lundi 28 mai 2007

M le laudit (M)



Il est des chefs-d’œuvre qui, des décennies plus tard, ne perdent rien de leur puissance évocatrice, ayant réussi à s’inscrire dans un climat social autant qu’à donner ses lettres de noblesse au cinéma. M le maudit fait assurément partie de ces œuvres magistrales.

Aux commandes, il y a Fritz Lang, cinéaste déjà légendaire à ce moment-là, l’égal d’un Griffith ou d’un Chaplin au niveau du talent et du génie. Perfectionniste, Lang est tout aussi formidable conteur que technicien remarquable. Ses films ont changé la face du monde cinématographique (Métropolis) et dans cette obscure période allemande qu’est la montée au pouvoir du nazisme, Lang va signer une de ses œuvres les plus remarquables.

Lang soigne d’abord sa mise en scène : métaphores et symboles sont ainsi disséminés un peu partout dans le film, ce qui permet plusieurs niveaux de lectures fascinants. En homme cultivé, il glisse quelques références culturelles : l’air que siffle le meurtrier, extrait du Peer Gynt de Grieg, est d’une importance capitale et surtout, angoissant à souhait, seul thème musical du film puisque Lang n’abandonne pas ses idées du muet, ou peut-être implique-t-il que le cinéma d’alors doit commencer à se taire pour exister… Il y a aussi cette référence à Jack L’éventreur, lorsque le meurtrier écrit directement à la presse, se vantant de ses exploits macabres… Lang rend également un hommage (à moins que cela ne soit une ancienne influence) à l’expressionnisme allemand, disparu à l’époque mais dont els adeptes sont encore nombreux. Cela lui permet également, en jouant des ombres, de faire passer n’importe qui pour un meurtrier potentiel (d’où le titre original L’assassin est parmi nous)…

Il se concentre aussi sur sa direction d’acteur, remarquable mais dont Peter Lorre éclipse toutes les interprétations, criminel malade pour lequel on en sait si on doit avoir du mépris, de la haine ou de la pitié… Un acteur qui hélas, par la suite, ne sera jamais vraiment reconnu à sa valeur, malgré d’excellents rôles comme dans Le faucon maltais…

Lang s’amuse aussi, à travers son scénario, à jouer avec nos nerfs. L’écriture est tout simplement excellente, véritablement maîtrisée et cohérente. On peut cependant sentir une rancœur de Lang, vis-à-vis du public, puisqu’il fut longtemps soupçonné d’avoir assassiné sa première femme… Du coup, Lang remet l’innocence de chaque individu de la société en cause. L’influence des nazis joue également un rôle, puisque Lang retranscrit la paranoïa grandissante au sein de la communauté, et les délations de plus en plus fréquentes…

Mais là où Lang impressionne encore plus, c’est dans sa capacité à critiquer implicitement, surtout à l’aide d’un montage très équivoque : avec des parallèles, par exemple, Lang compare la police à la pègre. Il n’hésite pas non plus à dénoncer la justice des hommes, cruelle et dont il faut grandement se méfier ; rien d’étonnant à ce que le juge du procès populaire du meurtrier ressemble à un membre de la Gestapo et que les malfrats comme la police, agissent presque comme les officiers SS d’Hitler à l’époque…

Un film remarquable en tout points de vue donc, qui non seulement ne vieillit pas, mais en plus possède une valeur historique essentielle et reflète parfaitement le génie de ce cinéaste.

Note : *****

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