samedi 8 juillet 2006

Le Parrain (The Godfather)


Un film désormais mythique que ce Parrain.

Il serait inutile d’expliquer ce qu’est le Parrain, l’histoire des Corleone, leurs bonheurs, leurs malheurs, leurs trahisons, leurs membres… Il serait éventé de rappeler l’importance du Parrain dans l’histoire du cinéma, la révélation Pacino, la seconde vie de Brando, les Oscars, l’influence du film sur le genre, la consécration Coppola… Mais, finalement, qu’est-ce qui a permis au Parrain de devenir si incontournable ?

Soyons honnêtes, disons tout : les acteurs, le scénario, la réalisation, la musique, bref tout dans ce film était fait pour façonner un chef-d’œuvre éternel.

Le scénario par exemple, adaptation du roman de Mario Puzo déjà sacré best-seller. Il faut dire qu’auparavant, on avait jamais réellement osé aborder la mafia et en faire des héros de film. Seuls quelques cinéastes avaient tenté cette approche dans les années 30, comme Howard Hawks, mais ça s’arrêtait là, et encore on ne faisait nullement l’apologie de ce mode de vie. Ici, la mafia se voit offrir un nouveau visage, un esprit bien plus humain que tout ce qu’on avait pu lui offrir auparavant. Cette fois, la mafia devient une famille, avec ses joies et ses disputes. Le patriarche devient une figure emblématique, ses fils deviennent ses fidèles serviteurs. Avec ses passions déchirées, ses amitiés trahies, ses morts d’êtres chers, ses questions de vengeance, Le Parrain s’approche nettement plus de la tragédie antique que du simple drame ou du film policier. Récit fleuve, Le Parrain contient également une partie de chaque genre du cinéma : du policier, de la romance, de la comédie, du drame… Un patchwork qui permet au Parrain de ne pas cibler trop précisément son public et, en devenant universel, de traverser les âges.

Pour mettre ce chef-d’œuvre en image, il fallait bien un cinéaste solide, un rêveur, un idéaliste qui pensait pouvoir refaire le cinéma comme il le voulait, un jeune gaillard intellectuel et populaire à la fois. Ce réalisateur, ce fut Francis Ford Coppola, issu du « Nouvel Hollywood » et scénariste confirmé (Paris Brûle-t-il ?, Patton…). S’il ne doit son salut qu’à la patience et un petit peu de chance (Sergio Leone, Otto Preminger, Arthur Penn, Peter Yates et Costa-Gavras ayant refusé de réaliser le film), Coppola a réussi à insuffler au film un cachet unique, une sorte de mysticisme qui planerait dans le reste de sa carrière, à travers une mise en scène que certains jugeront académique mais qui, en réalité, regorge d’intelligence, de sens et de professionnalisme. Propos du réalisateur : « J'ai toujours pensé Le Parrain comme l'histoire d'un roi et de ses trois fils. Le plus âgé a reçu la passion et l'agressivité, le deuxième, sa douceur et ses gestes enfantins ; et le troisième, sa ruse et son calme. » Rien d’étonnant à trouver un côté tragique, shakespearien à son film. En revanche : « C'était dans mon intention de faire un film authentique sur des gangsters italiens, sur somment ils vivaient, comment ils se comportaient, la façon dont ils traitaient leurs familles, célébraient leurs rituels. » Une intention louable certes, mais non aboutie. Peut-on vraiment affirmer que la mafia existe comme cela ? Difficile à croire, notamment pour Scorsese qui, quelques années plus tard, offrira une vision moins romanesque de ce monde avec Les Affranchis… Il n’empêche que le film est maîtrisé de bout en bout, regorgeant de scènes désormais cultes et de moments forts, le plus souvent sublimés par la photographie de Gordon Willis.

Et bien sûr la musique de Nino Rota. Car c’est aussi ça qui a compté dans la légende du Parrain : cet air de musique reconnaissable entre mille, chargé d’émotion et de nostalgie, qui offre aux images un cachet quasi mystique, comme si nous assistions à un récit universel, une lutte perpétuelle entre le Bien et le Mal sans savoir vraiment où sont l’un et l’autre… Une partition sublime largement acclamée depuis.

Il ne restait plus à Coppola qu’à trouver les acteurs qui aideraient le film à entrer définitivement au panthéon des classiques. Si James Caan, Talia Shire ou Robert Duvall n’eurent pas trop de mal à être choisis, si Marlon Brando fut le choix initial du réalisateur et de l’écrivain (bien que le nom de Laurence Olivier ait circulé), Al Pacino fut en revanche à l’instar de Coppola un petit veinard. Avant son nom, les choix se portaient sur Warren Beatty, Jack Nicholson, Dustin Hoffman et même Ryan O’Neal… Moralité ? Caan, Duvall, Cazale et Sterling Hayden sont très bons, Pacino est bien malgré quelques fautes de parcours et Brando explose littéralement l’écran. Ce n’est pas tant dans sa façon de jouer que dans son personnage que Brando impressionne : un homme fatigué, dépassé, devant cédé sa place à une nouvelle génération. Il gardera toujours son importance, il restera éternellement l’icône qu’il est mais il doit partir. Comme un écho à la réalité…

Au vu de ses arguments, rien d’étonnant que Le Parrain soit devenu un mythe cinématographique, et le premier véritable « blockbuster » (il fut le premier film à dépasser la barre des 100 millions au box-office américain). Peut-être sa légende est-elle quelque peu usurpée, peut-être le film ne mérite pas autant d’éloges qu’on lui fait, mais on s’en fiche. Le récit nous touche, sans doute parce qu’il est humain, et que tout en conservant la part de fantasme qu’il nous évoque, il nous donne l’illusion de vivre cette tragédie. Un mélange de cinéma intimiste et populaire, intellectuel et violent. Une œuvre rare.

Note : *****

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