samedi 14 juillet 2007

Heat


Parfois, les remakes les plus improbables peuvent offrir les plu grands chefs-d’œuvre. On peut avancer cette idée lorsqu’on regarde Heat.

Alors que La Forteresse noire sort en salles, Michael Mann avoue posséder un projet de polar urbain efficace, mais ne désire pas le réaliser lui-même. Pourtant, en 1989, Mann réalise son projet en tant que téléfilm sous le titre L.A. Takedown, avec Michael Rooker et Scott Plank. Quelques années plus tard, l’envie de retravailler ce vieux projet en le dotant d’un budget conséquent et d’une confrontation de rêve, à savoir celle inédite de Robert de Niro et Al Pacino, titille le cinéaste au plus au point si bien que, fort de sa réputation et de ses succès, il lance la production de Heat. Et pendant que l’équipe suit un entraînement rigoureux quant au maniement des armes, Mann se rend à la prison de Folsom pour avoir une vision très précise de ce que devrait être le personnage de Neil. La démarche devait s’avérer payante.

Bien sûr, le marketing et le point fort du film consistait en la représentation de deux monstres sacrés du cinéma enfin réunis à l’écran. Pour la peine, Mann devait leur tailler, dans un scénario déjà dense, deux personnages sur mesure. Le premier, celui d’Al Pacino, était inspiré d’un détective que Mann connaissait à Chicago, qui avait un jour discuté avec un criminel qu’il devait arrêter ; dans la version originale, il devait également être cocaïnomane, ce qui expliquait ses sautes d’humeur. Le second, celui de Robert de Niro, était beaucoup plus subtil dans sa manière d’être : ex-taulard ne voulant replonger à aucun prix, méticuleux et efficace (pour preuve, quand il découvre Hannah à ses trousses à la fin, il abandonne tout ce qu’il possède exactement 30 secondes montre en main), il s’habille de manière classique, sobre et un peu sombre pour pouvoir se fondre dans la masse et passer inaperçu.

Le scénario se base justement sur la confrontation de ces deux êtres, que tout oppose et que finalement tout réuni. Constamment, les rôles s’inversent, on se prend de sympathie pour le criminel en désavouant le flic, aux manières peu légales à l’occasion. Cette dualité-complémentarité, Mann l’exploite pleinement à travers un jeu de miroirs de 2h40, comme le prouve ce souci du détail dans les opérations de chacun ou encore l’enchaînement de deux scènes de restos, celle des truands suivie de celle, semblable, des flics…

Pour illustrer cette confrontation, Mann instaure un climat tendu, où on ne sait jamais ce qui va se passer la minute suivante. Efficace, la mise en scène de Mann fait passer la longue durée du film comme une lettre à la poste, contemplatif de moments de grâce comme Los Angeles la nuit, utilisant sa palette de couleur favorite (noir, jaune et surtout bleu) et dont le sens de l’épure n’a d’égal que l’art du montage frénétique et précis, à l’instar de cette fusillade mémorable lors d’un hold up raté, ou cette introduction radicale et violente décrivant sans fioriture le braquage d’un fourgon en à peine 5 minutes. On est loin de son film précédent, Le dernier des Mohicans, dans la représentation du réalisme, et on ne devra pas voir Mann revenir à un tel niveau avant la fusillade finale, moins réussie cependant, de Miami Vice.

Mais bien sûr, parler de Heat sans évoquer un instant son casting serait impardonnable. Et ce n’est pas tant les deux têtes d’affiche qu’il faut acclamer que les seconds rôles qu’il faut applaudir, d’un Val Kilmer écorché vif parce qu’il le veut bien à un Tom Sizemore impressionnant, en passant par un Danny Trejo trop rare, une Nathalie Portman trop rare aussi et surtout un Kevin Cage assez sympa en psychopathe et un Jon Voight idéal en imitation d’Edward Bunker. Dire qu’il ne voulait pas jouer ce rôle au départ et que l’on ne doit sa performance qu’à la persévérance (et l’admiration) de Mann… Et enfin Al… Et Bobby… Des années qu’un tel événement faisait baver des milliers de cinéphiles, une rencontre si puissante qu’elle effrayait tous les réalisateurs. Même Mann : conscient qu’il détient la possibilité de réaliser un rêve trop beau pour être mis en images, il opte pour une technique vieille comme le monde afin de ne pas briser la magie : le champ-contrechamp. Les bases de la narration en gros, le minimum syndical comme les jeux des deux acteurs : regards fuyants, visages impassibles, voix douce et calme, bref un véritable moment de flottement dans ce récit rapide et brutal où jamais De Niro et Pacino sont visibles simultanément. A une exception près : lorsque Hannah interpelle Neil sur l’autoroute, mais alors encore Mann tronque sa mise au point et offre, en plus d’un éclairage minimaliste, un flou pour De Niro et une contre-plongée pour Al Pacino. Comme si cette rencontre n’avait finalement pas lieu… Le reste du temps, Al Pacino est le flic survolté et impulsif, tandis que Robert de Niro est le truand implacable et méthodique : deux styles en totales oppositions, comme les jeux des acteurs au travers de leurs carrières d’ailleurs, où Pacino à vif s’oppose à un De Niro en le plus souvent en intériorisation.

Œuvre crépusculaire, Heat n’est pas qu’une simple réunion de talents : c’est une œuvre d’art à part entière, où les personnages dessinés sont finalement condamnés à mourir dans ce tableau d’un Los Angeles le plus souvent nocturne, comme si on voulait cacher dans l’obscurité les démons d’une ville où s’affrontent quotidiennement le Bien et le Mal. Ce que le film illustre sans prendre de parti mais, tout simplement, en transformant un vulgaire polar en tragédie antique.

Note : *****

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