mardi 12 juin 2007

Le cuirassé Potemkine (Kniaz Potiomkin)


Il est rare de voir une œuvre, plus de 80 ans plus tard, créer autant d’émoi que ne le fait encore Le cuirassé Potemkine. Mais comment expliqué un tel engouement ?

Peut-être par le caractère même du film. D’une œuvre de commande, Eisenstein, âgé d’à peine 26 ans à l’époque, parvient à tirer ce qui sera la base de son cinéma à venir : importance du montage, privilégiant les masses au héros unique, plans regorgeant de métaphores…

Ce qui impressionne sans doute le plus, c’est la subtilité avec laquelle le cinéaste utilise la propagande : profondément communiste, le film reconsidère la mort des marins et civils d’Odessa comme ce qui permit la Révolution de 1917. Le procédé, bien que vicieux, est si brillamment réussi que la vision subjective d’Eisenstein deviendra la référence historique pour tout un peuple et même celle des pays occidentaux non communistes. On s’éloigne alors du style de Vertov (l’adversaire par excellence d’Eisenstein) et, tout en revisitant l’histoire, on la recrée au profit de l’idéologie communiste. De toutes les œuvres russes de propagande de l’époque, Le cuirassé Potemkine reste assurément la plus efficace et la plus brillante.

Le film permit aussi à Eisenstein de mettre en application sa théorie du "montage des attractions" : selon lui le montage doit produire des chocs en mettant en rapport des éléments a priori indépendants les uns des autres (la célèbre scène de la destruction du théâtre d’Odessa, ave les anges et les lions) et doit aboutir à "un cinéma coup de poing". Le dynamisme du film ne provient pas de mouvements de caméra, Eisenstein utilisant majoritairement des plans fixes. Parmi les procédés mis en oeuvre par le réalisateur, citons les montages parallèles (dont La grève reste l’exemple le plus frappant), les changements de rythme qui procèdent d'un découpage complexe avec une alternance de plans rapides et longs associée à une variation de la valeur des plans, et enfin l'opposition entre des séquences totalement muettes et d'autres accompagnées de musique. Le savant dosage de liaisons et de ruptures fait de ce film un véritable poème symphonique. Toute l'originalité d'Eisenstein est d'avoir poussé aussi loin et aussi tôt la sophistication du montage.

En ce qui concerne le montage, auquel Eisenstein donna véritablement ses lettres de noblesse et en fit un art à part entière (et dont les théories sont toujours en application), Eisenstein avait lui-même subi deux influences : D.W. Griffith et Koulechov, qui lui aussi a révolutionné le montage en 1922 et a donné naissance à "l'effet Koulechov" :
1. Image d'Ivan Mosjoukine, au regard totalement inexpressif.
2. Image d'une assiette de soupe.
3. Image d'Ivan Mosjoukine.
4. Image d'une femme morte.
5. Image d'Ivan M.
6. Image d'une fillette avec une peluche.

Le public, après visionnage de ce montage ont dit que l'acteur exprimait diverses expressions : Faim, tristesse et tendresse or il n'en était rien, mais la cause de cet effet était le montage ! Cette expérience prouve bien donc que le montage est nécessaire, qu'on peut le considérer comme une seconde réécriture du film, qu'il est là pour procurer diverses émotions, et qu'un mauvais montage peut gâcher un film.

La séquence des escaliers, l’une des plus célèbres de l’Histoire du cinéma, reste un monument de réalisation. Eisenstein eu recourt à une technique bien particulière pour cela : pour manipuler au mieux ses figurants : il apprit en effet le nom de certains, les noms de membres de leur famille et leurs situations (des malades, des futurs parents…) ce qui lui permettait deux choses : l’une étant d’établir un bon contact entre les prises en faisant semblant de bien connaître chacun et donc de réaliser un bon travail d’équipe, l’autre étant d’engueuler, au hasard, un pauvre quidam du genre « tu ne cours pas assez vite » ou « X bouscule Y pour avancer, attention à toi Y » ainsi chacun pensait que le cinéaste surveillait chaque figurant et, ne voulant pas se faire engueuler, donnait le meilleur qu’il pouvait. A noter que si la scène est visiblement très élaborée, Eisenstein prétendit qu’elle ne le fut jamais…

Tous ces éléments, et d’autres encore, ne sont que la surface du film, dont l’analyse approfondie reste une base solide pour tous les étudiants en cinéma – et cinéphiles avertis.

Le cuirassé Potemkine est donc, outre le fait qu’elle révéla l’un des plus brillants talents du cinéma mondial, une œuvre essentielle dans l’Histoire du cinéma (Brian de Palma, via Les Incorruptibles, et Terry Gilliam via Brazil rendront d’ailleurs hommage au film et sa célèbre scène du landau). Pour preuve, ce film sera considéré comme le meilleur de tous les temps jusqu’en 1941, à la sortie du premier film d’un jeune cinéaste, dont le nom était Orson Welles et le film un certain Citizen Kane…

Note : *****

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