samedi 7 juillet 2007

Citizen Kane


Peut-on imaginer ce que serait, même un instant, le cinéma moderne sans Citizen Kane ? Impossible, tant l’innovation de ce film a chamboulé à jamais le monde du cinéma !

Et dire que tout cela est l’œuvre d’un homme en particulier : le mythique Orson Welles. Génie (la légende veut d’ailleurs que ses premiers mots furent « je suis un génie ! ») touche-à-tout, qui aurait pu prédire que cet artiste du théâtre, chroniqueur radiophonique (dont l’adaptation de La guerre des mondes est devenue célèbre) allait bousculer 40 ans de cinéma comme si de rien n’était, à seulement 26 ans ? Mais quel est le secret de Citizen Kane ?

Tout d’abord, et surtout, sa réalisation, qui a véritablement révolutionné le monde du cinéma. Orson Welles a e effet employé des techniques nouvelles et qui allait devenir les bases du langage cinématographique moderne. Il a par exemple employé le procédé d'impression optique à la Truca (qui consiste à aligner une caméra avec un projecteur dont le fonctionnement est synchronisé ; la pellicule peut ensuite être retravaillée en post-production) ; il a fait une utilisation exceptionnelle des plans-séquences pour l'époque, au détriment du gros plans et du champ contre champ (le plan-séquence permet une plus grande fluidité du film et une liberté de mouvement pour les comédiens) ; il fit installer des objectifs avec grand angle sur les caméras ce qui donna une profondeur de champ exceptionnelle pour l'époque (et ce qui a obligé le chef opérateur à utiliser parallèlement des courtes focales pour que l'image reste nette en arrière et premier plans. L'utilisation fréquente de la contre-plongée a également forcé le chef opérateur à faire venir la lumière du sol). Welles utilisa aussi des trucages dans les décors : il fit ajouter des peintures trompe l'oeil en transparence pour faire des jeux de perspective et installer des faux plafonds. Enfin, les jeux d’ombres ont une importance capitale dans ce film, recentrant l’action ou, dans le cas du journaliste, permettant une sublimation pour que le spectateur devienne l’enquêteur.

Le scénario, lui aussi, est extrêmement bien travaillé. Outre la complexité des personnages, en particulier celui de Charles Foster Kane, et le côté satirique du film, dénonçant les arrivistes, les riches mégalomanes et Hollywood lui-même (Xanadu ne ressemble-t-il pas à certaines maisons de stars ?), le découpage du récit en surprit plus d’un à l’époque : composé de flash-back, de scènes revisitées sous d’autres angles, ce « film-enquête » se révélait très complexe, bourré de métaphores et dont l’énigme, le mystérieux Rosebud, n’allait trouver signification qu’à la toute fin du récit. A ce propos, petite analyse personnelle : Rosebud n’est donc autre que la luge de Kane, mais ne peut-on y voir d’autres allusions ? Et si Rosebud était l’amour, dont Kane avait été privé en étant séparé de ses parents ? Et si Rosebud était le symbole de l’enfance et, par là même, le symbole de l’innocence perdue de Kane ? Les interprétations sont nombreuses… On regrettera toutefois quelques moments de flottements, comme la parade amoureuse à laquelle se livre Kane et la cantatrice, qui dure un peu trop longtemps et, du coup, ralentit le film…

Tous les acteurs son excellents. Rien d’étonnant car s’ils débutent devant la caméra, ce sont des habitués d théâtre, issus pour la plupart du Mercury Theatre, la compagnie de Welles. Pourtant, une fois encore, c’est Welles qui domine tout, évoluant comme son personnage tant mentalement que physiquement. C’est presque du De Niro avant l’heure, le côté shakespearien en plus. La mégalomanie de Kane, que l’on peut aujourd’hui associé à celle de Welles tant elles se ressemblaient, trouve en ce fabuleux acteur une base solide, lequel a vraiment livré avec ce film l’une de ses plus monstrueuses interprétations.

On notera aussi deux noms prestigieux au générique : d’une part Robert Wise, travaillant ici comme monteur avec Welles (il le sera à nouveau sur La splendeur des Amberson) ; ensuite Bernard Hermann, dont c’était là le premier film (nominé à l’Oscar) et qui deviendra célèbre par la suite notamment via sa collaboration avec Alfred Hitchcock…

Pourtant, le film ne fut pas un succès retentissant ; il fut même un échec cuisant à sa sortie. Beaucoup expliquent cela par la pression médiatique de William R. Hearst, magnat de la presse de l’époque qui fit en sorte que tout le monde boycotte ce film. Il faut dire que Welles s’était largement inspiré de la vie de Hearst, et que du coup Citizen Kane ressemblait à une attaque directe envers celui-ci. Hearst lutta donc fermement pour détruire le film. Le cinéma ne doit le salut de son chef-d’œuvre qu’à un retournement de situation incroyable : la perte de crédibilité et d’influence de Hearst…

Le film reçut 9 nominations Oscars (Meilleur film, Meilleure direction artistique, Meilleure photographie, Meilleur montage, Meilleur musique, Meilleur son et 3 pour Welles : Meilleur acteur, Meilleure réalisation et Meilleur scénario), mais n’en remporta qu’un seul (Meilleur scénario), dont on ne su jamais vraiment qui avait travaillé le plus entre Welles et Herman Mankiewicz, notamment au niveau de l’énigmatique Rosebud…

Le film fut donc un échec mais se rattrapa largement par la suite, devenant avec le temps une valeur sûre de la RKO. Il faut dire que la réputation du film fut énorme : acclamé par les critiques de la Nouvelle Vague, le film fut rapidement considéré comme un chef-d’œuvre ultime. La revue Sight & Sound la qualifiera même, et ce depuis plus de 50 ans de « meilleur film de tous les temps ».

Top 10 des critiques1 - Citizen Kane d'Orson Welles 2 - Sueurs froides d'Alfred Hitchcock 3 - La Règle du jeu de Jean Renoir 4 - Le Parrain / Le Parrain, 2e partie de Francis Ford Coppola 5 - Le Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu 6 - 2001 : l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick 7 - L'Aurore de Friedrich-Wilhelm Murnau 8 - Le Cuirassé Potemkine de Sergei Mikhailovich Eisenstein 9 - Huit et demi de Federico Fellini 10 - Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly Top 10 des cinéastes 1 - Citizen Kane d'Orson Welles 2 - Le Parrain / Le Parrain, 2e partie de Francis Ford Coppola 3 - Huit et demi de Federico Fellini 4 - Lawrence d'Arabie de David Lean 5 - Docteur Folamour de Stanley Kubrick 6 - Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica 7 - Raging Bull de Martin Scorsese 8 - Sueurs froides d'Alfred Hitchcock 9 - Rashomon d'Akira Kurosawa - La Règle du jeu de Jean Renoir - Les Sept samouraïs d'Akira Kurosawa

Un chef-d’œuvre qui semble donc intemporel, où les années n’ont aucun emprise sur sa puissance et qui continue, encore et toujours, à fasciner des milliers de cinéphiles.

Note : *****

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