jeudi 9 février 2006

Ombres et brouillard (Shadows and fog)


Ou quand Woody Allen, à travers un hommage à l’expressionnisme, réussit l’un de ses films les plus élégants, cela s’appelle Ombres et brouillard.

Dans une petite ville d'Europe centrale entre les deux guerres, Kleinman, un petit employé, est réveillé par la milice qui recherche un étrangleur. On va alors lui confier un rôle bien particulier dont il ignore totalement la nature, et rencontrer une artiste de cirque en fuite…

S’il existe un auteur fortement influencé par les autres, il s’agit sans conteste de Woody Allen. Peuvent en témoigner des films comme Guerre et amour (Tolstoï), Intérieurs (Ingmar Bergman), Stardust Memories (Fellini), Comédie érotique d’une nuit d’été (Shakespeare), La rose pourpre du Caire (Pirandello), Hannah et ses sœurs (Tchekhov), Une autre femme et Maris et femmes (John Cassavetes), Crimes et délits (Dostoïevski)… Il est donc logique qu’Ombres et brouillard suive le même chemin.

Attention toutefois qu’ici, Allen vise très haut : ce n’est rien de moins que Kafka et l’expressionnisme qu’il salue à travers son récit à la fois poétique et mystique, ironique et métaphysique. Sans sombrer dans une profonde réflexion théologienne comme dans Crimes et délits, Allen réfléchi encore sur la Foi et la mort, sans apporter de réponse toute faite et laissant le spectateur jugé par lui-même. Ce qui est sûr, c’est qu’Allen ne se proclame nullement prophète ou même capable de comprendre, de donner un sens à la vie (Kleinman, « le petit homme » face à Dieu, quel qu’il soit).

Pour ce faire, Allen choisi donc une construction kafkaïenne, où le réel se confond avec l’irréel, où la société semble écraser l’être humain, complètement perdu dans ce monde où il ne comprend pas vraiment sa place…

Il y a aussi l’influence flagrante de l’expressionnisme, où Allen rend hommage au plus grand : Murnau et son Nosferatu (l’ombre menaçante du tueur qui plane sur la victime), Lang et son M le maudit (le caractère soupçonneux de la communauté, l’entre deux guerres, la coalition des mafieux pour trouver l’assassin…), etc. Il y a aussi une petite référence indirecte au Freaks de Tod Browning, dans ce cirque où la belle starlette séduit le directeur du cirque alors qu’elle couche avec Hercule et rend jalouse la femme du directeur…

Une fois de plus, Woody ne se refuse rien au casting : lui-même, sa muse Mia Farrow, John Malkovich, John Cusack, Kathy Bates, Jodie Foster, Michael Kirby, Donald Pleasence, Madonna… Que du beau, du bon, que du grand. On regrettera juste l’inégalité de leurs rôles, due sans doute à une certaine méconnaissance de la plupart d’entre eux à l’époque…

Le meilleur du film pourtant, hormis ce splendide scénario et ce casting prestigieux, reste la réalisation de Woody Allen : à la fois sobre et élégante, Allen est parvenu à retranscrire le genre sans le trahir, lui redonnant même un soupçon d’ambiance d’époque sans pour autant noyer sa personnalité dans le travail technique (magnifique noir et blanc contrasté d’ailleurs). Il y a en effet dan cette copie d’œuvres du courant allemand une touche allenienne, distillée dans l’humour névrotique habituel d’Allen et sa manière de filmer : calme, en mouvement latéraux, avec peu de gros plans et une attention toute particulière à mettre en avant Mia Farrow…

A la fois maîtrisé et désespérément sombre, Ombres et brouillard est peut-être de ce côté de la filmographie d’Allen qui nécessite une implication totale dans la réflexion, une remise en question de ses principes qui pourra dérouter le spectateur. C’est presque du cinéma intellectuel, l’humour en plus ; c’est la face sombre d’Allen, la moins accessible, la moins séduisante mais aussi la plus intéressante.

Note : ****

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