Johnnie To est quelqu’un d’extrêmement frustrant, vous le saviez ? Non seulement ce type est le Lucky Luke de la pellicule (il a touché de près ou de loin plus de 100 films quand même) mais en plus, c’est un véritable surdoué.
Exemple avec Breaking News, qui sur le plan technique est une vraie leçon de cinéma (le scénario étant somme toute assez convenu et prévisible). La notion de plan-séquence par exemple : elle tient ici un rôle très précis. Il faut d’abord voir qu’il y a deux plans-séquences majeurs : celui d’introduction, et celui qui se situe sur la fin. Dans le premier, le plan-séquence a un rôle semblable à celui de La soif du mal : en plus de faire grimper la tension petit à petit (le spectateur sait que la police est là pour arrêter les malfrats, mais il sait aussi que ces malfrats sont armés et vont donc riposter), il a l’intérêt de présenter assez rapidement les personnages principaux du film (il ne manque que l’héroïne), leur positionnement face à la justice (ici les bons sont du côté droit de la rue, tandis que les bandits sont du côté gauche) et le ton du film (de l’action pure et dure). C’est un plan-séquence très virtuose, qui se promène dans la rue, dans le ciel, et contient beaucoup de personnages et d’action. Par opposition, le second plan-séquence majeur (la scène où Yuen a pris Rebecca en otage en fourgonnette) est très limité dans ses mouvements (il est à bord du véhicule), ne contient que très peu de personnages (principalement 2, on ne voit presque jamais le chauffeur) et ne délimite plus les caractères des personnages (qui passent de droite à gauche de la camionnette sans problème ; de plus, la flic apparaît comme agressive et le criminel comme quelqu’un de sympathique). C’est aussi un moment de détente, où il y a peu de coups de feus en comparaison du premier plan-séquence. Ces deux plans-séquences s’équilibrent donc comme le Yin et le Yang, l’un étant l’opposé de l’autre. Ils ouvrent et ferment aussi une partie du film où les plans sont souvent courts.
Le montage utilisé est le montage alterné. On peut distinguer trois parties : les bandits en planque, l’inspecteur qui les recherche avec son équipe et la commissaire Rebecca qui veut redorer l’image de la police. Durant l’attaque de l’immeuble, on peut observer que deux parties se répondent : celle de Yuen et celle de Rebecca. Celle de l’inspecteur Cheung apparaît alors comme une intruse, tentant de se glisser entre elles deux. Si on associe chaque partie au personnage qui la domine, il n’est pas étonnant de voir Cheung toujours tenter de s’imposer entre Rebecca et Yuen, et les séparer lui-même à la fin en tuant Yuen. Le montage alterné est ici utilisé comme une sorte de jeu de ping pong, où chacun se renvoie la balle : lors de la première attaque, la séquence débute par le point de vue policier, mais très vite le point de vue des gangsters prend le dessus lors de l’explosion de la bonbonne de gaz. En réaction, Rebecca tronque les images et informations à la presse, pour ne pas se laisser dominer par les bandits ; Yuen découvrant cela à la télévision, il montre la vérité sur internet et fait passer la police pour des incapables. Rebecca entre alors en contact avec Yuen, et ce dernier met fin à la conversation assez rapidement. Le montage alterné montre ainsi le rapport de force entre les représentants de la loi et les gangsters. Il y a aussi, parfois, de courtes séquences introduites en plein milieu du récit, séquences qui sont en réalité les informations de la télévision, qui vient rappeler l’aspect original du film : l’utilisation abusive des médias. Dans ce montage alterné, il y a quantité de communications : par téléphone, par radio, par webcams. Le champ-contrechamp est ici utilisé de manière bien précise : comme c’était déjà le cas dans, par exemple, Die Hard, autre film en huis-clos et très communicatif, les personnages sont cadrés de manière à faire croire, par effet Koulechov, qu’ils se parlent face à face, alors qu’ils sont séparés parfois par plusieurs étages.
Ce ne sont là que deux exemples de maestria totale. On pourrait aussi parler des scènes d’actions qui sont divisées en deux catégories : celles ultra-découpées, procédant d’un montage rythmique (jouant sur la durée très courtes des plans), soit celles filmées en profondeur de champ. Ces dernières sont en fait des prises de position de la caméra en tant que témoin, d’un côté ou de l’autre, de l’action. Le spectateur est donc inclus dans les fusillades et autres explosions, en vrai témoin, comme le désire justement Rebecca et son « show » télévisuel.
J’aime autant en rester là pour le moment : le temps de digérer la suprématie de maître To, comprenez.
Note : ****
mardi 23 mars 2010
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1 Comment:
Héhé l'un des plus grands films policiers de la dernière décennie. :)
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