mercredi 31 décembre 2008

Dressé pour tuer (White Dog)


Les films à scandale sont nombreux ; la plupart du temps, ils finissent par sombrer dans l’oubli (parce qu’ils sont nuls), deviennent des sujets de plaisanteries (parce qu’ils ont vieillis) ou redeviennent anonymes (sauf pour certains cinéphiles). Rares sont ceux qui, des années après leur réalisation, conserve cette aura interdite, souvent due à un sujet épineux ou à un traitement choc (fait plus rare vu l’évolution de l’image dans notre société moderne). White dog est de ces films chocs et choquants, incontournable interdit.

Récapitulatif des faits : alors qu’il revient de Buenos Aires où il a présenté The Big Red One, Samuel Fuller reçoit un coup de téléphone de John Davison, un producteur, et Don Simpson, président de la Paramount, qui lui propose d’adapter l’autobiographie de Romain Gary, l’ex-mari de Jean Seberg. Fuller finit par accepter, et se voit contraint d’écrire un scénario en 18 jours, avant qu’une grève de scénaristes éclate. On lui colle alors Curtis Hanson comme aide, ce qui ne déplaît pas à Fuller qui le connaît bien et, surtout, Hanson avait déjà travaillé sur la précédente version du film initialement prévue pour Roman Polanski.

Finalement le film fut écrit à temps, et le tournage provoqua, bien évidemment, une certaine polémique. Finalement, la Paramount se retira du projet, refusant de distribuer le film. A l’heure actuelle, vu son contenu et une partie de son traitement, le film est toujours interdit de diffusion aux USA, et est par ailleurs introuvable dans la plupart des commerces.

Pourquoi tant de problèmes ? La réponse est simple : l’histoire du film est un véritable problème de société. En réalité, Fuller n’a gardé du roman de Gary qu’une anecdote très étrange : un jour, Jean Seberg recueilli un chien blanc qu’elle trouva amitieux ; cependant, l’animal attaqua subitement et en traître le jardinier noir de l’actrice, qui fut blessé. Un autre incident devait survenir quelques jours plus tard, lorsque le chien s’enfuit et attaqua un autre homme noir, mais personne d’autre. A la troisième attaque, le couple Seberg-Gary se rendit compte que le chien était en réalité un « White Dog », un chien dressé par une personne raciste dans l’unique but d’attaquer les gens de couleur.

On comprend mieux dès lors pourquoi ce film a fait scandale. Il aurait très bien pu s’inscrire dans la lignée des films d’attaques comme s’en était la mode (Cujo en 83, Max, le meilleur ami de l’homme quelques années plus tard) mais la situation des afro-américains de l’époque (nous ne sommes qu’à une dizaine d’années de l’affaire Rodney King) était à ce point problématique que le film devait être rapidement classé comme dangereux, d’autant qu’il aurait pu paraître équivoque pour certaines personnes qui y aurait vu l’apologie du racisme.

Pourtant, c’est tout le contraire : Fuller dénonce le racisme de la manière la plus brutale qu’il soit, non pas en montrant des lynchages du Ku Klux Klan, des réunions sauvages de néonazis ou l’injustice sociale ambiante mais en soulignant que le racisme peut être partout, à l’instar de la révélation de l’identité du propriétaire du « white dog », que l’on imagine être un homme costaud au crâne rasé et affichant une croix gammée ou une cagoule pointue blanche et qui s’avère être en réalité un grand-père, simple, accompagné de ses deux charmantes petites-filles. Le mal n’est donc plus un stéréotype mais une réalité : le racisme n’est pas affaire d’idéologie mais d’éducation, et il n’est pas toujours identifiable en apparence chez une personne.

L’autre réflexion menée par Samuel Fuller, et qui intègre de la sorte White dog au sommet de la carrière du cinéaste, est celle sur la violence. Rarement le cinéaste aura émis un discours aussi virulent : il suffit de voir la scène finale pour se rendre compte que, pour Fuller, la violence n’est pas guérissable. On peut s’en accommoder, mais l’instinct destructeur (voir meurtrier) sera toujours présent, chez l’animal comme l’Homme, et quand il sera trop dominant il faudra l’arrêter coûte que coûte : voilà le message des dernières minutes du film.

Visuellement, le film semble un peu pauvre, sorte de téléfilm des années 80 ; pourtant, les moyens étaient là, et c’est sans doute parce que le film était problématique que l’on a fait si peut attention au traitement de la pellicule, qui a passablement vieilli. Cela étant, Fuller possédait assez de talent pour ne pas laisser son film paraître bâclé : la manière dont le réalisateur cadre son action est à ce titre remarquable, où jamais une attaque de chien nous aura semblé si réaliste et si effrayante. Fuller était un cinéaste direct, sans fioritures, et il le prouve en effectuant un cadrage et un montage serré, et où plusieurs scènes font l’effet d’un électrochoc sur le spectateur (la scène angoissante de l’enfant noir en arrière-plan et le chien en avant-plan, derrière un mur, ou encore cette scène effrayante du meurtre de l’homme noir dans une église, sous un vitrail représentant Saint-François d’Assise et son chien…).

On regrettera seulement que les acteurs ne soient pas toujours des plus convaincants, ou simplement pas à la hauteur du récit et de la mise en scène que Fuller propose. Ce bémol sera de toute façon effacé par le personnage du chien lui-même, qui bien qu’il soit un animal est un élément marquant du film (la pureté de son pelage blanc taché de sang est assurément une image-clé du film) et par la musique, superbe et dans l’air du temps, d’Ennio Morricone.

Plus qu’un film dramatique, un film effrayant, un film engagé, White Dog est une véritable réflexion sur la société moderne et ses travers, avec le regard acéré de cet ancien journaliste de Fuller, direct et sincère, qui livre ici une de ses œuvres les plus marquantes et, sur un plan thématique, des plus abouties.

Note : ****

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