samedi 26 novembre 2005

Underground


Mon film préféré d’Emir Kusturica que cet Underground !

D’un avis strictement personnel, j’ai toujours voué une admiration pour les artistes capable de porter un regard critique et réaliste sur un sujet d’actualité grave : Chaplin et son Dictateur, Kubrick et son Docteur Folamour, Peter Watkins et son War Game, et voilà que découvre Underground qui n’est rien de moins que 50 années de conflits (militaires ou humains) en Yougoslavie, terre natale de Kusturica !

A tous les niveaux, le film tire vers les sommets du septième art : acteurs, scénario, réalisation, musique, rien n’a été laissé au hasard !

Commençons par les acteurs : évidemment peu connus dans nos pays, ils possèdent pourtant un potentiel tragi-comique inouï que Kusturica a su utilisé à merveille ! A mi-chemin entre l’humour décalé et la tragédie tendance shakespearienne, ils sont tous au plus fabuleux les uns que les autres, même les membres de l’orchestre !

Si je parle de Shakespeare, c’est parce qu’il s’agit sans conteste d’une influence majeure pour Kusturica. Comme le dit si bien le magazine Le Point : « Le cinéma de Kusturica, c’est la rencontre entre Shakespeare et les Marx Brothers ». Entièrement d’accord.

Vient ensuite le plus impressionnant, le scénario : si je devais le résumer en un mot, ce serait MAGISTRAL !!! Tout d’abord il y a ce souci historique que Kusturica comble en insérant quelques images d’archives ; l’Histoire est respectée, pas de doutes. Mais ce n’est pas tant une description des faits qui importe à Kusturica, mais davantage la face cachée de l’Histoire : magouilles, mensonges, trahisons sont donc au menu de ce délire de 3 heures.

A travers ces deux « héros » si on peut les nommer ainsi, Kusturica pose un constat amer : en politique, il ne peut exister aucune amitié et aucune vérité. Ainsi le cinéaste glisse-t-il des images de synthèses de ses acteurs dans les archives : première manipulation historique. Pour appuyer encore plus sa thèse du « pour réussir il faut savoir mentir », Kusturica brouille le jeu un peu plus en insérant un film dans le film ! Lequel, bien entendu, retrace une vision réduite des faits décrits dans le film : mensonge du mensonge, deuxième manipulation. Et pour confirmer que rien de tout cela n’est réel, ce sont les mêmes acteurs qui font les deux films. Ou leurs talents comiques sont pleinement exploités d’ailleurs… Et pour éviter une lecture faussée (où les esprits limités crieront au scandale de ne pas montrer les horreurs de Tito), Kusturica se démarque de toute idéologie en critiquant bien sûr le nazisme mais aussi le fascisme (« enculés de fascistes de merde ! » répété 50 fois, c’est assez clair je crois) et en démontrant le machiavélisme du communisme (vous voyez monsieur Fielkenkraut, vaut mieux voir un film avant de le critiquer…)

Et on fini en beauté par la réalisation mémorable de ce film-fleuve. Au sens même de la technique, Kusturica est un pro, il sait manipuler correctement une caméra et le prouve sans pour autant tomber dans l’excès. A titre de comparaison, sa caméra est aussi classe, incisive et fluide que celle d’un Robert Altman. Mais Kusturica a de la personnalité, et cela se voit : il y a d’abord ces scènes incroyables, totalement surréalistes et pourtant… Entre les galeries souterraines qui symbolisent un monde uni mais en dessous (par-delà ?) la guerre et une destruction de zoo qui provoque de drôles de situations, Kusturica semble ravi de donner un peu d’imaginaire à des événements terribles. Sans pour autant perdre le respect.

Il y a aussi cette façon sublime d’illustrer la mort, laquelle n’est plus considérée comme une fin en soi : réincarnation, libération subaquatique, la mort n’est qu’un passage vers un monde meilleur comme l’indique clairement un final grandiose, dont la toute dernière image emprunte de métaphore résonne dans les esprits pour longtemps…

Et bien sûr, mon petit coup de cœur va à la musique, indissociable du cinéma de Kusturica dorénavant, à la fois drôle, mélancolique, vive, fragile : bref le style Kusturica…

Alors, si on devait résumer Underground, ce serait quoi ? Un film politique ? Pas vraiment. Un drame ? Bof. Une comédie ? Pas toujours. Un film propagande ? Certainement pas. Un film anarchiste ? Non. Une tragédie humaine ? Presque. Un chef-d’œuvre absolu ? Assurément.

Note : *****

1 Comment:

D&D said...

Ton billet me fait me rappeler l'enthousiasme avec lequel j'étais sorti de ce film, mais c'est fou comme c'est loin, déjà. J'aimerais beaucoup le revoir.
Ta comparaison avec Altman me surprend, mais sans doute parce que je n'ai encore presque rien vu de lui...
Enfin... bonne année Bastien !