lundi 18 juin 2007

Zodiac


Peut-on encore améliorer le film policier, en transgresser les règles, pourquoi pas en faire un totalement différent des autres productions du genre ? David Fincher l’avait fait il y a 11 ans avec Seven. Ce serait même un euphémisme de dire qu’il a redonner un souffle au genre. Alors forcément, quand il s’adonne à retracer l’histoire du Zodiac, on est impatient de connaître le résultat… Et il est à la hauteur de nos espérances.

Un peu d’Histoire : entre 1966 et 1978, en Californie (dans un rayon de 200 km autour de San Francisco précisément), un tueur sévit et affiche entre 37 et 200 meurtres à son compteur ; il pousse le vice jusqu’à envoyer des messages codés à la presse et à la police en signant du nom Zodiac. Bien que des portraits robots aient circulés, personne n’a jamais pu être clairement identifié comme étant ce serial-killer. Beaucoup de personnes ont travaillés sur ce dossier, dont trois particulièrement dont le film retracent les destins entrecroisés : Robert Graysmith, dessinateur de métier et qui a écrit les deux livres dont s’inspire le film, Paul Avery qui était journaliste d’investigation au Chronicle (le journal auquel le Zodiac envoyait ses messages codés), et l’inspecteur David Toschi qui sacrifia des années à l’enquête. Toschi et le Zodiac devaient d’ailleurs inspirer bon nombres de films policiers de l’époque, dont Bullitt ou encore l’Inspecteur Harry auquel David Fincher fait un clin d’œil.

Dès l’écriture du film, Fincher se lance dans sa propre enquête pour être sûr d’être le plus proche possible de la vérité : livres, interviews, dizaines de milliers de pages de rapport, tout est passé au crible par le cinéaste. Il faut dire que Fincher se sent concerné car il se souvient très bien de son enfance à San Francisco à l’époque : « Dans mon quartier, les gosses de mon âge en avaient une peur bleue. Allait-il se pointer au bout de la rue, se glisser dans la cour de notre école, monter dans notre bus ? Chacun redoutait le Zodiac. »

David Fincher réunit pour l’occasion un casting prodigieux (Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr, Mark Ruffalo, Anthony Edwards, Brian Cox, Philip Baker Hall, John Carroll Lynch, Chloë Sevigny) et se lance lui-même plusieurs défis : le premier est de proposer non pas un mais bien trois personnages principaux à égale représentation. Ensuie vient la technique : Zodiac est le premier long-métrage à gros budget à utiliser la caméra vidéo HD Thompson Viper Filmstream, qui avait déjà servi sur des publicités (réalisées notamment par David Fincher lui-même) et quelques films étrangers à petit budget. Le cinéaste, qui n'a jamais caché son goût pour les défis visuels, a choisi cet outil technologique parce qu'il capte mieux que d'autres la lumière ambiante : « Je l'avais employée sur des spots et j'ai trouvé qu'il était temps de l'essayer sur un long-métrage. J'aime travailler en numérique et ne pas attendre le lendemain pour juger le matériau. » Enfin, pour avoir moins de contrainte et vu le matériel utilisé, Fincher décide de monter son film sur Final Cut Pro.

Se refusant de dénoncer tel ou tel suspect, mais ne cachant pas un certain parti pris pour des éléments de l’enquête, le scénario est très certainement la plus grande force du film. Durant 2h30, le scénariste James Vanderbilt nous emmène où il veut pour mieux nous perdre, avant de nous retrouver, nous remettre sur le bon chemin pour que puissions nous reperdre à nouveau. Tortueux, le script s’ingénie à nous glisser de fausses pistes et vraies preuves, dont on ne parvient pas toujours (et c’est bien là le but) à être certain de la véracité. Une écriture solide qui rappelle ces polars des années 70, et dont on ne peut reprocher que quelques longueurs qui, sans plomber le film (loin de là), le ralentit un peu. Rien de bien méchant, mais un petit quart d’heure voir une vingtaine de minutes en moins auraient pu permettre à Zodiac d’atteindre les sommets sans le moindre effort, le propos se suffisant à lui-même en abordant une série de thèmes (l’obstination, la quête de vérité) dont deux chers au cinéaste : l’incapacité à communiquer et la perte de soi dans une aventure qui nous dépasse.

Côté réalisation, Fincher surprend, le cinéaste ne se reposant pas sur ses lauriers : exit le côté sombre de Seven, la virtuosité de Fight Club ou même l’ambiance de The Game, Fincher opte pour une mise en scène sobre, de facture classique mais dont l’efficacité se cache dans deux éléments : l’utilisation des effets spéciaux et le souci du détail. Ancien d’ILM, le réalisateur a toujours prouvé son savoir-faire en la matière (Alien³, Fight Club) mais ici, il délaisse (à l’exception de deux ou trois effets sympas comme le point de vue subjectif de Graysmith avec les codes en surimpression) les effets spéciaux compliqués pour mieux les insérer dans son récit, et ça marche puisque l’ambiance qui s’en dégage est tout simplement d’un réalisme agréable à voir. Enfin le souci du détail s’exprime dans la reconstitution historique, du mobilier des appartements, bureaux et maisons (majoritairement des « meubles intemporels » comme il dit) ou encore les émissions de télévisions et de radio, comme cette annonce d’un célèbre concert des Rolling Stones que l’on entends à peine. Un travail d’orfèvre qui, associée à une musique adéquate (mais en rien transcendante) crée une ambiance des plus prenantes, lorgnant même le temps d’une séquence vers le film d’horreur (lorsque Graysmith se retrouve dans la cave d’un suspect) et dont l’angoisse en dent de scie reste une constante.

Les acteurs sont aussi impressionnants les uns que les autres, avec une mention toute particulière à Robert Downey Junior, en journaliste sarcastique et Mark Ruffalo en inspecteur obnubilé par son enquête qu’il ne résoudra jamais complètement, qui supplantent assez facilement le pourtant crédible Jake Gyllenhaal. Les seconds rôles, prestigieux, ne sont pas trop rares comme on aurait pu le craindre : Fincher sait définitivement diriger ses comédiens et, le temps d’une séquence ou du film entier (à l’instar de Ruffalo), les sublimer.

Zodiac ne révolutionnera pas le film policier mais il marque une nouvelle étape comme son prédécesseur Seven : en fournissant une approche ultra documentée, en n’écartant aucune piste jusqu’à trouver la plus plausible et en proposant une traque de serial-killer sans que l’on capture celui-ci, Fincher vient de prouver qu’il avait assez de personnalité pour ne pas s’enfermer dans un genre et en suivre les règles à la lettre ; moins marquant que Seven, moins osé que Fight Club mais d’une qualité tout au moins égale.

Note : ****

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