vendredi 3 mars 2006

Le petit lieutenant


Une petite bombe dans le polar français que ce Petit lieutenant.

Il peut être amusant de voir Le petit lieutenant comme une réponse à 36, Quai des Orfèvres : alors que l’un était très américanisé, se basant sur un récit tragique et reposant sur les personnalités des deux comédiens principaux magnifiés par une mise en scène stylisée, l’autre choisi plutôt le camp du réalisme, du film au côté documentaire où personne ne vole la vedette à personne.

Xavier Beauvois, pour son cinquième film, a donc chercher à revenir aux sources du polar, en faire presque un documentaire comme ces films des années 70 (French Connection en tête) ou le Police de Maurice Pialat. Ce n’est pas tant une enquête que l’on suit mais le quotidien d’une équipe de flics, laquelle accueille la vétéran Vaudieu et un nouveau, tout frais diplômé, son petit lieutenant comme elle le surnomme amicalement. A vrai dire, savoir comment ils vont arrêter les criminels compte finalement peu, tant on est subjugué par des journées pas banales mais peu captivantes contrairement à ce que l’on peut montrer dans les feuilletons ou les films américains où tout le monde court dans tous les sens. Beauvois abandonne aussi les stéréotypes des bons flics – mauvais flics, tous plus pourris les uns que les autres. Ils préfèrent décrire la vérité : alcooliques, subissant la discrimination raciale, machos mais au fond humains. Tout en retenue, la mise en scène ne sombre pourtant dans aucun mélodrame, ce qui aurait pu arriver avec la relation entre Baye et Lespert, ou une mère ayant perdu son fils rejette son image sur le petit nouveau.

A leur manière, les acteurs saluent la réalisation et le scénario par des jeux sobres, sans fioritures ou excès. Ils ne jouent pas des flics, ils sont des flics, avec tout ce que cela peut comporter de doutes intérieurs et de remise en question. Et s’il convient de saluer Jalil Lespert, d’applaudir Roschdy Zem, c’est d’acclamer Nathalie Baye, justement récompensée par un César pour ce rôle.

Finalement, l’aspect le plus étrange du film reste son silence total au niveau musical. Un vide intégral, rentrant dans l’esprit documentaire une fois de plus et qui, étonnamment, ne dérange pas. Mieux, il permet au spectateur de ressentir les émotions que les acteurs font passer ; là où les frères Dardenne pêchent, Beauvois lui manie le silence comme fond sonore nécessaire. Le réalisateur se justifie : « C'est assez rare, un film sans musique, d'habitude tu es obligé. Avant le tournage, on me demandait "tu vas mettre quoi comme musique ?", je répondais "je n'en sais rien, il faut écouter le film, il a une âme, il faut écouter les acteurs, les techniciens. Mais surtout ce que dit le film". Puis j'ai voulu faire le pari de m'en passer... Quand je suis flippé, que je marche dans la rue, je n'ai pas un quatuor à cordes qui me colle aux basques. Pourquoi, quand les gens sont flippés dans un film, ont-ils un orchestre qui les suit ? »

Tout cela nous offre au final un film en dehors des codes du genres, naviguant selon sa propre volonté en refusant les compromis et facilités, en choisissant un ton réaliste pour un drame intimiste qui, si il n’est pas universel, ne laisse pourtant pas indifférent. Impressionnant.

Note : ***

1 Comment:

D&D said...

La sortie du nouveau Beauvois offrira peut-être l'occasion de (re)voir celui-ci : ça me dirait bien. J'ai un souvenir plus précis de ses précédents qui m'avaient surpris de manière plus "évidente" mais beau souvenir des acteurs et de Baye en particulier.
(Je ne me souvenais pas de "l'absence" de musique d'ailleurs)