mardi 30 décembre 2008

La valse des pantins (The king of comedy)


Dans plusieurs carrières, et même celles de grands noms du septième art, il existe toujours « le film de trop » celui qu’on aurait pas du faire ou du moins pas à ce moment là. La valse des pantins est ainsi celui de la filmographie de Scorsese.

Dès la fin d’Alice n’est plus ici, Scorsese reçoit un scénario traitant de la célébrité et de l’entêtement d’un rêveur qui attend sa minute de gloire. Peu convaincu par un script avec plusieurs défauts, Scorsese refuse poliment le film, se concentrant sur un projet de la même trempe intitulé Night Life, l’histoire de deux frères dans le show-business. Quelques années plus tard, Scorsese doit abandonner Night Life, dont plusieurs éléments se retrouvent dans Raging Bull ; De Niro qui est tombé amoureux du film a filé le script à Michael Cimino, qui finit aussi par l’abandonner au profit de La porte du paradis. C’est alors que le duo décide de travailler ensemble sur le film… pour le meilleur et pour le pire.

Fidèle à sa réputation, De Niro peaufine son rôle ; il faut dire qu’il en voulait à mort de ce Rupert Pupkin, qui lui permettrait de casser son image de Raging Bull. Il se met alors à étudier le style du comique Richard Belzer et à (à son plus grand plaisir) poursuivre les chasseurs d’autographes et autres fans de stars pour mieux les étudier. De son côté, Scorsese a des soucis de casting : envisageant un temps Dean Martin, Frank Sinatra et Johnny Carson (qui refusa le rôle de peur d’inspirer des fous furieux), il opte finalement pour Jerry Lewis, avec qui le contact ne passe pas du tout pendant les trois premiers jours de tournage ; Meryl Streep refusant elle aussi un rôle, Marty se rabat sur Sandra Bernhard, comique extravagante et surtout imprévisible. Si Lewis était dérouté par la manière de réaliser de Scorsese, il devit l’être bien plus par le jeu de Robert de Niro : pour la scène où Pupkin s’invite chez Langford, et où ce dernier perd son sang-froid, De Niro n’hésita pas à faire des remarques antisémites pour énerver Lewis, ce qui permit au comique de délivrer une performance très crédible.

Il faut reconnaître que Scorsese dans la comédie, on ne s’y attendait pas vraiment et il y avait sans doute une raison à cela. Non pas que le film soit mauvais, bien au contraire, mais disons que Scorsese tentait là une expérience après nous avoir littéralement assommé avec Raging Bull. La comparaison est dure, mais doit être faite. Néanmoins, il convient d’observer que certaines idées récurrentes dans l’univers scorsesien (et en particulier Taxi Driver puisque La valse des pantins en reprend les grosses ficelles) ponctuent ce récit : un héros solitaire qui désire vivre dans un univers qui n’est pas forcément le sien, cherchant de plus à conquérir une femme inaccessible, et un jusqu’auboutisme de son antihéros qui le mènera inévitablement à sa perte (laquelle est toujours occultée : alors que Travis semble guéri et Rupert célèbre à la fin des films, Scorsese sous-entend largement que l’un recommencera ses massacres tandis que l’autre sombrera à nouveau dans l’anonymat). La caméra de Scorsese est toujours aussi fluide mais il semble avoir bien du mal à diriger les improvisations de ses acteurs.

Acteurs qui d’ailleurs sont excellents : dans des contre-emplois, De Niro fait rire et Jerry Lewis fait grincer des dents. Deux générations différentes qui, non sans rappeler le conflit Dustin Hoffman/Laurence Olivier dans Marathon Man, opposent deux méthodes : celle de De Niro, basée sur l’appropriation du personnage, et celle de Lewis dont le sens du timing rappelle le comique des films burlesques qu’il était autrefois. Face à ces deux monstres sacrés, Sandra Bernhard tient bon, imposant ci et là de grands moments de borderline fidèles à l’esprit de son personnage, avant de devoir laisser la place au duo vedette dominant de bout en bout.

Mais en quoi est-ce un film de trop ? Certainement pas au niveau du scénario, qui annonçait déjà le phénomène des télés-réalités où le quidam du coin peut obtenir son quart d’heure de gloire en faisant n’importe quoi ou presque ; non, le film fut une erreur en ce sens qu’il fut, d’une part, un échec commercial si important (après celui de Raging Bull) qu’il condamna Scorsese à réaliser des films de commande (After Hours, La couleur de l’argent) avant de pouvoir revenir avec une œuvre plus personnelle en 1988 (La dernière tentation du Christ) ; ensuite, le film devait être un coup de grâce dans la collaboration Scorsese/De Niro, les deux artistes ayant tellement exploré de choses avec Raging Bull que La valse des pantins devint trop éreintant émotionnellement ; ils ne devaient retravailler ensemble que sept ans plus tard. Un film sympathique mais dont le tribut devait s’avérer coûteux ; Hollywood, ton univers impitoyable…

Note : ***

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