samedi 5 mai 2007

Le dernier nabab (The last tycoon)


Il y a de ces films dont le simple nom fait rêver et qui, une fois vu, laissent un goût désagréable en bouche, comme la sensation d’être passé à côté de l’essentiel, que le film aurait pu être bien meilleur avec une autre approche. Comme Le dernier nabab.

Pour comprendre pourquoi ce film est alléchant, citons le casting : Robert de Niro, Robert Mitchum, Jack Nicholson, Donald Pleasence, Tony Curtis, Jeanne Moreau, Ray Milland, Dan Andrews, Theresa Russell et Angelica Huston, réalisé par Elia Kazan sur base d’un roman de F. Scott Fitzgerald. De quoi en faire baver plus d’un ou, comme disait Louis B. Mayer (grand patron de la MGM à l’époque), « il y avait plus d’étoiles que dans le ciel lui-même ».

L’histoire se base en fait sur Irving Thalberg, célèbre producteur de la MGM dévoué corps et âme à son art. Détestant les réceptions mondaines et les télévisions, refusant d’être crédité à ses films, Thalberg était ce qu’il convient d’appeler un bourru de travail. Chef de studio à l’âge de 21 ans, il travailla 16 heures par jour pendant 12 ans d’affilée. Il finit usé et mourut d’une défaillance cardiaque à l’âge de 37 ans. Il a souvent été signalé que Thalberg était un rebelle timide, un peu comme De Niro… D’où le choix de l’acteur par Kazan.

Quelle plus belle récompense pour De Niro de travailler avec le fondateur de l’Actor’s Studio ! Le hic, c’est qu’il ne savait pas dans quel film il venait d’être engagé… Un peu d’historique : Sam Spiegel, producteur comblé (African Queen, Sur les quais, Le pont de la rivière Kwaï, Soudain l’été dernier ou Lawrence d’Arabie pour ne citer que ses plus gros succès) sentant sa fin approcher (il avait 75 ans à l’époque) voulait faire un film somptueux sur l’Hollywood des années 30-40, celui qui avait fait sa gloire et sa fortune. Il acheta pour la peine les droits d’un roman de Fitzgerald, auteur jugé inadaptable, et confia le script à Harold Pinter, scénariste qualifié mais sans plus. Vu qu’il investit 5,5 millions de dollars en fond propre, Spiegel demanda un cinéaste hors pair pour ce film, en l’occurrence Elia Kazan. Si le film partait d’une bonne intention, la suite devait montrer que personne n’était à sa place…

En effet, le moins que l’on puisse dire est que Le dernier nabab ne devait pas s’inscrire à cette époque-là. Le récit de Fitzgerald était mordant, acide envers un Hollywood clinquant, empire de l’industrie cinématographique. Bref, un récit qui aurait parfaitement convenu à l’agressivité cinéphilique du Nouvel Hollywood, qui aurait pu amener le film vers une satire des plus corrosives et des plus somptueuses sur l’aspect sombre d’Hollywood. Le casting était déjà installé, puisque face aux vétérans Mitchum et Curtis se trouvaient De Niro et Nicholson. En dépit, le film d’un septuagénaire était aux mains d’un cinéaste de 66 ans que tout le monde déclarait fini. Spiegel refusait de voir ce film autrement que comme un hommage à un Hollywood d’antan, ce qui contraria par ailleurs Kazan.

Le cinéaste détestait en effet le scénario de Pinter, luttant désespérément pour faire disparaître les scènes d’amour qui occupait la moitié centrale du film, arguant aussi qu’aucune action n’avait lieu dans le film. Spiegel étant buté, et Pinter ne répondant jamais aux messages de Kazan, le cinéaste du faire bon gré mal gré ce film qu’il savait être son dernier. Hélas, malgré son talent, il ne pu empêcher le film de sombrer dans les abîmes.

Le film est donc faible, inintéressant et d’une platitude constante. Les femmes décrites par Fitzgerald sont impossibles à rendre à l’écran, et ce n’est pas Ingrid Boutling qui changera cette idée. L’actrice n’a en effet aucun charme particulier et ne possède pas non plus un jeu transcendant. On peut croire qu’elle est en partie responsable de l’échec du film, mais pas seulement elle. En effet, Robert de Niro n’est pas des plus convaincants non plus dans son rôle. S’il semble avoir clairement saisi l’essence de son personnage (il a même été jusqu’à perdre 20 kilos en un mois pour cela), son jeu s’effectue en retenue, est lisse comme on ne le voit pas souvent au point de devenir ordinaire. Pour sa défense, il faut reconnaître que le film ne lui offre aucune occasion d’exploser, les dialogues étant très plats et le film étant gangrené par une histoire d’amour ennuyeuse et inutile.

Le scénario est donc pesant, monocorde où rien ou presque ne se passe. On aurait aimé connaître le fonctionnement des studios de l’époque, on y a pas droit, tout au plus avons-nous la dispute entre les producteurs et le syndicat des scénaristes en toile de fond, mais c’est bien peu consistant. C’est à Kazan que revient tout de même le mérite de s’être battu pour empêcher le film d’être un échec complet, en créant par exemple ce merveilleux plan final (qui n’était pas dans le scénario) où Stahr, après avoir été renvoyé des studios, s’enfonce dans les ténèbres d’un studio jamais utilisé…

Kazan était conscient de l’échec qui l’attendait, et il y avait de quoi : un film aussi puissant que celui-là ne devait pas être fait par les anciens d’Hollywood mais par la nouvelle génération qui dynamitait les codes préétablis. Un Coppola ou même un Scorsese auraient pu emmener ce film au firmament ; en dépit, les étoiles qui s’y trouvent perdent de leurs éclats, le temps ne les aidant certainement pas. Un gaspillage cosmique.

Note : **

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