dimanche 7 décembre 2008

Taxi Driver


Certains films bénéficient, à travers les âges, d’une place à part dans le cœur des cinéphiles, des films qui ne laissent pas indifférents et qui ne proposent aucune demi-mesure : soit on aime, soit on déteste. Parmi ces films se trouve Taxi Driver.

Déprimé, enfermé dans sa minuscule chambre le jour et errant dans les rues de New York la nuit, Paul Schrader est un écrivain tourmenté, un scénariste en quête de gloire, d’argent et de filles. Tourmenté, Schrader connaît au début des années 70 une violente dépression qui le plonge dans l’alcoolisme et dans les pires tourments qu’un homme puisse s’infliger. Abandonné de tous, sans le sou, il décide d’écrire son histoire, qu’il verrait bien comme une adaptation de L’étranger d’Albert Camus dans le contexte américain de l’époque. Pour être bien inspiré, il lit le livre d’Arthur Bremer, l’homme qui tira sur George Wallace, et il garde sur son bureau un revolver chargé. Une grosse semaine plus tard, le script est fin prêt, et Schrader le file à son nouvel ami Brian de Palma pour qu’il l’adapte. Celui-ci le trouve fantastique, au même rang qu’Obsession que Schrader a aussi écrit pour De Palma, mais le cinéaste ne peut s’engager sur ce film. Le script est alors confié au couple Philips, producteurs auréolés d’un Oscar pour l’Arnaque, et De Palma présente Schrader et son scénario à Scorsese et De Niro de son côté. Tandis que Robert Mulligan et Tony Bill sont approchés pour la réalisation et que Jeff Bridges, Neil Diamond et Al Pacino sont envisagés pour le rôle de Travis (Pacino refusa, mais on ignore si c’est parce qu’il détestait le script ou le réalisateur pressenti alors autrement dit Tony Bill), Schrader insiste pour que ce soit De Niro et Scorsese qui travaillent sur ce film, les deux artistes ayant été très touchés par le scénario.

Scorsese refuse de prendre Farah Fawcett et cherche une actrice dans le genre de Cybill Sheperd ; qui mieux que Cybill Sheperd pouvait dès lors tenir ce rôle ? Scorsese fait aussi appel à Jodie Foster avec qui il a travaillé sur Alice n’habite plus ici (et qui se voit doublée par sa sœur aînée pour des scènes trop osées) et à Harvey Keitel qui refuse le rôle du sénateur et veut celui du proxénète. Si Keitel fait preuve de vrai professionnalisme en traînant avec des proxénètes pour préparer son rôle, De Niro fait preuve d’investissement total : ayant refusé 175 000 dollars pour jouer dans Un pont trop loin de Richard Attenborough, il emprunte des vêtements de Schrader, travaille plusieurs heures par jour comme taxi pendant un mois, étudie les maladies mentales et s’imprègne complètement de son personnage avant le tournage, ce qui ravit un peu plus Scorsese, celui-ci venant de convaincre Bernard Hermann de composer la musique de son film. Hermann devra décéder quelques heures après avoir fini sa partition, le soir de Noël 1975… Pendant le tournage, Scorsese et son chef opérateur Michael Chapman voient bien un film dans l’esprit de Godard, sans contrainte aucune, tandis que Robert de Niro traite Jodie Foster comme une reine et méprise Cybill Sheperd.

Projeté à Cannes, le film fait scandale par sa violence et son caractère sexuel, ce qui n’empêche pas Taxi Driver de remporter la Palme d’Or et de récolter quatre nominations aux Oscars (Meilleur film, Meilleur acteur, Meilleur second rôle féminin pour Jodie Foster et Meilleure musique). Et tandis que le film « inspire » John Hinckley Jr pour tenter de tuer Ronald Reagan en 1981, Schrader se sent trahi par la réalisation de Scorsese et les deux hommes se disputent violemment, déclarant ne plus vouloir travailler ensemble ; ils se retrouveront pour Raging Bull, La dernière tentation du Christ et A tombeau ouvert…

Le point fort du film est sans conteste son scénario : dense, permettant de nombreuses interprétations et découpé de manière novatrice, aucun détail n’est laissé au hasard. La folie grandissante de Travis trouve sa justification dans tant d’éléments différents que le film est devient une charge virulente contre le Vietnam, la solitude, le banditisme, la violence (!) ou encore l’oppression de la ville sur un personnage faible. Le fait que nous subissions le récit de Travis de son propre point de vue permet d’approcher au plus près sa descente aux enfers, jusqu’à ce final très clair où Travis, pensant être guéri, replonge dans sa folie autodestructrice avec ce dernier regard dans le rétroviseur de son taxi.
Ce qui nous amène au second point fort du film : Robert de Niro. Sa performance est tout simplement ahurissante, Travis Bickle étant l’un de ses rôles les plus marquants, de ceux qui lui ont brûlés les ailes (comme Voyage au bout de l’enfer, Raging Bull ou Il était une fois en Amérique) mais que lui seul pouvait amener à ce degré de perfection. De Niro effectue un véritable tour de force non seulement en restant crédible de A à Z mais également en parvenant à ne pas créer d’antipathie, mieux à créer une forme de pitié pour cet être dérangé et plus d’une fois abject. Il parvient ainsi à dominer le reste du casting, malgré une surprenante et jeune Jodie Foster et un Harvey Keitel impayable. La simple improvisation de la scène « You talkin to me ? » prouve à quel point De Niro avait non seulement réussi à pénétrer son personnage et le rendre vivant. Une interprétation à couper le souffle.

Néanmoins, il serait erroné de minimiser la réalisation de Scorsese, qui n’est peut-être pas encore au sommet de son art mais prouve qu’il n’est ni manchot ni complètement axé sur la technique : aux plans-séquences compliqués, Scorsese ajoute une authenticité rare dans son film, du café des taximen au parcours des voitures, le tout en dépeignant NewYork dan ce qu’elle a de plus sombre. Rarement un cinéaste aura été aussi juste sans perdre son amour dans la représentation de sa ville, qui prend ici un rôle des plus importants. A vif, la mise en scène de Scorsese trouve quelques moments d’éclats, pas tant le massacre violent (et forcément réaliste) de la fin que cet humour noir du rendez-vous dans un cinéma porno ou, l’une des plus belles scènes du film, cette danse entre Keitel et Foster, comme tout droit sortie d’un rêve ou plutôt comme une bulle d’air dans le cauchemar éveillé de Travis.

Et puisqu’il nous a tiré sa révérence de cette manière, il faut saluer dignement la partition jazz écrite par Bernard Hermann qui distille une ambiance particulière et essentielle au film, probablement l’une de ses musiques les plus réussies avec celles pour Hitchcock.

Taxi Driver s’inscrivait à sa sortie en plein dans son époque, une époque de révolte et de volonté de changement ; il n’en demeure pas moins à l’heure actuelle une analyse de la violence du monde sur l’Homme et inversement, et l’un des sommets de la carrière de Scorsese qui trouvait là l’occasion d’exploser à la face du monde. Puissant et troublant.

Note : ****

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