samedi 13 décembre 2008

Dyptique Mesrine


Les biopics, c’est à la mode. Les films de gangsters, c’est en général un succès garanti et surtout un film culte pour des générations à venir, même si ces générations peuvent mal interpréter les discours (il n’y a qu’à voir comment le propos de Scarface a été détourné). Mais les films français très audacieux, là c’est tout de même plus rare. Alors quand une production de l’Hexagone joue sur le terrain habituellement ricain, et en diptyque en plus, on craint le pire… Et on est heureux de se tromper avec Mesrine !
Ce n’est pas la première fois que la vie du célèbre gangster est portée à l’écran : Mesrine en 1983 réalisé par André Génovès et le téléfilm La Chasse à l'homme ont déjà illustré le bonhomme (et même Inspecteur La Bavure en partie dans une toute autre mesure). Sans oublier les chanteurs qui en ont à un moment ou l’autre parler dans leurs œuvres, de Renaud à Trust en passant par IAM. Bref, une icône, une légende des valeurs sociales. Vraiment ?




L’instinct de mort
Je dois avouer qu’à l’annonce du projet, j’étais un peu mitigé. D’abord, parce que le casting n’a pas arrêté de changer (avec Vincent Cassel il y a eu Benoit Magimel et Vincent Elbaz d’annoncés, puis des noms comme Marion Cotillard, Eva Green, Alain Delon, Jean-Pierre Cassel, Guillaume Canet, Clovis Cornillac et Samy Naceri ont circulés avant d’être supprimés) puis le nom de Jean-François Richet ne m’emballait pas plus (surtout qu’il remplaçait Barbet Schroeder) que celui de Thomas Langmann à la production (jeune homme certes ambitieux mais hélas pas toujours au top à se trop se prendre pour un américain).

Heureusement, il m’arrive d’aller au-delà de mes appréciations et de me rendre compte de mon erreur de départ. Il faut dire que Richet a la délicatesse de rassurer dès le départ par un carton-générique disant grosso modo qu’un biopic n’est jamais honnête, que la Vérité n’existe pas et ou plutôt qu’elle existe chez tous sous différentes formes ; bref, Mesrine sera un film qui ne se voudra pas objectif mais juste sincère. L’intro du film laisse dubitatif à ce niveau : on voit Mesrine et sa compagne, quelques minutes avant de se faire descendre, tenter de quitter Paris déguisés. Un montage de plusieurs cadrages différents du même plan fait penser à cet effet de mode lancé par 24H Chrono, mais peut aussi faire écho au message de Richet, en montrant que Mesrine n’a(ura) pas qu’une seule mais bien plusieurs facettes.

L’instinct de mort (et par conséquent L’ennemi public) s’étale donc comme un vaste flash-back qui tente de comprendre, dans cette première partie, comment Jacques Mesrine est devenu ce qu’il est devenu. La guerre d’Algérie à 20 ans, l’envie de richesse et de femmes, des amis douteux, un père lâche, une vie morose et monotone, une réinsertion impossible, tout ce qui a pu contribuer de près ou de loin à faire de Mesrine un ennemi public est exploité. Même des événements relativisés comme le meurtre du proxénète (dont s’est vanté Mesrine dans son livre bien que le meurtre ne fut jamais prouvé en l’absence de victime) ou le cambriolage audacieux où Mesrine s’est fait passé pour un inspecteur de police auprès des propriétaires de la maison sont présents dans le récit. On regrettera à cet égard que le meurtre de Evelyne Le Bouthillier ne soit pas évoqué dans le film, ce meurtre que l’on attribua à tort à Mesrine et Schneider et sur lequel il écrivit d’ailleurs le livre Coupable d’être innocent où il explique que son mépris de la justice vient aussi en grande partie de cette fausse accusation…

Le casting est impeccable : Vincent Cassel, bien sûr, est impressionnant, autant que Gérard Depardieu en dandy malfrat de banlieue. Et ce n’est qu’au vu des performances des acteurs que l’on regrette un peu la mise en scène de Richet, globalement académique, froide, certes brute et efficace (le meurtre du proxénète mais aussi la détention au QHS et l’assaut contre celui-ci) mais qui semble s’effacer pour laisser la place aux personnages et à l’ambiance qui les entoure (fantastique retranscription des années 60). Richet a néanmoins l’intelligence, et c’est ce qui fait à mes yeux le charme de ce premier volet, de présenter Mesrine d’un point de vue humain : Mesrine n’est ni un héros, ni un enfoiré complet. Il n’hésite pas à tuer mais respecte un code moral, il ne supporte pas que l’on maltraite les femmes mais bat la sienne, a des tendances d’extrême-droite alors qu’il finira d’extrême-gauche (si on peut dire). Mesrine est un personnage complexe, à la fois fascinant et repoussant, intriguant et inintéressant, bref un homme avec toutes ses contradictions. Oui, un homme, rien de plus, rien de moins, et c’est ce qui fait la qualité du film de Richet de ne pas sombrer dans la glorification ou la mortification du mythe Mesrine.




L’ennemi public n°1
Il est surprenant de voir comment deux films qui sont à la base sensés n'en faire qu'un peuvent être radicalement différent. L’ennemi public s’intéressant à la vie médiatique de Mesrine, il est facile d’affirmer (et je ne me priverai pas pour le faire) que le film était à la fois plus facile et plus périlleux à faire que L’instinct de mort. En effet, si les informations sont beaucoup plus faciles à obtenir sur cette partie de la vie du gangster, il faut aussi non seulement se détacher de l’image que l’on garde du Mesrine vu à la TV mais aussi de parvenir à faire en sorte que le spectateur suive dans ce détachement.

Dans ce second volet, exit la psychologie fouillée de Mesrine, place à un antihéros qui se veut bigger than life, un mégalo fini qui se prône en justicier et qui n'est qu'un voyou de grande envergure. La complexité de Mesrine laisse place ici à l’ambition d’un gangster parfois pathétique, toujours audacieux. En ce sens, L’ennemi public est moins sombre car plus drôle que l’Instinct de mort (l’ironie du personnage de Mesrine jouant pour beaucoup, notamment lors de la séquence du procès). Chacun se fera son opinion, mais cet humour allège le film et le rend moins marquant que le premier volet à mes yeux…

Fini aussi l'ambiance tendue, la nervosité, le film à fleur de peau, place à un film un tout petit peu répétitif (braquages, arrestation, évasion, braquage, arrestation, évasion) mais très drôle (en tout cas grâce à la grande gueule de Mesrine). En revanche, et c’est là le paradoxe, Richet semble se lâcher, recourant à des caméras épaules et un montage abrupte qui rend le film parfois illisible. Ironie de voir que la nervosité du film disparaît quand la nervosité de la caméra du réalisateur refait surface… Cela étant, le film parvient à prendre à ce point au trip qu'on en vient à frémir lors d'un contrôle routier, ou à avoir un léger pincement quand Mesrine arrive Porte de Clignancourt. C’est là le premier point fort de ce film, être capable de jouer avec les émotions du spectateur même si celui-ci s’est renseigné sur Mesrine avant de rentrer dans la salle. Et cela rend le film encore plus drôle d’ailleurs, car si on se prend à être accroché au film comme si on ignorait ce qui allait se passer, on ne peut s’empêcher de dire que les évasions de Mesrine « c’est trop déconné ! » alors qu’elles eurent réellement lieu de la sorte (cfr cette évasion de la Santé ahurissante). Le genre de scènes dont on dirait dans un film normal « j’y crois pas, c’est vraiment du cinéma ! » alors que… A noter qu’une certaine tension règne quand même dans le film, la caméra ne quittant jamais Mesrine (et évitant ainsi des éléments historiques importants comme la guerre des polices par exemple).

Ensuite évidemment, second point fort du film (et bien plus encore que dans l’Instinct de mort) : le casting. Bien plus étoffé que le premier film (on retrouve ici en vrac Samuel LeBihan, Matthieu Amalric, Olivier Gourmet, Gérard Lanvin, Ludivine Sagnier, Georges Wilson), les comédiens semblent être plus encore au diapason : LeBihan est méconnaissable en Ardouin (il a pris 14 kilos quand même pour ce rôle de 10 minutes…), l’accent de Lanvin qui fait rire la première fois passe inaperçu à la scène suivante, Amalric est fidèle à lui-même, Gourmet aussi, Sagnier nous fait toujours autant profiter de son talent que de ses (généreuses) formes et Georges Wilson est tout simplement impayable dans la séquence d’un milliardaire de 82 ans kidnappé qui refuse de payer Mesrine vu son âge ! Mais le sommet, et c’est chose logique, est Vincent Cassel qui EST Mesrine dans ce qu'il a de plus noble et de plus pitoyable, et dont la performance physique impressionnante (20 kilos en plus) s'ajoute à un effacement total derrière le caractère du personnage. On oublie l’acteur, on ne retient que Mesrine, criminel notoire et prétentieux, se voulant d’extrême-gauche alors qu’il braquait des banques (et donc l’argent des petits gens), voulait son nom en première page du journal, qu’on ne parle de lui qu’en bien (pénible séance de torture du journaliste de La Minute) et qui s’isolait malgré lui. On a pour coutume de dire que les grands acteurs, ceux de l’Actor’s Studio, sont américains ; Cassel prouve ici, en toute simplicité, qu’il peut prétendre aussi au statut de grand acteur.

Diptyque difficile à juger donc, les deux films ne se ressemblant pas tant que ça, mais dont le fil conducteur, à savoir Vincent Cassel, parvient à créer la suture de manière adéquate. La sincérité, l’implication de l’équipe dans le film, le refus d’idéalisation du personnage et l’acteur principal font de Mesrine l’un des plus grands polars français depuis des années.

Note : ***

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