samedi 11 août 2007

Who's that knocking at my door


Certains cinéastes ne trouvent pas leur voie tout de suite; d’autres en revanche, arrivent exactement là où ils veulent en venir dès leur premier film, un peu comme Martin Scorsese et son premier long métrage Who’s that knocking at my door (on notera au passage qu’il n’y a pas de point d’interrogation dans le titre, pour la simple et bonne raison que c’est considéré comme porte-malheur dans l’industrie du cinéma).

Nous sommes en 1965, et le jeune étudiant Martin Scorsese réalise le premier film universitaire en 35 mm sous le nom de Bring on the dancing girls. On y voit surtout le personnage de J.R. avec sa bande, partagés entre bagarres et beuveries. Un désastre. En 1967, Scorsese reçoit quelques conseils de son ancien professeur Haig Manoogian et réécrit une large partie de son film, notamment les scènes entre J.R. et la fille. Motivé, Scorsese fait appel à Zina Bethune pour remplacer l’ancienne actrice et refait appel à un jeune acteur dont c’est le premier film : Harvey Keitel. Faute de moyens, le chef opérateur (qui n’est plus le même que la première fois non plus) tourne en 16 mm au lieu de 35. Soit, le film est finalement bouclé, présenté au Festival de New York et reste dans des cartons faute de distributeurs. Scorsese s’exile alors en Europe pour rejoindre Richard Coll, le premier chef op, qui lui propose de réaliser des pubs avec lui. Pendant six mois, Scorsese voyage entre Amsterdam et Bruxelles, découvre qu’il déteste la pub et rencontre à la Cinémathèque de Bruxelles Jacques Ledoux qui lui dit qu’il perd son temps à faire des pubs flamandes ! Manoogian téléphone alors à Martin, lui annonce que Joseph Brenner, distributeur de films érotiques voulant rentrer dans un cinéma plus classique, accepte de s’occuper de son film si Scorsese insère une scène de sexe. Coincé, le cinéaste appelle Keitel pour qu’il vienne à Amsterdam et tournent ensemble une scène psychédélique avec Anne Collette nue comme un ver, sur fond de This is the end des Doors. Du coup, entre les scènes en 16 mm, celles en 35 et la scène érotique, Who’s that knocking at my door devient un patchwork étrange, une sorte d’OVNI cinématographique qui ne plaît pas à tout le monde : les amis de Scorsese par exemple, qui avaient adoré être représentés dans le court It’s not just you, Murray, crient au scandale d’être dépeints avec tant de défauts dans ce film. Scorsese avoue que sa propre représentation, J.R., est narcissique et complaisante, et s’est éloigné de son but initial : le conflit intérieur d’un italo-américain catholique par rapport à une femme qu’il considère tantôt comme une madone tantôt comme une putain. Finalement le film ne sera pas acclamé, juste remarqué, notamment par John Cassavetes qui déclare qu’il s’agit du meilleur film après Citizen Kane !

Il faut reconnaître que pour un premier film, et des conditions de tournage semblables, Who’s that knocking at my door tient la route. Bien sûr, nous sommes très loin du Scorsese au sommet de sa fome, mais déjà pourtant le cinéaste fait preuve d’une virtuosité et d’une direction d’acteur exemplaire. Elle n’est pas loin l’influence de la Nouvelle Vague : dialogues en post-productions, caméra à l’épaule, amour avoué pour l’âge d’or hollywoodien (Rio Bravo, Scaramouche) et souci de réalisme constant. On découvre aussi tous les thèmes qui deviendront récurrents dans les films de Scorsese : la religion, l’amitié, la famille, la trahison, New York, la musique, le gangstérisme et l’incapacité d’un homme à quitter son univers. Je parlais de virtuosité, je m’explique : la scène d’introduction par exemple, qui ne doit pas durer plus de trois minutes, est un exemple de savoir-faire immense de la part du cinéaste. Dans un premier temps, nous nous trouvons dans une famille italo-américaine catholique (présence de la Vierge partout) où la grand-mère prépare un plat traditionnel pour ses petits-enfants ; sans transition, nous voici dans une rue de New York, où une bande de jeunes se disputent, avec en fond sonore une radio qui lance un tube rock’n’roll. Là, une bagarre éclate au rythme de la musique, le montage collant à la percussion près de la chanson. En à peine trois minutes, Scorsese vient de poser les bases de son univers tout en créant une scène mythique.

Harvey Keitel, de son côté, fait aussi preuve d’un réel talent de comédien, ne faisant aucune fausse note tout au long du film, pourtant étalé sur trois ans. C’est une fabuleuse découverte que Scorsese venait de faire là, et il y fera très attention puisqu’il le réutilisera dans quatre films par la suite (Alice n’habite plus ici, Mean Streets, Taxi Driver et La dernière tentation du Christ). Zina Bethune, elle, aura moins de chance dans sa carrière puisqu’elle restera cantonnée à des séries télévisées ; pourtant, sans être transcendantes, elle fournit une interprétation correcte. Quant au reste des acteurs, la plupart non professionnels, ils sont surtout inoubliables pour leurs visages typiques et les stéréotypes de leurs personnages.

On regrettera juste que le scénario ne soit pas à la hauteur des ambitions de Scorsese, car comme il l’avoue lui-même il manquait de recul par rapport à sa propre histoire. Pourtant il y a de très bonnes choses sur le côté : la comparaison des deux vies de J.R. par exemple, romantique dépassé et catholique confirmé refusant le viol de sa copine, alors qu’inversement la violence urbaine q’il vit au quotidien ne le choque pas, mieux il en ri lorsqu’un ami sort une arme à feu et braque tout le monde dans la pièce.

Autobiographique mais pas aussi personnel que vont l’être les prochains films de Scorsese, Who’s that knocking at my door représente surtout les fondements d’un univers particulier, et constitue un premier film assez remarquable qui, s’inscrivant dans son contexte socio-historique, permettait de découvrir l’un des futurs grands du cinéma.

Note : ***

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