dimanche 5 août 2007

Death Proof


Petit retour en arrière : en 1993, Robert Rodriguez rend visite à son nouveau copain Quentin Tarantino chez lui (chacun se vouant le plus grand respect depuis les visions de Reservoir Dogs et El mariachi). A terre une affiche d’un double programme Grindhouse de 1953, que Rodriguez s’étonne à bien connaître pour posséder la même.13 ans plus tard, l’idée de refaire un diptyque « Grindhouse » a germée, et nos deux cinéastes ayant assez d’argent pour s’autoriser un délire s’associent pour pondre… Grindhouse. Le principe est simple : deux films de série B voir Z dans la même séance, simplement entrecoupés par une série de bandes-annonces d’autres films de série B. Petit à petit, Grindhouse se construit : Rodriguez sort un de ses scénarios inachevés parlant de zombies tandis que Tarantino se verrait bien réaliser un slasher un peu différent des autres, et on fait appel aux copains pour les bandes-annonces fictives : Eli Roth (Hostel), Rob Zombie (Devil’s Rejects) et Edgar Wright (Shaun of the dead) plus un heureux gagnant d’un concours de bandes-annonces pourav. Sauf que Grindhouse fait un flop aux USA. Miramax crise un peu et décide de ne pas se vautrer en Europe, mieux réfléchit à la manière de faire coup double : sortir le film en deux fois, quitte à bazarder les bandes-annonces mais au moins on sait que le public suivra Tarantino et, par logique, voudra voir le Rodriguez. Alors on divise Grindhouse en Death Proof et Planet Terror, en proposant même le film de Tarantino à Cannes pour se faire mousser.

Une veine dans notre malheur : nous ne profitons pas du double programme mais nous avons droit aux versions longues de chacun des films. C’est ainsi que nous découvrons Death Proof où Tarantino, fidèle à sa réputation, nous propose un petit jeu de cinéphile : il faut reconnaître en 1h50 les films de Russ Meyer, Point limite zéro, Bullitt (l’immatriculation de la voiture de Stuntman Mike est la même que la voiture de McQueen), Le Convoi de Peckinpah (le canard sur la voiture), New York 1997 (la cicatrice de Kurt Russel est la même dans les deux films), Un espion de trop (le poème) et, mégalomanie du cinéaste oblige, les références à chaque film de Tarantino himself (en vrac : la discussion en travelling circulaire rappelle Reservoir Dogs, on fait référence au Big Kahuna Burger de Pulp Fiction, Twisted Nerve en sonnerie de gsm pour Kill Bill 1 et les Acuna Boys pour Kill Bill 2 sans oublier Michael Parks et son fils, qui jouent de nouveau des shérifs après leurs passages dans Kill Bill 1 et Une nuit en enfer).

Mais Death Proof, c’est aussi l’occasion pour Tarantino de s’essayer à de nouvelles choses. La première est de mélanger les genres : « J'ai voulu intégrer des courses-poursuites effrénées au slasher-movie. Du coup, le film change de registre en cours de route. A une vingtaine de minutes de la fin, on ne sait même plus à quel genre exactement appartient le film. On s'identifie tellement aux personnages qu'on ne s'en aperçoit pas, mais ce n'est plus le même film. » ; la deuxième serait sans doute de tourner la scène de course-poursuite la plus démente de la décennie : « On a tenté de se rapprocher des courses-poursuites des années 70. On a visionné plusieurs scènes de courses-poursuites : des poursuites de films contemporains, de films des années 90, des années 80 et des années 70. Les poursuites des années 70 sont toujours les plus impressionnantes. Pour une simple raison : à l'époque, les cascadeurs exécutaient les acrobaties eux-mêmes. En ce qui me concerne, je ne voulais ni d'effets infographiques, ni de ralentis » ; enfin notre ami Quentin s’est aussi senti l’âme d’un directeur photo par souci d’authenticité : « J'ai tiré le film en noir et blanc. Je pense souvent au négatif comme à la créature de Frankenstein car il provient de plusieurs sources. De fait, le grain de la pellicule est épais, comme passé et "sale". », de même que Tarantino a éclairé ses comédiens avec des néons, lampes fluorescentes et lumières naturelles bref aucun spot qui ferait croire à un film de studio. Parce que c’était aussi ça les films Grindhouse : des films fauchés tournés à la va-vite, et dont les multiples projections détérioraient la pellicule au fil des séances ; c’est pourquoi Tarantino a bouclé fissa son tournage et non seulement à vieilli et griffer son image mais a aussi créer une série de fautes de montage (faux raccords, jump cuts, morceaux de pellicule manquants) pour coller au plus près des films d’origine. Pour pousser le vice encore plus loin, il n’a pas hésité à utiliser de vieilles voitures des années 70 (une Chevy Nova SS et une Dodge Charger pour Stuntman Mike et une Dodge Challenger pour les filles) alors qu’autour nous avons visiblement des voitures contemporaines…

Le seul problème de Tarantino, c’est qu’à trop connaître son talent, il en profite pour frimer un maximum possible : ainsi, sachant que la course-poursuite finale sera la meilleure depuis des années, il oublie l’image sale, il oublie le montage bancal, il oublie le son approximatif pour tourner une séquence propre, sans bavure, montée au millième de seconde près. Un manque d’humilité sur c coup qui lui fait perdre la crédibilité qu’il avait eu jusqu’à alors avec son film vraiment grindhouse. Une petite faute dans une mise en scène plutôt cool.

Hélas, on ne peut pas en dire autant du scénario. Si évidemment nous ne nous attendions pas à du Shakespeare, on pouvait tout au moins espérer avoir droit à quelques bonnes répliques tarantinesques, des discours absurdes sur la vie ou autre connerie : et bien non, nous avons droit à des discussions entre filles, qui si elles sont sincères et réalistes (dixit les actrices) ne nous intéressent pas, pire nous gavent au bout d’un moment. 20 minutes de palabres, c’est trop ! Le film ne décolle pas avant une bonne heure et là, si la première séquence de crash/carnage est jubilatoire (à tel point qu’on y a droit en 4 ralentis), on a pas vraiment le temps de savourer avant de retomber dans de nouveaux discours féminins pompeux, à l’exception des discussions autour des films, et encore.

Heureusement que le casting aide un peu tout ça : Kurt Russell en tête, véritable psychopathe déjanté qui, comme Keitel, Travolta, Grier ou Carradine avant lui, retrouve un nouveau souffle grâce au cinéaste prodige. Pour info, c’est Mickey Rourke qui devait avoir ce rôle, mais officiellement Russell collait mieux (et officieusement Tarantino n’avait pas besoin de Rourke puisque celui-ci grâce à Sin City n’était plus un has-been), tout comme Sylvester Stallone et Ving Rhames furent pressentis. Chez les filles, le physique prime, mais la crédibilité est là : chacune joue de manière correcte et certaines tirent leur épingle du jeu, comme Mary Elizabeth Winstead jouant les nunuches de service ou Zoé Bell, cascadeuse professionnelle et doublure officielle d’Uma Thurman sur Kill Bill, à qui Tarantino a voulu rendre hommage en la prenant comme actrice à part entière.

Un mot sur la b.o. ? Moins exceptionnelle que Reservoir Dogs, Pulp Fiction ou Kill Bill 1, elle n’en est pas moins déplaisante, mélangeant Ennio Morricone avec le groupe de rock T-Rex avant de clôturer par la version américaine de Laisse tomber les filles de Gainsbourg.

Death Proof n’est donc pas le meilleur film de son auteur, loin de là ; ce n’est même pas son plus bel ouvrage technique, mais il reste un moment de jouissance cinéphilique immense, où les fans e QT comme les nostalgiques et amateurs de cinéma vraiment à part pourront trouver leur compte dans un film qui, si on sent qu’il a été trop rallongé pour les Européens, n’en demeure pas moins un grand moment de fun. C’est tout ce qu’on demandait.

Note : ***

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