vendredi 19 mars 2010

Sciuscia

S’il est un chef-d’œuvre du néoréalisme italien souvent cité, c’est bien Le voleur de bicyclette, de Vittorio de Sica. A juste titre d’ailleurs, comprenons-nous bien, mais on aurait du coup trop vite tendance à oublier d’autres films majeurs du cinéaste, en particulier Sciuscia qui est un magnifique exemple du dit néoréalisme.

Le film s’ouvre sur une scène que l’on croirait sortie d’un film bourgeois : des enfants font une course de chevaux en toute innocence et joie de vivre. Mais la réalité rattrape très vite les faits : ces deux gamins ne sont en fait que des cireurs de chaussures, vivant dans une certaine pauvreté et contraints pour se faire de l’argent de travailler avec des malfrats. Très vite donc, le film s’inscrit dans le néo-réalisme dans le sens où il agit comme une révélation de la vie quotidienne de ses enfants. Le néo-réalisme a en effet agit dès ses débuts comme une prise de conscience de la réalité, de choses que les gens ne pouvaient pas, ne voulaient pas voir : ici, ce sont les enfants au travail, un travail ingrat et peu rentable, qui nous est montré un premier temps. Ensuite, ce seront aussi les conditions de détention des enfants dans des prisons pour mineurs qui seront montrées, soulignant qu’il n’existe plus de distinction, dans cet univers-là, entre le monde des adultes et le monde des enfants. Ce passage dans la prison est par ailleurs assez éloquent et assez dur. J’ai souvent repensé à La colline des hommes perdus de Sidney Lumet, dans la description de la vie dure que l’on mène dans ces véritables cachots.

Le film jette donc un regard sur la vie de deux enfants comme tant d’autres. Pour ce faire, la caméra suit les deux enfants quoi qu’il leur arrive, et les suit uniquement eux deux. Cela fait partie des nouvelles composantes du récit propres au néoréalisme, dans le sens où le point de vue narratif n’est plus un point de vue omniscient mais un point de vue partiel, limité aux deux enfants (on apprendra seulement lors de leur interrogatoire qu’ils sont accusés de complicité de vol de 700 000 lires à une chiromancienne). Ce point de vue est donc double à la base, mais il lui arrive de se séparer en lui-même : preuve en est lors de l’évasion de Giuseppe, quand Pasquale pense que ce dernier s’est enfui avec le cheval et l’a abandonné. On découvrira plus tard que les choses ne se sont pas exactement passées comme cela. Ce point de vue limité est également visible à l’écran, ce qui rejoint la thèse selon laquelle le néo-réalisme est un paradigme du regard : plusieurs fois, nous assistons à des faits du point de vue des enfants, mais c’est encore plus flagrant lors de l’interrogatoire à la prison, où Pasquale pense assister, dans l’encadrement d’une porte, à une correction musclée de son jeune ami (scène qui n’est pas sans rappeler la scène de torture dans Rome, ville ouverte, où le prêtre aurait ici laisser la place à l’adolescent). Il y a aussi, dans l’expression de ce point de vue limité, bon nombre de scènes importantes en hors-champ, comme le vol de la chiromancienne, mais aussi l’arrestation du frère de Giuseppe après les aveux de Pasquale, ou la mort de Giuseppe en tombant du pont. Toutes ces scènes étant invisibles, il apparaît clairement que le spectateur en sait autant que les protagonistes principaux du film, et donc que le point de vue n’est plus omniscient, comme dans le cinéma classique, mais bien partiel.

Devant la caméra, les enfants sont tout simplement étonnants, encore que cela semble assez logique vu qu’ils ne font que retranscrire ce qu’ils vivent au quotidien. Mais la toute grande force du film vient de la réalisation elle-même : sans misérabilisme, De Sica aborde un sujet dramatique de manière naturaliste sans pour autant délaisser une certaine sensibilité, à l’instar du Voleur de bicyclette et de Umberto D. plus tard. C’est probablement pour ça que, de tous les cinéastes néoréalistes, De Sica était l’un des plus grands et Sciuscia un film à ne pas sous-estimer.

Note : ***

1 Comment:

Eeguab said...

Comme j'aimerais que l'on redécouvre De Sica.