mercredi 1 août 2007

L'ultime razzia (The Killing)


La majorité des gens sont capables de citer les films de Kubrick à partir des années 60, de sa révélation au monde avec un certain péplum et la confirmation de son génie outrancier et provocateur avec ses films suivants. Pourtant, il a bien été obligé de débuter comme tout le monde, et parmi ses débuts L’ultime razzia, son troisième film, annonçait déjà de nombreux éléments qui seraient récurrents chez Kubrick.

Fort de ses deux échecs précédents (il considérait Fear and Desire si mauvais qu’il en arrêta la distribution, et Killer’s kiss faillit connaître le même sort) dont il avait soigneusement analysé chaque erreur pour ne plus la commettre, Kubrick voulait révéler tout son talent au monde avec son nouveau film. Tout d’abord il n’écrit plus de scénario original mais modifie un support déjà existant (avec de la chance : Frank Sinatra avait en effet des vues sur le roman de Lionel White avant que Kubrick n’en acquiert les droits). Ensuite, il traite un sujet (en l’occurrence, plus un genre de cinéma) à la mode pour attirer le public. Il s’entoure enfin d’un casting de choix, pour la plupart des acteurs méconnus plus faciles à gérer mis quand même une tête d’affiche pour s’assurer un minimum de rentabilité.

Le tournage n’est pas de tout repos : entre Kubrick et son directeur photo règne une ambiance tendue car ils ne sont pas d’accord sur les lumières et le cadrage. Une anecdote veut que le directeur photo essaya de mentir à Kubrick concernant le choix d’un objectif, mais celui-ci ne fut pas dupe et menaça de renvoyer son opérateur s’il recommençait. Le budget du film atteignit 320 000 dollars ce qui était peu pour un film même à l’époque, d’autant que 40 000 allèrent dans la poche de Sterling Hayden, Kubrick n’étant pas payé en tant que réalisateur. Enfin, après 24 jours de tournage, le montage subi de maintes manipulation avant d’arriver à sa forme finale. Le seul élément que Kubrick reprocha devait devenir quelques années plus tard sa marque de fabrique : une narration en voix-off qui lui avait été imposé par les studios et qui faussait tout le film selon lui – l’argument étant qu’elle étouffait l’émotion…

A sa sortie, le film, comparé à Little Caesar tant il est réussi, est un échec. Kubrick posait pourtant déjà les bases de ce qui allait être son style : une caméra fréquemment en mouvement, un sens de la métaphore visuelle, un montage se moquant du temps et surtout une photographie soignée pour des personnages condamnés dès le départ à perdre. Le style atteindra son apogée au film suivant, Les sentiers de la gloire, mais déjà ici Kubrick fait preuve d’un savoir-faire énorme pour un jeune homme de 28 ans.
On a souvent comparer le casse à un tournage de Kubrick : réglé à la seconde près mais pas à l’abri d’un ennui, même le plus insignifiant qui pourrait avoir des conséquences dramatiques. Au fil du temps il est vrai, le récit vient nous fasciner car il semble parfait. Dans le scénario, seul quelques stéréotypes à la vie dure apparaissent, mais Kubrick sait déjà en tirer profit : la femme fatale, le mari cocu mais amoureux, le criminel sur le retour, son meilleur ami prêt à tout pour lui… En parlant de ce meilleur ami, Kubrick s’intéresse déjà à l’homosexualité latente, qui sera de retour dans Spartacus ou Barry Lyndon.

Les acteurs sont tous très biens, bien mieux que dans Killer’s Kiss mais nous ne sommes pas encore tout à fait au top. Manque de crédibilité du jeune cinéaste sans doute, qui se laisse dominer par des acteurs plus âgés. Sterling Hayden reste en tout cas efficace même si moins marquant que dans Dr Folamour quelques années plus tard.

On regrette néanmoins que le cinéaste ne possède pas les moyens financiers pour supporter certaines de ses idées, et son manque d’expérience pour un récit de ce genre qui aurait pu être largement développé par le même Kubrick avec quelques années en plus. En dépit, The Killing est un excellent moment de film noir, peut-être souffrant d’un manque de lyrisme pour atteindre les sommets. Tant pis, c’est déjà bien comme ça.

Note : ****

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