mercredi 17 mars 2010

La loi du silence (I Confess)

Bien qu’il ne soit pas le plus célèbre des films d’Alfred Hitchcock, La loi du silence est un film très intéressant pour qui voudrait comprendre sur quoi repose thématiquement un film du maître du suspens.

Déjà, il exploite pleinement le thème de la culpabilité et celui de l’imbrication du désir et de la loi. Les thèmes judéo-chrétiens ne manquent bien évidemment pas dans ce film, puisque le personnage principal n’est autre qu’un abbé soupçonné à tort d’un meurtre. Le film joue pourtant adroitement sur les oppositions : celles de la révélation et du secret, du spirituel et du moral, du passé et du présent, de la justice pénale et de la condamnation populaire. Parce qu’il est condamné au silence (la « loi » de l’Eglise et de la confession), l’abbé Logan ne peut se défendre concrètement, ce qui engendre des soupçons de la police dans un premier temps, puis de la population qui, au terme d’un procès où Logan est reconnu non-coupable, se détournera de lui et le maltraitera. Il faut dire qu’aux yeux de la foule, l’abbé Logan est un personnage ambivalent, difficilement identifiable sur le plan sexuel. Désinvesti de toute relation avec les femmes, il vit au sein d’une communauté exclusivement masculine. La robe de prêtre qu’il porte est non seulement une castration symbolique, mais fait aussi écho à une féminité (et donc homosexualité) latente. Par sa direction de spectateur, Hitchcock démontre que c’est faux, mais la population de la ville dans le film elle l’ignore. En revanche, le cinéaste joue de l’ambivalence de Logan d’un point de vue moral, puisque sensé avoir fait vœu de chasteté, nous apprenons qu’il a eu une liaison avec Ruth. Logan devient alors tout aussi énigmatique pour le spectateur, qui bien qu’il sache qu’il est innocent, ne peut s’empêcher de le juger à son tour.

Pour faire une aparté, Hitchcock s’amuse ici dès son générique de début à souligner au spectateur qu’il va le diriger tout au long du film. Pour preuve, cette succession de panneaux « direction », qui désigne des directions géographiques mais aussi la direction vers laquelle le spectateur doit regarder et, bien sûr, le fait que le film est dirigé par Hitchcock (« director »).

Le récit s’intéresse donc plus à l’histoire et aux mésaventures de l’abbé Logan qu’à la résolution du meurtre lui-même (qui n’est autre que le MacGuffin du film). En effet, on sait d’emblée qui est l’assassin, et pourquoi il a tué l’avocat véreux (le désir d’Otto de voir sa femme heureuse), mais on sait aussi qu’Otto, incarnation du Diable ici (il n’a aucun scrupule à faire condamné un innocent à sa place), s’est déguisé en prêtre pour commettre son méfait. Le suspens est donc de savoir comment l’innocence de Logan va être prouvée, et si elle le sera à temps. Hitchcock donne même de faux espoirs au spectateur en lui faisant croire qu’à la suite de l’aveu de Ruth, Logan sera innocenté ; au contraire, cela accusera encore plus Logan, et l’inspecteur Larrue trouvera là le mobile du meurtre.

Pour illustrer le trouble qui s’est emparé de Logan lors de son accusation, Hitchcock n’hésite pas à cadrer différentes églises, devenues menaçantes, en contre-plongées et par des plans légèrement décadrés. La peur qu’inspire l’Eglise chez Logan est visible lors de son « chemin de croix », où se rendant au commissariat il se rend compte de ce qui l’attend : même innocenté, il aura perdu toute crédibilité suite aux révélations de Ruth. Hitchcock tire profit à merveille du regard de Montgomery Clift (sublime à chaque instant) lors de ces instants de doutes, confirmant l’idée du cinéaste selon laquelle un mauvais film est une photo de gens qui parlent alors que son film est une photo de gens qui pensent. Hitchcock joue aussi énormément sur les points de vue : celui de Logan, récurrent car personnage principal, mais aussi celui de Larrue et, surtout, celui de Ruth, dont découle tout le flash-back. Truffaut estimait que ce souvenir est un mensonge, comme celui du Grand alibi car il survole l'état d'esprit de Logan et est vu au travers des yeux très romantiques de la jeune femme. Le ralenti lorsqu'elle descend les escaliers, explicitement romantique, est plutôt rare chez Hitchcock.

A noter enfin que Karl Malden (toujours aussi bon) interprète ici un inspecteur Larrue intéressant puisqu’il est, avec l’inspecteur Hubbard, l’un des rares policiers intelligents dans l’œuvre d’Hitchcock.

S’il n’est donc pas son film le plus connu ni même son chef-d’œuvre absolu, La loi du silence reste une petite merveille dans la filmographie d’Hitchcock, qui en compte des dizaines et des dizaines. Rah qu’il est agaçant, cet Alfred, à être aussi inégalable.

Note : ****

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