samedi 29 juillet 2006

La grande bouffe


Au royaume des cinéastes, Marco Ferreri n’était pas ce qu’on pouvait appeler des plus sages ; as de la provoc, son œuvre tend à être méconnu du grand public, et c’est bien dommage. Heureusement, La grande bouffe nous rappelle quel artiste il était, avec sa propre vision de l’homme et de sa décadence.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce film, de décadence : 4 amis, tous issus de milieux différents (comme pour saisir toutes les nuances qu’il peut exister dans la société), s’offrent un week-end pour mourir. Il faut mourir le ventre plein, la libido assouvie, mourir comme on l’a décidé. Cette volonté d’aller à la rencontre de sa propre fin (à l’encontre de sa propre faim ?) relève de la philosophie, d’une volonté de dominer sa Destinée.

La grande bouffe est une analyse, à l’aide d’un scalpel rouillé comme pour laisser des marques, d’une société en perdition. On gaspille la nourriture alors que le Tiers-monde meurt de faim, on ne songe qu’à forniquer sans se soucier de ce que cela engendre au niveau des émotions, on ri de gags scatos, on ne pense qu’à soi-même, on veut tout dominer mais, face à l’adversité, on se rétracte. Ferreri souligne nos imperfections au feutre rouge, rouge comme le vin, rouge comme le sang du cochon, rouge comme le symbole de l’amour et du sexe…

Pour participer à cette orgie funeste, Ferreri convoque des légendes : Philippe Noiret, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi et Marcello Mastroianni. Autant de grands noms qui, l’espace d’un film pour leur ami commun, se laissent emporter par leurs pulsions, leurs inspirations. Car Ferreri leur donne une liberté de ton exceptionnelle, non seulement dans l’improvisation mais aussi dans l’exagération. Cela s’avère déstabilisant de prime abord mais, au final, c’est bien dans l’esprit du film. Il convient alors d’applaudir Noiret et surtout Tognazzi, immense, tandis que Piccoli et Mastroianni cabotinent de temps à autres. A ce quatuor désormais entré dans la légende il faut ajouter Andréa Ferréol, dernier modèle de civilisation qui sombrera dans la même décadence que nos compères. Comme si, inéluctablement, l’Homme était condamné à subir l’influence néfaste de ses semblables et ainsi courir à sa perte…

En dépit des apparences, La grande bouffe n’est pas seulement un pamphlet à l’égard des hommes ; c’est aussi une mise en garde, pour que tout cela ne soit qu’un film, et un immense appel à l’amour de la part de Ferreri. Celui qui riait des insultes criées à Cannes n’a jamais caché s’être reconnu dans le personnage de Noiret, le plus mélancolique de tous et, surtout, le plus écorché. Le film choque mais le film est émouvant. Comme dirait Piccoli pour décrire l’œuvre : « Un cri désespérant de tendresse, possible ou impossible. »

Il n’y a rien d’étonnant à ce que le film fut hué à sa sortie ; il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit devenu l’objet d’un culte de nos jours ; il n’y aurait rien d’étonnant si, au vu de son sujet, on en parle encore dans 100 ans…

Note : ****

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