mercredi 24 décembre 2008

Cowboy


Que ceux qui limitent le cinéma belge au social sombre et froid à la sauce frères Dardenne s’en aillent sur le champ ou acceptent leur erreur en prenant connaissance de Cowboy.

Aux origines même du scénario : un fait divers. Le 14 novembre 1980, un jeune homme du nom de Michel Strée prend un bus scolaire en otage. Il va marquer les esprits. « Ce jour-là, la Belgique voyait un type de 21 ans monter dans un bus scolaire en tenue d'Elvis Presley, une Winchester à la main et braquer tout le monde en disant : "Maintenant, on va à la télévision et je vais dénoncer les injustices de ce pays." » se souvient Benoît Mariage, le réalisateur de Cowboy, déjà auteur des Convoyeurs attendent, le plus beau rôle qu’ait eu Benoît Poelvoorde. De là, Mariage va avoir l’idée de parler non pas de Strée mais de Daniel Piron, journaliste en quête du sujet parfait et à la recherche de ses idéaux perdus.

Mais pourquoi un tel titre ? Les raisons sont assez simples en vérité selon le réalisateur : « Un titre, ça doit d'abord accrocher, et associer une Winchester et Poelvoorde à ce mot-là, ça a de l'impact. Et puis, ici en Belgique, un cow-boy, c'est un prototype de mâle fonceur qui va au bout de ses idées. Daniel Piron, c'est exactement ça : il trace. C'est le mâle, le macho, le conquérant. Il refuse sa part féminine, sa part intuitive. »

Evidemment, on pourrait redouter un film bien sombre avec une histoire pareille. Mais ce serait bien mal connaître Benoît Mariage, cinéaste humain, filmant toujours à hauteur d’homme, dont les films inclassables aiment nager entre deux eaux, celle du drame et celle de la comédie. Si la poésie mélancolique qui parcourait Les convoyeurs attendent n’est hélas présente ici que par bribes, Cowboy n’en est pas moins une franche comédie, avec un arrière-plan dramatique certes, mais une vraie rigolade en surface. Le comique vient surtout du caractère pitoyable de l’entreprise et de ses protagonistes, de ce journaliste idéaliste affublé d’une équipe minable et d’un héros désabusé, ayant finalement trouvé sa place dans le système qu’il dénonçait quelques années plus tôt. Le final, un rien déstabilisant de prime abord, est en réalité une magnifique réflexion sur l’Homme et sa condition : en chantant Non, non, rien n’a changé des Poppys dans une chorale, Piron découvre que ses idéaux sont dépassés, mais que ce n’est pas plus mal comme ça. Il comprend enfin que pour changer les choses, il ne faut pas remonter dans le passé, mais aller de l’avant.

Evidemment, le film doit beaucoup à la performance de Benoît Poelvoorde, qui trouve sans conteste l’un de ses plus beaux rôles. Benoît Mariage évoque le personnage joué par son compatriote de Piron : « Je voulais que le type qui cherche à retrouver les protagonistes de cette prise d'otage soit un vrai has-been. Une sorte de journaliste ringard, un peu trotskiste, un peu paumé, comme il y en avait beaucoup à la télé publique belge. J'imaginais donc ce vieux militant, mal à l'aise dans sa vie, qui fait une émission "à la con" et qui voudrait se réhabiliter en faisant un documentaire. C'était une manière d'élargir le personnage à la crise profonde qu'il traverse. Une sorte de crise de la quarantaine où toutes ses conquêtes extérieures ne le satisfont plus ; crise qui l'incite à partir à la conquête de lui-même. C'est d'ailleurs pour moi le cœur du sujet de Cow boy." (...) Daniel Piron c'est un Don Quichotte. Il a un élan. Même s'il est maladroit. Il ne trouve pas sa place, il est considéré comme un ringard. Comme Don Quichotte aurait pu l'être. » Et sans faillir, Poelvoorde interprète ce ringard de gauche, au fonctionnement de droite (il veut tout de même réaliser un documentaire pour la gloire et l’audience), décalé de son monde, en crise de couple parce qu’il le veut bien. Drôle et touchant, Poelvoorde écrase littéralement les seconds rôles qui l’entoure, à l’exception très notable de François Damiens, qui trouve enfin le bon niveau de jeu, et surtout un Gilbert Melki aussi bon que d’habitude, et peut-être même plus.

Film sans prétention, au faux-discours idéologique et à la vraie compassion pour toute une génération d’idéalistes désabusés (Piron n’est jamais que l’image d’une multitudes de quadragénaires actuels), Cowboy est un film réussi, qui mérite de ne pas passer inaperçu. Pour montrer que le cinéma belge sait être passionnant. Pour montrer que Poelvoorde est un immense acteur. Pour montrer que les idéaux, ça ne meurt jamais, et qu’il est donc nécessaire d’en avoir autant que possible. Fin de la plaidoirie.

Note : ***

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