vendredi 31 août 2007

Trainspotting


Ah la drogue, sujet délicat a aborder au cinéma car très mal pris par la majorité des spectateurs. Comment ne pas être pris pour un donneur de leçon quand on fait un film sur ce sujet, alors qu’il est courant que la poudre blanche fasse son chemin dans le monde du septième art ? Pourtant, un réalisateur a eu l’audace d’aborder ce thème de manière très personnelle : un certain Danny Boyle et son chef-d’œuvre Trainspotting.

Alors qu’il court pour échapper à des gardes (à moins que ce ne soit vers sa perte ou, pire, après la vie ?), Renton nous explique sa vision de la vie : « Choisir la vie, choisir un boulot, choisir une carrière, choisir une famille, choisir une putain de télé à la con, choisir des machines à laver, des bagnoles, des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques, choisir la santé, un faible taux de cholestérol et une bonne mutuelle, choisir les prêts à taux fixe, choisir son petit pavillon, choisir ses amis, choisir son survet' et le sac qui va avec, choisir son canapé avec les deux fauteuils, le tout à crédit avec un choix de tissu de merde, choisir de bricoler le dimanche matin en s'interrogeant sur le sens de sa vie, choisir de s'affaler sur ce putain de canapé, et se lobotomiser aux jeux, télé en se bourrant de MacDo, choisir de pourrir à l'hospice et de finir en se pissant dessus dans la misère en réalisant qu'on fait honte aux enfants niqués de la tête qu'on a pondu pour qu'ils prennent le relais, choisir son avenir, choisir la vie. Pourquoi je ferai une chose pareil ? J'ai choisi de ne pas choisir la vie. J'ai choisi autre chose. Les raisons ? Y a pas de raison. On a pas besoin de raison quand on a l'héroïne ». Le ton est donné. Pourquoi s’emmerder avec les femmes, l’argent, le boulot, la famille alors que quand on s’injecte un fix, tout est merveilleux ? Pourtant Renton tente de décrocher, de devenir quelqu’un de bien, sauf que c’est toujours dans la normalité que les pires crasses nous arrivent…

A la base de tout ça, Irvin Welsh qui est l’auteur du roman original. Plusieurs fois on lui propose d’adapter son récit pour l’écran, il refuse, mais finit par céder avec Andrew MacDonald et John Hodge, qui ont pour seule consigne de ne pas adapter le roman dans l’esprit « social » cher à Ken Loach. Pas de soucis, ce n’était pas spécialement le but de la manœuvre. Côté réalisme, on peut compter sur Hodge, ancien médecin et donc habitué des toxicomanes (pour preuve, il a vécu lui-même l’épisode de la télévision volée dans un home pour personnes âgées). Reste à trouver quelqu’un de porter le délire visuel à l’écran, et ça tombe bien parce que Danny Boyle se montre intéressé, lui qui connaissait déjà MacDonald et Hodge depuis l’époque de Petits meurtres entre amis. Tant qu’on y est, on refait appel à Ewan McGregor et quelques seconds rôles (Ewen Bremner qui avait déjà joué dans une adaptation de Trainspotting au théâtre, Johnny Lee Miller en fan de James Bond alors que son grand-père Bernard Miller interprétait M dans la série jusqu’en 1979) et pour mieux les préparer, on leur dit de revoir L’arnaqueur, L’exorciste et Orange Mécanique tandis que McGregor fond pour ressembler un maximum à un toxicomane. Après 7 semaines de tournage seulement, le film qui devenait devenir le 10ème meilleur film britannique de tous les temps selon le British Film Institute est fini et prêt à devenir LE film culte des années 90 en Angleterre.

Bien qu’il ait pour héros des junkies et un psychopathe (jubilatoire Robert Carlyle), le film n’est pas vraiment un drame. Il s’agit plutôt d’une comédie noire, bien noire, so british dans un humour un peu trash (la plongée de Renton dans les w.c.) mais terriblement attirant. On frôle le scato (le réveil de Spud dans la chambre de la fille) mais on y sombre jamais, loin de là. C’est l’humour parfois diabolique, totalement absurde (comme la théorie sur la Vie et son rapport avec Sean Connery selon Sick Boy) mais vraiment décalé. Sans méchanceté même. Avec juste ce qui faut de mauvais goût : par exemple, l’équipe de football qui joue contre nos drogués au début n’est autre que les membres d’une association pour toxicomane. Ou encore ce bouquin que lit Renton, sur la vie de Montgomery Clift, célèbre pour ses déboires avec ses addictions à l’alcool et aux drogues. A moins que ce ne soit un hommage, comme le film en fourmille : Orange Mécanique et Taxi Driver dans la boîte de nuit, L’exorciste avec la tête du bébé qui fait un tour de 360°, Il était une fois en Amérique ou encore Tirez sur le pianiste à travers deux plans identiques aux films précités et enfin, incontournables, des clins d’œil aux Beatles comme s’il en pleuvait : les films Hard Day’s Night et Help ! ou les jaquettes des albums Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et Abbey Road.

La mise en scène de Boyle trouve enfin son apogée avec ce film, après quelques essais dans Petits meurtres entre amis. Avec un sens incroyable du timing, le cinéaste nous raconte plus une suite d’épisodes, un tout unique : la vie de Renton est cohérente, comme les conséquences de ses actions : il arrête la dope, les ennuis arrivent. Il la reprend, ils empirent. Ainsi va la vie qu’il ne voulait pas choisir au début de son récit. Pourtant, il n’y a aucun message moralisateur, aucune prise de position irrévocable : être junkie a ses avantages et ses inconvénients. Libre à chacun de le devenir ou pas, tout en étant conscient des dangers que cela comporte (le sida est frontalement abordé même si brièvement). Boyle ne se pose jamais comme moralisateur, puisque ces personnages n’ont rien de héros.

Du point de vue du récit également, le travail sur la narration est soignée puisque étant à la première personne du singulier, beaucoup de délires sont permis : du délirant passage aux « pires toilettes d’Ecosse » à l’insoutenable crise de Renton lors de sa cure, chaque moment du film est pleinement décrit selon la vision de notre personnage principal, à la manière justement d’un Orange Mécanique dont Trainspotting se pose comme un fervent admirateur.

Dans le rôle principal, un Ewan McGregor comme on en verra jamais plus, aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau, répondant pleinement aux exigences de son personnage sans broncher. Le rôle de sa vie en somme, et il semble le savoir puisqu’il se donne à fond et que cela s’avère très payant. Parallèlement, ses camarades de jeu n’ont pas grand-chose à lui envier, du flegmatique Johnny Lee Miller au remarquable Ewen Bremner en Spud un peu limité, les seconds rôles étant pourtant dominés par un Robert Carlyle inoubliable que l’on croirait presque être le fils spirituel de James Cagney tant il est imprévisible.

A souligner finalement une b.o. extraordinaire, mélange improbable (donc réussi) de Bowie, Iggy Pop ou Lou Reed avec Pulp, Underworld ou encore Blur et (après tout pourquoi pas) même Bizet. A l’image du film, cette bande originale est jeune et dynamique, tantôt nostalgique tantôt décalée et (surtout) sans temps mort. L’exemple parfait d’un bon accompagnement musical dans un film.

Œuvre culte mais, surtout, réussie, Trainspotting n’est peut-être pas aussi anarchiste qu’on a voulu le prétendre à sa sortie ; outre une réflexion sur la drogue qui se permets de montrer des choses sans les juger (ce qui en fait l’un des films les plus puissants sur ce thème), il s’agit aussi d’un hommage au cinéma de la part de Boyle. Rarement adaptation aura été à la fois si sincère et si personnelle.

Note : *****

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