avoue son amour des acteurs, replace ses phrases fétiches (« Un tournage de film s’apparente à un trajet en diligence au far west : d’abord on espère faire un bon voyage, et puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination ») tout en s’inspirant des films préexistants sur le monde du cinéma et que Truffaut adorait (Les ensorcelés de Minnelli, Chantons sous la pluie de Donen, Le mépris de Godard) et d’anecdotes vécues par le cinéaste lui-même. En résulte un ensemble de saynètes formant un tout cohérent, le tournage et ses (més)aventures quotidiennes.

Il est amusant de voir combien d’acteurs ont été révélés avec ce film : Nathalie Baye, dans le rôle à peine caché de Suzanne Schiffman, Bernard Menez en accessoiriste, Jean-François Stevenin (qui était réellement l’assistant de Truffaut sur le film) ou encore Dani. Du côté des têtes d’affiches, Truffaut retrouve Léaud, dans un rôle finalement proche d’Antoine Doinel (le grand gosse rêveur, romantique et gaffeur) mais aussi un casting international puisque se trouvent aussi là Jean-Pierre Aumont, ayan vécu à Hollywood, Jacqueline Bisset ou encore Valentina Cortese. Ce melting pot s’explique sans doute par la volonté farouche de Truffaut de renouer avec le succès public après les échecs consécutifs de Les deux anglaises et le Continent et Une belle fille comme moi. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça a marché.

De son côté, Truffaut reste fidèle à son style, tant au niveau des mouvements de caméra (et, bien entendu, à la musique de Georges Delerue, une fois encore superbe) que des thèmes : si on assiste bel et bien à un tournage, des éléments comme l’amour, la mort, l’enfance viennent couramment ponctué le récit de leurs présences. Il y a aussi ces éternelles références aux maîtres de Truffaut : Renoir, Cocteau, Hawks, Hitchcock, Welles, Rossellini, Bunuel, Dreyer, Lubitsch, Bergman, Godard ou encore Bresson. Il y a pourtant un élément frappant dans cette Nuit américaine : la paternité. De l’actrice enceinte et dont ignore le nom du père, à Jean-Pierre Léaud qui tue son père dans Je vous présente Paméla, en passant par Jacqueline Bisset qui épousé un homme qui pourrait être son père – et s’enfuit avec son beau-père dans le film. Est-il besoin de rappeler que Truffaut est né de père inconnu ? Quant à la figure maternelle, elle est représentée par Valentina Cortese (alcoolique car angoissée pour son fils leucémique) soit par le nom de Julie Becker (dont la mère était une actrice célèbre).

A sa sortie, le film aura un succès critique et public. Projeté à Cannes hors compétition, le film séduira la critique, mais c’est surtout à l’étranger que le film sera acclamé : nominé quatre fois aux Oscars, il remportera celui du Meilleur film étranger en 1974 ; il recevra trois British Awards (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Actrice de second rôle pour Valentina Cortese) et les même récompenses seront offertes par la National Society of Film Critics Awards et New York Film Critics Circle Awards, avec en prime deux nominations aux Golden Globes (Meilleur film étranger et Meilleure Actrice de second rôle pour, à nouveau, Valentina Cortese). Rares sont les films à avoir reçu autant d’honneur.

Pour terminer, donnons la parole à François Truffaut/Ferrand : « Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y pas d’embouteillages dans les films, pas de temps morts. Les films avancent comme des train, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail… dans notre travail de cinéma ». Et nous, cinéphiles, vous le saviez, nous étions faits pour être heureux en regardant vos films. Merci monsieur Truffaut.

Note : *****

mardi 7 novembre 2006

Scoop


Avec Scoop, Woody Allen était forcément attendu au tournant : des dernières années cinématographiques mitigées, un Match Point qui divisa… Alors, Scoop va-t-il enfin réunir les vieux fans et les nouveaux amateurs du cinéaste ? Réponse impossible à dire.

Il y a de toute évidence une relation continue avec ses précédents films : si Match Point sentait le Crimes et délits, il va s’en dire que Scoop flaire bon le Woody policier : Meurtre mystérieux à Manhattan, Escrocs mais pas trop ou encore Le sortilège du Scorpion de Jade sont autant d’éléments qui transparaissent dans ce film. Il s’explique sur cet amour de ce genre de film : « J'ai pensé à ces histoires policières, parfois comiques, mais le plus souvent sérieuses, qui me plaisaient quand j'étais plus jeune : la série L'Introuvable avec William Powell et Myrna Loy, certaines comédies avec Bob Hope, sans oublier de nombreux films d'Hitchcock. Dans ma filmographie, un de mes films préférés est Meurtre mystérieux à Manhattan. Dans ce registre particulier, la comédie est sans doute un peu moins efficace que le drame, mais je n'y peux rien : Scoop est une comédie, et souhaitais un ton léger, avec même quelques touches de bouffonnerie. C'est le genre de film que j'aime voir et tourner. Je peux seulement espérer que le public partagera ce plaisir. »

Bien qu’il soit un vieux projet, Scoop n’est pas le scénario le plus élaboré de l’auteur : il s’agit même d’une histoire très simple. N’espérez donc pas trouver ici une œuvre à multiple niveaux de lecture, mais un simple divertissement sans prise de tête. Woody en profite pourtant pour nier le fait qu’il serait devenu angoissé par la mort : ici, l’un des héros est tout simplement un esprit ! Il est même amusant de voir comment Allen imagine le passage vers l’au-delà, mélange de croyance chrétienne et de mythologie grecque (la traversée du Styx avec la Mort en longue cape et sa fidèle faux) alors qu’il n’est pas de cette origine ; sans doute une manière supplémentaire de s’intégrer à l’esprit européen…

Car c’est définitif, Woody change de style : exit New York, le jazz et Freud, bonjour Londres, le classique et l’ironie de la vie. Certains diront que c’est triste (et on peut les comprendre), d’autres (dont je fais partie) verront dans ce changement un plaisir : quoi de mieux qu’un cinéaste qui opère un tel virage à ce stade de sa carrière ? Désormais, Woody sait qu’il n’a définitivement plus rien à prouver, et s’amuse à faire les films qu’il veut comme il veut. Même ses personnages évoluent : la femme reste le point central de l’histoire mais n’est plus le centre de relations tendues (mais plutôt ici douteuse et risquée), et Allen cède désormais la place du séducteur pour se concentrer sur celle du comique. En ressort, ici en l’occurrence, un triptyque équilibré et d’une force cinématographique remarquable.

Et c’est tant mieux, car Woody, libéré du rôle principal (et ayant enfin trouvé sa place quand il n’est pas sur le devant de la scène, contrairement à avant), se concentre sur sa réalisation : photo soignée, répliques cinglantes de retour (« Je suis né de confession hébraïque, mais j'ai vite migré vers le narcissisme ») et grand soin apporté aux détails qui font la différences. Les décors évidemment, mais aussi la musique : est-ce un hasard d’entendre, outre le rythmé Strauss et l’ironique Tchaikovsky, le In the Hall of the Mountain King de Grieg, le même air que dans M le maudit qui parlait déjà d’un tueur en série ? Ce n’est pas là le seul hommage, le film rendant gloire au journalisme d’investigation et aux films ayant eu rapport avec ce métier, dont Les hommes du Président qu’Allen cite explicitement dans une scène irrésistible (« Je suis du Washington Post. Je vous assure ! Vous vous souvenez des Hommes du Président ? Eh bien j’étais le plus petit ! »). Jouissif.

Le pire, c’est qu’avec tout ça Woody reste un directeur d’acteur formidable, et sa nouvelle muse Scarlett Johansson semble être bien partie pour quelques films vu ce qu’il pense d’elle. Il faut dire qu’elle est remarquable en journaliste un peu cruche, Woody abusant plus de son humour que de son physique avantageux. On n’est plus au niveau de l’interprétation de Match Point, mais on n’en reste pas loin. Face à elle d’ailleurs, Hugh Jackman est un dandy un peu trop coincé pour être réellement convaincant, bien que le changement radical de registre mérite quelques applaudissements.

Un Woody plus que digne d’intérêt, mélange d’ancien et de nouveau style de l’auteur, certes simple mais jubilatoire de bout en bout, tellement qu’on y retournerait presque de suite le revoir. Oh et puis zut, j’y vais de ce pas !

Note : ****

jeudi 2 novembre 2006

Django (I crudelli, Johnny Oro, un dollaro a testa)


Le western spaghetti fut certainement un des genres les plus prolifiques en son temps. Nombreux sont ceux qui ont tenté de suivre le sillon tracé par maître Leone, sans succès la plupart du temps. Un film a pourtant bien failli y arriver : Django de Sergio Corbucci.

Très vite, les choses se font claires : Django est un ersatz presque avoué de Pour une poignée de dollars. Deux clans qui se font la guerre (des blancs et des Mexicains évidemment), un mercenaire au milieu bien décidé à les anéantir l’un comme l’autre, une malheureuse qui tente désespérément de fuir, un tenancier de saloon comme ami du héros… On ne compte plus les éléments qui sont inspirés du film de Leone. Et malgré l’envie de Corbucci de s’en détacher, en ajoutant une histoire de vengeance et de trésor, la comparaison est là et douloureuse.

D’autant que malgré ses efforts, Franco Nero ne parvient pas à faire oublier Clint Eastwood, là aussi sans doute parce que la ressemblance entre les personnages est flagrante. Pourtant, Nero est peut-être encore le seul qui puisse dire se débrouiller convenablement, les autres acteurs n’étant pas, si pas mauvais, des plus convaincants.

La réalisation de Corbucci en elle-même n’est pas mauvaise. On peut même dire qu’elle contient quelques bonnes idées (Django traînant partout avec lui un cercueil…) et que le cadrage est approprié au film. Oui, de ce côté-là, Corbucci a bien compris les éléments qui composent un bon western spaghetti, et les applique à la lettre. A nouveau, c’est dommage que l’influence de Leone soit si forte car il existe bien quelque chose dans ce film, une personnalité de la part du cinéaste qui, avant Leone même, joue le duel final dans un cimetière, scène symbolique s’il en est.

Saluons quand même, un instant, la b.o. de Luis Bacalov, artiste dans l’ombre de Morricone qui crée une partition, si non mémorable, du moins agréable à entendre. Un compositeur trop vite oublié et qui mérite amplement d’être redécouvert (la musique western dans la scène dessin animé de Kill Bill, c’est lui !)

A noter que le film sera un tel succès qu’il donnera naissance à toute une série de films, avec des réalisateurs et acteurs différents à chaque fois mais dont Django reste le héros (Bravo Django, Django porte sa croix, Avec Django la mort est là (probablement le plus connu après Django), Django ne prie pas et Django & Sartaba). Aucun, cependant, n’atteindra le niveau de Django premier du nom…

Un film qui, hélas, se situe trop dans l’ombre de son aîné pour réellement nous éblouir. Il ne faudrait tout de même pas le sous-estimer pour autant, et se dire que dans le genre, excepté Leone qui le domine, c’est l’un des films phares.

Note : **

dimanche 29 octobre 2006

Les Duellistes (The Duellists)


Le premier film est souvent un exercice périlleux. Même de très grands comme Kubrick s’y sont plantés ; et puis il y a ceux comme Ridley Scott qui, du premier coup, signent une œuvre superbe, un chef-d’œuvre !

En effet, Les duellistes ouvre la filmographie de Scott avec brio : film historique d’une très grande beauté (on songe parfois à Barry Lyndon, notamment certains extérieurs), dirigé d’une main de maître et avec, en toile de fond, une critique de la vanité de l’Homme.

Inspiré d’une œuvre de Conrad, le film est tout d’abord sidérant par le soin apporté à l’image. On le sait, Scott est un cinéaste visuel (Blade runner, 1492 : Christophe Colomb) doublé d’un amateur de fresques historiques (Gladiator, Kingdom of Heaven), et déjà à ses débuts (enfin, presque ses débuts) il prouve qu’il est un cinéaste aussi doué qu’un peintre. Jouant avec la lumière et les contrastes, Scott mise tout sur la beauté de son film, des décors naturels aux costumes napoléoniens. Et il fait bien car un film aussi beau donne envie de voir la suite…

Et on n’est pas volé par la suite : le scénario, par exemple, parvient à partir d’une idée très simple à décrire tout un contexte historique (la période napoléonienne). Si on assiste à aucune bataille, l’esprit d’une Europe en guerre est très bien rendu, et les scènes sur le front russe sont d’un réalisme étourdissant. Le scénario est aussi prétexte à une critique de l’ego parfois surdimensionné de l’Homme, qui le pousse à lutter à mort dans des duels pour des questions d’honneur, mais dont on oublie parfois la raison initiale, comme ici…

Le film st également porté par ses deux interprètes principaux, à savoir Harvey Keitel et surtout Keith Carradine, véritable héros de cette histoire, tiraillé entre l’amour, la guerre et la nécessité de se battre pour ne pas être déshonoré… Remarquables, ils le sont tellement qu’ils en viennent à presque effacer le reste du casting.

Scott porte aussi un soin tout particulier à la reconstitution. Visiblement déjà adepte de la fresque historique, chaque costume, chaque décor est soigneusement étudié pour sembler réaliste, tout en s’intégrant dans un esprit d’esthétisme absolu. Rarement d’ailleurs un film historique aura été aussi beau et aussi travaillé (oserait-on dire qu’il est le meilleur film du genre après Barry Lyndon ?).

Un premier film surprenant donc, puisque très abouti et extrêmement travaillé d’un point de vue de l’image, autant que le scénario et les comédiens sont excellents. Scott démarrait sur les chapeaux de roue avec ce film, et vu ce qui a suivi, le cinéma ne s’en jamais réellement plaint…

Note : ****

mardi 24 octobre 2006

Shadows


Premier film de John Cassavetes en tant que réalisateur, Shadows allait faire bien plus que révéler un cinéaste iconoclaste et original : il allait surtout devenir une référence incontournable du cinéma américain indépendant !

Tour à tour réalisateur, scénariste et monteur, Cassavetes réalisa ce film dans un but (certes mégalomane) bien précis : offrir quelque chose de nouveau au public mais également aux professionnels du cinéma. Il faut dire que Cassavetes n’avait rien de conformiste : pour lui, les contraintes d’un tournage devait être effacées pour offrir un film sincère. Il faut savoir que, vis-à-vis du cadrage et des éclairages, un acteur doit respecter un champ d’action ; selon Cassavetes, les acteurs attachaient plus d’attention à leurs mouvements qu’à leur jeu et leur texte. Pour lutter contre ça, Cassavetes orienta sa mise en scène selon les acteurs ; autrement dit, ce n’est plus la mise en scène qui dirigeait les acteurs, mais l’inverse.

Ce n’est pas là la seule nouveauté du film. Le deuxième point, assurément le plus troublant mais le plus plaisant, est que le film n’est en fait qu’une improvisation de grande envergure. Cassavetes, fondateur d’une école de théâtre, adorait laisser ses comédiens partir dans un univers qu’ils créaient au fur et à mesure et ici, ils leur donne la possibilité de se laisser aller à leur imagination (seul l’histoire initiale étant établi, le reste à créer de toute pièce).

Heureusement donc que les acteurs possèdent une âme qui captive l’écran, même si parfois ils ne savent pas toujours suivre l’improvisation, ils restent très bons dans le domaine. On donnera juste une mention spéciale à Ben Carruthers et Lelia Goldoni.
Un autre plaisir du film est très certainement sa b.o., composée partiellement par Charles Mingus. Ses musiques jazz, qui sont diluées un peu partout dans le film, tourné par ailleurs en extérieur de New York comme jamais auparavant, sont vraiment un élément fondateur du style Cassavetes, mais pas seulement : jazz + extérieur New York, une formule qui inspirera de nombreux artistes dont Woody Allen et surtout le fan numéro 1 de Cassavetes, Martin Scorsese, lequel aura par ailleurs Cassavetes comme père spirituel à ses débuts…

Improvisé, tourné de façon quasi documentaire et en 16 mm dans un New York en plein boum socioculturel, Shadows a réellement établi quelques données du cinéma indépendant, et c’est sans doute pour cela, en plus de sa fraîcheur et de son originalité, qu’il a remporté le Prix de la Critique au Festival de Venise. Et a, accessoirement, fait entrer Cassavetes au panthéon des grands cinéastes…

Note : ***

vendredi 20 octobre 2006

Misery


Quand l’un des maîtres du suspens littéraire se voit adapté par un cinéaste ambivalent qui engage deux acteurs excellents, qu’est-ce que cela donne ? Quelque chose dans la veine de Misery, pure merveille cinématographique des années 90 !

Se plaçant comme l’une des meilleurs adaptations de Stephen King, Misery est réalisé par Rob Reiner, cinéaste en chute libre actuellement mais qui fut pendant près de dix ans un brillant metteur en scène (Spinal Tap, Princess Bride, Stand by me, Quand Harry rencontre Sally et Des hommes d’honneur, rien que ça !). Pour ce film, Reiner se réfère à deux génies : Stanley Kubrick et Alfred Hitchcock. Il y a autant de Shining que de Psychose dans Misery. A Kubrick, Reiner emprunte le décor enneigé, la maison coupée de toute communication, l’ambiance angoissante et même la frustration de l’écrivain (dans une scène hommage où Sheldon, à l’instar d’un Jack Torrance écrit le mot « fuck » 10 fois de suite sur la même page) ; quant à Hitchcock, c’est l’isolement de la maison, la schizophrénie du personnage, l’ambiance également qui influencent la mise en scène du réalisateur. Soignée et efficace, la mise en scène est une véritable leçon de cinéma.

Presque autant que le scénario, qui ne relâche jamais la pression et qui n’est pas avare de rebondissements. La création par obligation, thème important du film, vient faire écho à la plupart des carrières hollywoodiennes : La soif du mal n’était-il pas une obligation contractuelle de Welles, tandis que Kubrick se devait d’adapter un succès populaire pour récupérer l’échec de Barry Lyndon, d’où Shining ? De plus, l’aura de King semble s’effacer petit à petit pour que le film se suffise à lui seul, libéré de toute influence littéraire pour devenir une adaptation purement cinématographique, sans pour autant renier l’œuvre originale. Une subtilité qui fait parfois défauts dans les adaptations sur grand écran.

Mais que serait aussi Misery sans son duo d’acteurs formidables, alias James Caan et Kathy Bates ? L’un écrivain cynique et pris au piège, l’autre infirmière schizo plongée dans son monde, Reiner semble avoir un don pour ce qui est de formé des couples, puisque celui-ci fonctionne à merveille. Et si Kathy Bates reçut non seulement l'Oscar mais aussi le Golden Globe de la meilleure actrice en 1991, Caan n’a rien à envier niveau qualité d’interprétation.

Thriller haletant, angoissant, parfois éprouvant mais toujours fascinant, Misery est une référence en la matière, une de ces perles comme on aime en voir, œuvre personnelle et populaire, qui capte l’attention du spectateur du début jusqu'au générique de fin. Une réussite totale d’un cinéaste qu’il ne faudrait pas trop sous-estimer…

Note : ****