vendredi 2 mai 2008

L'homme invisible (The Invisible Man)

Ah les années 30, où la Universal inondait les écrans de monstres qui allaient marquer l’imaginaire collectif : Dracula, Frankenstein, La momie, Le loup-garou ou encore ce fameux Homme invisible, réalisé par l’une des figures de proue du genre, James Whale.

Doit-on rappeler qu’à la base de ce récit se trouve un roman de H.G. Wells, papa entre autres de La guerre des mondes, L’île du Dr Moreau ou encore La machine à explorer le temps ? Je ne pense pas. En revanche, ce qui est intéressant de rappeler, c’est comment le film a vu le jour. Tout commence lorsque la Universal propose à Whale, dont le Frankenstein fait un carton au box-office, de tourner une suite. Whale joue alors le jeu franchement : il dit ne pas être intéressé (il tournera La fiancée de Frankenstein en 1935) mais est en revanche tenté par l’adaptation du roman de Wells. Universal achète donc les droits de L’homme invisible, pensant tenir un futur projet glorifiant Boris Karloff. Mais les choses se compliquent : premièrement, il faut pas moins de 12 scénaristes (John Huston, Preston Sturges et James Whale lui-même s’y seraient essayé) pour obtenir le script idéal, qui doit plaire à Wells, ce dernier ayant droit de regard sur le projet ; pendant ce temps, Karloff refuse le rôle, estimant qu’il ne serait pas assez visible à l’écran. C’est donc suite à cet acte d’égocentrisme que Claude Rains, illustre inconnu, va avoir la chance de sa vie : repéré par Whale pour sa voix, l’acteur britannique se voit engagé dans le rôle principal.

Réalisé avec un budget de 300 000 dollars, L’homme invisible aura un succès considérable (Wells lui-même aurait aimé le film au point d’écrire une lettre de remerciement à Whale), Rains deviendra une vedette internationale (tournant avec Lean, Curtiz ou Hitchcock) et le film connaîtra toute une série de suites et de variations, certaines plus intéressantes que d’autres (qui parfois sont assez farfelues dans le genre L’homme invisible contre la Gestapo).

Evidemment, on ne peut pas cacher le fait que le film ait vieilli, ni que le scénario paraît aujourd’hui un brin désuet. Mais force est de constater que le film conserve malgré son âge un charme indéniable, et des qualités aujourd’hui encore intéressantes.

Le plus intéressant reste sans doute les effets spéciaux de John P. Fulton. Le gaillard n’est pas n’importe qui il faut dire (il avait déjà travaillé sur Frankenstein et La momie, et travaillera sur la séparation de la mer en deux pour Les dix commandements et collaborera souvent avec Alfred Hitchcock) et son travail reste encore aujourd’hui une référence. L’effet le plus saisissant reste sans aucun doute la scène où l’homme invisible ôte ses bandages et laisse apparaître l’arrière plan derrière lui ; James Whale a ainsi du filmer Claude Rains habillé totalement en noir devant un fond lui aussi totalement noir. C’est ce qu’on appellera le « cache-contre cache » qui donnera naissance des années plus tard à l’incrustation (le fond vert ou bleu, récurrent dans le cinéma contemporain). Des effets qui n’ont presque pas vieillis (le film a presque 80 ans) et confère au film cette aura charismatique.

Après, on peut discuter : la réalisation, notamment, semble aujourd’hui assez classique, parfois même un peu kitsch (comme cette scène où l’homme invisible fait tourner un policier dans les airs en le tenant par le pied) et sans véritable changement de rythme. On en viendrait presque à se demander, parfois, si l’importance n’a pas été laissée aux effets spéciaux plutôt qu’à l’atmosphère. Reste nénamoins que Whale est un formidable technicien, et cela se sent.

Le scénario lui aussi, de par les innombrables suites, plagiats, remakes et autres films fantastiques s’en inspirant, semble un peu formaté, n’exploitant pas pleinement l’altériété du personnage principal, et les conséquences qui en résultent ; à cet égard, Hollow Man de Paul Verhoeven était bien plus captivant dans l’étude du changement de comportement qu’une telle modification entraîne sur le patient.

Les acteurs aussi souffrent de la comparaison avec la méthode de jeu actuelle, et leur technique semble trop figée, trop théâtrale pour réellement convaincre. Claude Rains reste néanmoins assez surprenant dans le cynisme, dans le machiavélisme absolu. Petite anecdote cependant : on a longtemps cru que ce rôle avait rendu célèbre Claude Rains de par sa voix et son physique, alors qu’il n’y apparaissait que les dernières secondes. Mais il faut savoir que dans de nombreuses scènes, ce n’était même pas Claude Rains qui était dissimulé sous les bandages : l’acteur était en effet trop grand et, surtout, avait un nez si proéminent que les bandages ne pouvaient pas le masquer. Le réalisateur a donc fait appel à une doublure, et a simplement demandé à Rains de préenregistré ou post-synchronisé les dialogues, rajoutés alors au mixage. Ironie du sort d’être réellement invisible à l’écran…

Film de l’âge d’or du fantastique, produit par « La maison des horreurs » Universal, L’homme invisible n’est certes pas le meilleur film de la production, ni même un chef-d’œuvre ; c’est un film qui vieillit, mais qui conserve néanmoins comme La momie ou Le loup-garou une emprise sur les cinéphiles, qui outrepasse son coup de vieux pour laisser apparaître toute la richesse historique dont il regorge. Un classique du genre, en somme.

Note : ***