dimanche 11 septembre 2005

Intolerance


Intolérance, ou le LE film-fondateur du cinéma contemporain, ni plus ni moins !

Il faut dire qu’à l’époque, D.W. Griffith connaît quelques soucis populaires : si son film précédent Naissance d’une nation a été vivement applaudi par les critiques (et est d’ailleurs considéré comme le vrai film phare du cinéma, qui posa toutes les bases du cinéma moderne), on ne peut pas en dire autant du public qui, même s’il remplit les salles ne manqua pas de souligner le caractère raciste du film (apologie du Sud pendant la Guerre de Sécession et naissance du Ku Klux Klan. Condamné ainsi par la communauté noire, interdit dans 12 états américains et exigeant de Griffith des coupes, la situation était tendue ; c’est pourquoi Griffith réalisé Intolérance pour se faire pardonner, devenant d’ailleurs le film le plus cher de l’histoire du cinéma à sa sortie en 1916.

Pour illustrer son propos, Griffith choisi quatre histoires :
1/ en 1914, un ancien malfrat se voit condamner à la peine capitale pour un crime qu’il n’a pas commis
2/ la vie de Jésus
3/ le massacre de la Saint-Barthélemy
4/ la prise de Babylone par l’armée de Cyrus en 539 A.C.N.

Inutile de souligner à quelle point les reconstitutions furent méticuleuses… Eh bien si cela mérite d’être souligné, car les décos sont vraiment démesurés : la reconstitution de Babylone est véritablement stupéfiante de réalisme ! On en vient presque à ne plus sentir que c’est un décor mais à croire que c’est la vraie ville antique.

Bien sûr, les costumes aussi sont fabuleux, semblant tout droit sortis de leurs époques respectives pour figurer dans ce film. On comprend déjà beaucoup mieux le coût du film.

Et pourtant nous ne sommes qu’au début de nos surprises. Si les reconstitutions sont fantastiques, il faut souligner le nombre de figurants qui se trouve parfois à l’écran ; ainsi durant la première bataille de Babylone un combat entre des milliers de soldats se déroulent sous nos yeux ! Et en 1916, impossible de faire appel aux effets spéciaux de qualité donc les cascades et autres attaques en masse sont bel et bien réelles. A noter aussi le réalisme saisissant pour l’époque des massacres : de l’épisode de Babylone apparaissent des décapitations, de celui de la Saint-Barthélemy des meurtres d’enfants et de jeunes filles transpercées par les sabres, de l’épisode contemporain l’intervention musclée de la police durant la grève, digne d’un Germinal.

Intolérance se profile donc comme un film fleuve (2h45) d’un réalisme incroyable pour l’époque ; mais ce n’est pas tout.

En effet, le film se pose aussi en message philosophique, en exploitant à la perfection ses thèmes de l’intolérance humaine : surtout religieuse, elle peut aussi être sociale et avoir à chaque fois des conséquences graves. Il faut par ailleurs souligner la magnifique poésie qui ressort du final, où Griffith imagine un monde sans intolérance ; pas mal pour un raciste latent.

Bien sûr, le lien entre ces quatre histoires, une jeune femme berçant son bébé, est un message métaphorique de tout beauté : on peut voir dans les mouvements du berceau une récurrence qui peut s’appliquer à l’Histoire, ce que vient souligner les quatre épisodes d’intolérance prenant souvent la même origine (avidité, religion, jalousie).

Mais comme si tout cela ne suffisait pas, Griffith réalise le triplé magique en rendant son film mémorable : déjà en 1916, tous les codes élémentaires du cinéma se retrouvent dans son film : travellings horizontaux et verticaux, zooms, fondus-enchaînés, très gros plan des visages, angles de prises de vue variés, montage alterné, montage parallèle, travail sur la durée des plans, importance accordée au montage, tout concourt à faire de ce film, extrêmement en avance sur son temps, un chef-d’œuvre éternel. Et ce n’est que justice car il faudra attendre des années avant de revoir autant de qualité réunies. Remarquons aussi les qualités de jeux des acteurs, qui pour une fois dans un film muet son très loin d’un jeu théâtral mais s’approchent déjà beaucoup plus d’un jeu moderne.

Chef-d’œuvre de la première seconde au mot fin, d’un réalisme saisissant et aux qualités techniques irréprochables, Intolérance sera le film qui conditionnera les théories de Eisenstein et de Poudovkine, influencera le cinéma américain et même mondial et rendra à Griffith une aura de génie incontesté ; même 90 ans plus tard, le film paraît plus modernes que certains films actuels c’est dire !

Note : *****

1 Comment:

Eeguab said...

Immensité de Griffith...Et surtout à remettre en perspective.